Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2013, par Maido

L'auteur : Maido

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 17/10/2013

Lieu : St Philippe (Réunion)

Affichage : 2820 vues

Distance : 163km

Objectif : Objectif majeur

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Mon baptême chez les fous


Départ modifié

On peut commencer le récit 4 ans auparavant, quand, en vacances à la même époque, la fièvre du Grand Raid m’a atteint brutalement. Mais ça ferait trop long à raconter. On pourrait résumer les heures d’entraînement, les blessures (en fait une seule embêtante, le TFL) mais tout les coureurs d’ultra connaissent ça. On peut également partir de l’attribution du dossard 1000, de l’accueil à l’aéroport ou du retrait du sésame à la Redoute. Mais on ira directement au jour du départ, à Saint-Pierrre, Ravine Blanche. Et c’est bien assez long comme ça.


Ambiance musicale 

Alors ça commence le Jeudi 17 Octobre, à 21h30, avec une petite balade d'approche, accompagné de ma compagne et mon beau-père. Nous nous mêlons enfin à la foule amassée autour du sas de départ. La musique live et l’interview des champions nous accueillent. L’ambiance est bien au rendez-vous. Tiens, un coureur rencontré au grand duc: retrouvailles sympathiques et on se reverra plusieurs fois sur le parcours. J'essaie de profiter un peu de mes derniers moments avec mes proches mais il faut bien y aller. Derniers bisous, encouragements chaleureux et j'entre dans le couloir des coureurs. Ça bouchonne bien sûr, il faut poser les sacs d'assistance, contrôler le matériel obligatoire. Je rencontre également un collègue de boulot croisé dans le vestiaire. On échange rapidement quelques mots. Je suis vraiment concentré et déterminé. Mes habitudes de grand bavard ont laissé place à un silence studieux. J'ai maintenant une heure à tuer. Je m'isole comme je peux sur un côté et me repose un peu.

Le speaker annonce le départ fictif. En retirant ma veste tout en marchant vers l'arche, je provoque la première grosse blague du soir: je fais tomber mon dossard ! Demi-tour, je cherche au sol quelques temps jusqu'à ce qu'un bénèvole me repère et me rassure. Mon dossard est récupéré mais il est tout en tête du cortège. Mon bon samaritain prend les choses en main, fait l'aller-retour et je retrouve le sourire après 10 minutes qui m'ont semblé une éternité. Petite frayeur imprévue, mais déjà, je passe à la suite. Le départ fictif est donné, je marche donc tout en fin de peloton et mets près de 2 minutes à passer sous l'arche.


St Pierre, Ravine Blanche 23:02 (1932e)

Voilà, on est dans le vif du sujet. Il y a vraiment beaucoup de monde, c'est impressionnant. Mais je n'arrive pas à me détendre suffisamment pour le savourer pleinement. J'essaie surtout de ne pas m'emballer, trouver la bonne allure, et déjà bien m'alimenter. Le bord de mer est agréable, la température parfaite mais c'est quand même du bitume. Pas idéal pour les articulations... Pour une fois, je n'engage pas la conversation avec mes voisins. J'essaie surtout de repérer mes proches dans tout ce brouhaha, ça ne va pas être facile. Finalement si: j'ai droit à un dernier bisou avant d'attaquer l'aventure! Ça fait chaud au coeur et je pense que c'est toujours bon à prendre. Je ne m'attarde quand même pas trop, je suis dans ma bulle.

Je double beaucoup de monde sans aller trop vite. C'est sûr que ce départ à contre-temps m'a positionné avec des coureurs moins rapide. Pas question de forcer non plus, mais mon rythme semble plutôt être celle de la première moitié des engagés. Les quelques km de plat passent finalement assez vite, et on attaque enfin la montée, toujours sur du bitume, avec des encouragements dignes d'un col du tour de France. Et voilà le premier ravitaillement express, où je prendrais juste de l'eau.


Bassin Plat 17/10 23:45 0h45mn05s 6km (1297e)

Voilà les fameux champs de cannes, qui remplacent notre défunt foc-foc. L'heure n'est plus au "rallé-poussé", je pense juste à mon allure. Je joue un peu avec ma frontale pour être à l'aise quand j'en aurai bien besoin. Les chemins sont secs même s'il reste quelques flaques de boue, témoins de la pluie tombée la veille. Je n'hésite pas à marcher quand la pente durcit et relance tranquillement sur les portions plates. Déjà, je repère quelques furieux en hyperventilation qui semblent au taquet. A quoi jouent-ils?

Les champs de cannes sont entre-coupés de portions de route. A chaque croisement, la foule nous acclame puis on replonge dans le calme des plantations. Bizarrement, j'ai l'impression de ne pas mériter autant d’applaudissements, pas encore du moins. Je me retourne régulièrement pour profiter du serpentin de frontales. C'est toujours aussi spectaculaire, mais cette fois, on ne porte qu'un t-shirt: que la Saintélyon me semble loin ! Le temps passe finalement assez vite jusqu'au prochain ravitaillement. Et c'est tant mieux.


Domaine Vidot 18/10 00:54 1h54mn57s 14km (1023e)

C'est un peu le fouilli ici, je n'ai rien envie de manger et veux juste prendre de l'eau. Les fontaines sont en fait à la sortie du ravito. Hop, gourdes pleines et me voilà reparti. On réattaque sur un sentier aménagé, très agréable. Puis on s'enfonce dans une forêt où je crois reconnaître des goyaviers. Ça monte régulièrement sans être trop violent. Et enfin, je discute avec mes voisins! Chassez le naturel... Ce sont des Nordistes de la France, équipés de la même manière, si bien que je les ai pris pour un team officiel. Ils me racontent leurs difficultés à faire du dénivelé quand on habite un pays plat, mais les Ardennes belges semblent être un terrain de jeu sympathique, malgré tout. Je mesure ma chance d'habiter Grenoble.

