Récit de la course : Serre Che Trail - Grand Tour des Cerces 2014, par xsbgv

L'auteur : xsbgv

La course : Serre Che Trail - Grand Tour des Cerces

Date : 14/9/2014

Lieu : Le Monetier Les Bains (Hautes-Alpes)

Affichage : 2310 vues

Distance : 49km

Matos : Raidlight RL02
Sac à dos Lafuma Speedtrail

Objectif : Terminer

2 commentaires

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Serre Che Trail... Un petit aperçu de l’enfer

Décision très précoce de participer à cette course en été 2013 lors de nos vacances sur place : je prends connaissance de la création de ce trail et mon choix est vite fait entre les 2 parcours. Vu ma volonté de monter les distances je choisis illico le Grand Tour des Cerces.

Reste plus qu’à attendre l’ouverture des inscriptions le 1er décembre. Inscription faite le jour même.

La préparation est lancée, avec un programme de courses en 2014, dont la Pastourelle fin mai sur 53 km (mais « seulement » 2500D+).

Eté studieux à Serre Chevalier avec de nombreuses sorties sur le parcours et pas seulement. Environ 10000D+ sur 2 semaines. Je rentre mi-août crevé comme gamin quand je rentrais d’un stage.

Fin août sans doute grâce à ce bel été les organisateurs actualisent le règlement : départ avancé d’une heure à 7h00 et frontale obligatoire. Avec une mention spéciale sur l’intérêt de ne pas oublier des vêtements chauds… Sympa.

Heureusement il faut croire que Joe Dassin n’est pas mort : l’été indien nous donne un beau mois de septembre. Et mes incessantes consultations de la météo à Briançon à l’approche du 14 septembre confirment un dimanche au soleil.

Départ vendredi 12. Route longue et fatigante sous le soleil ponctuée des bouchons à Lyon et Grenoble. Bien fait de prévoir du temps pour récupérer avant la course.

Samedi 13 : petite sortie pour me remettre en jambes dans la montagne avec seulement 600D+. Le terrain est sec, et vu la météo depuis 2 semaines il devrait en être partout pareil. J’en profite pour jeter un coup d’œil vers le sommet de la course demain à 2880m : sec et pelé comme en plein été… Tant mieux.

Après déjeuner je vais récupérer mon dossard. Je croise Michel Lanne qui est co-organisateurs. Retour au bercail avec au menu les inévitables pâtes accompagnées de poisson. Dodo…

Réveil en fanfare à 4h30. Encore une nuit de merde comme avant une compétition. J’ai l’habitude. D’autant que ça fait une semaine… Fini mon sac et les préparatifs. La tête dans le coltar je débarque à 6h20 dans la zone du départ. Bref échauffement de nuit (fait quand même 7°…). La nuit fait ses valises et le jour se lève. A ce soir les étoiles.

6h50 je suis au départ. Mes voisins me demandent une photo de leur quatuor. Il s’avère qu’ils sont parisiens aussi, et on se lamente sur la difficulté de trouver du dénivelé autour de paris. Un regret du coup : ne pas leur avoir demandé s’il y a des kikoureurs dans le lot.

L’ambiance monte d’un cran. Musique, bla-bla et sponsors : les niaiseries habituelles quoi. Pan !

Et c’est parti. Encore une fois j’ai déclenché trop tard le gps. Ça se finit par 10 minutes et 1km sans trace. Grrr…

Je pars un peu trop vite car je sais que ça se resserre très vite en single en forêt : dur de doubler.

1ère partie : Monêtier –Col de Roche noire (8km – 1200D+)

Les festivités commencent fort… Le soleil fait ses premières incursions. Je marche derrière une jolie concurrente avec un petit short moulant et surtout trop court. Sympa… Bon c’est pas tout ça mais on n’est pas là pour ça j’avoue. Elle est jolie de dos. Je double en lui offrant mon plus beau profil ¾ arrière et en chuchotant mon numéro de téléphone. J’ai dû mal épeler car elle ne m’a toujours pas appelé…

On continue et quitte la forêt après un peu plus de 3km. Ça se passe bien. Je vais trop vite, et le sais ne change rien aux conséquences physiologiques. Mais que voulez-vous ça roule. On voit émerger de la nuit côté du Serre Chevalier les sommets inondés de lumière. Je ralentis et ouvre mes mirettes pour profiter du spectacle.

