Allez, on débat, y'a de la matière, la journée est finie, il faut répondre! Surtout que j'aime bien la manière dont chacun met sa touche dans ce débat essentiel, avec beaucoup de justesse.
Beaucoup de remarques viennent de mes posts qui prennent un peu à contre-pied les vélléités anticapitalistes (le terme est un peu fort) de certains intervenants. Je précise que je ne suis pas du tout un chantre du libéralisme, mais face à une opinion très anti plein de choses, j'essaie aussi d'apporter un contrepoids et faire réfléchir, même si je suis souvent d'accord avec les autres opinions évoquées.
Caracole a écrit:Salut Benman,
Il y a tout de même des choses qui me hérissent un peu dans ce que tu racontes. J'ai l'impression que tu es imprégné de l'enseignement que tu as reçu, d'une certaine expérience et du milieu dans lequel tu vis, mais j'ai une vision un peu différente des choses.
arrghh, je suis rattrapé par mon passé! Je fais des efforts pourtant, j'ai même récemment parlé à un pauvre!
Caracole a écrit:Je crois profondément que le système capitaliste a créé un rapport de force qui n'a pas lieu d'être au départ puisque capital et travail sont liés, et aucun ne devrait avoir le pas sur l'autre. Or il est un fait que le capital est mieux rémunéré que le travail aujourd'hui, ce qui n'est pas juste - au sens propre du terme. Je ne pense pas que quiconque veuille supprimer les entreprises mais il faudrait rétablir l'équilibre.
Pourquoi pas, c'est un objectif très louable vu la déconnexion évidente de certains financiers -nous sommes bien d'accord-. Mais il faudra quand même se demander qui mettra au pot pour développer le business (il n'y a que dans le cinéma en France qu'on est payé en avance pour ce qu'on va produire).
dans ce domaine, les anglo-saxons sont plus pragmatiques que nous. ils n'ont pas ce débat de mieux répartir le gâteau, mais davantage d'agrandir le gâteau en se disant que chacun y trouvera son compte, même si ce n'est pas forcément très égalitaire...
Caracole a écrit:Certainement il faut faire la part des PME et des grandes entreprises, parce que tu décris des boîtes dans lesquelles on peut parler à son patron.... pour avoir été acheteuse chez un fabriquant de voitures françaises, j'ai visité des usines de câblage en Roumanie et au Portugal où les filles pleuraient sur leur poste de travail. Elles pleuraient si on les changeait de poste (adaptation infernale pendant trois semaines), elles pleuraient si les pontes français leur demandaient de refaire une manip devant eux parce qu'elles avaient peur. Elles gagnaient des piécettes pour passer toute la journée dans cet atelier et ne viens pas me reparler du 19e siècle, tu sais bien que ça ne rime à rien.
Et tout ça pour une entreprise française, je le rappelle. Et je te parle pas du mépris ... même pas affiché, mais une indifférence face à elles absolument effarant : "au moins elles, elles ont du boulot". Répugnant.
J'ai aussi travaillé à l'étranger (2 ans en Tunisie), pour une entreprise française, et aussi dans le milieu automobile. Ce que tu racontes est atterrant. j'espère que à ton niveau tu as pu un peu adoucir les choses. J'ai vu aussi des trucs choquants (le monde de l'entreprise est loin d'être rose, on est bien d'accord), mais j'ai aussi vu des gens qui se bousculaient pour travailler dans une multinationale, ce qui était une référence dans leur pays, car les salaires y étaient plus élevés, et les conditions de travail meilleures que dans leurs entreprises locales (et c'était factuel....)
Personnellement, je retiens de positif de cette expérience à l'étranger, que dans le cadre d'une entreprise qui jetait les gens comme des kleenex, je n'ai à mon niveau viré personne (et pourtant j'ai eu de sacré pressions pour le faire), j'ai pu y faire progresser (financièrement et en carrière) l'ensemble de mon équipe (en particulier 2 apprentis qui ont été embauchés), j'ai ramené ensuite en expatriation en France dans mon poste suivant une personne de l'équipe locale tunisienne, qui est devenu un vrai ami et qui a maintenant un poste beaucoup plus important que moi (et j'en suis fier) . J'ai essayé plein de choses pour adoucir un peu les choses (et pourtant c'était largement 10 fois plus dur qu'en France, je pèse mes mots) etc etc... Mais c'était loin d'être parfait, et j'ai aussi fait de belles conneries, qui me servent aujourd'hui de leçon. (séquence "confessions intimes" off)
Caracole a écrit:Et tu parles de redistribution .... que les investissements sont réalisés grâce aux actionnaires....arrête! Quel rapport peut il exister entre les rémunérations des cadres et leur apport dans la société? Tu sais bien que s'ils mettent du fric en bourse c'est parce qu'ils gagnent de l'argent, certainement pas pour investir dans des moyens de production. Les grandes entreprises sont depuis longtemps gérées par des financiers, pas par des industriels. Ils se foutent complètement de sauver une entreprise, ils achètent et vendent, c'est tout. Et c'est bien pour ça que tu peux parler de désindustrialisation en France.
