Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2006, par c2

L'auteur : c2

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 20/10/2006

Lieu : Saint-Philippe (Réunion)

Affichage : 3436 vues

Distance : 143.3km

Matos : objectif: faire toute la course en couple

Objectif : Pas d'objectif

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GRR 2006

Une diagonale très spéciale


Si l’enfer existe en course à pied nous avons failli nous y brûler. En revanche si le paradis existe en course à pied nous nous en sommes sûrement approché.


20/10/06, 0h, heure locale

Le cours de math du professeur Zoreil a déjà commencé. Révision de 5ième. Cours de géométrie. Ca se passe dehors. C’est bizarre cet horaire. Tous se sont mis en cercle : Anne, Rose, Philippe, Joseph, Pierre, Louis, Leu, Gilles, Paul, Denis, Marie, Suzanne, André, et Benoît dans le sens dextrogyre. (Eh honnêtement, pas facile à placer dextrogyre dès la 3ième ligne). On parle de cercle et de diagonale. C’est compliqué et je trouve ça un peu fou. Seuls Philippe au début et surtout Denis à la fin du cours suivent. Faut dire qu’ils en sont à leur 14ième révision. Le prof insiste surtout sur la diagonale. Mais son tracé au tableau est bizarre. Le trait part dans tous les sens. En plus, il nous parle aussi de pitons, de cafres et de marres. Vraiment je n’y comprends rien. Ca va être coton les maths cette année.


Un « excuse » d’un traileur maladroit me fait émerger de mon brouillard dans ce grand stade du départ. Ils sont tous là avec moi mais les personnes ont changé et à défaut de les placer dans le sens dextrogyre (re) comme les villes côtières de cette île de la Réunion pour ne pas froisser on fait dans l’ordre alphabétique. Des zoreils familiers : Eric, Jacques, Marie, Michel et Sylvie. Et là, c’est du lourd. Y a p’être 600000 kms et 200 années de course autour de la table. En clair, c’est du solide et on n’a pas fait 10000 bornes uniquement pour la beauté des paysages. La barre est très haute. Objectif : Carton plein sur cette « diagonale des fous »



Dans ma tête la course est déjà pliée. C’est une erreur. Grave. Très grave même. J’en suis pleinement convaincu. Mais je n’arrive pas à me dépatouiller de mes souvenirs de Cham, il y a à peine 2 mois et les comparaisons avec l’UTMB me parlent. 15 km de moins, 18 heures de plus pour boucler. Ca beigne, du moins ça devrait. Y a tout de même du gras pour se refaire une santé en cas de coup de moins bien, mince alors. Bon ok, c’est beaucoup plus technique et moins roulant sur le papier mais tout de même. J’ai discuté de tout cela avec Bruno, 2 fois au bout. Avec Claudine qui cette fois-ci joue les accompagnatrices, après avoir déjà fait ce GRR sur une version plus courte en faisant tranquillement une nuit normale durant l’épreuve et Willy qui connaît l’île comme sa poche pour y être né et y avoir grandi. Tout cela permet de s’étalonner, de se rassurer et d’engranger de l’information.

Et en plus je me sens en grande forme. Les 3, 4 sorties longues d’entretien du dernier mois, impec. Et ça cartonne sur la piste. Cherchez l’erreur. Attention au retour de manivelle. Ca pourrait faire très mal.

Car cette course, je l’ai dans la tête depuis très très longtemps à défaut de l’avoir eue plus tôt dans le porte-monnaie et je ne dirais pas que les 2 derniers UTMB bouclés m’ont permis de patienter mais il y a un peu de cela. Ca doit être la fête, il ne faut rien gâcher. Prudence donc.



Pour les sponsorisés, l’inscription est plus chère, en revanche ils ont droit de mettre leur logos. On avait essayé de ruser. Faire de la pub, discrétos. Promis, vous ne le répétez pas. L’idée venait d’Eric (il faut un responsable). Il avait négocié pour lui et Sylvie avec des départements français en mal de publicité (l’Isère et le Jura). Résultat : dossards 38 et 39. Pour moi et Marie, une grande marque de voiture, pour ne pas la nommer avait été sensible à notre argumentaire. Bilan dossard 203 pour moi et 204 pour Marie. Evidemment les 406 et 407 étaient déjà pris. Bon, 203 modèle 1948, 48 CV, ça peut vraiment aller au bout ??? Marie était mieux lotie ; 204 de 1965, 58 Cv et 138k/h en pointe s’il vous plait. Vais-je réussir à la suivre ??? A voir, car au fait, je ne vous l’ai pas dit mais on court ensemble. C’est SA course. J’vais pas me répéter mais pour ceux qui ne suivent pas, j’lais déjà expliqué dans mon récit UTMB 2006. Michel et Jacques portaient les couleurs de lignes de bus de banlieue. Oups. On ne rit pas. Pantin-Sevran, 146 pour l’un et Chelles-Torcy 211 pour l’autre. Franchement moins fun, mais bon, faut bien se payer le billet d’avion.