On aborde la vallon de la Moulette où ça caille franchement. Ici par contre on est encore plongé dans l’ombre nocturne avec même quelques nappes de brouillard qui s’étirent en lambeaux sur les sommets comme de la barbapapa. Ça pue la biquette et on patauge dans la fange. D’ailleurs ça bêle et beugle de tous côtés contre le troupeau de furieux venus les emmerder de bon matin. Troupeau qui s’étire déjà beaucoup. J’arrive au pied du mur qui mène au col et je vois des mecs qui courent déjà à l’assaut du passage du col. On n’a pas idée de courir après s’être enfilé 1200D+… Enfin moi non.

 

La montée se passe en deux temps :   Rigolant

En même temps en le revoyant je ne suis pas sûr qu'on note vraiment une différence.

Arrivée en haut en 1h30 (m’étais donné 2h). Bascule vers la vallée de Névache. On dit bonjour aux gentils bénévoles qui font office de sécurité vu l’altitude et l’escarpement.

Vue côté ascension :

Et vue côté descente :

 

2ème partie : Col de Roche Noire - Pont de la Souchère (6km – 800D-)

On dégringole aussi sec. Descente technique à souhait, entre pierres et ornières. Je démarre en trombe, vu que je n’ai pas de bâtons à gérer, plier, ranger… Je rattrape un concurrent et engage la discute sur ce thème. Il m’avoue courir sans bâtons pour une raison beaucoup plus valable que la mienne : le règlement de sa prochaine course. Le « grand raid » me dit-il… Un ange passe. Je n’en suis pas là.

Technique mais très sympa. Je fais la descente entre 10 et 12km/h. Tous les voyants sont au vert. Je fais surtout attention à chaque pas où je pose les pieds : pas de blessure ou foulure stupide… Ce qui ne m’empêche pas de lever les yeux régulièrement pour profiter du panorama de la vallée. Je la connais déjà mais quand même. A gauche au fond émerge le Thabor du haut de ses 3000. Inattendu ce ciel bleu limpide dénué de nuage. A ce rythme on atteint gentiment le fond de la vallée de Névache.

J’arrive en vue d’un concurrent dont je vois le sac à dos balloter alternativement à chaque pas : on dirait le grelot de « Oui Oui ». Je m’arrête à sa hauteur pour lui signaler et lui referme direct la fermeture éclair qui baille. Il en a l’air tout étonné. On repart en discutant. Il vient de Grenoble et on se trouve un rythme similaire pour finir de rejoindre le 1er ravito.

Km12. Halte là. Arrivée en 2h (je m’étais donné 3h… par excès de prudence sans doute). Je passe 10 minutes à boire et manger majoritairement du sucré : banane, eau, chocolat, coca, sucre, abricot…

L’organisme va bien. Aucunes douleurs articulaires ni tendineuses. Seul point d’attention : un peu de tension musculaire que j’ai senti à l’arrêt sac à dos. Le réveil de mes copines les crampes ? On verra. Il y a déjà des malheureux concurrents en vrac, chaussures ouvertes à l’abandon : ça s’annonce mal.

3ème partie : Pont de la Souchère – Porte de Cristol (7km – 750D+)

Je repars suivi de mon grenoblois (excuse-moi… oublié de noter ton numéro de dossard je n’ai donc pas retrouvé ton nom…). Il m’annonce un passage roulant à venir. A vrai dire je n’ai pas reconnu cette portion du parcours mais de mémoire vu le profil de la course et la configuration du terrain sachant où on retourne… je suis sceptique. Et rapidement lui aussi. Roulant ?... En réalité un passage nous attend avec 250D+ en 1,5km. On a connu plus roulant. Et comme je ne m’appelle pas Killian et encore moins Jornet la gravité se rappelle vite à mon bon souvenir. Au pas camarade ! Retour à une bonne vitesse de 3km/h mais qui nous permet quand même d’atteindre ce premier palier à 750m/h de vitesse ascensionnelle. Ça va encore. Les 3 kilomètres suivants sont enfin un vrai faux-plat avec à peine 100D+ à flanc de montagne. On passe dans de tout petits singles, entre des buissons de genêts et des mélèzes. J’avais espéré un panorama encore plus grandiose en cette saison avec les arbres commençant à décliner leurs couleurs automnales. Que dalle ! Les chaudes journées de cette première quinzaine de septembre ont repoussé les assauts du rythme saisonnier. Du coup tout est encore vert. Sur ce versant où se déversent plusieurs petits lacs ou poches d’eau la terre est abondamment arrosée, ce qui contribue à garder les plantes aussi vertes malgré l’avancée dans le mois de septembre. Je me dis aussi qu’il faut en profiter de cette verdure et surtout de cette ombre : on est plutôt dans la pierraille sur une majorité du parcours.

