Récit de la course : Marathon des Sables 2016, par boby

L'auteur : boby

La course : Marathon des Sables

Date : 8/4/2016

Lieu : OUARZAZATE (Maroc)

Affichage : 1603 vues

Distance : 257km

Objectif : Terminer

3 commentaires

Partager :

10 autres récits :

Le 1er Marathon des Sables de Marc, dossard 204

Récit avec photos et vidéos sur
http://www.aventure-en-solidaire.net/projet-2016/mon-marathon-des-sables/index.html

 Installez-vous confortablement. Servez-vous un thé à la menthe, montez le chauffage à fond (minimum 40°), mettez du sable dans une bassine et enfouissez vos pieds dedans, si possible savourez des pâtisseries marocaines (comme celles que j’ai ramenées à ma femme de Ouarzazate)… et dégustez sans modération le récit de ma course.
 
On ne s’y aventure pas la canne à la main, sans aucune préparation. A certains égards, le désert se mérite. Il appartient à ces paysages capables de faire naitre en nous certaines interrogations.
Théodore Monod

18 avril - Paris Gare de Lyon
17H41 Claac. Un bruit sourd et court, et la porte du TGV qui me ramène à la maison se ferme. Avec elle, une page se tourne, clôturant un nouveau chapitre de ma vie et de mes aventures, écrit à la sueur de mon corps dans le désert marocain.
Mais qu’est-ce que je suis allé faire là-bas, dans l’une des courses les plus dures au monde, d’après certains spécialistes ??
Je me fais éjecter très gentiment par une jeune maman et ses 2 filles, car j’occupe leur place. Trop fatigué pour lire le bon numéro de mon siège ?
Je m'installe en attendant le départ, car je n'ai rien emmené pour m'occuper. Mais je vais sûrement dormir, vu les événements de ces derniers jours.
Ma tête commence à balloter de droite à gauche, dans une somnolence passive. Dernière étape de ce périple, le TGV me ramène dans la Drôme avec tous mes souvenirs, après ces 10 jours vécus dans un autre monde. Tout tourbillonne encore dans mes pensées : le vent, les étoiles, les nuits sous la tente, les plats lyophilisés - le tout avec du sable omniprésent… Chaque détail me revient à la mémoire. Et si on se repassait le film complet de ces 7 jours de courses ? Jour par jour ?
Assis sur mon siège, les yeux fermés, c'est ce que je décide de revivre. Vous voulez m'accompagner dans cette aventure ? Pas besoin de votre casquette, mettez simplement vos lunettes de soleil. Suivez-moi dans mes rêves.

Cette aventure, je l'avais notée depuis quelques années dans ma liste des rêves à vivre. Mais sans grande motivation. D’ailleurs quand j’en avais entendu parler la première fois, je m’étais demandé comment on pouvait courir dans le sable avec un sac à dos ? Impensable et impossible pour moi ! Et voilà que le 30 novembre 2014, une conviction m’envahit : je ferai le Marathon des Sables en 2016, et le GR20 en 2015 en guise de préparation.
Rien ne me prédestinait à m’engager dans de tels défis. J’étais proche de nul en sport au lycée, même si c’est un international de rugby (à Agen) qui nous enseignait. C’est à 50 ans, en 2004, que j’ai participé à la première compétition de ma vie : le Country Music Marathon de Nashville.
Simplement pour savoir quel était mon niveau, avant d’être trop vieux. C’était le lieu idéal pour m’initier, car il alliait mon univers professionnel, la gospel music, et mon loisir préféré, la course à pied. Je n’imaginais pas par quels chemins, sur le terrain comme dans ma tête, cette décision allait me mener.

Le Premier Jour du reste de ta vie
Vendredi 8 avril - 3h du matin. Deux réveils sonnent pour me tirer de mon sommeil profond. Ce n’est pas le jour pour une panne d’oreiller. Direction Orly (merci Doris), trop tard pour reculer. Je retrouve là une bande de fous décidés à en découdre, pour embarquer vers notre destinée. Je croise le doyen de l’aventure, Joseph Le Louarn, 7 éditions à son actif. Dossard 84 et 84 ans ! Respect, Monsieur Joseph : j’espère que j’en ferai autant à ton âge.
Déjà mon voisin d'avion me dit que pour lui cette aventure était une introspection, plus qu'une course dans le désert, quand il y a participé 25 ans auparavant. Il revient presque en pèlerinage, pour renouveler cette expérience, en arrivant directement de Bangkok.
Atterrissage à Ouarzazate, où un accueil de rockstar attend chaque participant : les bénévoles nous font une haie d’honneur et le directeur de course salue chacun. Il manque juste le tapis rouge… Et nous voilà partis pour presque 7 h de voyage en bus, avec les arrêts, afin de rejoindre notre lieu de villégiature : au pied des dunes de Merzouga.

Je me retrouve donc avec ma valise et mon sac à dos dans le désert marocain ce vendredi soir, dans un environnement peut-être hostile pour nous européens, mais majestueux. Nous descendons des bus, et chacun se dirige vers la tente qui lui a été assignée, ou qu’il a pu choisir : en l’occurrence, la 63 pour moi. Ce sera notre maison pour les 8 jours à venir. Drôle de maison. Une simple toile ouverte sur 2 cotés, soutenue par des branches de bois, avec un tapis de laine pour recouvrir le sol caillouteux. La tente berbère, sous laquelle nous sommes 8.
Mais que viennent faire tous les participants dans ce désert ? Fuir leur quotidien ? Découvrir le désert ? Dépasser leurs limites ? Réaliser une performance ? 1200 compétiteurs et autant d'histoires de vies différentes. Chacun est venu avec ses motivations. Comme ce père espagnol, qui a participé seul il y a 2 ans. Entre temps, son fils de 17 ans a été atteint par un cancer, et on lui donne un an à vivre. Il est venu avec lui cette année afin de participer à cette folle course et lui offrir un moment d’exception. Pour vivre une complicité intime dans la nature. Ou ce couple japonais venu vivre ici leur lune de miel. « Nous voulions faire quelque chose d’exceptionnel, nous souhaitions une lune de miel dure… ça fait rire beaucoup de monde ici ! » S’ils résistent, ils partiront certainement dans la vie sur de bonnes bases.
Pour ma part, c'est un défi personnel, physique, mais aussi un défi solidaire. J’ai envie que cela puisse être utile pour les autres, envie d'interpeler sur les conditions de vie dans le Sahel, envie de me battre contre le désert pour mon plaisir et pour faire connaitre ceux qui se battent contre le désert pour leur survie.
Nous sommes tout de suite conseillés par l’habitué de la tente, et nous bénéficions de sa riche expérience forte de 4 participations. Mais le doyen c’est moi. Chacun trouve sa place et nous installons nos petites affaires, après avoir suivi les conseils : bien nettoyer le sol sous le tapis pour éviter de sentir les cailloux quand on dort. Surtout pour ceux qui dorment sans matelas. Découverte les uns des autres, apprentissage de la vie sur le bivouac. Pour le moment c'est encore le grand luxe : l'organisation nous fournira des repas chauds jusqu’à samedi soir. Il faut en profiter. C'est ce que nous ne tardons pas à faire. Et la grande nouveauté, c’est que cette année ces repas sont confectionnés par des marocains. Pas d'attente, la qualité et la quantité sont au rendez-vous. Voilà un autre genre de défi relevé au milieu du désert : cuisiner pour 2000 personnes !
Confusion autour du décalage horaire : moins une heure, moins deux heures ? Finalement nous apprenons que nous sommes à l'heure universelle, et non à l'heure marocaine.
Première nuit sous les étoiles. Premières sensations de froid au petit matin. Il faut vraiment se couvrir pour ne pas se refroidir. Nous sommes quand même à 800 m d’altitude. C'est le test pour décider ce que nous allons garder ou non dans notre sac à dos. Pour chacun, c'est un dilemme : comment optimiser le poids du sac ? Tout dépend si l'on privilégie la performance ou le confort. Choix difficile mais bien personnel. Je décide de ne pas prendre les vêtements plus chauds que j'avais emmenés, même si c'est le froid que je crains le plus. Cela s'avèrera la bonne option, car les nuits de la semaine seront moins fraîches.