La course a déjà commencé depuis quelques jours. Dés la sortie de l’aéroport Roland Garros à Saint Denis, accueillit par un fort vent qui me surprend mais surtout par l’organisation du Grand Raid avec son président Robert Chicaud en tête ainsi que le comité du tourisme de la Réunion. Pot de bienvenue, remise de cadeaux. Tout cela, fort sympathique. On rentre progressivement dans l’épreuve. Je tombe sur Pascal et sa femme Valérie, des Bordelais avec qui j’avais échangé sur le net et qui, comme nous, ont l’intention de courir en couple. Puis quelques jours pour découvrir l’île intense avec ses différences. Son climat très varié et changeant, ses habitants, ses montagnes, son volcan, ses coulées de laves, ses champs de cannes, sa végétation riche et luxuriante, ses caris et ………….. ses punchs arrangés.

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La remise des dossards se fait le mercredi au stade de la Redoute à Saint Denis à partir de 15h30. Manque de chance la route du littoral est fermée. Elle est surplombée d’une très haute falaise friable qui a malheureusement encore fait un mort il y a quelques jours par chute de pierres. Déviation par la route des hauts. 33km, 0m puis 700m puis 0m avec moult lacets finaux. Une heure en convoi continu et quelques arrêts. Pour passer le temps, on compte les virages : entre 15 et 22 au kilo, pas mal. Les marchands de pneus et de freins doivent bien travailler. 90mn d’attente sous le soleil, ça papotte gentiment, on tombe sur un coureur rencontré en haut du col du Bonhomme, le monde est petit et on tient enfin le précieux sésame : un dossard en bonne et due forme. Un passage du coté des sponsors qui nous chargent de cadeaux, ça va du stylo, au paquet de riz ou de lentilles en passant par la crème solaire ou anti-moustique, des trucs à manger et une saharienne. Le sac est rempli à ras bord avec de plus le tee-shirt et le débardeur officiel de l’épreuve. Vite au lit car derrière se profile quelque chose qui risque de ressembler à 3 nuits blanches de suite. Le concept mais surtout sa réalisation m’échappent un peu.

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Jeudi soir.
Françoise et Alain basés sur Saint Paul nous facilitent bien la vie et après un repas évidemment pâteux nous descendent avec Jacques en voiture au départ près de Saint-Philippe. 85 km, 1h30 de route. Nous ne sommes bien sur pas seuls sur cet axe. L’arrivée au stade de Cap Méchant se fait sous un petit crachin breton. Pas bon tout ça. On n’est pas en retard, il est autour de 22h30. On va pouvoir buller sur la pelouse du stade en attendant le départ. Je comprends vite le problème. C’est de la terre. Contrôle des sacs, assez rapide, et on se pose sous une tente ouverte pour se protéger de la fine pluie épisodique. On est rapidement rejoint par les potos, photo de famille. L’heure avance doucement, ça se concentre gentiment vers le départ. On se souhaite bonne chance. Quelques recommandations de l’organisation puis le décompte officiel. La pluie s’est arrêtée. Le ciel est étoilé. Que demander de plus ? 2291 inscrits dont seulement 395 métro. L’effet Chickungunya a fait des ravages dans les esprits. Et les locaux sont bien énervés car le problème est aussi virulent à Maurice mais là, c’est black-out total de l’info au niveau des medias. 80 départements représentés, 15 pays, âge moyen 40 ans, 85% sont plus jeunes que nous.