J'ai écrit exactement :
Benman a écrit:Le financement [des entreprises] est, lui, réalisé essentiellement par les banques et les actionnaires (qui évidemment voudront être rémunérés pour ce qu'ils injectent).
Je ne vois pas en quoi cela est contradictoire avec ce que tu écris, qui est à mon avis vrai, sauf le dernier point qui est beaucoup plus complexe: la désindustrialisation n'est pas que la simple faute des méchants financiers qui plombent l'économie réelle.
Redonnons justement goût aux vrais entrepreneurs de prendre le pouvoir dans les entreprises (ou a défaut d'en inventer de nouvelles), au détriment des financiers purs qui la plombent (d'où mon blabla liminaire sur Lidl, Elise Lucet et les dérives de l'entreprise-bashing...).
Caracole a écrit:Dans les boîtes publiques aussi, ouais, c'est bien vrai.... on peut faire des milliards de pertes (les contribuables vont payer de toutes façons c'est pas grave. Non, ne viens pas me dire que si c'était une boîte privée ils feraient moins de pertes) et rémunérer ses cadres à hauteur de 52 000 euros par mois.... qui mérite ça? Quel boulot justifie ça? Même le plus grand des chirurgiens, qui sauve des vies, qui prend des risques, ne gagne pas ça.
Allez, juste parceque j'aime bien te chercher, lis
çaAu passage, 52 000 € par mois, c'est
ce que gagne un footballeur (très) moyen d'un petit club de ligue 1 (ça ne gène personne?)
NRT421 a écrit:Float4x4 a dit : "On dit que Mital fait vivre des dizaines de millier de salariés... c'est faux... ce sont des dizaines de millier de salariés qui font vivre Mital".
Question : pourquoi font-ils cela plutôt que de sidérurgiser entre eux sans Mital ?
Celle là elle est excellente! Je ne vois pas le début d'une (bonne) réponse à cette question a travers ce qui a été exposé par float4X4 qui fait lui-même le constat que les cas d'auto-gestion ne fonctionnent pas:
float4x4 a écrit:Pour moi l'obstacle numéro 1, comme pour le débat précédent, c'est le poid des institutions, au sens large. Je veux dire, dans un monde ou règne le droit inaliénable à la sacro-sainte propriété privé et ou les investisseurs institutionnelles préfèrent spéculer sur les marchés plutôt que de financer l'économie réelle, on se doute que c'est pas les SCOP qui vont pouvoir tirer leur épingle du jeu quoi... Alors quand à envisager une réquisition des moyens de production... ça semble être du domaine de la SF...
Il existe pourtant des exemples plus ou moins récent de tentative de reprise d'usine par des ouvriers, mais qui se sont fait torpiller presque systématiquement directement par les services publics. Historiquement, on peut aussi voir que les tentatives d'organisations "autogérés" ont rarement subsisté très longtemps. A chaque fois elles se sont fait "démolir" en règle, soit par la bourgeoisie, soit en étant récupérer sous des formes perverti du "tout étatisé" (L'état ouvrier dégénéré qu'est devenu l'URSS par exemple).
Alors attention hein, je vois déjà le truc arrivé l'argument du « ouais mais t'es un bisounours, faut des capitaines d'industrie et tout et tout, sinon c'est la chianlie » - Alors juste, communalisation des moyens de production et démocratie au sain de l'entreprise, ça veut pas forcement dire « horizontalité complète », ça n’exclut pas qu'il y ai des cadres, etc.
... et malheureusement j'en déduis que les Mittal ont encore de beaux jours devant eux.
Les système les plus efficaces que j'ai pu voir à ce jour sont les entreprises qui rendent leurs salariés massivement actionnaires de la boite (c'est le cas notamment chez DKT) La collectivisation des biens me parait encore aller dans une vision très généreuse, mais complètement utopiste. Le système DKT c'est : "vos patrons profitent du succès de l'entreprise [nota- en toute opacité : DKT ne publie jamais ses comptes], on vous en fait profiter aussi sans jamais en retirer à qui que ce soit au passage".
Après, la démocratie dans l'entreprise est une affaire de management. Quand les entreprises ont des difficultés à recruter et à fidéliser leur personnel , elles deviennent plus démocratiques et humaines. C'est cynique, mais elle profitent largement du chômage de masse dans notre pays.