Examen de passage
Samedi, journée de contrôle, de découverte, d'acclimatation. La chaleur monte vite, la tension aussi. Mais tout ne se passe pas comme prévu.
La veille j'avais senti qu'une de mes dents n'était pas dans sa position normale. Et le soir, elle était tombée…
Donc direction le dentiste, pour une consultation en plein désert ! D'ailleurs, il le connait, lui, le désert : 4 participations dans l'équipe médicale et 12 en tant que coureur. Très sympa, il recolle rapidement la dent récalcitrante afin de m'empêcher de la perdre à nouveau. Et là une fille de l'équipe m'interpelle, car elle a vu mon tee-shirt SEL, pour le projet solidaire que je soutiens. En fait son frère à travaillé pour cet organisme, et hier il lui a envoyé le lien vers mon dernier message vidéo, enregistré justement la veille dans les bureaux du SEL à Paris. Quelle coïncidence en plein désert ! C'est ça la magie des rencontres, au moment ou on s'y attend le moins. Un clin d'oeil du ciel.
Après le repas direction le contrôle, non sans avoir une énième fois vérifié le contenu de mon sac et pointé la liste du matériel obligatoire.
Tout est ok, on ne m'a même pas pesé le sac…
Je suis soulagé au sens propre comme au figuré d'avoir laissé la valise de mon ancienne vie au contrôle, et de ne garder que le sac à dos rempli des affaires indispensables pour cette nouvelle séquence de vie d’une semaine, si particulière. Rien que l'essentiel, pas de superflu. Même plus de portable.

Mais j'entends des cris d'enfants… J'entrouvre les yeux et j'assiste à un spectacle qui me ramène quelques années en arrière. "On arrive bientôt maman ? On peut manger ? Non, ce n'est pas encore l'heure…" Les deux petites filles malicieuses assises sur la banquette d’à côté s'impatientent : ce voyage en train leur parait bien long. Me voilà reparti dans mes rêves après cette petite parenthèse.

Après le briefing général, rencontre avec d’autres participants, comme ce canadien qui arrive directement de Vancouver, via Toronto et Paris (c’est sa 3e participation). C’est l'heure d’aller se coucher. Est-ce que je vais vraiment dormir ? Moi qui ne vais au lit que rarement avant minuit, ici c'est rideau baissé à 20h30. Je serai d’ailleurs toujours le dernier dans le sac de couchage.

Il était une fois dans l'Oued
Jour 1- Enfin la vraie course commence. Dimanche matin, premier petit déjeuner en autonomie pour lequel j’avais prévu large, puisque nous ne le portons pas. Il était trop copieux, car j’aurai quelques légères difficultés à le digérer. A moins que ça ne soit le stress du départ.
Récupération des bouteilles d’eau avec la carte de rationnement à faire poinçonner. Et gare aux mauvais gestionnaires, car l’eau doit servir pour tout : boisson, repas, toilette, lessive. Vous pouvez toujours obtenir de l’eau supplémentaire (en plus des 9 bouteilles fournies dans la journée), mais cela vous coutera une pénalité de 30 minutes.
Nous voilà sur la ligne de départ, prêts à affronter cette immensité de sable et de cailloux, à nous lancer vers l’inconnu pour beaucoup. Pour moi c’est une nouvelle aventure qui promet d'être riche et intense. Mais est-ce vraiment une aventure ? Quand tout est cadré, sécurisé, organisé, planifié, il reste peu de place pour l'improvisation et les surprises. Dommage. C'est la rançon du succès.

5-4-3-2-1… C'est parti !
Grande émotion, premières foulées vers mon destin de la semaine, dans l'expectative de vivre des moments inoubliables, mais sans trop savoir à quoi m’attendre, car c’est un pas vers l’inconnu.
Vais-je tenir le coup ? Aurai-je assez à manger ? Et les ampoules ? Va-t-il faire froid la nuit ? Faut-il marcher ou courir, sachant que je n’ai aucune ambition pour le classement ? Autant d’interrogations qui tourbillonnent dans ma tête et qui n’ont aucune réponse pour le moment. Elles viendront au fur et à mesure.
Je me décide à courir pour démarrer, pour faire bonne figure, parce que presque tout le monde court, et qu’on est venus pour se donner. Et puis le cameraman de l’hélicoptère est en train de nous filmer… Mais dès les premières zones de sable, je comprends que ma fougue va se calmer. Et puis, je ne veux pas surestimer ma forme physique, car je tiens à arriver au bout : c’est le seul objectif que je me suis fixé.  Mais cette fois-ci j’ai la conviction que je serai sur la ligne d’arrivée, quoiqu’il arrive. Durant mes autres aventures (Diagonale des Fous, Voyage à vélo vers l’Arménie, etc.) j’avais plus de doutes avant le départ sur mes chances de succès, mais cette fois-ci la conviction est venue avant. Malgré tous les écueils de la préparation.
Car il y a moins de 3 semaines, j’étais une loque sur le canapé avec 39° de fièvre, et une activité physique réduite au minimum. Toux, fatigue, début de rhume… Un virus ressemblant à la grippe qui s’est installé pendant 15 jours. Pas bon pour le corps ni pour le moral. C’est seulement 3-4 jours avant le départ que j’ai retrouvé mon état normal. Et que dire de la préparation stoppée en janvier, quand mon genou gauche s’est mis à enfler ? Sans parler de mon accident à vélo (elliptique) : une voiture m’a renversé en octobre, provoquant des contusions aux genoux, bras, poitrine, et nécessitant quelques points de suture… encore 3 semaines de relâche. Sans oublier la prostatite violente de l’été 2015, juste quand je commençais la préparation pour le MDS après le GR20. Mais on ne va pas s’arrêter à cause de ces petits ennuis passagers.
Aussi je ne veux pas brûler les étapes, me mettre dans le rouge dès le début. On verra sur la fin.

Alors quand dans cette première étape, après 2 km on attaque les 12 km de ces dunes réputées, les plus hautes du Maroc, je marche tranquillement. C’est aussi pour profiter du paysage. On est venus là pour s’en mettre plein les yeux également, non ?
Nous sommes pleinement maintenant dans le vrai Marathon des Sables. Un sable mou, infini, volatile, coloré, moelleux, et pourtant si redouté. 12 km d’initiation. Et s’il n’y avait que le sable. Mais voilà que le vent se met également à vouloir sa part, et de face en plus. Quasiment une tempête. Je redoute le moment où il faudrait sortir la boussole, car je ne m’en suis jamais servi. Ces grains jaunâtres nous fouettent la figure, nous plongent d’un coup dans l’ambiance du désert en révolte, et le vent nous dessèche. Mais pas question de se défiler. Il faut avancer. Ce ne sera pas le cas de tous, malheureusement, et il y aura beaucoup d’abandons à la fin de la journée.
On lutte avec les éléments. Nous sommes impuissants devant une telle force. La progression est difficile, mais il faut s’accrocher.

Aux points de contrôle, les bénévoles et organisateurs nous appellent tous par notre prénom pour nous accueillir et nous encourager. Au début, ça surprend, mais notre prénom est inscrit en gros sur notre dossard. Belle initiative ! Même si on s’y habitue un peu vers la fin, c’est toujours valorisant et réconfortant de s’entendre interpeller directement et personnellement dans un tel contexte : comme si on se connaissait depuis longtemps. Une relation instantanée se crée, et c’est tant mieux car on ne va les voir que quelques secondes ou quelques minutes.
Après un passage un peu rocailleux, nous traversons le vieux village de M’Fiss. Un peu plus tard, de nouveau 3 km de ces dunes voluptueuses, avec toujours des rafales de vent, avant d’arriver au terme de l’étape, à l’erg Znaigui. Surprise : un verre de thé nous attend juste après l’arrivée. Réconfortant !

Bilan : 34 km, pas de difficultés insurmontables, pas de problèmes aux pieds, juste une douleur vers l’omoplate droite. Le poids du sac probablement. Pourtant je me suis entrainé de longues heures sans jamais avoir de problème majeur, avec un sac chargé de bouteilles d’eau pour faire du poids, jusqu’à 10 kg. Peut-être trop ?

