Récit de la course : Ultra Trail des Montagnes du Jura - 171 km 2020, par tikrimi

L'auteur : tikrimi

La course : Ultra Trail des Montagnes du Jura - 171 km

Date : 2/10/2020

Lieu : Bellegarde Sur Valserine (Ain)

Affichage : 2036 vues

Distance : 171km

Objectif : Terminer

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Une première édition, ça s'arrose.

L’aventure commence il y a un peu plus d’un an quand l’UTMJ est annoncé. Parmis les locaux, personne ne croit vraiment au parcours proposé tellement c’est compliqué d’organiser quelque chose dans la Réserve Naturelle du Haut-Jura, mais bon, nous sommes pas mal de locaux à nous lancer dans l’aventure. C’est quand même magique quand depuis chez soi on peut voir pratiquement la moitié du parcours.

Rapidement, grâce à des sources bien informées, on sait que l’UTMJ ne passera pas les crêtes du Jura, et le COVID complique un peu tout. Le parcours proposé à quand même franchement de la gueule. Deux belles ascensions, au début, du roulant ensuite, puis trois ascensions bien velues pour terminer.

La préparation… ben du classique, je roule, je cours à l’envie, et comme j’ai souvent envie, ben je suis pratiquement tout le temps prêt pour ce genre de truc.

Nous serons deux Crapast au départ avec Manue, mais on ne boxe pas du tout dans la même catégorie. Moi je veux juste terminer, et elle, elle va aller jouer devant. Mais ça fait vraiment du bien de ne pas se rendre seul sur ce genre d’événement. Enorme merci à toute la famille Alves. Manue entrera en tête à la première base de vie, mais ne repartira pas, complètement transie de froid.
Grande première pour moi, je vais avoir une assistance aux Rousses par l’amour de ma vie, et un pacer à partir des Rousses. Monsieur Guillaume de Crapast.


Bon, on revient sur ma course. Pas d’autre objectif que te terminer, et d’accrocher enfin un 100 miles après mes mises hors course sur la SwissPeak et l’UTMB. Sur l’UTMJ, les barrières horaires sont larges de chez large, donc pas de soucis de ce côté là. Les conditions météo s’annoncent délicates. La veille j’arrête de les regarder. Des seaux d’eau et du vent à 60 km/h sont annoncés pendant toute la course. Je me suis toujours plaint des conditions chaudes… il va falloir assumer maintenant.

Au départ on nous annonce une barrière horaire à Lajoux à 17h30 (km 50 après 9h30 de course) imposée pour protéger le Grand Tétra. On peut dire qu’il nous emmerde celui là. Pour moi, ça change complètement mon schéma de course. J’ai évidement le niveau pour la passer, mais il va falloir cravacher, et du coup transpirer, avoir froid ensuite, et hypothéquer le reste de ma course. Mais pas le choix, il faut s’adapter… c’est ça l’ultra, on passe son temps à gérer des impondérables. On se retrouve avec pas mal de coureurs dans cette situation, et on fait cause commune. On prend la pluie dans la montée du Grand Crêt d’Eau, puis descente sur Chesery (seule partie inconnue pour moi sur les 100 premiers kilomètres), pour faire un petit coucou à nos amis du Divonne Running qui tiennent le ravito. Mobiliser 10 personnes un vendredi pour tenir un ravito, chapeau bas!!! Je fais un salut présidentiel à Quentin, et direction le Crêt de Chalam. Là haut, c’est déjà l’enfer. On est tous congelés, et les ravitos ouverts aux quatres vents n’aident pas pour se réchauffer. Mais pas grave, à partir de Chalam, il va falloir mettre le bleu de chauffe pour aller chercher la barrière horaire de Lajoux. Franchement, ce coin du Jura, je kiffe. Bon, il faut avouer que c’est mieux en VTT ou en en skis, mais le trail c’est aussi ça, ce n’est pas que du up and down.

Je passe la barrière horaire à Lajoux de 30 minutes, et une autre course commence. Il va falloir activer le mode ultra, sinon l’aventure va vite se terminer. Je suis congelé, je sors ma deuxième couche, appelle Namoureuse pour l’informer de mon heure d’arrivée prévue aux Rousses, lui demande des prendre des ponchos de randonnée pour la suite, retire mes manchettes trempées, et j’avance comme je peux. Je dois quand même conserver une certaine transpiration pour ne pas grelotter. Je connais le terrain par coeur, et on était venu une dernière fois il y a 3 semaines avec Jamie. La descente des Tuffes était une horreur, absolue, j’ai perdu un temps fou là dedans, et je rentre à la base de vie des Rousses à 21 heures bien congelé comme à peu prêt tout le monde.