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Le départ est bon enfant et chacun se positionne tranquille sur cette portion de route. Ca trottine. Quelque kilo, à gauche toute et c’est parti pour 2200m de montée non-stop. Attention à ne pas se cramer. Je laisse Marie faire le train et me cale tranquille derrière. Quelques rampes douces dans les champs de cannes suivis d’un chemin forestier assez large de pente constante autour de 6%. Marie est inquiète par les 2 premières barrières horaires et veut se donner tout de suite de l’air. La première est au 15.9 km et 700m de grimpette le tout en 3 heures max quant à la seconde elle est au 23.7km après 2200m de montée à faire en moins de 8 heures. Tout ce petit monde marche à notre niveau, dans un silence qui impressionne Marie, serait-ce la peur de la course ? Pour moi je suis un peu obligé de tirer sur la foulée. C’est presque désagréable. Je préférerais même courir mais ne voulant pas passer pour un charlo, je m’abstiens. Je remarque des bornes kilométriques sur la droite. Petit calcul. On est à 10’10 au kilo. Presque du 6, c’est pas mal. Comme Marie je suis en bas long, tee-shirt technique manches longues très fin et le débardeur officiel par-dessus. Obligatoire (ou le tee-shirt) pour le départ et l’arrivée finale, mais nous n’en sommes pas encore là.

 

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Mare longue. Le voila ce premier contrôle avec ravito. On poinçonne le dossard pour aller plus vite. 30’ de gras sur le couperet. Une belle cassure, plus pentue, chemin étroit avec quelques bouchons, très chaotique, la végétation nous serre de près. Il faut bien poser ses pieds. Rochers, racines glissantes. La moindre faute est sanctionnée. Les mains sont parfois bien utiles. On est vraiment dans la pente max face au sommet. C’est long de chez long. Un coureur un peu derrière égrène les altitudes de son altimètre. Il m’énerve un peu. Je préférerai ne pas savoir car ça bouge vraiment pas vite. Progressivement le jour se lève et quelques rares bestioles se manifestent doucement. C’est magique. La végétation se raréfie, diminue en taille. Il fait enfin jour. Je me retourne, vois la côte et l’océan. Superbe, Marie est très régulière, bien en rythme tout au train sans temps morts. Dans ce dernier tiers on dépasse les premiers coureurs partis un peu vite et qui font visiblement déjà, souffle court, des pauses appuyées. La pente se calme. On est presque à plat, ça ondule en légère montée.

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Enfin Foc Foc et son ravito 8h, une heure d’avance sur la barrière, la contrainte se relâche pour Marie, la voila rassurée. Elle a en sa possession le petit livre magique : un bloc de post-it sur lequel elle a marqué en énorme (pour pouvoir lire) toutes les difficultés, temps de passage escomptés et stop associés. A chaque ravitaillement elle jette la page associée avec délectation. Pour l’instant nous voilà à l’heure pile programmée. On longe l’enclos du volcan, c’est grandiose. Ciel pur. Vent moyen. J’insiste auprès de Marie qui n’est pas très chapeau de mettre la saharienne. Ce serait si bête de se prendre un coup de bambou à cause du soleil. Le ravito de la route du volcan arrive très vite, 31km, presque plus vite que prévu. Ce sera malheureusement la seule fois. Tous ceux de Mafate par exemple n’arriveront jamais, épuisant. On suit globalement le GR2 depuis le début avec quelques variantes. On enchaîne sur la plaine des sables. Paysages lunaires fait de laves. Une des rares lignes droites plates du parcours, le tout à 2200m. Dans le fond une barrière de 200m de haut qui passe assez bien pour nous propulser au point haut de l’épreuve à 2400m à l’oratoire St Thérèse. (37km). 250m de descente sur 3 km pour arriver au piton Textor. Contrôle et ravito. Ensuite ça descend globalement jusqu’au gros ravito de Mare à Boue (1600m). On coupe plusieurs fois la route du volcan. Toujours sur ses gardes. C’est caillouteux, instable, abrasif, avec une végétation minimaliste de quelques dizaines de cm de haut max. La vie est bien rude dans ce coin. Puis la verdure apparaît progressivement quelques arbres plus fournis, de l’herbe, des vaches. On se rapproche de la plaine des Palmistes sur notre droite et celle des Cafres sur notre gauche. De très nombreuses échelles (bois, métal), avec ou sans rampe à 2 pans permettent d’enjamber les clôtures. Un peu de bitume en pente douce, on trottine pour rejoindre la nationale 3 la seule qui coupe l’île d’est en ouest en reliant St-Pierre a St-Benoît via le Tampom. Les paysages ressemblent au Massif Central.

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Apres 200m sur cette nationale en direction du nord est, on tourne à gauche et le ravito de Mare à Boue est en vue. 11h12 de course. Les militaires ont apporté leur logistique avec des tentes. C’est en plein champ. On se pose 15mn surtout pour prendre du chaud. Le poulet passe bien. Pour les pâtes, il faut vraiment y aller lentement.

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 Il y avait aussi possibilité de dépose de sacs mais nous avions fait l’impasse. Cilaos nous semblant assez proche (à 17 km). Oui mais quels kilomètres car ici il faut raisonner plutôt en heures. Et nous allons mettre 7h30 pour les faire ces p. de 17 km et le fort dénivelé associé. Premier objectif, Kerveguen, 9km devant. En 3 parties : montée, descente puis montée. Ça démarre soft, pente douce montante en longeant des champs et quelques échelles de services. Un panneau me laisse perplexe et mentionne que ce chemin est très vivement déconseillé par temps de pluie. Très vite le chemin devient plus pentu et instable avec de nombreuses branches qui tentent de stabiliser le sol très très humide. Attention aux glissades. Et puis ça n’en finit pas. A chaque virage, ce n’est que faux espoirs avec les commentaires contradictoires de randonneurs croisés qui mentionnent tous des durées différentes pour aller au bout. Perturbant. Ouf on descend enfin. Mais c’est très très technique avec de nombreuses échelles du Coteau Maigre qu’il faut parfois enchaîner dans le bois Duvernay.

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Il fait un peu plus frais mais sans nuage. Et ça repart en grimpette pour le dernier tiers. Là encore la raréfaction et la modification de la végétation sont les seuls indices de notre progression en altitude. Un traileur secouru enroulé dans sa couverture de survie est en hypo caractérisée sur le bort du sentier. Les échanges radio avec le poste de secours vont rapidement voir débouler 2 secouristes avec un brancard que nous croisons un peu plus haut. Un hélico rode assez vite dans le coin. Ca réagit fort.



Enfin Kerveguen. Apres 700m de montée depuis Mare à Boue. La contrôleuse personnalise les arrivées. Mélange d’hôtesse d’accueil et de membre de la famille qu’on n’a pas vu depuis quelque temps. Très agréable. Un fort vent souffle. 2200m. on ne s’apesentit pas. Encore une légère montée. Puis la bascule. Bienvenue dans le cirque de Cilaos. Et pour fêter ça voici les hors-d’œuvres : + de 800m à descendre en 3 kilo. 28% de moyenne. Je comprends mieux les remarques : essayez de la faire de jour, cette descente. Le terrain est sec, ouf. Sortie des aérofreins, on écarte les bras, sans bâtons, pour se rattraper à tout ce qui se présente et à défaut de godille pro, on se limite à du chasse-neige virage bien académique. Ca passe mais ça prend du temps. Marie qui n’est pas dans son élément s’en tire pas mal, à son tempo. On termine dans les Cryptomérias. Mare à Joseph, 1382m, 62.6 km Enfin le plancher des vaches. Ravito on met les frontales, la nuit tombe. Un peu de route. Une descente dans une ravine vers une rivière et une nouvelle grimpette d’une bonne 100 de m, la ville de Cilaos est la. 1224m. A 38km de Saint Louis sur la côte, la route unique qui monte dans ce cirque est surnommée : la route aux 400 virages, tout un programme. Quelques rues, un plan d’eau puis le stade. Une bande de jeunes déchaînés encourage.19h46, 18h46 de course. 4h15 d’avance sur le temps limite d’entrée, ça baigne pour Marie, exactement dans le planning, vraiment rassurée. Elle savoure le plaisir d’avoir le temps, de sentir la course à sa portée, de pouvoir profiter pleinement des pauses, des gens, du spectacle et du paysage. Enfin une course en pleine nature, sans vivre le nez rivé sur le chrono, rien que profiter et avancer. Je tombe sur Pascal. Ils sont là depuis 1 heure, Valérie se fait masser. J’ai un coup de sommeil fort et veux dormir un peu. Ravito chaud dans un préau couvert. Le poulet passe toujours aussi bien, le reste……. Nombreuses tentes militaires pour dormir assez occupées, il y a du bruit. Finalement je renonce. Récup du sac d’intendance. Le sac de Jacques est là. Quelle signification y donner ? Nous l’avions vu partir devant nous au départ. Abandon ? Derrière ? Sans le savoir c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne. Il arrivera à Cilaos à 21h53 après 2 grosses chaleurs dans la descente de Kervegen de nuit. Une première chute, classique, la deuxième plus impressionnante avec un soleil complet et un rattrapage providentiel par un bras happant un arbuste bien placé. Chaud, très chaud. Car là, il y avait du gaz. Une légère contracture à la cuisse lui indiquera d’arrêter à Cilaos. Avec plus de 2 heures d’avance sur la limite d’entrée et 4 sur celle de départ son parcours est très honorable voire impressionnant pour un V3.6. Chapeau bas, Jacques.