Le soir, c’est l’apprentissage du repas au bivouac, avec le cérémonial du feu. La tribu de la tente 63 s’organise. Comme j’arrive le dernier, tout est déjà prêt : sol nettoyé, feu prêt à démarrer. Je suis un peu gêné de ne pas avoir pu donner un coup de main.
Première chose : se reposer les jambes, manger et boire pour compenser les pertes hydriques et caloriques. C’est important de le faire dans les 30 minutes qui suivent l’effort. Puis une petite toilette succincte, debout au milieu de l’immensité du désert.
Ce sera le rituel à chaque arrivée.
Le feu allumé, chacun met son eau à bouillir pour préparer le repas de son menu. Pour moi, ce soir, c’est poisson à la provençale avec du riz, et mousse au chocolat comme dessert, avec un petit biscuit. Il ne faut surtout pas se laisser aller. C’est bon pour le corps et le moral. Pour Florian, ce sera taboulé, puis taboulé au petit-déjeuner, puis taboulé le soir, et comme ça toute la semaine. Jusqu’à en être écoeuré et faire des échanges avec les voisins ! Il voulait éviter d’avoir à chauffer de l’eau.
Puis c’est le moment de se glisser dans les plumes du sac de couchage. Sans oublier de mettre des bouchons d’oreilles. Ils seront utiles pour ne pas entendre le vent, les bruits, l’agitation nocturne des espagnols de la tente d’en face, ou les doux ronflements de nos voisins. Efficace et indispensable.
Certains utilisent des somnifères pour mieux dormir. Je n’ai pas prévu ce genre d’artifice aux conséquences secondaires parfois incontrôlables.

Mais je n’ai pas l’habitude de dormir aussi tôt, même si je suis le dernier à me coucher. La fatigue me donnera tort. Le sommeil me prend de suite. Toutefois je vais être réveillé vers 4-5h, en attendant le lever officiel à 6h, quand les marocains commencent à démonter les tentes. Pas le temps de trainer !
Il faut chercher son eau avec sa carte, prendre le petit déjeuner, se préparer, vérifier ses chaussures au cas où un scorpion y aurait élu domicile pendant la nuit, contrôler ses pieds, ranger son sac, préparer ses gourdes, mettre un peu de crème solaire si on la trouve…

Rituel et routine
Lundi. Nouveau départ pour cette 2e étape de 41km. Moins de sable annoncé, moins de vent, mais plus de chaleur. Le thermomètre dépassera les 40° dans la semaine.
Je prends mes habitudes et je me place sur le côté gauche pour le départ.
Alors que nous avançons, je remarque un participant qui court la main droite reliée à la concurrente qui se trouve à ses côtés. C’est un aveugle. Je le rejoins et engage la conversation avec lui. Quel courage pour s’engager dans une telle course en étant privé de ce sens essentiel ! Il faut une parfaite confiance dans son partenaire et beaucoup de volonté. Un exemple. Surtout qu’il participe pour la 12e fois.
Il y a également Duncan, membre de la Royal Air Force, qui a perdu ses jambes en Afghanistan. Il va courir avec ses prothèses, pour soutenir l’association "Walking with the wounded" (Marcher avec les blessés). Comment moi, avec toutes mes facultés, pourrais-je encore me plaindre ou trouver le parcours trop dur ? Cette réflexion sera une motivation supplémentaire dans les moments difficiles. Si des personnes handicapées peuvent participer et terminer une telle aventure, je n’ai aucune raison de ne pas y arriver, du moment que je me suis préparé. Cette année il y a également, pour la première fois, une équipe de sourds-muets qui est présente. Tous les briefings sont d’ailleurs traduits en langue des signes.

A un moment nous passons près d’un village. On se demande de quoi vivent les gens dans un tel environnement. Il y a des enfants qui sont là sur le bord de la piste pour nous regarder traverser, et peut-être rêver un peu à tout ce que nous véhiculons comme image et désirs. Le rêve d’une vie soit-disant meilleure ailleurs. Du reste, ils nous réclament de l’argent… Je ne m’attendais pas à cette réaction. Et ce sera le cas à chaque fois que nous allons croiser des enfants. Je me donne pour règle de saluer les autochtones que je vais croiser sur ma route. Peut-être une manière inconsciente de m’excuser de venir troubler leur sérénité, de m’immiscer dans leur quotidien. Ils n’ont rien demandé, et doivent s’interroger sur ces hommes et femmes, coureurs, équipés de matériel parfois coûteux, qui prennent plaisir à souffrir. Paradoxe des pays du nord, face aux pays du sud.

Qu’est-ce qui nous pousse à relever de tels défis, à délaisser notre confort dont les populations d’ici rêveraient de bénéficier ? Le dépassement de soi, sentir qu’on existe vraiment, la performance, le désir de soutenir une cause ?
Chacun va chercher sa propre réponse au fond de soi, avec le désert pour champ de réflexion. C’est l’occasion d’examiner ses motivations : l’envie de plonger dans l’inconnu, de vivre hors du temps, de délaisser ses habitudes… Ou de revivre des moments loin de notre horizon quotidien limitant, comme Christian que je dépasse à mi-étape. Il a mon âge, il n’est pas très en forme aujourd’hui et n’arrive pas à avancer comme il le voudrait. Je l’encourage. C’est sa 29e participation. Ou Laurent : « Je voulais goûter de nouveau à l’ivresse du désert. Ça vous marque longtemps. »
Je me force un peu à sortir de mon attitude réservée légendaire pour aborder les participants que je rejoins. Je les interpelle par leur prénom (facile, il suffit de lire), et pose une simple question, en anglais ou en français suivant le pays d’origine. Pour m’inquiéter de leur état, pour en savoir plus sur leur motivation. Des échanges fructueux et enrichissants.

Comme hier, je cours quasiment jusqu’au CheckPoint 1, et dans la dernière portion du parcours. Entre les deux, il y aura quelques moments difficiles. C’est une étape plus rapide et plus chaude qu’hier, même si la chaleur ne me dérange pas.

La piste est bien signalisée par des panneaux tous différents : presque des petites oeuvres d’art, parfois. Je serais curieux de savoir qui est à l’origine de ce concept. C’est peut-être pour briser la monotonie, et capter l’attention des coureurs. Il y a tout le temps du monde (du moins à mon niveau) et il faut le vouloir pour se perdre. Même de nuit pendant l’étape longue du mercredi.
Arrivée au bivouac et rituel du soir : repos, collation, toilette, repas, avant de me glisser doucement et avec délectation dans ce sac qui va me réchauffer et me protéger pour la nuit. Sans oublier les bouchons d’oreilles pour être au calme, et mon bonnet : il fait toujours un peu frais le matin.

Bouché
Réveillé par la lumière, je somnole avant de réaliser que c’est déjà mardi, jour de la troisième étape. Je suis encore un peu isolé de l’agitation matinale qui commence, car les bouchons sont toujours dans les oreilles. Je parviens à en extraire un, mais celui de l’oreille gauche est récalcitrant : il est coincé car j’ai probablement dû l’enfoncer trop loin. Un des médecins de la tente (il y en a plusieurs dans notre groupe) se dévoue pour me sortir de cette situation, et parvient à l’enlever sans trop de difficultés. Je suis rassuré. A ce moment-là Fred, mon voisin, réalise que si je ne lui répondais pas le matin, c’est que je n’entendais pas ! Il croyait que je lui faisais la tête au réveil…
Il ne faut surtout pas oublier d’aller chercher sa bouteille et faire poinçonner sa carte, dans les horaires prévus. Sous peine de pénalité.

« Bonjour monsieur, contrôle ». Un peu d’agitation et de bruit me tire de mes rêves et me ramène à la réalité. Quoi, même ici il faut montrer sa carte pour la faire poinçonner ? Ah non, c’était simplement pour le billet de train… J’étais en règle, j’ai échappé à la pénalité. Mais le contrôleur ne m’a pas donné d’eau.

Les marocains, « les hommes en bleu », sont toujours à l’heure pour le démontage, aucun répit pour les coureurs fatigués.
Après les préparatifs du jour, rendez-vous sous l’arche du départ. En attendant l’heure fatidique, j’arrive enfin à remettre la main sur la crème solaire. Juste pour le nez et les oreilles, car pour le reste je suis entièrement couvert. Toujours en forme le Patrick (Bauer, directeur et créateur de la course). L’idée du Marathon des Sables lui est venue en 1984, après avoir parcouru le Sahara à pied, en solitaire en autonomie totale sur 350 km, avec un sac à dos de 35 kg contenant eau et nourriture. Il est là, sur le toit de son 4x4, en train d’haranguer les participants au briefing. Et tous les matins, il nous passe sa musique soul-funk, dont personne n’a retrouvé le titre, mais qui est bien sympa. Avant d’enchaîner avec son titre fétiche : « Highway to Hell »  du groupe ACDC. C’est comme ça que ce nostalgique des années 80, par ailleurs grand amateur de jazz et d’opéras motive les troupes sur le départ, avant le « lâcher des coureurs ». Il y a quelques semaines, je voulais lui écrire à Patrick, au sujet de ce morceau qui agrémente les départs depuis des années. Non, monsieur Bauer, je n’ai pas envie d’aller en enfer. Non, monsieur Bauer, je ne suis pas « sur l’autoroute pour l’enfer ». Au contraire, moi, je suis sur la route du paradis, au sens propre comme au figuré.
Si la musique est stimulante et punchy, les paroles sont déroutantes, pour ne pas dire plus. Je vais avoir du mal à écouter cette chanson tous les matins. Il y a des textes plus motivants et plus positifs pour avancer.
Je prendrai le départ quand même, pour « vivre des moments magiques,… dans des espaces encore préservés qui nous font prendre conscience de la richesse du monde dans lequel nous vivons » , comme tu l’as écrit, Patrick. Ca ce n’est pas l’enfer. Sans rancune.