6h30 d’avance sur la barrière horaire, du grand n’importe quoi. Manue est encore là et ne repartira pas. Aux Rousses, c’était très certainement présomptueux, mais je savais déjà que j’allais terminer. J’ai fait un ravitaillement chirurgical bien aidé par Namoureuse, Guillaume et toute la famille Alves. Séchage, change complet, toute la nourriture et la boisson passe bien, je me repose. Je vais rester 1h30 au ravito, mais chaque minute a été très bien investie. Je suis requinqué comme jamais, et j’ai fait le plein de sourires et de bonnes ondes.

On repart avec Guillaume sous nos 3 couches et nos ponchos. On sait qu’il y a interdiction absolue de transpirer… mais à la première bonne montée… bim, coup de chaud. On s’arrête tout de suite pour retirer la deuxième couche, mais le mal est fait, on commence à prendre froid, on prend des seaux d’eau sur la tronche, au sol, c’est un bourbier pas possible, et les ruisseaux débordent, mais on avance. Ca fait vraiment du bien de progresser avec Guillaume.

On arrive au ravito de Morbier. Ca nous a pris un temps fou pour arriver là. Je pousse un peu Guillaume à sortir de là au plus vite. A partir de là, Guillaume avait froid, mais il était complètement en feu. Le rythme en montée était absolument parfait. J’ai passé une nuit en mode pilote automatique. Rien d’autre à penser que de mettre un pied devant l’autre. A 4h de matin, la pluie s’arrête enfin… et il commence à neiger. On arrive au petit matin au ravito de la Chapelle des Bois. Il y a de la neige de partout, le terrain est glissant, mais plus de précipitations. 


A partir de là, les coureurs du 112 vont commencer à nous doubler. On a l’impression d’être des stars. Ceux qui nous doublent sont de grands champions, mais on a systématiquement le droit à “c’est incroyable ce que vous faites”. Ben si vous le dites, on prend volontier les compliments parce que là on en chie grave. Ca fait quand même 24 heures que je suis parti, dont 22h de précipitations ininterrompues.

Guillaume a maintenant beaucoup de mal à avancer, ses mollets le font souffrir. Il s'énerve un peu car il a l’impression de ne plus remplir son rôle de pacer. Mais quand l’objectif est juste de terminer, c’est tellement autre chose le rôle de pacer que de juste donner l’allure. Ca retire une charge mentale de fou. Arrivé à Mouthe au km 123, il n’en peut plus, mais on apprend que la fin de la course va être raccourcie. Je le sors du ravito en lui donnant comme objectif la base de vie de Jougne. Il mettra encore un rythme parfait dans la montée qui suit le ravito de Mouthe, mais une fois sur des parties où il faut marcher, il est complètement à l’arrêt. C’est un crève coeur, mais je dois le laisser là au risque d'hypothéquer ma fin de course. Il a été d’une aide incroyable, mais je dois finir le chantier seul.

Il y a bien longtemps que je ne peux plus courir, je suis épuisé, et j’ai mal partout, mais je suis en vie et j’avance. Il reste alors 12,6 km pour rejoindre la base vie de Jougne, avec le Mont d’Or à grimper (la vue est superbe là haut… car oui il y a eu aussi un peu de beau temps), une piste de ski horrible à descendre, puis la remontée sur Jougne. Si vous voulez savoir pourquoi Xavier Thévenard est si fort, je vous conseille de venir voir les pentes qu’il a à disposition pour s'entraîner. Ce n’est pas très long, mais qu’est ce que c’est raide.

Quand j’arrive à la base de vie à Jougne à 18h45, j’ai 4h45 d’avance sur la barrière horaire. Guillaume est là. C’est une surprise et ça fait du bien de le retrouver. Je vais passer deux heures à Jougne en faisant plus ou moins la même chose qu’aux Rousses, avec en plus un passage par le podologue et l’ostéo. Chaque pose de pied au sol est une souffrance à cause des ampoules et des douleurs aux tibias. On nous annonce encore 23 km et 600m de D+ avec des sections de 8, 7 et 6 kms. Quand je me prépare à repartir vers 20h30, il y a un vent de fou dehors, et il pleut. Après la pluie, et la neige, il ne manquait que la tempête. On aura tout eu.