Une heure tout rond de pose et c’est reparti. Traversée du centre ville, très calme et très éclairé, en sortie, un contrôle, on nous colle une pastille sur le dossard. Oui, oui, on est bien passé par là. On n’a pas pris la voiture. Direction le début du sentier du col du Taibit en passant par les anciens Thermes de Bras Rouges. Et là, ça va nous paraître long mais alors long, 7 bornes de montagnes russes. Impression de tourner en rond et de faire du chemin inutile. Un cours d’eau, une belle montée puis une descente pour retrouver un autre ruisseau, est ce le même ? Impossible à dire. Mélange de fatigue et de pertes de repères. On vérifie la présence des rubalises qui ne sont pas réfléchissantes donc un peu moins visibles. Près d’une rivière un contrôle, nouvelle pastille de couleur différente et grimpette pour le ravito au bord de la route. Des lits sont posés au bord et ça dort tranquille. On fait les niveaux et on happe au passage tout ce qui est solide et passe bien. Petits toasts, biscuits, bananes. Devant c’est 800m à monter à 20 de moyenne. La pente évidemment. Pour la vitesse, on divise par 10. C’est au tour de Marie d’avoir un coup de sommeil franc. On se pose sur le bord du chemin, 5 minutes, mais c’est inconfortable. On repart. Un ravito à mi-pente, improvisé. Et une tisane pour Marie. Pascal et sa femme nous repassent. On est condamné à se voir sur cette épreuve. Là encore, la montée est pleine de faux espoirs avec des descentes intermédiaires qui n’en portent que le nom. Ca dort à droite à gauche sur le bord du sentier. Je laisse Marie devant dans toutes ces montées longues et me cale à 5, 10m, histoire de ne pas lui mettre la pression.



Le col du Taibit, j’ai envie de dire enfin, comme les autres d’ailleurs. 78.3 km, 2080m au revoir Cilaos et bienvenue dans Mafate. Descente sur Marla, -500m en 2.2 km. Y a vraiment rien sous les 20% de pente dans ce pays. Le chemin est beige clair, avec du brouillard, le relief est dur à appréhender avec de beaux devers tip top. Le must c’est les petits morceaux de bois qui calent parfois des marches en bois et qui ont le bon goût de dépasser un peu. Un régal pour les bouts de pied. Une spéciale quadriceps, cette descente. Descente dans les acacias. Pointage à l’ancienne école. Là, y a pas, il faut mettre les neurones au repos sinon on va dans le mur. Je suggère une heure de sommeil. Il fait assez doux. Il est 2h15 du matin. On perd vraiment ses repères. Manger dormir, courir (disons plutôt avancer) avec un seul objectif : le stade de la Redoute au bord de l’océan. Je fais comme des dizaines d’autres et m’empapillote dans ma couverture de survie au beau milieu du près. Rideau. Réveil en sursaut. Il s’est passé 2 heures. Marie s’est fait réveiller par une bénévole. On replie les gaules et vamos dans ce cirque qui va nous garder un sacré paquet d’heures. Cette « petite » nuit a fait un bien fou. Un peu de brume, le jour se lève vite, traversée de pierriers, on se cale en douceur sur le flanc droit d’une rivière. Les vues sont grandioses avec des murs de pierres, de tous côtés. Passage rive gauche de la rivière des Galets (on va la revoir) au contrôle des 3 Roches. On est vers la 1200ième place.

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Et puis on enchaîne des lieux proches en distance mais qui se méritent tous. Parfois dans les filaos parfois à découvert. Le plat n’existe pas, pas plus que le terrain stable : Roche Plate (88.8km), la Brèche (90.4km), Crête des Orangers (93.5km). Ca plombe dur et je trempe complètement ma saharienne dans les rares points d’eau. Ecole des Orangers (93.7km), Captage des Orangers (94.8km), Ravine des Lataniers (95.7km), Passerelle vers Cayenne (97.1km).