Je me consolerai avec le flûtiste que je vais dépasser quelques mètres plus loin. Il court en jouant ! Ce franco-brésilien, hautboïste professionnel, a mis une petite flûte picolo dans son sac, et il la sort régulièrement pour s’encourager et nous encourager. Ce matin, c’est la chanson phare du Titanic, suivie par le traditionnel « Frère Jacques »  car je suis à ses côtés et il veut jouer du français… Je le remercie pour sa sollicitude.


Le Petit Prince
Toujours des paysages magnifiques qui s’offrent à nous. Ils se méritent. Les 10 premiers km alternent sable, cailloux, parties plus roulantes, avant une première petite ascension et le passage près des ruines de Ba Hallou. Un peu plus loin, nous allons croiser un troupeau de chèvres, des centaines de chèvres. Juste à côté, 2 voitures médicales du marathon. Et un coureur allongé par terre. Il n’a pas dû s’hydrater assez, car aujourd’hui, journée sans vent, le soleil frappe fort. On doit dépasser les 40°.

Je me surprends à examiner les pistes sur lesquelles nous marchons, ou que nous croisons, et je m’imagine réaliser un périple à vélo dans ces contrées. Ce serait alors une vraie aventure, une vraie rencontre avec le désert. Seul avec la nature. Dormir sous les étoiles. Faire des rencontres inopinées et sincères avec les habitants, pour s’imprégner du quotidien des villages traversés, pour ne pas simplement traverser, visiter, mais sentir le pouls de la vie locale. Car malgré les promesses et les attentes, il est difficile de se retrouver avec soi-même dans ce « marathon ». Le face à face avec le désert n’est que superficiel. Pas le temps de se poser, de vivre un temps de réflexion, d’introspection comme certains l’attendent. Il y a presque toujours quelqu’un à côté de soi, dans la journée, le soir, la nuit, toujours quelque chose à faire, ou alors on est concentré sur la course. J’aurais voulu par exemple profiter plus longtemps du spectacle de la voute étoilée, dans ces zones non polluées par des lumières artificielles. Mais j’étais trop fatigué pour prendre le temps.
C'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.. Antoine de Saint Exupéry


Restent 2 km de partie sablonneuse qui nous amènent au thé tant espéré de l’arrivée. La souffrance relative de cette étape de 41 km est gommée instantanément par le plaisir d’arriver et d’avoir réussi un nouveau défi.
Les marocains sont toujours là pour nous servir ce thé super chaud, réconfortant. Mais un seul par personne. Si tu en prends deux, c’est une pénalité…
En arrivant au bivouac, je vérifie mes pieds, car j’ai ressenti de légères douleurs. Effectivement, il y a des ampoules naissantes au niveau des ongles. Passage par la clinique, où Khadija prend soin de mes orteils, avec beaucoup de douceur et d’efficacité. Et je ne suis pas le seul. Cette tente ne désemplit pas. Il faut prendre son ticket, et attendre de 1 à 2h, voire plus suivant les jours, avant d’être pris en charge. Mais heureusement qu’ils sont là, les podologues et infirmiers !

Retour à la «  maison » ou j’arrive pour la distribution du courrier. Le « facteur » passe tous les jours nous déposer les emails que nos proches nous ont laissés sur le site du MDS. Une prouesse au milieu du désert ! Et un grand réconfort pour tous les sportifs. Quel bonheur de recevoir ces messages d’encouragement des amis, de la famille, après toute une journée d’effort. On réalise que beaucoup de gens pensent à nous, et c’est un soutien extraordinaire. Même le dossard 204 de l’année passée qui m’envoie quelques mots pour m’encourager, dont je me souviendrai tous les jours : « un pas après l’autre, sans oublier l’eau et les pastilles de sel ».
Mon voisin de « chambre » a reçu un email de sa copine, qui lui dit entre autres qu’il vient de recevoir un PV.

Le jour le plus long
Mercredi. L’étape de vérité, appelé « la longue » dans le jargon du MDS. Le départ a lieu un peu plus tôt que d’habitude car le parcours qui nous attend fait 84 km et 1700 m de dénivelé. Un vrai défi dans le défi. On sait quand on part, on ne sait pas quand on arrive. Mais il faut franchir la ligne en 35h maximum, sinon c’est l’élimination. Ce serait dommage, arrivé à ce stade de la course.
Nous sommes divisés en 2 groupes : les 50 premiers du classement général, qui vont partir 3 heures après nous, et le reste qui part à 8h30. On aura enfin le privilège de les voir courir, ces champions. Et nous en avons un dans notre tente : Thierry. Il est dans les 30e.
Je cours non stop du départ jusqu’au CP1. Le terrain est assez roulant, ça tombe bien. Ou alors c’est moi qui m’habitue au sable ? Je fais un bout de route avec Hugues qui vient d’Yverdon (Suisse), et qui court pour une association de lutte contre la sclérose en plaque, dont sa soeur est atteinte. « Combattre une maladie par l’effort, puisque les personnes atteintes font des efforts dans leur vie contre cette maladie. Un lien parfait avec le sport ». On va se croiser plusieurs fois les jours suivants.
Après le CP1, dans la première grande montée, sur le djebel El Otfal, c’est l’embouteillage dans le désert ! On se croirait sur le périphérique. Le passage est étroit, il y a des cordes pour s’agripper, il faut attendre son tour. Certains commencent à s’énerver, d’autres à contourner. Avec un peu de patience, tout le monde arrive en haut de ce point de vue exceptionnel, après un final à 30% de pente. On aimerait y rester, savourer ces instants, s’imprégner de cette ambiance. Je prends conscience du privilège d’être ici dans un décor féérique mais bien réel, dont beaucoup aimeraient profiter. Mais on a aussi envie d’avancer, il reste encore 70 km… Alors pas le temps de flâner. Même si je ne suis pas là pour « faire une performance », j’ai pourtant la motivation de ne pas arriver dans les derniers. Et puis cela voudrait dire pas de journée de repos demain ! Non, j’ai du linge à laver et une douche à prendre.

Après la descente dans les rochers, arrivée sur une longue plaine ou nous nous faisons doubler par les premiers, partis 3 h plus tôt. Imaginez leur vitesse de croisière… Impressionnant.
Une maison se trouve là, en plein milieu de nulle part. Mais que font-ils ici ? Il y a quand même une parabole sur le côté.
Quelques kilomètres plus loin, nous nous faisons doubler par les premières concurrentes féminines, au niveau de l’oasis de Mharech où se trouve une auberge. On rêverait d’aller s’installer tranquillement à l’ombre des palmiers, pour siroter une boisson bien fraîche. Mais cela ne restera qu’un souhait irréalisable. L’oasis elle est bien réelle.
A cet instant j’entends une musique qui m’interpelle. Revoilà le flûtiste brésilien, en train de jouer en marchant sous un soleil de plomb. Merci Pierre, et bravo !
Nous abordons un immense lac asséché que nous allons traverser avant de passer de nouvelles dunes en face. C’est à ce moment-là que Thierry, notre champion de la tente 63 arrive et nous double, malgré sa condition physique difficile depuis ce matin.
Arrivé au CP3, distribution des deux bouteilles d’eau prévues. Chaque bouteille et chaque bouchon est marqué à notre numéro de dossard. Et si jamais l’un ou l’autre est retrouvé dans le désert, c’est une pénalité. Bonne initiative. Il faut bien la gérer cette eau, sous peine de voir ses capacités diminuer.
Je m’arrête quelques minutes, mange un peu, remplis mes gourdes et m’asperge d’eau.