Je suis bien, et je n’ai pas froid. Je m’imagine déjà zapper les ravitos car j’ai tout ce qu’il faut avec moi. On entend le vent qui souffle, mais on est protégé par la forêt. Ca monte, ça monte, et on arrive dans un alpage, je me mouille les pieds, et je me fais littéralement congeler sur place par la tempête et la pluie. Petit miracle, c’était le seul ravito en dur de la course dans une étable. Ils ont été aux petits soins pour moi, allant même jusqu’à me prêter des couvertures pour fermer les yeux 10 minutes. Un groupe de 4 personnes sur le 112 est arrivé un peu avant moi. 2 ne repartiront pas… à 15 km (qu’on croyait) du bol de sangria, c’est dire l’ambiance là haut. Au moment de repartir, plus de gants. Ils ont certainement été embarqués par l'assistance du groupe des 4 coureurs. Une bénévole me donne des petits gants roses… merci merci merci. Un autre bénévole attend des nouvelles du PC course pour savoir s’ils arrêtent la course. Pas de réponse, je pars avec un autre coureur sur le 112, et on sera rejoint un peu plus loin par un autre coureur du 180. On sera les trois derniers à repartir, et la course a ensuite été arrêtée. Ca fait du bien de progresser avec quelqu’un, ça avance plus vite, mais je suis pris d'hallucinations. Je vois des formes humaines à chaque buisson qui bouge, et avec la tempête, ça bouge beaucoup. Le dernier ravito est là... et là c’est la douche froide au sens propre comme au figuré. Il ne reste pas 6 kilomètres comme annoncé depuis Jougne, mais presque 10. Vous allez me dire, qu’est que c’est que 4 kilomètres de plus… et bien c’est environ une heure à mon allure, et ça fait déjà 40 heures que j’ai commencé ce chantier. En plus je culpabilise, Astrid va devoir poireauter une heure de plus sous la flotte avec sa cape de pluie pour ne pas rater mon arrivée. Il reste une montée, une descente, et un peu de zone urbaine. Une frontale nous rejoint... mais c’est le débalisage. La montée est une horreur, c’est une zone de débardage, il y a de la boue et des flaques de partout. On entame la descente… allé, on se sort les doigts du cul, pas grave si je me défonce les pieds et les tibias, je me remets à courir pour en finir au plus vite. J’ai toujours des hallucinations, mais ça a changé. A chaque point lumineux, je vois Astrid et Guillaume. La ligne d’arrivée tant attendue est là. Je la passe avec Namoureuse en 43h50.

Je ne vais pas m’en cacher, je suis fier de ma course. Moins de 30% de finishers, et il fallait oser rentrer deux fois dans la nuit avec ces conditions météo. Qu’est ce que Guillaume m’a fait comme bien pendant cette course, et qu’est que c’est confortable d’avoir une assistance. Alex m’avait prévenu aux Rousses, que le groupe WhatsApps de Crapast était en ébullition. Plus de 250 messages d’encouragement à lire après la course. Quelle bande de fous furieux ces Crapast.
Évidemment que l’année prochaine je serais présent sur l’UTMJ (sauf si j’ai un cours de salsa avec Namoureuse, je lui dois bien ça), comme coureur ou comme bénévole (j’ai oublié de parler des ravitos VIP). Bravo à l’organisation, pour une première dans ces conditions (avec l’autre emplumé, la situation sanitaire et les conditions météo), c’était top.

Petit edit après relecture… oui c’était dur, évidemment, mais il y a eu aussi énormément de plaisir. A de nombreux moments je me suis dit “mais qu’est-ce que je suis bien là”, à aucun moment je n’ai douter de terminer, ni ne me suis dit “plus jamais ça”. J’en veux encore!!!

5 commentaires

Commentaire de Arclusaz posté le 13-10-2020 à 14:20:58

et ben quel chantier ! des conditions presque aussi dures que lors de notre première rencontre à la Nocturne des Teppes. Tu as bien raison d'être fier de ce que tu as fait.
40 heures sous la pluie avec 100 miles à faire, c'est impressionnant.

Commentaire de tikrimi posté le 15-10-2020 à 10:35:04

Clair, il n'y a rien de plus compliqué que la Nocturne des Teppes, et peu importe les conditions météo. Tous les finishers de la Nocturne des Teppes méritent le respect éternel :D.

Commentaire de bm5362 posté le 14-10-2020 à 23:50:40


félicitations !!
pour ma part, abandon à Morbier à 1h40 du mat', trop froid dès que j'étais en descente ou à l'arrêt. Lors de ce ravito de Morbier, des conditions pires sous la tonnelle qu'en forêt, la soupe ne réchauffait que pour 1 minute. J'ai préféré la sagesse de l'abandon "encore en bonnes conditions" que plus loin avec conséquences sur la santé.

je retiens ta "leçon" sur la transpiration, ça a certainement joué contre moi. Vite pris à mon piège, je DEVAIS aller + vite (c'est tout relatif hein...) pour ne pas refroidir. Et franchement, dans ces conditions, aller doucement me semblait être du masochisme tant tu devais subir la pluie plus encore !

Commentaire de PhilippeG-627 posté le 19-10-2020 à 13:11:38

Oui, félicitations tikrimi, incroyables de subir en course ces conditions météo !
Tu as un sacré mental pour te dire "mais qu’est-ce que je suis bien là" malgré tout, bravo !
C'est la clé de ta réussite, par contre je suis étonné de constater que tu as vécu des abandons précédents car au vu de ton récit, à part une blessure, je ne vois pas trop ce qui pourrait t'arrêter ? (Barrières horaires, peut-être... Dommage car la SwissPeak est extra)
Je retiens le coup du poncho ;-)
Comme dit Arclu: impressionnant.

Commentaire de tikrimi posté le 19-10-2020 à 19:30:39

Effectivement, je n'ai jamais abandonné, j'ai pris deux fois les barrières horaires.

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