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La vache, ça regrimpe dur. Marie regarde son livre magique, juste 2h de retard sur les plannings, rien de bien grave, l’avance reste confortable. On tourne, on vire dans le cœur de ce cirque uniquement accessible à pied ou en hélicoptère. 600 à 800 personnes y vivent à l’année réparties en petits groupements de maisons. Le tableau de marche a pris un petit coup. L’avancée dans cette partie avait été vraiment sur-estimée. Il faut faire avec. 13h04. Ecole Grand place des Bas à Cayenne, 3h45 d’avance sur la barrière tout de même. Pas de panique. Marie a très mal sous les pieds. Ce n’est pas joli joli avec plein de crevasses. L’humidité sans doute. Le toubib lui dit qu’il suffit de laisser aérer quelques jours et ça reviendra. Merci ça elle savait, ce n’est pas ce qu’elle cherchait comme réponse. Ilet à Bourse (102.9km), la Plaque (105.8km). Objectif Aurère. Une descente, une rivière, une montée, un contournement de massif, tiens encore une montée puis une descente, puis une rivière. Et je fais court. De quoi nous faire perdre le nord. Sous un soleil fort généreux. Ne nous plaignons pas. Pensons à ceux qui sont passés de nuit et n’ont rien vu ou alors une version purée. Qu’est ce qu’on aurait perdu comme souvenirs, alors la chaleur et le ciel bleu, on réfléchit, on relativise et on est bien content. Aurère on s’en rapproche, c’est bon, des maisons avec une musique rasta à donf. Tiens c’est bizarre on s’éloigne un peu, ça descend. Une famille qui marche avec un gros sac « On en vient depuis 30’ » Mince alors. Ca devrait faire 20’ pour nous, car ça monte pour eux. Au bout de 10’ nouvelle désillusion. Une passerelle qui bouge pas mal et un apique hallucinant. J’ai pas le courage d’aller chercher une pierre pour faire un petit calcul, mais il y a bien 60m et comme c’est très étroit l’impression est exceptionnelle. J’en oubli presque qu’il faut regrimper. C’est des petits trucs comme ça qui vous cassent bien le moral. Aurère (108.3km), on y est. C’est très pro. Repas, soins, repos. De la salade de fruit, bonne idée. Un break de 15, 20’

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Ca repart à plat pour se chauffer, puis 800m à descendre. Alternance de parties techniques et roulantes. La lumière baisse vite. Frontale oblige un peu avant de rejoindre la rivière des galets. Nous allons la traverser plusieurs fois à gué sur de grosses pierres blanches et plates. Spectacle féerique. On se régale sur cette immensité plate, bleutée avec les lumières des frontales, on saute de nénuphar en nénuphar. Si Marie doit garder une image dans sa tête, c’est bien celle là, à sauter sur ses immenses galets blancs posés sur l’immense rivière, à marcher sur le revêtement doux et sableux, dans le calme de la nuit au fin fond de je ne sais où. Le contraste est saisissant face aux dernières heures, et jours !! Puis on longe la rivière. Le sable est très fin. Parfois on confond le sable et l’eau. Mais oui, on marche sur l’eau. Rivière des galets, deux bras (116.7km) très très gros ravito, récup d’un sac. 19h30. 2h30 d’avance à l’entrée sur la limite. Du poulet comme dab. On veut faire un somme. En même temps que 2 anglais qui souhaitent utiliser au maximum la barrière de sortie, dormir 5 heures et repartir vers 1h du matin. Cela ne me semble pas un bon plan à jouer avec les limites. On se pose 45’ mais sans arriver à dormir, trop mouvementé. On décide de repartir après 1h50 d’arrêt au total. Il est 21h20 et la barrière de sortie est à 2 heures du matin. Il reste moins de 30 bornes, 1700m à grimper et sûrement de « bonnes » surprises mais dans l’ensemble ça semble se présenter pas trop mal. 500m de plat, une route et la rivière à traverser et là ça se corse. Marie ne sent vraiment pas le passage. Car il faut se lancer entre 2 cailloux avec un bon risque de partir dans le courant. Finalement on passe 20 m en amont avec les pieds bien trempés mais entiers. Devant, et bien 1300m à monter en 3 parties jusqu’au piton Bâtard. On se fixe les 2 premières passes d’abord jusqu'à Dos d’Ane vers 1000m, après on verra. On se retrouve vraiment seul à deux. Même si Marie semble toujours essoufflée dans les montées depuis le début, elles passent bien et ne l’inquiètent guère, le temps se perd plutôt dans les descentes qui est son point faible mais le moral est à block, l’arrivée approche, même s’il reste encore « quelques » heures !!!! On revient sur un local, lent mais aux genoux explosés qui nous indique qu’il trouve que c’est la monté la plus dangereuse. Ca met dans l’ambiance. De nombreux passages avec mains courantes et un chemin très fuyant côté vide. On regarde à deux fois où l’on met les pieds. Flippant, car la encore, il y a du gaz. Dans le fond, le port de la Possession brille de milles feux. Puis de la corniche pleine de faux espoirs de fin et deuxième couche avec de nombreux lacets et des passages où on a l’impression de faire de l’escalade. Un droite. Un chemin en cuvette.