Le soleil commence à baisser, la chaleur à tomber, et la lumière à devenir magnifique. L’instant jubilatoire pour les photographes, dans une explosion de couleurs. Tout au long du chemin, on voit régulièrement des scarabées sur le sable. Normalement, ils se cachent en dessous de la surface pour s’abriter de la chaleur. Mais les troupeaux de coureurs qui passent doivent faire trembler leur territoire en martelant le sol, et en troublant la quiétude séculaire de cette partie du monde. Cela doit représenter un tremblement de terre pour eux. J’espère qu’ils ne seront pas traumatisés par notre passage, même s’ils partent dans tous les sens à notre approche. Malheureusement certains en font les frais, oublient de regarder avant de traverser, et se font écraser par les plus rapides. On retrouve ça et là quelques cadavres, anéantis par Adidas ou Salomon…
J’essaie de regarder où je mets les pieds pour ne pas devenir meurtrier.
Longue route entre le CP3 et le CP4. Très longue. Je ne le vois pas arriver, ce CP. Ils l’ont déplacé ?
Finalement, avec le soleil couchant, j’atteins ce CheckPoint, avec l’accueil toujours enthousiaste des bénévoles (bravo Marc !). Préparation pour la suite qui se fera de nuit : lampe frontale, boisson, bâton de lumière derrière le sac. Je mange les pâtes à la sauce tomate qui se réhydratent à froid depuis plusieurs heures dans mon sac. Un peu trop épicées dans ce contexte. Elles me resteront sur l’estomac pendant un moment, mais sans plus de complications.
Je ne sais pas si c’est le manque de lumière qui me trouble, mais toujours est-il que je commence à fatiguer un peu. Dans ces moments difficiles, je sais comment me motiver. Je pense à tous les amis de la Ferme de Guié, le projet solidaire au Burkina Faso que je soutiens par mon action. Chaque pas, chaque foulée est pour eux. J’espère que la collecte de fonds sera à la hauteur de mes efforts dans cette course. Je me rappelle mon séjour là-bas au mois de février, et cette fameuse journée avec Joseph, où nous avons marché 45 km par 45°. Une bonne préparation.
La route a été aussi longue entre le CP4 et le CP5. Surtout que l’on voit au loin, du haut du djebel grimpé dans la nuit, toute une colonne de points lumineux, avançant comme des petites fourmis luisantes. Et au bout, une grande lumière, probablement le CP5. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est trompeur. Il me faudra plus de 2 heures pour arriver à ce CheckPoint, dans un terrain quasi sablonneux tout le long. Vous avez essayé de marcher ou courir la nuit pendant des heures dans le sable ? Sur la route vers notre paradis terrestre, car notre destination finale à Ouarzazate sera bien un paradis, nous croisons un symbole de l’enfer : un serpent. Mais pas la peine de sortir la pompe aspivenin obligatoire. Il est de petite taille, effarouché, et se démène pour s’écarter du chemin.

J’arrive enfin au CP5, où c’est une oasis de bonheur : thé chaud, chaises longues, musique, tente, distribution d’eau. Il manque juste les danseuses, mais elles se sont transformées en infirmières. Tout est fait pour nous retenir et nous inciter à rester. Quelle tentation ! Trouver un tel endroit, en plein désert et en pleine nuit, c’est inespéré. Je me pose sur une chaise longue, le temps de manger le dessert que j’avais prévu : un yaourt (lyophilisé). Je n’avais pas encore testé, contrairement à tous les autres plats, mais ce n’est pas mauvais. Juste un peu trop sucré, sans la texture du yaourt.
Je décide quand même de m’allonger quelques minutes sous une tente, à même le sol, dans la nuit du désert marocain qui finalement n’est pas très fraiche cette année. Bercé par une musique discrète pour permettre à chacun de s’isoler.  Au bout de 10 minutes je me relève pour repartir et découvrir la suite du programme « Montée abrupte d’un petit relief jusqu’au sommet sablonneux / Descente même direction / Traversée d’une vallée sablonneuse » dixit le roadbook. Encore du sable ? Mais comme l’a écrit Guy « si vous en avez marre, dites-vous que les Hébreux ont eu une longue de 40 ans ! Et qu’ils l’ont finie ! »
La nuit est claire, et on pourrait presque se passer de lampe grâce à la lune. Mais je ne veux pas risquer de chuter sur une pierre. Et de toute façon, c’est une pénalité si on n’a pas sa lampe allumée.
J’essaie de courir un peu de temps en temps, car le temps est long entre deux CP, si on ne fait que marcher.

Passage rapide au CP7. Les bénévoles nous disent avec justesse que c’est la fin. Qu’il ne reste que 10 km, et que l’on voit l’arrivée de là où nous sommes. Effectivement, on distingue au loin 2 points lumineux signalant le bivouac tant espéré et désiré. Mais il ne faut pas se fier à ces impressions de proximité. Plus de 2 heures seront nécessaires pour rallier cette ligne d’arrivée. Il reste à parcourir une section droite interminable. Vraiment interminable. La lumière du jour commence à apparaitre, et j’aurais voulu terminer dans le soleil levant. Mais je ne vais pas retarder mon arrivée pour cela.
Enfin, après 21 heures et 14’  minutes d’efforts, je franchis la ligne d’arrivée de « la longue », heureux, fatigué, et content d’être là. Une victoire de plus. Une étape de moins. Satisfaction d’être allé jusqu’au bout de la nuit.
Je récupère mes 3 bouteilles d’eau. Mais ceux qui arriveront plus tard dans la journée vont devoir se charger d’un pack de 6 bouteilles (distribution du matin en plus). Si leur tente est la plus éloignée, cela va être pénible de la rejoindre, lestés de presque 10 kg supplémentaires.
Je rejoins rapidement ma tente où tout le monde est déjà allongé et endormi. Après m’être alimenté, je cède moi aussi à ce sommeil réparateur, dans la lumière aveuglante du soleil qui se lève. 2 heures plus tard, je suis déjà réveillé, et en bonne forme. La journée risque peut-être d’être longue…
Jour de repos, les jambes et les pieds en ont bien besoin. Contrôle à la clinique pour traiter les nouvelles - petites - ampoules. Il y en a aux deux pieds, mais elles ne me gênent pas pour avancer et ne sont pas sensibles. Peut-être aussi parce que je suis endurant à la douleur, parait-il. Malgré une préparation de mes pieds depuis 3 mois, et aucune ampoule depuis des années, là je n’y échappe pas. C’est le lot de la quasi totalité des participants. Peut-être pour moi en raison de chaussures trop grandes, choisies avec 2 pointures de plus sur les conseils des habitués. C’était probablement une erreur.

Le jour des pieds
Aujourd’hui jeudi, c’est le « jour des pieds » me confie le médecin à l’accueil. Plus de 600 consultations seront prodiguées à la clinique !
Et aujourd’hui, c’est aussi jour de lavage. Tout d’abord une douche. C’est appréciable, une douche. Mais avez-vous déjà essayé d’en prendre une avec une bouteille, en utilisant un minimum d’eau ? Ce sera le défi du jour. Je vais utiliser un peu moins d’un litre pour cette douche, lavage des cheveux compris. Quand je vous disais qu’on allait à l’essentiel.
Et puis nettoyage du linge. On découpe une bouteille à mi-hauteur dans la longueur, pour avoir un récipient et faire un lavage succinct. Car comment nettoyer avec moins de 20 cl d’eau une paire de chaussettes ou un sous-vêtement imprégnés de poussière et de sable ?
Après le repas (Poulet à l’orientale bio et crumble), puisque j’ai le temps, je vais en profiter pour aller envoyer un email. L’organisation installe chaque jour une vingtaine d’ordinateurs à disposition des participants. Chacun a le droit d’envoyer un email quotidien de 1000 caractères. La queue n’est pas trop longue, ça me permet de rassurer ma femme et mes amis sur mon état.