Quand le terrain le permet j’arrive à remonter à 12km/h. Jusqu’à ce qu’on oblique à droite pour remonter dans le vallon qui conduit à la Porte de Cristol. D’autres réjouissances en quelque sorte. C’est sur ces entrefaites et intéressantes réflexions que surgissent 2 TGV qui nous déposent littéralement. Mais ils sortent d’où ces mecs pour galoper à ce rythme après 17km ? Comment ça se fait qu’ils n’ont pas pris la poudre d’escampette plus tôt ? Et quand je dis déposer…

Franchement un coup au moral. Bon d’un autre côté je me dis que vu l’aisance avec laquelle ils dépassent avec un tel pourcentage je n’ai pas à avoir de regret : on ne fait visiblement pas la même course. Je continue à mon rythme et le palpitant au sien dans son intervalle 165/175. Je me sens bien. D’autant que je reviens sur la partie du parcours que je connais entièrement. C’est encourageant de savoir combien on s’apprête à en baver…

Je suis toujours avec mon grenoblois. V’là tout à coup qu’il démarre à son tour. Et puis un autre concurrent. Caramba. Je gamberge sur mon choix de ne pas avoir pris de bâton pour la course…

Je prends mon mal ne patience en profitant du site : le lac de cristol, transparent, qui donne (presque) envie de m’accueillir.

300D+ et moins de 3km après nous arrivons à la Porte de Cristol. Point de contrôle. KM20. Dis bonjour au GO.


4ème partie : Porte de Cristol – Col du Granon (4km – 250D+)

Il faut bifurquer à gauche direction le sommet de la Gardiole. Au programme : encore 250D+ sur le prochain kilomètre. Mazette. Je retrouve mon grenoblois. Qui semble coincer. Pas de pitié : haro sur la montagne…

Arrivé à ce stade je me sens toujours bien. On revient sur le versant Serre Chevalier et donc aux premières loges pour profiter de la barre des Ecrins. Magnifiques sous ce soleil éclatant. Quelques nuages s’effilochent en haut des plus de 4000m où elles pointent. La vue aide à passer ce moment. J’arrive franchement entamé au sommet de la Gardiole (2ème pic à plus de 2500mètres) à force de grimper. Par contre je ne sens aucune gêne liée à l’altitude. Descente cool et douce vers le col du Granon, sur une route de montagne. On croise les premiers randonneurs de la journée : « Bonjour bonjour… ». Ça y est je vois la tente du ravito. Ouf !...

Km 24. 4h15 de course. Je m’octroie 10/15 minutes de pause à ravitailler mon organisme en eau et en nourriture, sans compter la poche que je remplis d’un délicieux mélange d’eau et de coca.

Bilan interne : en fait tout va bien. Je profite de cette journée ensoleillée, je me rends compte que j’adore vraiment courir en montagne. C’est donc ça le skyrunning ? A force d’avoir lu des articles et parcouru des sites Internet je pensais que c’était strictement réservé aux stars…

5ème partie : Col de Granon – Les Tronchets (10km – 400D+ env)

Le programme annonce une partie sympa du parcours : un peu de montée avec à peine 400D+ le long d‘une partie des Crêtes de Peyrolles. Puis de la descente. Encore de la descente. Rien que de la descente. Pendant 7km. Ma seule appréhension : le vertige. Il y a quelques passages délicats et étroits sur lesquels on a vite fait de gamberger (« et si je glisse ?... »).