Eglise de Dos d’Ane en vue avec des encouragements. Route bitumée très pentue et large. Ravito. Des coureurs locaux dorment dans des voitures. Direction le stade, 100m plus haut, car le village est très étalé. On traverse la ville. Il y a une boite super animée semi-ouverte et la musique nous accompagne un moment. Le stade, 1h20, 48h20 de course et plus de 6 heures sur la barrière. Marie veut dormir 10mn. Je lui en accorde magnanimement 20. Couverture de survie sur la pelouse. Tout en mangeant mes vermicelles de ma soupe dans mon verre en plastique j’observe que son souffle se ralenti. Ca ne dure pas plus de 5 mn. C’est vraiment du micro-sommeil style navigateur solitaire. Le vent est fort et fait bruisser la couverture métallique. Le coin n’est pas idéal. On décide de repartir. Sortie de ville, on est dans un fer à cheval. Dernier tiers de la grimpette. En foret d’abord, cool, puis on débouche sur une crête et là ça devient moins fun. Nous, gens de la ville, on n’est pas bien fier. Le chemin est étroit et ça dure et ça dure avec des ondulations et une faible végétation de part et d’autre peu rassurante. Il fait nuit, on ne voit pas mais on devine. Et là, il y a du gaz, 400m à gauche et le double à droite sur la crête nord du cirque de Mafate. Encore lui, décidemment il ne nous lâchera jamais celui-là. Erreur interdite. Et avec la fatigue…… là encore c’est long de chez long. On revoit de temps en temps des papillottes de coureurs qui dorment sur le bord. Faut vraiment être cuit pour dormir là. Puis le vent se lève à défaut de jour. Puis des gouttes. Puis la pluie. Et quand Marie met la capuche, c’est qu’il pleut vraiment. Et je peux vous dire que ça flotte. Perso ça ne me gène pas trop. Ce n’est pas heureusement une pluie glassante. Elle change de frontale pour retrouver de la vue. Mais où il est ce piton Bâtard (123km). Des coureurs nous parlent aussi du piton Fougères mais doit-on le passer. On passe un truc avec un panneau mais un trailleur nous mentionne qu’il manque encore 200m à son alti, on est à 1300m et ce Bâtard (123.7km) est à 1500m. On est un peu paumé dans le niveau d’avancé sur cette crête qui devient plus roulante et surtout plus rassurante. Les prémices du jour. Je pense à ceux qui sont derrière et qui vont se cogner le début de cette crête très étroite sur ce terrain devenu glissant et les bourrasques de vent en prime. Sans moi. Il reste à enchaîner sans se poser de question, avancer, avancer encore et toujours



Et le mental comme on dit alors.
Et bien je tente une définition : C’est un quarteron de neurones irréductibles qui bien calés dans un coin de l’encéphale en position de tortue romaine résiste indéfiniment à une tentative d’envahissement progressif d’une propagande où les mêmes mots et expressions reviennent : lassitude, fatigue, manque d’envie, douleurs, blessures, crampes, ampoules, problèmes digestifs, sommeil, froid, c’est trop dur…. Et qui dans ce tire à la corde incessant emportent le morceau en appuyant plus fort dans le second fléau de la balance en y déposant des phrases du type : « J’ai dit que je le ferai ». « J’ai pas fait tout ça pour arrêter ici ». « Que vais-je répondre à la question : Ben alors ?? » « Et la famille et les potes rivés en live sur Internet qui poussent dans l’ombre ». « Ca va passer ». « Il y a bien pire ». « Pense à autre chose ». « Dissocie le corps et l’esprit ». « Raconte-toi une histoire ». « Ne lâche rien » « Et surtout pense au plaisir et à la satisfaction que tu auras en retour ».