En dehors des moments de repos, je vais me balader dans le bivouac pour prendre quelques photos de l’ambiance. Beaucoup de participants sont mal en point. Les pieds sont rouges des badigeonnages d’éosine, ou blancs des strap qui les recouvrent. Et probablement un sur deux boite en marchant. Quel spectacle ! C’est comme un ballet de personnes qui essaient de marcher le moins rapidement possible. Eloge de la lenteur, un luxe bien éloigné de la vie « normale »  de tous ces sportifs. Car imaginez-vous que les règles sont les mêmes pour tous : amateurs ou champions présents à nos côtés. Et il n’y a plus de barrières sociales non plus. On ne sait jamais qui est en short à-côté de soi, les cheveux sales, la tête pleine de sable, avec parfois une allure de SDF, le visage mal rasé : un employé de banque, un peintre en bâtiment, ou un ponte du cinéma hollywoodien ? Par exemple, il est difficile de croire, en regardant cet homme rugueux sur le bivouac qu’il est l’un des grands financiers du monde du cinéma : Léon a levé près de 3 milliards d’euros pour des films tels que Pirates des Caraïbes, Sense 8, The Queen, etc. Impossible de deviner que l’on côtoie un chirurgien réputé, ou que notre voisin de bus est le directeur général pour la Chine d’une des plus grandes marques mondiales de mode, qu’un autre travaille simplement dans une station de contrôle technique, et celui d’à côté comme employé de supermarché. Ou que le voisin de table est un professeur d’EPS (je jubile car il a terminé après moi, et je suis plus âgé…). C’est aussi ça la magie du Marathon des Sables. Un brassage de cultures, de religions, de langues, de métiers. Le monde en miniature le temps d’un bivouac. Personne n’a rien à revendiquer, si ce n’est sa capacité à faire face au destin qu’il a choisi pour la semaine.
Une magie qui s’opère dès le début, avec des règles non-dites.  Tout le monde se tutoie, et nous sommes tous logés, au sens propre comme au figuré, à la même enseigne : le règlement du MDS et les contraintes du désert.

Chaque jour, chaque soir, la plupart se plient à un exercice unique : alléger son sac. C’est la course au gramme de moins. Il y en a qui arrachent les pages inutiles du roadbook, d’autres qui délaissent leur matelas, donnent un peu de nourriture, se déchargent de quelques médicaments, ou coupent leur miroir (obligatoire) en deux. Pour la plus grande joie des marocains, pour qui rien n‘est gaspillé ou perdu. Chacun a ses priorités, comme ces cinq frères vivant sur trois continents (Australie, Etats-Unis, Europe) qui se sont retrouvés ici pour vivre cette course ensemble. Quand on leur demande ce qu’ils ont de plus important dans leur sac, ils répondent à tour de rôle :
    •    Un collier que ma femme m’a donné avant que je parte, gravé par mes enfants.
    •    Les encouragements que ma femme et mes enfants m’ont écrits : « je crois en toi Papa. Fais le boulot ! Tu peux le faire. Reviens entier. »
    •    Mon téléphone portable - j’envoie des messages à ma femme chaque soir.
    •    Des protéines en poudre.
    •    Mon oreiller !

Pour ma part, je vais m’alléger en découpant mon matelas aux extrémités, et en enlevant les parties inutiles de mes tongs. Ce sera toujours du poids en moins à porter, et un peu d’énergie économisée. Se décharger du superflu pour avancer plus vite, pour oublier la fatigue, pour vivre plus de liberté, n’est-ce pas une image de notre vie ? Et si nous nous débarrassions chaque jour de ce qui n’est pas nécessaire, de nos habitudes inutiles, voire néfastes, de nos relations parasites, des désirs superficiels dont nous avons du mal à nous défaire ? Pour revenir aux valeurs essentielles, celles que notre société tend à nous faire oublier en nous pressant de toutes parts pour nous faire succomber à la dernière nouveauté à la mode, soi-disant indispensable. On avancerait peut-être plus vite sur notre chemin personnel, nos relations seraient peut-être plus transparentes, honnêtes et transformées, dans une liberté retrouvée.
« Quand on voit ce qui se passe sur la planète aujourd’hui, cela nous doit faire plus que jamais réfléchir au sens qu’on doit donner à notre existence, et surtout nous pousser à être des exemples pour les jeunes, pour les générations futures » Je souscris complètement à ces paroles du Directeur de la course, en réponse à une question d’un journaliste marocain.

Il est presque 18h00. L’info nous parvient que le dernier concurrent arrive. Cet anglais aura mis plus de 33 h pour boucler les 84 km. Il a su éviter d’être rattrapé par les dromadaires, voitures balais de la caravane. Quel courage et quelle ténacité. Surtout qu’il faut être prêt pour repartir demain à 7h, après un lever à 5h. Etant en pleine préparation du repas, je regrette beaucoup de ne pas avoir pu l’accueillir comme il se doit. Dommage.

Dernier événement de la journée : la distribution mystérieuse d’une boisson gazeuse. Un des bénévoles (merci à tous les bénévoles pour leur engagement), qui viennent nous donner des informations plusieurs fois par jour directement à la tente, nous dit qu’il y aura une distribution de la fameuse canette rouge très bientôt. Et elle sera fraîche. Certains se précipitent déjà au centre du bivouac pour faire la queue, attendant debout malgré la fatigue et les ampoules. Des addicts, ou des inconscients. Mais c’était programmé. Il y en aura donc pour tout le monde, car sur notre carte on découvre qu’il y a effectivement un emplacement à poinçonner pour la canette. Même si je n’apprécie pas particulièrement cette boisson, j’en profite bien dans ces circonstances.

Je ne sais même pas à quelle place je suis dans le classement, même s’il est affiché. Pour le moment, ce n’est pas ma préoccupation. L’essentiel est d’arriver au bout en bon état. Mais pour cela il faut connaitre son corps, avoir une stratégie, connaitre ses limites, et gérer tous les paramètres : eau nourriture, repos. Et une telle expérience nous en apprend encore plus sur notre fonctionnement.
Dans la tente, c’est ambiance troc. Après une semaine d’expérimentations culinaires et gustatives grandeur nature plus ou moins réussies, on échange barres énergétiques, poudres, plats lyophilisés, recettes et bonnes adresses. Il y a ceux qui n’ont pas supporté certaines saveurs, ceux qui en ont trop, ceux qui veulent faire de nouvelles expériences, lassés de la poudre super calorique ingurgitée, ou simplement se libérer du poids qui les accable encore pour l’avant-dernière étape. En rêvant à haute voix à la tartiflette, au steak-frites et à la bière fraîche qui nous attend la semaine prochaine.

Marathon Man

“J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence…”   Antoine de Saint Exupéry
Le vendredi c’est la dernière étape qui compte pour le classement : 42,2 km, la distance d’un vrai marathon.
Le rituel du matin devient une habitude. Et je réalise que c’est déjà bientôt la fin ! Elle passe vraiment vite, cette semaine finalement. Aujourd’hui le départ est fixé à 7h pour le gros du peloton. Mais pour les 200 premiers, ce sera  8h30. Quelques moments de répit pour ne pas se retrouver dans le flot des coureurs. De notre tente, 4 en feront partie. Un bon pourcentage.
Mais on va se lever et il ne fera même pas jour. Quelle vie !

Avant-dernier briefing. Liste des abandons, infos du jour. Et toujours la même musique…
Je me sens bien en forme, pas de douleurs, le sac a perdu quasiment la moitié de son poids. C’est peut-être mon jour ?
Je démarre en courant, et n’arrête pas jusqu’au CP1. Après une pause rapide, je reprend en courant. Et si je finissais en courant ? Effectivement, ce sera non-stop jusqu’au bivouac, avec de courts arrêts, contrairement à mon habitude, aux points de distribution d’eau. Sable, cailloux, piste, rien ne me résiste aujourd’hui. J’avance, je fonce, je double. Bon, je me fais quand même rattraper par les premiers, partis 90 minutes plus tard. Mais je me sens en pleine forme, même si c’est la dernière longue étape. L’aspect négatif c’est que j’ai moins de temps pour les photos. On ne peut pas tout faire : avancer ou shooter, il faut choisir. Mais mon rythme ne faiblit pas, et je bats mes records de la semaine, malgré le sable et les dunes. Finalement, on s’habitue à courir sur le sable. Et les CP arrivent plus vite. J’aurais du faire ça depuis le début… Mais je préférais garder de la réserve pour ne pas m’exploser. Il y a une vie après le Marathon des Sables.
Au CP2, je croise Malika, que j’avais rencontrée lors de ma visite chez le dentiste.

Et tout d’un coup, au détour d’une dune, avant la petite descente, je l’aperçois. Il est là, au bout de cette plaine. Il nous attend. L’espoir ultime de ce marathon. Le dernier bivouac. L’émotion me prend, mes joues se mouillent non pas de sueur, mais de larmes, vites séchées par le soleil, comme s’il voulait me faire oublier tous les efforts de ces derniers jours…
Je vais y arriver ! Je l’ai fait !  L’étape de demain ne sera qu’une formalité.
Je m’enfonce avec délectation dans le sable pour descendre à fond cette dernière petite dune. On voit le bivouac, avec ses tentes blanches et ses tentes noires. Il est encore loin, mais ce n’est pas un mirage. Nous touchons au but, après cette semaine d’efforts que certains qualifieraient de surhumains, voire d’inutiles.