Je repars entre 2 groupes de coureurs. Pas de panique à être seul. Je connais cette portion et elle n’est pas trop redoutable pour l’instant. Bon finalement je me retrouve vite encadré, rejoins par 2 coureurs et suivi d’un couple de traileurs de Marseille dont une femme. Elle grimpe gaillardement.

J’attaque serein les montées. J’ai déjà fait plusieurs fois ces crêtes. Mais… mais… non en fait je n’avais jamais démarré depuis le col. En fait on faisait un petit tour qui commençait plus tranquille. Heureusement pas trop longues les ascensions. On arrive rapidos au gros morceau des crêtes avec quasi 200D+. Sous le soleil exactement : il est environ 12h. Chauffe Marcel. Les pieds cuisent bien au chaud dans les pompes qui s’écrasent sur les pierres chauffées à blanc. Le rythme reste bon avec une vitesse ascensionnelle à 600D+/heure. 3ème passage à plus de 2500. J’avale donc ces 200D+ en 20 minutes et après je sais que c’est facile : environ 80D+ et puis c’est parti pour la descente.

En route vers les Tronchets. Première partie dans les pierriers. Ça descend un peu vertigineusement au début surtout vu le terrain glissant à base de petits cailloux : style éboulis de torrents glaciaires. 250D- en 2km en descente en lacets serrés. Tu risques la sortie de route à chaque virage. Il faut donc freiner et relancer en permanence, ce qui entame beaucoup plus rapidement les petons, alors qu’il reste une majorité de descente (15km) sur les 20km restant du parcours. La première partie passe bien. Je rattrape plusieurs coureurs et lâche quelques un de mes poursuivants.

Et là miracle : un bénévole posté sur le parcours me balance un « 109ème  » à mon passage. Vraiment ? Je n’ose pas le croire. La barrière des 100 est donc envisageable ?... D’un coup ça gamberge dans ma citrouille. Fonce Marty ! J’essaye de garder le comptage en permanence dès que je rattrape un concurrent.

On arrive à la portion sous le col du Granon près du col de Barteaux où on bifurque direction les Tronchets via les sous-bois. Ça commence à devenir un peu longuet cette descente, mais la dureté de ce passage est tempérée par l’avantage procuré par une course en sous-bois.

Le cheminement est un peu hasardeux vu ma solitude à ce moment. A certains endroits j’hésite sur le trajet en cherchant des yeux les balises. Les 450D- sont avalés sans trop de mal. Passage à la ferme d’altitude où je suis monté hier. On bifurque à 180° pour… remonter. Faisait longtemps…

On est au km 34. 6h05 de course. Jusqu’au dernier ravito il n’y a pas très long d’ascension en km et en dénivelé : environ 250D+ et 2km.

6ème partie : Les Tronchets – La bergerie Saint-Joseph (2km – 250D+)

Et là c’est le drame. Un énormissime passage à vide. L’enfer. Je n’en peux plus. On est en plein cagnard qui te tape dans le dos. Sur le dos. Sur la tête. Les cuisses en feu, comme piquées à chaque pas : l’impression étrange qu’on me plante des pointes dessus dès que je contracte pour grimper. Des crampes. La chaleur. Je bois quasiment en permanence. M’en fous je pourrai bientôt remplir. Le temps se fige. Je n’avance plus. Ma tête bourdonne. Le moral qui disparaît au 36ème dessous. L’écœurement presque. Mille questions existentielles : qu’est-ce que je fous là ? Pourquoi faire ? Pour qui ? Comment ? Où ça ? Et la pire évidemment : abandonner ? Franchement la question s’est insinuée en moi à ce seul moment de toute la course. J’ai vraiment songé à arrêter au dernier ravito tellement je n’en pouvais plus. Sachant en plus ce qui m’attendait dans la foulée avec le Grand Aréa et ses 700D+ en 2.4km. Vu l’état de mes jambes je ne pourrai jamais aller au bout. On est tous quasiment à l’arrêt. Foulée après foulée le sommet ne se rapproche pourtant pas. Ségo, les enfants, où êtes-vous ? Venez m’aider je n’en peux plus. Le pire c’est qu’en dehors des cuisses je n’ai mal nulle part. Le cœur va bien, la tête n’a pas si chaud, les articulations tournent nickel. Mais musculairement mes jambes sont à l’agonie.

Je divague complètement. Ma vitesse chute complètement. Ah mais ça finit quand cette p… de bosse. Et m… Pas fini là ? J’en vois devant qui grimpent encore… Laissez-moi les gars. Partez sans moi vous voyez bien je vous ralentis. La vache c’est dur. Je serre les dents y a rien qui presse comme chantait (presque) Chagrin d’Amour. Pfiouuuu. Maman c’est encore loin l’Amérique ? 730 km de bagnole et 6h30 de course pour en arriver là ? C’est trop con je ne vais pas craquer maintenant. Courage fuyons. Le temps s’étire indéfiniment. La voilà la vraie relativité : et ce n’est pas de la théorie. Tout va très doucement, sauf la douleur dans les cuisses.

Soudain dans un instant de lucidité je réalise que je suis toujours dans les clous de mon pronostic temps. J’avais annoncé à Véro penser arriver au dernier ravito à la bergerie St Joseph vers 14h : je suis à la dérive à la ramasse complet mais il est 13h30 et je calcule possible d’arriver là-haut avant l’heure prévue même.

Suprême plaisir sadique : je double 3 personnes dans cette portion. Mon obsession de remonter avant la 100ème place ne me quitte plus. D’abord un groupe de 2 mecs arrêtés : bon l’un a l’air blessé. Ça va ? Réponse avec la main qui dodeline. Are you ok ? Franche dénégation avec un fort accent roulant. Je les rassure comme je peux en leur disant que le prochain ravito est à environ 1km maintenant. Ils confirment en disant pouvoir repartir même en marchant. Le 3è s’est arrêté pour ramasser ses lunettes après les avoir fait voler. Même réponse mystique : Italian ? Greek ! Indeed my dear ? Chapeau bas : le type a traversé l’Europe depuis Thessalonique pour courir ici aujourd’hui. Seul en plus j’apprendrai à l’arrivée. Je réalise que mes soucis logistiques d’organisation sont dérisoires.

L’un dans l’autre ces cogitations plus ou moins cohérentes m’aident à franchir ce petit soubresaut de montagne. Délivrance : j’aperçois la route qui ramène au pied du Grand Aréa. A chaque instant suffit sa peine. Je galère dans ces alpages mais au-moins suis-je maintenant sur du plat. Plus de montée ou quasiment. Pour l’instant. Enfin c’est fini. Je trottine doucement sur le bitume et me laisse glisser vers la bergerie.

La vache. D’où je reviens mon ami. Je vois les tentes et surtout retrouve le petit abreuvoir. Je jette ma casquette et mes lunettes et plonge la tête dedans. Je me rince le visage, les yeux, la nuque de toute cette sueur qui pique la peau à n’en plus finir depuis des heures. Je me relève tourne la tête et là surprise : le visage hilare de Véro qui me dévisage entre incrédulité et surprise. Je souris (ou grimace ?), soupire, souffle, halète, crachotte, le nez qui dégouline d’eau et de sueur. N’empêche qu’à ce moment de la course ça me fait tellement plaisir de voir un visage connu (et oui venu sans la famille je trottine tout seul dans la montagne). Je lui raconte mes 1000 petites misères depuis le départ, et malgré tout ma joie d’être là. J’ai instantanément oublié le supplice mental que je viens de traverser la dernière demi-heure. Je récupère doucement. Sympa elle ne retient que le verre à moitié plein : je suis en avance sur notre « rendez-vous » de 14h (il est 13h45 environ). Je fronce les sourcils en ne voyant que le verre à moitié vide : il reste le Grand Aréa. « On a vu le premier coureur en montant au sommet ce matin ». Coup de massue. Ah bon vous l’avez déjà fait vous ?... Je lève les yeux et voit le sommet qui me nargue environ 700 mètres plus haut.

Bon c’est pas tout ça mais il faut penser à me restaurer. Véro fait une photo. Tu parles d’un cadeau vu mon blaze à ce moment de la course. Allez direction le bar. Remplissage de la gourde et de l’estomac. Je chope tout ce qui traîne. Résultat des courses : 15 minutes d’arrêt. Requinqué le petit bonhomme. Pas vraiment frais comme un gardon mais prêt à en découdre. Je réajuste le sac et la casquette. A vos marques…

J’en vois 2 qui partent à l’assaut. Taïo je les rejoins. Euh… vous habitez chez vos parents ? Et vous grimpez à quelle vitesse ? Sitôt les présentations faites, on forme la caravane et c’est parti.

7ème partie : Bergerie - Grand Aréa (2.4 km – 700D+)

Pour commencer voici la tête du mur pour grimper au sommet :

Le point bas étant le ravito à la bergerie à 1900m et le point haut à 2860m… Bref.

Et bien vous n’allez pas me croire les copains : ça se passe bien. Enfin au-moins la première partie jusqu’à la crête où le sentier se sépare entre Petit Aréa et Grand Aréa.

Bon rythme. On reste à 2 après le lâchage d’un des compagnons de « cordée ». Je maintiens la vitesse entre 3 et 4 km/h. On remonte sur quelques concurrents et grapille encore des places. Sais plus où j’en suis au final après le ravito.

Bip bip bip… Arf ! Mauvaise nouvelle : batterie faible. La montre va me lâcher. Garde des forces petite chérie j’ai encore besoin de toi. Mais non. Elle ne survit pas à cette ascension.

Km 39,14 : après 7h47 de course mon gps se tait. J’avance maintenant à l’aveugle sans mes puls et uniquement aux sensations. Plus de repère altimétrique pour m’aider dans cette ultime difficulté (ce que je croyais à ce moment). Tant pis j’en ai vu d’autres. Surtout avec le passage à vide tantôt après les Tronchets.

Je repars à l’assaut de cette pointe : c’est dur quand même. En fait j’en chie vraiment. Cette fois le soleil est à son zénith pour nous dorer la pilule. Encore combien ? Sais pas ni le D+ restant ni le km. Fini. Reste plus qu’à avancer. Monter. Grimper. Escalader par instants. Gaffe à ne pas glisser dans les éboulis. Et bientôt je sens les cuisses qui se remettent à chauffer et à piquer. Pitié ! Grâce ! Laissez-moi redescendre et rentrer. A y est fini… Ah non. J’avais oublié ce dernier escarpement.

Enfin j’y suis. Salut tout le monde. Dossard 1094. Tout va bien je me sens bien et je peux continuer. Je ne prends pas le temps comme je fais d’habitude pour faire un tour d’horizon et saluer les sommets en particulier son altesse sérénissime le Mont-Blanc. Pas le temps : j’ai des courses à faire aujourd’hui. Et puis je lui ai déjà fait coucou au mois d’août quand je suis passé. Allez direction le bar pour l’apéro.


8ème partie : Le Grand Aréa – Arrivée (8km – 1400D-)

Et c’est parti pour la grande glissade finale. A ce moment de la course je me dis toujours la phrase mythique : « ça sent bon l’écurie ! ». Roule ma poule : c’est le cas de le dire.

Encore une fois l’enthousiasme est tempéré par l’idée de ne pas se foutre en l’air en roulant en bas de la pente. Et mazette qu’elle est longue. On la voit quasiment en entier. Du moins voit-on déjà la zone d’arrivée dégagée comme elle est. Tu parles : le pré Chabert zone de départ des remontées mécaniques du Monêtier. Forcément un grand espace ouvert à base de parkings et esplanades. Ça paraît bien loin tout ça. De toute manière je n’ai plus que les repères visuels pour progresser, faute de chrono qui tourne…

Les virages s’enchaînent assez facilement. Je sors rapidement de la zone dangereuse infestée de caillasses pour rejoindre les alpages. Là encore ça passe bien. Le col du Buffère est vite effacé. Le sentier s’élargit et redevient une route de montagne. Ça cogne toujours autant en fait, le soleil continue d’en écraser comme si de rien n’était. Et je n’ai toujours pas vu la moindre marmotte ni même évidemment de bouquetins. Je rejoins la zone du Puy du Cros.

Tout à coup… je me sens vidé. Plus de jus. Plus rien. Plus de réponse. Les pieds frétillent dans les pompes comme jamais. Je te rappelle ami lecteur les 1400 mètres de D- en 8km que nous sommes en train d’effacer. Alors forcément les cuisses font relâche au profit des petons qui commencent à s’agacer de tant d’acharnement à leur vouloir du mal.

Je m’arrête. Je bois. Je re-bois. Ça va mieux merci. Je repars. Pas longtemps. Toujours pas de jus. Les yeux clignotent depuis quelques temps. J’ai compris… La fatigue commence à prendre sérieusement le dessus. Il faut dire que je n’ai jamais encore poussé la machine si longtemps. Sur la précédente course (53km) j’ai arrêté de jouer au bout de 7h43. Aujourd’hui le tic-tac s’est arrêté de galoper au-bout de 7h47, en pleine ascension de la face sud du Grand Aréa. Autant dire que je dois être parti depuis 8h30 environ… Je nage en plein inconnu côté durée de l’effort. Même si je suis un peu habitué à aller chercher des ressources un peu loin (merci l’aviron) de telles durées non. Alors je continue à marcher.

Et je compte le passage de quelques concurrents. Grrrr… Heureusement à ce stade les intervalles ont tellement grandi que sur mes 10 minutes de marche environ pas plus de 3 m’ont doublé. Tu le crois ? 10 minutes de marche alors qu’il y a quelques heures j’aurais vendu ma mère pour arrêter la D+ et retrouver un peu de descente.

Heureux sous-bois annonciateurs du retour sur terre. Le vol 1094 va bientôt atterrir à Monêtier. Mais on est vraiment en fond de cuve et le moteur n’arrive toujours pas à repartir. J’émerge à la sortie haute du village. Premiers bénévoles « terriens » qui m’encouragent malgré mon physique devenu définitivement plus Robert que Redford. Moi aussi je m’encourage : « allez cours fainéant ! ». Non môssieur. Un peu hagard j’ai juste le force de demander ma route : plus très lucide le gars je n’ai même pas vu la flèche au sol et le doigt pointé du garçon qui les accompagne. On y va coco. Dernier virage et je retrouve la civilisation : une rue, des voitures, des maisons…

Cette fois je me décide à trottiner, dernière traversée de la nationale et douce descente vers le pré Chabert.

Je n’y crois pas : l’arche d’arrivée est là. J’accélère comme un fou tu imagines bien. C’est fini pépère. Tu peux arrêter les jambes. Je titube un peu et la fille me laisse m’assoir sur sa chaise d’attente.

Résultat : 97è en 9h10. En plus je suis sous la barre des 100. « Ma » victoire, outre celle essentielle contre moi-même pour en avoir terminé.

Je mets de longues minutes à émerger. Comprendre que je l’ai bouclé ce grand tour des Cerces. Je suis redescendu de la montagne. Intact en plus. A ce moment je donnerai cher pour avoir mes enfants et ma chérie avec moi. Curieusement pas de grosse remontée d’émotions. Mais la tête qui ronronne encore de cette farandole magnifique que je viens de boucler. Sensationnelle. Féerique. Extraordinaire. C’est vraiment ça que j’aime. Que je veux continuer. Recommencer. Ces montagnes à parcourir sont si belles. Cette course est inoubliable. Vraiment l’impression de ne pas être sur terre tellement les paysages sont lunaires. Je les connaissais déjà, mais forcément pas pour les avoir traversé sur ce mode. J’étais ailleurs pendant ces longues heures. Merci aux organisateurs et surtout aux bénévoles qui rendent chaque course possible. Et merci au site de l’organisation pour les photos.

A bientôt pour de nouvelles aventures !

xsbgv

 


2 commentaires

Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 25-05-2015 à 21:32:11

Pas de commentaires,c'est dommage, il est bien sympa ton CR :-)

Commentaire de xsbgv posté le 26-05-2015 à 10:12:46

Merci Nat... En effet suis mal barré dans la course au nombre de com...
Je retiens surtout la course que j'ai adorée avec un panorama et des paysages à couper... Du coup j'y retourne cette année... Je t'y verrai peut-être vu que tu es "presque" voisine (en tout cas plus que moi...).

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