C’est tout ça qui nous fait avancer dans l’épreuve lorsque le vernis culturel et social a fondu, lorsque les sensibilités et les susceptibilités sont exacerbées à grandes doses d’adrénaline en se retrouvant face à soi-même quand le corps dit stop mais que la tête, elle, dit encore.



Bon stop, justement. Et 5 bornes de passées mine de rien à cogiter sur le pourquoi du comment. Marie descend assez vite dans cette partie moyennement pentue. Le kiosque d’Affouches. Il reste 13 bornes. 13 petites bornes. 13 misérables petites bornes et 1000m à descendre. C’est la tempête, les tentes du ravito sont ballottées. La suite risque d’être sport. Du chaud, puis go. 3 km d’une route extrêmement boueuse. Le vent nous bouscule par rafales. On ne peut marcher droit. Promis il n’y avait pas de rhum au ravito. Et ça rince dur. Un petit chemin assez étroit plus abrité, presque un plaisir. Mais là, le problème est autre. C’est une patinoire en pente. Et là, pour Marie ce n’est pas son truc et la progression va être lente, entrecoupée de chutes. Pascal et Valérie nous repassent encore une fois en douceur. Il faut se raccrocher à tout ce qui dépasse sur les bords, surtout les bambous, mais ça n’a rien d’évident pour une non-habituée.



Colorado, dernière pause avant le final. Il reste 5 bornes, 600m à descendre. Marie a les jambes tétanisées et ne peut plus plier les genoux. La pluie a le bon goût de s’arrêter sur ce bas de versant nord-ouest. Tout de même du positif. La descente finale va être longue, il y a de nombreux passages avec des rochers mais je m’attendais à pire. Je lui donne souvent la main pour l’aider ou lui suggérer un passage. De nombreux coureurs nous passent, peu importe. Seul objectif ne pas se blesser en allant au bout. 4heures plus tard nous rejoignons la route. Une photo officielle. Passage sous le pont. On longe le stade et entrée côte à côte sur la piste du stade de la Redoute pour un 200m de folie.



Arrivée magique et fusionnelle en couple. 60h22. Le fameux tee-shirt jaune « j’ai surveçu »

Mon cerveau fait des bulles. La médaille est lourde, très lourde.



Christian

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Bilan du lendemain

Apres un barbecue, ivre de sommeil et 13 heures de nuit que dire :
Cette épreuve est vraiment très spéciale, je ne la referai pas
Je préfère des trucs plus roulants où la proportion de parties courables est plus importante
34% d’abandons au total, 40% chez les femmes. Elles seront 133 à aller au bout
Les paysages sont magnifiques et très variées
J’ai quelques doutes (sous-estimation) sur le dénivelé officiel total. Passons. Idem pour le kilométrage. Re-passons. C’est dérisoire.
Michel et Eric finissent main dans la main en 37h45, magnifique
Sylvie termine en 44h59, elle qui n’est pas à l’aise avec le vide, chapeau
Victoire pour Delebarre et Jaquerod ensemble chez les hommes, Herry chez les féminines. La totale pour les zoreils



Bilan 8 jours plus tard

Je me gave de nuits longues
Je ne pense pas la refaire dans l’immédiat (vous saisissez la nuance)
Un trot (marche/course) de 80mn a montré que tout était de nouveau en place du moins en surface
J’ai eu l’impression de sentir un peu l’UTMB durant l’épreuve
Ma paire de chaussures est passée au hachoir, cuite.
De nombreux suiveurs sur Internet ont eu peur pour Marie car durant un jour elle n’a pas avancé sur le site et comme nos portables étaient volontairement éteints : angoisse. Le seul point pour y croire encore : rien n’indiquait qu’elle avait abandonné. Bonne pioche.
J’ai une autre épreuve en vue en 2007
Venez essayer le grand Raid, c’est spécial, mais vous ne le regretterez vraiment pas








 

1 commentaire

Commentaire de Embrunman posté le 01-11-2006 à 11:56:00

Bravo pour le récit et surtout pour la course. Je te confirme que je suis un peu décu d'avoir traversé Mafate de nuit (de Trois Roche à Deux Bras) mais quand je lis le temps qu'il a fait la deuxième nuit, je suis bien content quand meme d'en avoir terminé samedi.
Bravo a tous les deux et bonne récup

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