Plus que 5 km. Je cours, porté par l’espoir du thé qui m’attend.
Plus de 4 km. La tension monte, attention à la chute.
Plus de 3 km. Et si je n’arrivais pas à tenir mon rythme ?
Plus que 2 km. On aperçoit l’arche qui nous tend ses bras posés par terre, pour nous engloutir dans le bonheur du rêve accompli.
Plus que 1 km. Le nirvana au bout du chemin. L’aboutissement d‘une année de préparation, de choix de vie, de sacrifices, et d’un planning bouleversé. Merci à mon épouse d’avoir supporté mes absences répétées, le matin, le soir, le week-end, d’avoir accepté le retard des travaux de la maison (mais ils m’attendent encore au retour…), d’avoir contribué à ma bonne alimentation et de soutenir à fond la démarche solidaire.
Plus que 30m. Voilà, la fin « officieuse » de ce marathon.
0 m. Arrivée à Bou Makhlouf. Ca y est, mission accomplie ! Petit détour vers la webcam, si jamais quelqu’un regardait…
Reste le plus dur de la journée : ramener ses bouteilles d’eau à la tente…
Le thé a encore plus de saveur ce soir. La saveur de la victoire, du dépassement de soi, de la solidarité, de la satisfaction d’un rêve accompli.
C’est la première fois que j’arrive si tôt au bivouac. Cela me laisse le temps de me reposer, de me promener.

Mes yeux ont du mal a supporter la lumière ambiante : je vois le paysage qui défile à vitesse TGV, me rappelant que je suis bien revenu, que je rentre, et qu’une autre vie va devoir reprendre.
On est pas encore arrivés ? Alors je me lève pour dégourdir mes jambes. Ici, plus besoin de mettre les tongs, ou de garder la casquette : j’ai retrouvé le soleil sans éclat de ce mois d’avril français, et le vent ne souffle pas dans le TGV. Je reviens à mon siège et reprends le cours de mon histoire… J’espère que mon visage ne laisse pas trop passer d’expressions bizarres. Les autres passagers pourraient se demander à quoi je rêve comme ça les yeux fermés.

On nous annonce tout un programme pour la soirée : remise des prix, concert, film, distribution de bière et canette rouge.
Ca commence par cette remise des prix, alors que le « marathon » n’est pas vraiment fini. Une bizarrerie de ce MDS. Ca n’en finit pas. Les organisateurs veulent faire monter tous les sponsors sur scène, l’un après l’autre. Je vais m’allonger sous la tente de la réception, où j’entends ce qui se passe grâce à la sono; ça va durer près de deux heures : vraiment long et pas toujours intéressant. Je suis étonné que certains aient envie de rester debout pendant tant de temps après avoir couru dans le désert toute la journée sous le soleil.
Petit divertissement avec le concert d’un groupe pop/rock.

Et la rumeur qui circule c’est qu’il va y avoir une distribution de boissons, dont de la bière. Il n’en fallait pas plus pour rassembler les foules et créer une attente incroyable pour ces quelques centilitres de cervoise. A croire que beaucoup sont en manque. Cette affaire va quasiment tourner à l’émeute, certains faisant la queue depuis un moment pour être les premiers, dans la nuit, sous l’oeil médusé des bénévoles qui ne semblent pas comprendre ce qui se trame. Finalement, il s’avère qu’aucune distribution de la boisson au houblon n’est prévue, et c’est le grand chef lui-même, assez en colère parait-il, qui devra ramener le calme. Qui a intérêt à faire circuler une telle rumeur ? Peut-être quelques coureurs du « pays des pubs »… Les britanniques sont d’ailleurs les plus nombreux sur cette course, et le délai d’attente de 2 ans nécessaire à leur inscription n’a pas l’air de les refroidir.
En tous cas cet incident est significatif de l’état dans lequel se trouvent certains concurrents : ils n’hésitent pas à rester debout en pleine nuit, fatigués, les pieds avec parfois parfois la chair à vif, ne prenant plus en considération leur voisin, pour quelques gouttes d’un breuvage alcoolisé.
Finalement, c’est une canette rouge qui arrive pour tous. Quelqu’un de notre tente va se dévouer pour les chercher pour la plupart. Merci Sophie. Elle ne m’aurait pas manqué de toute façon.
La soirée va se terminer par la projection de séquences vidéos enregistrées les jours précédents sur le parcours, après plusieurs tentatives infructueuses pour faire tenir debout un écran géant gonflable. C’était parti d’une bonne intention, mais je renonce à cette animation : pourquoi rester debout dans le vent, alors que nous pourrons voir toutes ces images sur internet dans quelques jours ?

Il est temps de rejoindre ceux qui sont déjà couchés.

Charity Day
Mais la nuit n’est pas de tout repos. Vers 3h, mon voisin se lève pour remettre en place les bâtons qui supportent la toile, car notre tente est quasiment tombée. Je n’avais rien entendu avec mes boules Quies. Le vent s’est levé, et ne faiblit pas : des rafales violentes, accompagnées de sable. Il faut bien se couvrir pour ne pas en manger, du sable. Le muesli du matin va être croustillant aujourd’hui. Heureusement le vent s’atténuera après le départ de cette toute dernière étape. Et finalement on l’aura dans le dos sur une bonne partie du parcours.
Récupération de notre dernière bouteille d’eau, et du tee-shirt Unicef obligatoire à porter pour l’étape « charity » de ce samedi. On ne comprend pas bien le fonctionnement de cette étape mise en place depuis 2013. Elle est obligatoire, chronométrée, mais ne compte pas pour le classement. Par contre s’il y a des pénalités, elles sont quand même prises en compte pour le classement.

De toute façon, on n’a pas le choix. Le parcours est un peu monotone, plat et presque tout droit jusqu’à l‘arrivée, à part une traversée de dunettes vers la fin. Mais cela permet à quelques familles et amis arrivés la veille de participer à la première partie de l’étape, ou simplement d’assister au passage des participants. Cela crée aussi une ambiance particulière, car beaucoup de participants se regroupent par équipe, ou par tente, pour terminer ensemble ce périple unique. Ce sera le cas de notre tente 63. On va alterner course et marche, et notre cheminement va nous permettre de mieux échanger et nous connaitre.

Cette étape se passe dans la convivialité. Pour preuve la n°2 du classement féminin, Nathalie Mauclair (13e au général, et championne du monde de Trail) passe dans notre groupe et nous échangeons avec elle en courant quelques centaines de mètres ensemble. Elle reste lucide sur les motivations des participants comme elle l’a confié à un journaliste : « Il faut forcément un grain de folie, ou une recherche vraiment profonde de quelque chose au fond de soi-même pour accepter ces conditions». Nathalie va reprendre son travail dès le retour mardi matin, comme cadre infirmière. Ca se passe comme ça, chez MDS. On est loin des frasques des footballeurs ou des caprices des joueurs de tennis. Quand il n’y a pas de sommes indécentes en jeu, ça change tout…

Mais la symbolique de cette étape, c’est penser aux autres et assumer le thème du MDS de cette année « Partage et solidarité », auquel je souscris pleinement, car se sont exactement les valeurs que nous voulons promouvoir au travers de notre association. L’organisation a également créé en 2010 l’association « Solidarité Marathon des Sables ». L'objectif : développer des projets en faveur de l'enfance et des populations défavorisées dans les domaines de la santé, de l'éducation et du développement durable au Maroc. Cette année, avec d’autres associations, ils sont venus en aide au village de Jded, situé à proximité du parcours, avec la création d’un centre sportif pour 250 enfants, dont la première pierre sera posée le lendemain.

Nous arrivons tous les 8 la main dans la main sous l’arche. Aucun de ceux qui logeaient sous notre tente n’a abandonné. Et nous accédons à cette fameuse remise des médailles, par des bénévoles et le boss du MDS. Moment d’émotion, car il se mérite, ce bout de métal.
Chacun est ensuite dirigé vers les bus, encore vêtu de son tee-shirt Unicef et arborant fièrement sa médaille. Une vague bleue et or…
4 heures de bus plus tard, et après un pique-nique avalé dans le bus (ça nous change du lyophilisé…) nous voilà de nouveau à Ouarzazate, à l’hôtel. Le participant qui partage ma chambre pour les deux nuits, est arrivé depuis mercredi car il a abandonné dès la première étape, par manque de préparation comme il me le confie simplement et lucidement. Mais il prendra sa revanche l’année prochaine, c’est promis.
Après une semaine dans le désert, on avait oublié le moelleux d’un lit, le confort d’être assis sur une chaise, la fraîcheur d’une douche, et tout le reste… Redécouverte des choses simples de la vie.
Le repas du soir à l’hôtel est un vrai festin, et tout le monde se gave jusqu’au trop plein. J’ai besoin de rattraper les 3 ou 4 kilos que j’ai perdus dans les dunes marocaines.