Le vrai pouvoir pour les salariés, c'est d'avoir la capacité comme ils le souhaitent de changer de boite. Mais pour ça, il faut un marché du travail où il y a du travail... et des gens qui n'ont pas comme intérêt ultime de s'accrocher coûte que coûte malgré eux à leur boulot à la c...
Les sociétés de plein emploi (il y en a pas mal autour de nous : ) ont je pense beaucoup moins de problèmes de démocratie dans leurs entreprises (mais au prix aussi d'une grande flexibilité - ou précarité- tout dépend comment on perçoit et appelle la même notion).
Les patrons y travaillent peut-être même dans les mêmes openspace bruyants que leurs salariés
Je suis sûr que le dialogue social y est meilleur qu'en France où il repose systématiquement sur une opposition frontale.
Mon pari, je le répète, c'est que les entreprises seront plus efficaces si elles rendent les gens heureux à l'intérieur (encore une fois, gagnant-gagnant: agrandir le gâteau plutôt que de s'arracher la pitance).
float4x4 a écrit:L'enrichissement de la vie de tout nos semblables y compris sur le lieu de travail est un noble objectif. Mais justement, je pense que ce but est atteignable lorsque des règles fixent un cadre «contraignant » (droit du travail etc.) - Si on doit s'en remettre au bon vouloir des instances dirigeantes, ça nous fait une condition du salariat éminemment précaire .
Tu évoques des reportages de « mauvaises fois » - Évidement on ne va pas être d'accord mais je pense que c'est un biais de perception que ça soit de ta part ET de ma part. Je veux dire, en temps que gros gauchiste, je ne vois que des médias possédés à 95% par des milliardaires qui logiquement font l'éloge des entreprises et de leur sacerdoces, qui se font d'écho des pleurnicheries du Medef, qui dressent des portraits hagiographiques de startupeurs ou de grands capitaines d'industrie... et toi tu vois l'inverse visiblement .
Bon à la limite, je t'avoue que le format « sensas' » de cash investigation m'agace un peu. Personnellement je préfère des documentaires style « Attention Danger Travail » de Pierre Carles (tu risques de ne pas aimer du tout du tout), « La mise à mort au travail » (un truc en trois parties de France 3), les reportages de Gilles Balbastre...
je connais ce que fait Pierre Carles depuis longtemps, et figure toi que je trouve cela plutôt très pertinent, et bien mieux fait que l'émission dont on parle.
après, tous les lundi, je me dis que le travail est un truc très aliénant !
Concernant les media relais du medef etc, c'est aussi vrai parfois, mais les media sont bien capables de monter aux nues un homme politique (surtout s'il est nouveau) et le descendre en flèche 2
mois plus tard avec les mêmes arguments.
Maintenant, présenter des entrepreneurs qui ont réussi ne me choque pas, du moment qu'on peut aussi montrer que ça s'est fait avec les salariés, et pas contre eux.
après, réclamer un code du travail très contraignant, c'est peut-être bien, mais seulement dans un monde complètement fermé (ou harmonisé) Après, l'avantage, c'est que ça donnera du boulot aux DRH
Galaté57 a écrit:Il est d'ailleurs intéressant de lire l'opposition intellectuelle entre une vision sociale et économiste de la notion d'éthique, alors que pour le meilleur des mondes elles sont complémentaires.
Je pense qu'il faut admettre avant tout, qu'en France nous avons un droit du travail qui est des plus protecteur pour le salarié par rapport à nombre d'autres pays occidentaux (je ne comparerais pas avec des nations en voie de développement) la difficulté est que ce droit est tellement protecteur qu'actuellement il pénalise l'économie sur un plan mondial.
Depuis des décennies, la France a perdu de sa puissance économique et ne peut imposer son droit, avant tout elle doit retrouver sa place et ce par des concessions, notamment européennes.
Je suis parfaitement d'accord avec ça, même si ça fait mal à lire... et je pense que les ouvrières roumaines ou portugaises de Caracole qui travaillaient en pleurant seraient très contentes d'avoir le droit du travail français. Les tunisiennes que j'ai cotoyées considéraient la France comme un eldorado absolu. Elles ne me croyaient pas quand je leur disais que le chômage et le manque de solidarité y avait entraîne une misère très importante, aussi grave que celle qu'elles vivaient dans leur pays (pauvreté qui était largement plus sérieuse là-bas, mais beaucoup plus adoucie par la solidarité dans le sphère familiale élargie, avec pour conséquence beaucoup moins de sans-abri et de gens malheureux qu'en France)
float4x4 a écrit:(les flatulences de traileurs, riches en méthane, sont-elles responsable de l’effet de serre hum ??) –
j'adore!
Bonne fin de journée la team "on refait le monde"!