La forêt est toutefois piégeuse: on doit souvent baisser la tête pour éviter les branches et le sol est jonché de racines glissantes. Puis arrive une série de montagnes russes, où l'on redescend sec sur une ravine pour remonter brutalement. C'est un peu casse-pattes mais comme on est encore très nombreux, il y a des ralentissements et ça passe doucement.

Vers la fin de la forêt, on va finir par être à l'arrêt complet. Les dernières ravines sont plus techniques et les bouchons sont importants. J'en profite pour manger un peu, remettre de la poudre dans les bidons et discuter avec mes compagnons du soir. C'est un breton cet fois, qui n'a jamais passé les 8h de courses, et qui est déjà prêt à beaucoup vomir. Voilà quelque chose de nouveau pour moi: de nombreux coureurs dégueulent régulièrement sur les ultras, et je vais le constater tout au long du trajet... J'arrive enfin au ravito avec un peu de retard sur le planning optimiste, mais rien de grâve. Je vais surtout ne pas essayer de rattraper le temps perdu dans les bouchons.


Forêt Mont Vert les hauts 18/10 03:35  4h35mn19s  24km  (823e)

Je passe encore très vite ce ravitaillement. Je goûte les raisins secs: ils sont salés! Ça fait bizarre et je n'en reprendrai plus. Les bananes ne sont pas terribles non plus, je suis un peu déçu mais elles seront meilleurs après. Le plein d'eau et me voilà reparti vers nos premiers sommets.

La végétation commence à changer. Il y a maintenant des arbustes plus petits, du lichen et de la mousse sur les chemins. Mine de rien, on commence à être en altitude. Cependant, la température est toujours douce, je ne mettrais pas ma veste de toute la montée.

C'est à ce moment que j'ai trouvé le temps long, pour la première fois. Cette interminable montée, régulière commence à devenir monotone et pèse dèjà mentalement. Houlà, petit moment d'angoisse alors que ce n'est que le début! Je me secoue un peu et me ressaisis avec plein de pensées positives: les jambes sont nickelles, j'avance encore sans forcer, je remonte des places régulièrement... L'arrivée du soleil finira par dissiper ce coup de mou. La montée sur piton sec est plus fraîche: je sors les manchons de bras, gants et bonnet. Je n'ai pas envie de brûler trop de bois de chauffage inutilement. Il y a d'ailleur quelques gouttes de pluie de temps en temps, mais rien de bien dérangeant.

Et voilà le ravitaillement, j'ai bu mes 6 litres de boisson énergétique, mangé 3 barres, le soleil est maintenant bien présent, et ce ne sera pas de trop pour adoucir un peu la fraîcheur du piton Textor!


Piton Sec 18/10 05:30  6h30mn39s  35km  1850m (748e)

Je suis heureux, ça ressemble enfin aux chemins du Grand Raid que je m'imaginais. Sur certaines portions, c'est très venteux. Et comme prévu, il fait froid. Mais je me sens bien avec mon coupe-vent. Je n'ai pas envie de sortir la couche intermédiaire. Et voilà les premières marches d'escalier, les fameuses fabriquées avec une petite planche verticale qui vient retenir un peu de terre pour former le cocktail gagnant des sentiers réunionais. Sur la diagonale, il faut aimer la marche, même si elle est souvent trop haute ou inégale. Je savoure ces montées raides, je sens que je ma préparation porte ses fruits. Mais je reste concentré, ne pas s'emballer maintenant! Et j'ai l'impression que le Piton Textor arrive très vite. Il y a quand même quelques dégâts, déjà des gens à l'arrêt et en grande difficulté sur le bord du chemin.

C'est là que je rencontre un curieux personnage. Il a fini le Tor des géants et doit se faire opérer du ménisque. Avant d'être à l'arrêt pendant un moment, il en profite un maximum sur la diagonale! Pour une fois, je trouve un coureur très bavard ( trop?). Il semble amateur de cuisine traditionnelle, me parle du carry tangue qu'il a dévoré la veille, des gueuletons incroyables sur le Tor, des spécialités siciliennes... Pour une fois, je suis plutôt discret, la pente est quand même souvent raide et on monte sur une bonne allure! Petit à petit, je lâche la pipelette mais je sais que je la recroiserai. Et voilà le campement qui signe la fin de la première difficulté, cette longue montée vers le piton Textor, quasi-continue.


Piton Textor  18/10 06:35  7h35mn40s  40km  2165m (717e)

Arrivée au piton, je prends un peu de temps, pour une fois. Je goûte à la soupe, très mauvaise idée. Elle est trop salée avec du vermicelle trop cuit, et un goût "particulier". Bref, je vais discrètement la jeter... J'essaie ensuite le thé, mais pas de bol, j'avais mal rincé ma tasse. Hop, poubelle. Finalement, on va rester sur les valeurs sûres: banane, chocolat et petit beurre. Et je profite du cadre. Ce Grand Raid est bien lancé, tous les voyants sont au vert. Il y a enfin un peu de descente pour délasser les jambes.

Cette première descente vers Mare à Boue est technique, mais avec le recul, c'est une des plus roulantes du parcours. J'y vais prudemment, je n'ai pas envie d'avoir mal aux genoux, pas maintenant. Je me fais un peu doubler mais ça me rassure: je dois rester sur cette allure raisonnable. J'essaie de me relâcher au maximum, et je savoure. Il fait encore un peu frais, j'ai bien fait de garder la veste. La vie est belle.

Je finirai la descente avec un vétéran sympathique. Il connaît bien, c'est sa 6e participation, aucun abandon. Chapeau l'artiste. Il va retrouver son assistance sur la route et espère qu'ils ne seront pas en retard. Cette agréable compagnie me fait oublier le côté pénible de ce chemin de béton. Ca tape vraiment, je multiplie les petits pas pour diminuer les à-coups. Vient ensuite la partie goudronnée et le faux plat montant. Je continue à trotiner, je n'ai pas l'impression de forcer et j'ai envie d'en finir avec cette portion. Certains préfèrent marcher, est-ce plus judicieux? De toutes façons, j'ai prévu un arrêt plus long au camp militaire qui approche enfin.


Mare à Boue 18/10 08:03  9h03mn50s  50km  1594m (612e)

Nos militaires se donnent du mal pour préparer du poulet grillé, je fais donc honneur à  nos hôtes. Je trouve ensuite une place au soleil et me masse les jambes avec la préparation d'huiles essentielles de ma belle-soeur. Je vérifie les pieds et remets de la crème. Il y a tout de même un peu de fatigue, mais rien d'anormal. La portion suivante sera longue et pas évidente.

Après un bon 1/4 h de pause, je repars un peu refroidi, donc lentement, le temps de remettre la machine en route. Le poulet n'est pas si facile à digérer. Finalement, c'est le chemin qui dictera le rythme. La pente se durcit, c'est caillouteux et un peu glissant. Mais ça reste un miracle: pas de boue à Mare à boue! Certains habitués parlent de phénomène exceptionnel. Le sicilien m'a rejoint et on reparle d'arancini, de bibasses et de massalé. Finalement, le début de la montée est une promenade de santé. L'alimentation passe bien.

On attaque ensuite la montée au côteau Kerveguen. C'est l'image de couverture du livre "soyons fous" d'Antoine Guillon. Et je comprends pourquoi. C'est magnifique, on a encore de la chance car il ne fait pas trop chaud. Et le sentier impose le respect. La pause de pied est délicate, sur des cailloux hauts qui obligent à faire des grands pas. Musculairement, ça travaille, mais je m'y sens à l'aise. Le temps d'apprécier que je repasse encore par un coup de mou. Que cette montée est longue! Je ne m'en fais pas, je sais que ce sentiment de lassitude va passer. Cette fois, je ne le chasserai pas avec des pensées positives. Je râle beaucoup intèrieurement, ça fait du bien aussi.

Finalement, on y arrive à ce sommet. On est préservé de la châleur par quelques nuages. Encore une chance. Mais que Cialos a l'air loin vu d'en haut! On entend bien sûr la sono, qui résonne dans tout le cirque mais je sais qu'un gros morceau m'attend. Et c'est parti pour la fameuse descente infernale du Kerveguen. Je sais qu'il faut y être extrêmement prudent. C'est vraiment glissant et surtout, les marches taillées dans la roche ou à planche de bois sont vraiment hautes. On enchaîne ainsi les petits sauts de plus de 50cm. J'essaie encore de rester relâché, pour enrouler le plus possible ce terrain accidenté. Et pour l'instant, ça se passe plutôt bien. Quelques cabris me dépassent à toute allure. Je suis admiratif mais chacun son truc, hein.

La descente est plutôt longue, encore une fois, et c'est avec un certain soulagement qu'arrive le ravitaillement.


Mare à Joseph  18/10 11:42  12h42mn52s  61km  1387m (636e)

Cilaos n'est pas loin donc je ne m'arrête quasiment pas, juste le temps de remplir un bidon sur deux. Mais la descente reprend par une portion en bitume qui n'a rien de sympathique. Encore une fois, j'utilise le mode de la petite foulée  très rapide. Ça a l'air de passer. Je me fais doubler par une fille strappée aux genoux qui file à toute vitesse. Elle a le temps de me dire qu'elle a failli abandonner. Ha, le mental... En bas de la descente, une voix familière m'interpelle: mon frère m'attend et m'accompagnera sur la petite remontée vers le stade de Cilaos. Qu'est-ce que ça fait plaisir de le voir!


Cilaos  18/10 12:21  13h21mn53s  65km  1210m (585e)

Arrivée au stade, je me fais masser par les kinés. Ce n’était pas prévu mais il y avait de la place, alors j’en ai profité. C’est franchement pas mal. Je récupère ensuite mon sac d’assistance et rejoins mon frère. Il me guide vers la maison qu’il loue à Cilaos avec des amis coureur. J’y prends une douche, un vrai repas (riz, lentilles, poulet grillé). Je change de tenue et de chaussures. Les trabuccos ont bien fait leur boulot: leur légerté et l’amorti ont été appréciables sur toutes les parties en bitume. Et les parties techniques sont à venir. Place aux Riot!

Après plus d1h30 de pause, je repasse par le stade et pars à l’assaut de Mafate. beaucoup disent que le Grand Raid commence ici. Je suis certes fatigué, mais je n’ai jamais eu autant envie d’en découdre.

Mon frère m’accompagnera jusqu’au pied du Taïbit. Cela va quand même beaucoup m’aider. La descente de Bras Rouge se fait à mon petit rythme de descendeur. Et ce qui devait arriver se produit: je sens des premières alertes au genou gauche. Rien de bien méchant pour l’instant mais  à suivre de près, forcément. Il fait chaud mais quelques nuages nous raffraîchissent un peu. Surtout, le repas du midi a du mal à passer. Je suis obligé de modérer l’allure en montée pour finir de digérer tranquillement. Ca m’embête car j’avais toujours été à l’aise en montée jusque là mais je sais que ça va passer.

Cette partie jusqu’au pied du Taïbit est également longue. C’est un enchaînement de montée/descente jusqu’à la rivière, et le ravitaillement se fait désirer. Mais grâce à la compagnie de mon frère et d’un groupe de créoles rencontré en chemin, l’avancée est plutôt dans une atmosphère bon enfant.


Pied du Taïbit  18/10 15:12  16h12mn35s  72km  1260m (615e)

Au ravitaillement, je laisse mon frangin qui trouve déjà à discuter avec les gens du coin. Il m’encourage chaudement mais je sens quand même une pointe d’inquiétude chez lui. Je ne dois pas paraître si frais que ça… Mais cette montée du Taïbit, je le sais, va me faire du bien. Me voilà donc lancé, motivé comme jamais. Il est temps d’en découdre avec Mafate.

Et, miracle, ça se passe comme dans un rêve. Le repas est maintenant digéré. Je monte à une bonne allure sans avoir l’impression de forcer. Je continue à bien m’alimenter et ça passe bien, à nouveau. Le sentier est large et plutôt roulant, même si au début, le pourcentage est assez élevé, les marches hautes obligent à bien monter les genoux. Je m’y sens chez moi.

Au tiers de la montée, on passe devant les fameux tisaniers “ascenseur”. Je n’oserai pas prendre de risque. Je me sens suffisamment bien comme ça. C’est tout naturellement que je reprends du monde dans cette montée. Certains ont l’air de souffrir vraiment mais je sais que pour eux aussi, ça sera passager. Je m’étonne également de mon mutisme. Je préfère rester concentré et je ne gaspillerai pas d’énergie en route.

La fin de la montée est toutefois un peu longuette, avec une petite succession de bosselettes avant le col. On croît être arrivé, et bien non… C’est donc avec le sentiment du travail bien fait que je bascule dans la descente sur Marla. Malheureusement, la vue est bouchée par un brouillard léger. Cela nous a préservé de la châleur à la montée mais je ne verrai pas le cirque.

Je sais que cette descente n’est ni très longue ni difficile mais, encore une fois, j’y vais prudemment. Le genou tiraille de plus en plus, malgré tout. La douleur est tout à fait acceptable mais la route est encore tès longue. Alors ti pas ti pas...


Marla  18/10 17:09  18h09mn41s  77km 

Arrivé à Marla, je ne m’arrête pas beaucoup. La nuit approche et j’ai envie d’avancer au plus vite à la lumière du jour. Je rencontre cependant le père de François (oui, le futur vainqueur). Il se souvient de moi, on s’était rencontré sur le trail de l’Etendard que parraine son fiston. A l’époque, j’étais en mode bavard, il a dû me trouver changé. C’est d’ailleurs lui qui me fait la conversation, il me donne des nouvelles de l’avant-course. Le fiston est donc aux avant-poste, Kilian a du mal, il serait blessé, mais semble revenir. Prudence paternelle?

Il me sème quand même dans la descente de la plaine des merles mais je sais que je le reverrai. Il aime profiter de la course, des bénévoles et de l’ambiance. Cette descene est d’ailleurs très agréable, mais ce sera la dernière. Elle se court vraiment bien, on peut se laisser un peu aller. Mais j’essaie vraiment de ménager la mécanique. La remontée vers le col des boeufs est peut-être longue mais je ne m’en aperçois pas. Je suis obnubilé par la nuit qui arrive. Avancer, avancer, avancer. Et ce qui devait arriver arriva, il faut bien se résoudre à rallumer la frontale, malgré une lune quasi-pleine et un ciel maintenant dégagé. Je verrais de belles étoiles en tout cas!

Bizarrement, j’entre dans la nuit avec un optimisme certain. Le moral est au beau fixe. je suis au coeur de la course et de Mafate, je ressens l’imposant cirque tout autour mais je sais que je vais en sortir dans une grosse douzaine d’heure. Il suffit pour cela de continuer à avancer et s’alimenter comme je l’ai fait. J’ai tellement imaginé ce moment! Je suis en fait assez surpris, je ne suis jamais vraiment seul sur ce chemin. Il y a toujours un coureur à proximité et j’entends parfois respirer ou je vois des frontales.


Sentier Scout 18/10 20:32 21h32mn20s  86km  1640m (529e)

Finalement, j’aime la nuit. C’est ce que je me dis en attaquant le Sentier Scout avec D’Haene père. J’essaie d’accrocher le petit groupe pour ne pas rester seul ici. C’est un peu technique, mais surtout, qu’est-ce que c’est engagé! Il y a beaucoup de passages où on devine le vide en bordure de chemin. Oui, je bénis la nuit!

En revanche, le sentier jusqu’à Ilet à Bourse n’est pas qu’une belle descente. Il y a en fait une belle succession de descentes et de montées toutes aussi raides les unes que les autres. Et bien sûr, des marches par milliers. Ou de la roche taillée, selon l’inspiration. On doit traverser la  Rivière des Galets pour la 2e fois, puis remonter encore avant de redescendre, puis remonter… Bref, mes compagnons de route et moi-même sommes assez soulagés de voir arriver l’ilet. Que cette portion aura paru longue! Papa D’Haene s’inquiète surtout de la montée vers le Maïdo. Il semble être là en touriste mais cette décontraction me fait du bien, moi qui ai préparé minutieusement ma feuille de route avec profil intégré et tout le toutim...


Ilet à Bourse  18/10 22:38  23h38mn16s94km  890m (499e)

Le ravitaillement de l’Ilet à Bourse est des plus sommaires. Il pousse à avancer jusqu’à Grand Place. Ce que toute la troupe fait gaiement. Là encore, on repart sur une succession de montagnes russes (en plein océan indien). Le silence se fait, chacun avance à son rythme. Je m’aperçois qu’il est déjà tard. Le sommeil semble taper à la porte mais rien d’urgent, pour l’instant. En revanche, le genou gauche est maintenant franchement douloureux à chaque descente. Ca tombe bien, il y aura des kinés à Grand Place.

Mais que la route me semble longue! Je suis encore très lent en descente mais j’arrive à tenir un bon rythme à la montée. Alors je donne tout quand c’est possible et patiente quand je suis dans le dur. L’idée d’un strapping magique me pousse quand même doucement mais sûrement. De toutes façons, il fait nuit et il n’y a rien à voir.


Gd Place 18/10 23:37  24h37mn49s97km  560m (469e)

Ouf, voilà une très grosse portion déscendante d’avalée. Et c’est tant mieux. En fait, il n’y a pas de kiné sur place, mais une infirmière semble connaître son affaire et me pose les premières bandelettes magiques. Affaire à suivre. Je prends également un peu de temps pour me ravitailler. Je découvre avec bonheur les sandwichs au pain de mie jambon-fromage: ils passent vraiment bien, un vrai plaisir! Avec quelques TUCs traditionnels et des petits-beurre, je quitte Grand Place un peu refroidi mais revigoré.

En fait, la montée vers Roche Plate est également entre-coupée de quelques descentes succulentes. Ca monte et descend toujours aussi violemment. Mafate ne connaît pas de compromis. Et manque de bol, le strap n’est pas la main de Dieu. Ca promet.

De toutes façons, l’objectif est de rallier Roche Plate pour une micro-sieste de 5 minutes. Je commence à sentir franchement la fatigue et je préfère prendre les devants. J’ai déjà croisé des coureurs épuisés sur le bord du sentier et je crois qu’un lit de camp est tout de même plus approprié.

Mais que ce ravitaillement se fait désirer! Sur le papier, il n’y a pas beaucoup de kilomètres, ni de dénivelé, mais vu la difficulté des sentiers, tout est à reconsidérer. Mais je ne faiblis pas et avance régulièrement. La souffrance d’une descente alterne avec le soulagement d’une montée. Vivement cette belle sortie du Maïdo que je m’éclate.

Cela dit, la dernière montée vers Roche-Plate est bien sévère. On est forcé de faire des pas de géants pour franchir les paliers (non, on ne peut plus appeler ça des marches). Et je revois un petit peu mon jugement sur ma puissance en montée...


Roche Plate  19/10 03:09  28h09mn02s  105km  1110m (434e)

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a encore ces fameux sandwichs jambon-fromage. Avec les Tucs et les petit-beurre, c’est parfait. La mauvaise nouvelle: la tente pour se reposer est à 200m du ravitaillement. C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. J’ai l’impression que je pourrais me passer de dormir, mais je n’ai pas envie de rester bloqué dans la sortie du cirque. Alors zou. Je traîne ma carcasse jusqu’au dortoir. Un lit se libère dés que j’arrive. Je galère à régler mon téléphone et déplier ma couverture de survie. Et à peine le réveil réglé et les yeux fermés, je fais un bon dans le complexe spatio-temporel: il sonne déjà! Brrr, il est temps de repartir, je commence à avoir froid, malgré ma bi-couverture.

Après cette interminable sieste de 5 minutes, je me sens … frigorifié! Alors j’attaque bille en tête la sortie de Mafate, avec le sentiment du travail bien fait jusqu’à présent. Je rejette encore un peu l’angoisse de la descente vers Sans-Souci à plus tard. Je vais tirer ma révérence à Mafate comme il se doit par une belle dernière montée.

Encore une fois, les sensations sont correctes. J’arrive encore à appuyer sur les jambes. Je remonte même quelques coureurs de temps en temps. Le moral est bon, je me sens reposé et le jour va bientôt se lever. A la montée, mon genou est parfait. Brave bête. Moment de bonheur.

A l’approche du sommet, on aperçoit la sortie au loin mais c’est un peu trompeur. Il reste encore pas mal de lacets et de dénivelé, je ne me démonte pas mais je commence à me sentir un peu faiblard. Certains disent que c’est la dernière grosse difficulté, je sais que c’est faux pour avoir discuté avec beaucoup de fous et l’avenir me donnera raison.

En même temps, le soleil se lève enfin et je peux enfin apprécier le panorama sur Mafate en haut du sentier. C’est tout simplement sublime. J’ai beau l’avoir vu plusieurs fois déjà, aujourd’hui il a une saveur vraiment particulière. Mais bizarrement, ce petit plaisir matinal et les premiers rayons de soleil ont tendance à m’endormir ! Pas grâve, à la descente, je serai forcément éveillé. J’essaie d’ailleur un gel caféïné. J’aimerai ne plus avoir à dormir.


Maido tête dure  19/10 06:24  31h24mn45s  111km  2030m 427e

La sortie du Maïdo se fait dans une ambiance studieuse. Il ne faut surtout pas s’emballer, je le sais. Il reste plus de 50km et 4000m de descente à la louche. J’espère encore pouvoir éviter une troisième nuit. Mais tout dépendra de cette longue descente vers Sans Souci.

Et c’est la découverte d’un nouveau symptôme qui me ramènera à la réalité. La descente commence de manière vraiment douce, alors je me mets à trotiner. Très vite, le genou râle un peu mais c’est supportable. Non, la vérité est ailleurs. A chaque foulée, une belle douleur m’agresse en bas de chaque tibia. Le constat est vite fait, ça ne va plus être possible de courir. Comme on est à Maïdo Tête-Dure, je persiste en petites foulées quand même. C’est vraiment dommage de ne pas profiter de cette succession de bosselettes plutôt descendente, en sous-bois avec un sol très agréable. Si si, ça existe, sur le Grand Raid! Et bien non, pas possible de trotiner. Je dois aussi mentionner ma pause “vidange” dans la descente, voilà un problème facilement résolu. Et je crois ne pas avoir été le seul à m’y employer, vu les fragrances que dégage parfois le sous-bois.

Je me résouds donc, à contre-coeur, à marcher. Je revois également mes prévisions sur le reste-à-faire. Je n’échapperai pas à la troisième nuit. Tant pis. Mais ma motivation, jusqu’alors irréprochable, va prendre un sacré coup de bambou: même la marche est douloureuse. A chaque pas, une véritable aiguille me transperce le tibia, juste au-dessus de la cheville. Diantre, qu’est-ce que c’est?

Je prends alors un Joker, l’appel à mon amie. Je lui fais part de mes doutes. Je pense à une fracture de fatigue, ou un truc qui m’emprêcherait de quitter le poste de soin. Pour une fois, j’envisage le pire, la blessure qui te dit Halte-Là. Elle me remonte le moral, je lui fais part de mon plan: me traîner jusqu’au médecin, afin qu’il tranche le problème. Ca va être long, mais ça va le faire. Mais si la route est longue, tout là-bas, je prends mes maux en patience.  Mes jambes Playmobyl feront le boulot, en avant pas d’histoire, au moins jusqu’à la haute autorité médicale.


Sans Souci  19/10 10:09  35h09mn05s  124km  350m (450e)

L’arrivée à l’école est démentielle pour moi: une portion goudronnée très pentue. Petite gâterie, il y a quelques marches pour atteindre le ravitaillement et les sandwichs magiques. Je ne m’attarde pas, la petite famille m’attends de l’autre côté de la rivière et cette perspective me fait un peu oublier la grosse fatigue qui veut s’installer. Décidément, je ne savais pas que le soleil était aussi bon somnifère.

Bref, pas le temps de pleurer sur mon sort. La descente jusqu’à la Rivière est pénible mais je suis en mode randonneur. Chaque planche est un pas, chaque pas est une planche. Tant que j’avance tout va bien. Mon seuil de tolérance à la souffrance est encore élevé, mais il va falloir le ménager quand même. Depuis que le carosse est redevenu citrouille au levé du soleil sur le Maïdo, la progression est vraiment cahotique.

Ce passage dans le lit de la rivière n’est d’ailleurs pas le plus intéressant. Je l’aurai bien abrégé en courant, mais ne radotons pas. La météo, encore une fois, est clémente car quelques nuages viennent adoucir la températue, qui, on le sent, ne demande qu’à grimper.

La sortie est tout à fait conforme au standard de la course: très raide. Cette fois ci, le sol est un peu gravillonneux donc glissant mais c’est tout à fait jouable. Au moins, sur ces portions, je sais que je ne perds pas de temps sur ce qui était prévu. Et allez, encore un coup de redescente au milieu parce que sinon ce n’est pas drôle.

C’est donc très inquiet sur mon état de santé que j’approche du stade Halte-Là. Et l’accueil par ma petite famille me redonne un sacré coup de pêche, sans dissimuler toutes mes craintes. Les retrouvailles sont succintes car je file vite au ravitaillement puis au soin.


Possession Halte là19/10 11:59  36h59mn10s  129km  230m (488e)

Le médecin n’est pas appelé tout de suite. Je passe d’abord par le podologue. J’ai droit à mon baptême de traitement d’ongles noirs. C’est quand même violent. J’ai quelques débuts d’ampoules, mais en continuant à mettre de la crème, ça devrait aller. Puis vient le temps des kinés. Je leur explique le cas de mon genou: ils m’assurent que le premier strap n’était pas adapté et qu’ils m’en feront un génial. Et le médecin arrive pour mes tibias. Son diagnostique tombe rapidement, ce sont des tendinites du releveur du pied. Je peux continuer à avancer, mais ça va être douloureux. Il y aura bien 3 semaines de repos ensuite. Ouf, quel soulagement! je verrai la Redoute, j’en suis sûr maintenant!


Le phénix renaîtra-t'il de ses cendres?

Je retrouve alors une seconde vie. C’est une nouvelle course qui commence avec des nouvelles chaussures, un nouveau T-shirt mais de vieilles jambes que les kinés remettront, tant bien que mal, en état. Le petit café et gâteau patate avec la famille est un vrai oasis de douceur. Je suis léger, j’y crois plus que jamais. Je sais que je vais souffrir mais je suis aussi venu pour le dépassement, la démesure. Maintenant, c’est le mental qui va m’amener à la Redoute.

Je quitte donc le stade déterminé comme jamais, prêt à en découdre pour de bon. La bosse  avant le chemin Ratineau me maintient dans cette euphorie. Ca monte donc j’avance correctement. Il fait un peu chaud mais c’est très supportable. Quelques originaux me doublent comme si c’était le sprint final, puis je les retrouve un peu plus haut en train de souffler. Très curieux. On rejoint ensuite l’itinéraire commun entre les 3 courses. C’est là que ça se regâte.

La descente est incroyablement technique, avec des cailloux énormes entremêlés de plus petits qui glissent. Entre, il y a des racines, des branches qui en ressortent. Tout ça forme un amas désordonné en pente à près de 20%. C’est du n’importe quoi. Mon genou, évidemment, n’a pas ressucité par la simple opération du saint kiné. Alors je déguste, lentement mais sûrement. Tant que j’avance, tout va bien.

Si on sort des bois, c’est pour rejoindre une portion en béton. Pas forcément plus agréable. Mais au bout de celui-ci le ravitaillement.


Chemin Ratineau  19/10 15:19  40h19mn26s  135km  430m (580e)

Ce chemin est digne d’Indiana Jones, ou de Livingston. Il semble à peine taillé à la machette par mon prédécesseur, c’est vraiment impressionnant. On grimpe en mettant les mains, en s’accrochant aux branches et en baissant la tête. Les premiers du trail de bourbon se font une joie de nous rappeler leur relative fraîcheur en nous laissant sur place. Mais qu’importe, j’avance encore.

La descente est pire que tout. Enfin le pire reste à venir mais je ne le sais pas encore. Les rochers sont gros et dispersés, entrelacés de racines violentes. C’est pentu, c’est ventru, ça finit souvent sur le cul. Mais qu’importe, ma carcasse traîne malgré tout sa cariole de souffrance, un pas après l’autre.

Une portion plate tout en gazon permet de rejoindre l’école de la Possession. Ce devrait être génial de pouvoir y allonger la foulée et détendre un peu les muscles. Mais je me contente de marcher sans perdre de temps inutile. Je me prépare à entamer la troisième nuit.


Possession école  19/10 17:54  42h54mn49s  143km  15m (614e)

Pas de temps à perdre ici, même si l’ambiance est châleureuse, le speaker local semble tenir son public. Un bénévole prend le temps de me réconforter et de me souhaiter du courage. La dame qui remplit ma bouteille m’assure que les 7km jusqu’à la Grande Chaloupe seront une formalité et je tente bien de lui faire comprendre que depuis un moment, rien n’est facile. Les sandwichs jambon/fromage sont toujours aussi efficaces.

Et c’est reparti par une portion de bitume le long de la nationale du bord de mer. Cette route en corniche que je connais si bien me nargue: toutes ces voitures qui mettront 10 minutes pour atteindre les portes de Saint-Denis… A peine le temps de pester que voilà le début du chemin des Anglais. Effectivement, les galets noirs sont irréguliers, le pied doit être ferme, mais je positive: je n’ai pas trop de problèmes d’ampoules, il fait encore jour mais pas trop chaud, ça grimpe donc j’avance bien. Au centre du chemin semblent se trouver l’amoncellement de galets le plus régulier. Alors cap au centre.

Au bout d’un moment qui me semblait suffisamment long pour justifier de 400m de D+, on attaque une portion descendante. Je suis persuadé que je retourne au front de mer, vers la Grance Chaloupe. Grâve erreur! Après avoir encore martyrisé mes articulations sur les galets, je me vois embarqué sur une ligne droite sans fin, genre route 66, avec soleil couchant. Ca pourrait-être beau, carte postale et appareil photo. Ce sera plutôt moral à 0. Mais bon, il est si tard que je ne reculerai pas  et allumerai ma frontale. Dieu que cette ligne droite est longue. Mais ça remonte en plus !

Je n’ai pas de GPS, je ne sais pas ce qu’il reste à parcourir, mais je m’en veux d’avoir raison: ces 7 km sont difficiles. Les coureurs sont disséminés maintenant, je n’ai plus souvent de compagnon d’infortune. Et la grande fatigue est vraiment bien présente. J’ai dormi 5 minutes en 60 heures. D’ailleurs, certains coureurs semblent divaguer un peu, je ne devrais pas tarder à en faire partie.

Enfin un bénévole nous accueille au sommet de ce chemin des Anglais. Il est vraiment gentille et nous prévient que la descente est périlleuse. Il appelle à la grande prudence. Ca tombe bien, je n’ai pas la force de prendre des risques, ce serait trop bête de rajouter une cheville au tableau des blessures. Pas si “près” du but. Alors je déscends “ti pas ti pas”. C’est la plante des pieds qui se met en surchauffe. C’est bien, ça me fait oubler que j’ai mal ailleurs.

Le chemin est en rénovation. Et ça se voit. Sur de longues portions, les galets ne sont qu’entassés sur la voie. Oui, on a l’impression de descendre le lit d’une rivière? Enfin, vu la pente, ce serait plutôt un torrent. A la frontale, je vis un véritable calvaire car j’ai du mal à discerner le relief. La fatigue aidant, mon équilibre semble très alcoolisé. A chaque caillou qui se dérobe sous mon pied, je supplie le chemin d’abréger mes souffrances.

Mais le Leitmotiv n’a pas changé: tant que j’avance, tout va bien. Et le miracle finit par se produire lorsque j’aperçois les lumières de la Grande Chaloupe. Halleluja!


Grande Chaloupe  19/10 20:10  45h10mn11s   150km  10m (620e)

Il y a une dernière grosse montée à avaler (700m de D+). C’est excellent, je vais vidanger un peu ma réserve de souffrance pendant celle-ci. Alors j’attaque pied au plancher. Ha zut, ce plancher ressemble étrangement au chemin des Anglais. Les pieds sont encore mis à rude épreuve sur les galets ronds. Me laissera-t’on un peu de répit? Mais j’avance toujours…

 Lorsque Saint-Bernard apparaît, je m’aperçois que je perds la notion d’espace ou de temps. Je ne sais plus ce qu’il me reste à parcourir, je ne sais plus vraiment d’où je viens. Tiens, une voiture avec 4 demoiselles nous acclame: j’y vois ma soeur! Je sais qu’elle est à Poitier et qu’elle m’aurait reconnu, mais ce double de ma petite soeur m’arrache un sourire. J’hallucine! Il va donc falloir compter avec ce nouvel ingrédient, l’épuisement mental.

La montée jusqu’au Colorado est particulière, avec une alternance de route et de chemins, de portions très raides et de descentes courtes. Le balisage me semble disparate et j’attends souvent des coureurs pour être sûr de ne pas m’être trompé. Lorsque des bénévoles nous indiquent les embranchements, j’ai du mal à comprendre leurs explications, le cerveau est vraiment au ralenti. Et lorsque j’insiste, ils me regardent avec des yeux ahuris. Je ne préfère pas voir ma tête…

Parfois, sur les chemins, j’ai le sentiment d’être acteur de mon rêve, en simple ballade sous une lune éclatante. Tiens, j’ai déjà vu cette bouteille au sol. Serais-je déjà passé par là? C’est quand même bizarre, cette terre battue toute blanche. C’est beau en tout cas. Non mais c’est sûr, je suis déjà passé par là. Ce bénévole m’indique qu’il faut continuer à monter par la droite: j’ai envie de lui dire que j’ai déjà fait cette boucle, ce n’est pas juste.

Alors pour sortir un peu du délire, j’ai trouvé un autre moyen que de me pincer. Je bois tranquillement. La sensation de cette boisson énergétique qui coule tranquillement jusqu’à l’estomac suffit à me rappeler que je suis bien réel. D’ailleurs un coup de fil de ma compagne viendra me remettre les pieds sur Terre. Elle m’attend avec les enfants au stade. Je suis donc bien sur la Diagonale, à une poignée de km de l’arrivée. J’ai affreusement sommeil, j’ai des douleurs dans tout le corps, mais je vais y arriver. C’est maintenant qu’il faut tout donner, c’est là qu’il faut faire honneur à toutes ces années de préparation. Je n’ai pas le droit de me planter.

 

Colorado19/10 23:22  48h22mn43s  159km  683m (645e)

C’est donc le dernier ravitaillement avant la grande descente vers Saint-Denis. Je sais qu’elle peut se faire en 45 minutes, je vais mettre plus de 2 heures! On ne peut plus appeler ça du trail. Ce n’importe quoi, c’est aussi ce que l’on vient chercher, non?

J’ai peur de me pommer sur le chemin, je ne suis vraiment plus lucide. Alors quand je ne vois plus de rubalise, j’attends comme un piquet qu’un coureur me rattrape et me guide avant qu’il ne  me sème. Et finalement, au détour d’une épingle, la Redoute se découvre, tout illuminé. Et le son du speaker nous parvient avec celui des voitures. Diantre, c’est encore vraiment loin…

Je prends mon mal en patience, et, ti pas ti pas, je progresse tant bien que mal. Quand mes jambes sont trop douloureuses, je m’accorde une pose de quelques secondes et reprends ma marche claudicante. L’important est de continuer à avancer. Encore un coup de fil de ma compagne: mon frangin viens à ma rencontre. Voilà qui va m’aider dans ce final apocalyptique.

Au détour d’un milliardième virage, voilà que je reconnais sa grande silhouette surmontée d’une frontale. Merci frangin, mais on descend tranquille, hein. Il prend une allure raisonnable et j’en suis soulagé. Il a dû prendre la mesure de mon épuisement. Houlà que je ne dois pas être beau à voir. Sur certaines portions roulantes, il me distance un peu mais je fais l’effort pour recoller doucement. J’ai l’impression de descendre beaucoup plus vite que si j’étais seul, mais beaucoup de coureurs me doublent encore.

Arrivés aux dernières marches avant de rejoindre la route, je marque une pause pour tous les deux. Je sais que c’est fini. Un petit kilomètre de plat pour rejoindre et traverser le stade. J’essaie d’apprècier cet instant, mais ce moment de répit avant le grand saut dans la lumière ressemble à une énième pause vide-souffrance. Il n’y aura pas d’euphorie à l’arrivée, juste un énorme soulagement.  Il faudra encore patienter pour réaliser pleinement le chemin parcouru.

Et voilà toute la petite famille qui vient à ma rencontre! Le frangin recadre encore les choses en disant qu’il reste un bout de chemin, qu’il faut me laisser respirer. Gabriel veut absolument que je cours jusqu’à l’arche. Alors je m’exécute, et les micro-foulées que j’enchaîne, tel le canard boîteux doivent faire peine à voir. Peu importe, j’arrive à suivre le rythme des enfants. Je laisse aller le sourire qui s’empare de mon visage. Vu l’heure tardive, il n’y a pas une grosse ambiance au Stade et je ne m’aperçois pas vraiment que j’ai franchi la ligne avant que le monsieur me passe la médaille jaune autour du cou. Ultime cadeau de l’organisation et surtout cet affreux T-Shirt jaune: “J’ai survécu”.

Je ne l’ai pas volé celui-là.



9 commentaires

Commentaire de chanthy posté le 25-10-2013 à 22:48:10

Bravos et super récit!!
bonne récupération.
quelle aventure de dingues!!!
merci pour ces quelques lignes ;)

Commentaire de Bacchus posté le 26-10-2013 à 23:26:05

Merci pour ce super récit,
bravo pour ta course

Commentaire de the dude posté le 27-10-2013 à 09:37:42

De la souffrance, des blessures, l'épuisement total, les hallucinations...c'est génial l'ultra non???
En tout cas un grand bravo, je sais à quel point cette traversée te tenait à coeur et c'était quand même sacrément ambitieux comme premier gros ultra!!!
T'as maîtrisé le truc presque tranquillement, maintenant toutes autres courses seront faciles :)

Commentaire de Maido posté le 04-11-2013 à 11:37:01

Tu as raison, j'ai complètement maîtrisé l'affaire, une pécadille :D
J'espère quand même maîtriser encore plus la prochaine fois!
Et puis, je souhaite que tu sois tiré au sort pour Chamonix dés cette année, comme ça on viendra ensemble à la Réunion en 2015.
Ouais, il y a Un petit Thévenard d'inscrit pour 2014, alors je vais faire l'impasse...

Commentaire de sarajevo posté le 27-10-2013 à 09:54:01

bravo !!!! tu as été jusqu'au bout !!

Commentaire de 2ni_57 posté le 27-10-2013 à 23:28:55

Très chouette récit ! Merci de nous le faire partager...
Un grand bravo à toi, pour être arrivé au bout de cette incroyable épreuve !
2ni

Commentaire de poulo posté le 02-11-2013 à 19:52:37

Bravo pour ta course et ce récit!!
J'ai eu un peu les mêmes douleurs que toi avec le releveur qui m'a bien pourri depuis Sans Souci mais ça reste une formidable aventure et c'est ce qui restera!!

Commentaire de debdav posté le 03-11-2013 à 19:43:44

Et dire que je me plaignais de mes 20 kms de Paris !!! Quel honte ....
Du coup je n ai pu m empecher de m inscrire pour montrer mon respect que j ai pour ce veritable exploit et ce récit qui m a régalė . Non non tu ne m as pas donné envie de le faire mais juste de me prosterner devant toi . N etant pas present a ton retour je le fais textuellement .
Je conclurais donc par ce mot .....
RESPECT ....
Le voisin dav du frangin du 20

Commentaire de Maido posté le 04-11-2013 à 11:41:14

Merci Dav, ça me fait vraiment plaisir.
En plus, je crois que mon frangin de voisin a attrapé le virus, il va passer un CAP.
Et, qui sait si je ne serais pas à Paris au mois d'Avril?

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