Pour beaucoup, comme si une semaine de privations paraissait difficile à surmonter, c’est aussi l’occasion d’ingurgiter des boissons alcoolisées, quitte à ne pas être bien plus tard, ou à devoir prendre un médicament pour s’endormir ou calmer son mal-être le lendemain matin. Cela me surprend, pour des sportifs.
On s’approprie sans transition tout ce confort qui fait à nouveau notre quotidien : l’eau courante, un bon lit, une assiette bien remplie,… Cela nous semble tellement banal et légitime, qu’on en oublie souvent que des millions de personnes n’ont pas ces privilèges, et se battent chaque jour simplement pour survivre. Comme quoi on devrait plus souvent faire des coupures de ce genre. Cette semaine dans des conditions primaires, sans superflu, nous rappelle que nous avons une responsabilité envers ceux qui ont moins que nous.

Le jour d’après
La nuit passe vite, et je suis réveillé vers 3 h du matin. Surpris d’entendre un concert de rap-raï au loin, qui va continuer jusqu’au petit matin. C’était l’animation du festival de la ville. Je vais savourer avec un plaisir non dissimulé un petit déjeuner bien fourni. Ensuite direction le magasin éphémère du MDS pour récupérer le tee-shirt finisher. Je ne m’attarde pas sur tous les autres produits à vendre. La note de l’aventure est déjà assez élevée comme ça.
Pour ce dimanche de relâche, je vais retrouver une partie de mes compagnons de « tente » et nous allons faire un tour en ville, avant de déguster un tajine dans un petit restaurant. Puis je continue seul la découverte de la ville, pour acheter quelques souvenirs, et prendre des photos. Avant de savourer dans la soirée, dans le salon cosy de l’hôtel, un thé à la menthe au son d’un duo de musiciens interprétant des chansons occidentales en anglais et en arabe.

Retour vers le futur
Le lendemain, je me réveille à nouveau très tôt, et dès 5h je suis déjà debout pour lire, me promener, assister au lever du soleil. Je vais ensuite prendre le petit-déjeuner. Ce matin, c’est une nouvelle cuisinière marocaine qui fait les galettes sur place sous nos yeux.  Je m’approche a peine de la table que déjà elle arbore un sourire généreux et transparent, qui laisse deviner son coeur, même si elle reste discrète et ne dit pas un mot. Ce sourire ne va pas la quitter et va illuminer toute ma journée. Je m’en souviens encore. Il y a parfois des détails ou des paroles qui peuvent paraitre insignifiants, mais qui ont une portée insoupçonnée. En bien comme en mal d’ailleurs.
Je sors ensuite pour visiter la casbah et prendre des photos. Derniers instants de jouissance dans ce pays plein de contrastes. Je reviens ensuite finir rapidement de préparer ma valise, car, le retour à la vie normale nous attend. Le bus est là pour nous ramener à l’aéroport, où c’est un peu la joyeuse pagaille. Patrick Bauer en personne salue tous les coureurs un à un, quitte à retarder le décollage. Touchante attention de sa part.

Sur le tarmac, à travers le hublot, je vois l’étiquette à code-barre d’une valise, gisant à terre juste à l’endroit où les bagages sont avalés par le tapis roulant vers la soute. Il y a quelqu’un qui risque d’attendre longtemps sa valise à Paris… je suis mal pour lui.
Avec un peu de retard, nous voilà repartis vers notre point de départ, là où tout a commencé.
Dans l’avion qui nous ramène à notre - vraie ? - vie, chacun refait sa course, en groupe ou en solitaire, ou imagine l’accueil qu’il va recevoir à son arrivée.

Pour ma part j’ai vécu une magnifique expérience, sans aucun regret, plus facile que je ne l’avais imaginée. Le GR20 en Corse à l’été 2015 (12 jours aller-retour en autonomie) a été plus éprouvant pour moi. Pourtant, aux dires de Guy (8 participations, 70 ans), c’était « de mémoire la course la plus difficile, et la plus longue en distance. Mais vive le Marathon des Sables qui mérite maintenant réellement son appellation. » Décidément, je suis abonné. Quand j’ai fait la Diagonale des Fous en 2011 à La Réunion, c’était l’édition la plus longue avec le plus de dénivelé, et qui a connu le plus fort taux d’abandons (48%). La prochaine fois que je m’inscris sur une course, je vérifierai quand même…

Un léger crissement me sort de ma torpeur, de mon rêve. J’ouvre les yeux, le regard perdu vers l’horizon drômois qui défile à vitesse TGV. Je crois percevoir un reflet jaune sur la vitre. Je m’approche : une dune ? Non, c’est certainement un mirage… Le train ralentit. On arrive bientôt. Fin du voyage. Fin de cette parenthèse dans ma vie. Fin d’une semaine folle, dans un autre monde, à tutoyer les hommes et le ciel, à ne vivre que pour manger, dormir et courir. A fouler ces étendues millénaires, chargées d’histoire.
J’ajuste mon sac à dos, rend bien visible mon tee shirt finisher. Je n’aime pas trop me mettre en avant dans la vie courante, mais aujourd’hui, c’est particulier. Je suis quand même fier ce que j’ai accompli, et je veux le montrer, même si ceux qui voient ce simple tee-shirt ne peuvent pas imaginer tous les sacrifices, la souffrance, et aussi le plaisir qu’il représente. Il est le symbole d’une « semaine très intense qui fait de vous une meilleure personne. Car le désert vous aide à faire face à la vie et à donner le meilleur de vous même », comme le disait Chema, espagnol, 6e en 2015.

Valence. 20h11. Claac. Un bruit sourd à nouveau. La porte s'ouvre pour nous délivrer de cette carcasse de métal et nous rendre la liberté. Je n'ai plus l'habitude d’être enfermé comme ça, après cette orgie de vent et de sable n pleine nature. Il va falloir retrouver un nouveau rythme, tout en rêvant à de nouvelles aventures, à de nouveaux voyages au près ou au loin, et pourquoi pas à de nouveaux horizons de désert. J’imagine déjà de longues discussions avec ma femme. Mais pour l’instant, nous sommes super contents de nous retrouver.

C’est le début d’une nouvelle tranche de vie, la reprise de la routine dont il faut essayer de se débarrasser en partie pour mieux enchanter la vie, l’espoir que cette aventure aura un peu servi à contribuer au mieux-être des habitants de Guié.

Merci à ma femme pour son soutien sans faille, à mes « colocataires » de la tente 63 : Sophie, Abdou, Thierry, Fred, Florian, Anthony, Audrey. C’était un plaisir de partager ces moments avec vous, dans une ambiance sympa qui a contribué au succès de notre séjour. Merci à Lisa d’avoir attendu mon retour du MDS pour nous rejoindre dans ce monde de fous (je viens d’être grand-père pour la 3ème fois), à Paul & Séphora pour l’appui marketing et logistique, aux amis du SEL pour leur soutien (Doris, Véronique, David, Isabelle, Elise, Fadima et toute l’équipe), à Claire (pardon d’avoir envahi ton chez toi), à Voyager pour les repas, aux membres d’Aventure en soliDaire, et à tous les donateurs qui ont cru en moi et au projet que je soutiens (pour ceux qui ont des remords, il est encore possible de faire un don : cliquez simplement ici…)
Et merci à l’organisation du MDS pour avoir corrigé les défauts logistiques de 2015, et nous avoir fait vivre un temps hors du temps dans des conditions optimales.

3 commentaires

Commentaire de Sylvtrail06 posté le 04-05-2016 à 08:49:54

Un super récit , merveilleusement bien ecris qui m a immerger dans ton reve en attendant à mon tour de le réaliser également.

Commentaire de saco64 posté le 04-05-2016 à 08:51:46

salut
Super récit quel belle aventure a te lire çà nous fait rêvé,voyager ,et vivement la suite ,pour avoir le plaisir de te lire.
sportivement

Commentaire de arnauddetroyes posté le 05-06-2016 à 22:21:27

tu es le dernier CR que j ai lu avant de m inscrire pour le 32eme.Comme toi j espère vivre une autre expérience et y prendre du plaisir .
Merci pour le partage de ton aventure et bravo.

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.08 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !