Récit de la course : EmbrunMan 2005, par coeurgan

L'auteur : coeurgan

La course : EmbrunMan

Date : 15/8/2005

Lieu : Embrun (Hautes-Alpes)

Affichage : 2426 vues

Distance : 234km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit

Avant la course


Il est 3H45. J’avais dit 4H. On fait pas toujours ce qu’on veut, comme quoi. Pas la peine d’insister, je me lève. J’éteins le réveil pour ne pas réveiller ma douce et je sors dans la pièce principale. En pleine forme dés le réveil, le truc qui m’arrive jamais en allant bosser par exemple. Bizarre…

Frère est là déjà. Il avait dit trois heures lui alors c’est normal. Il y a du thé sur la table, sept bidons dans l’évier et un nombre impressionnant de barres énergétiques dans tous les coins. Au centre de tout trône l’indispensable gateausport. "C’est pas du dopage"… La règle est simple, pour une journée comme ça c’est la moitié d’un gâteau. Minimum. Alors je mange.
Petit à petit on avance, il faut remplir les bidons et le sac isotherme, marquer le sac du ravitaillement perso, préparer les sandwichs pour midi et les gels pour ce soir. Il vaudrait mieux y aller maintenant non ? Si. N’oublie pas la pompe. J’oublie pas...
Le parc est étrangement silencieux malgré tous ces triathlètes qui s’affairent autour de leurs montures. C’est la nuit qui fait ça sûrement. Ou l’épreuve qui sait ? En tous cas ça farfouille, ça accroche, ça épingle, décroche, essuie, déplace, replace, ça pompe aussi beaucoup, bref tout ce beau monde fouinfouine à qui mieux mieux. Et l’heure tourne et il est temps d’y aller. Alors j’y vais. Sylvain n’est pas tout à fait prêt mais on aura bien le temps de se voir. "A tout à l’heure…"
Je mouille mes lunettes. Je les ajuste tranquillement. J’écoute le speaker, le public. Je tape dans les mains. Je pense à une petite mignonne, à une grasse matinée. Je regarde les triathlètes qui rigolent ou qui se concentrent... Rien n’y fait, les démons du départ sont bien présents : je crève de trouille. C’est triste mais c’est comme ça. Heureusement on compte déjà à rebours, six heures sonnent.

La natation


C’est parti.
Le triathlète fraîchement libéré dans une eau abondamment garnie de bouées et d’autres triathlètes est notoirement assoiffé de sang et d’eau. Il fait généralement preuve d’une brutalité à faire rougir un troupeau d’éléphapotames en furie. Aujourd’hui pourtant, c’est peut-être dû à la douceur de la nuit, le triathlète fait preuve d’une surprenante retenue. C’est limite si on ne se laisse pas passer en souriant. Le plan d’eau d’Embrun est-il un havre de paix dans le monde tourmenté des départs natation ? La question est posée…

Moi comme j’ai un peu de temps je reprends tout au début. Bien respirer d’abord, c’est important, un coup à gauche, un coup à droite. Souffle bien tout ton air dans l’eau ! Voilà ! Robin a dit : "Allonge bien ton bras vers l’avant !". Alors j’allonge bien le bras vers l’avant. Erk a dit : "Pousse bien ta main avec ton coude". Je vous jure qu’il a dit ça… Du coup je pousse avec mon coude. Jacques n’a rien dit, encore heureux… Avec tout ça j’avance toujours pas bien vite. En plus je sais pas trop si je suis dans la bonne direction. Une bouée approche, lentement. Des bonnets bleus venant d’un peu partout s’approchent aussi. C’est bon signe. Je me sens moins seul. Parmi eux il y a même Sylvain. Les démons du départ ont disparus. La course est vraiment partie.
A la fin du premier tour le soleil a montré le bout de son nez. A la fin du deuxième il fait franchement jour. Il est donc temps de sortir. Je sors. J’ai perdu Sylvain. Il ne doit pas être loin. En effet le temps d’enlever ma combinaison et le voilà. J’attrape mes gels et mes pâtes d’amande. Je mets mon casque aussi, c’est important le casque, et je trace.

Le vélo


Dés le début ça grimpe, alors dés le début je fais tomber les plateaux. Je mouline. C’est facile le vélo comme ça. Autour de moi des coursiers passent. Plus ou moins vite. Tous ne se soucient pas de la règle du triple plateau. Les gens applaudissent et crient comme des fous. Notre quatuor de supporters est là. Je souris. Ca grimpe mais tout va bien. Et puis j’aime bien les montées. Heureusement d’ailleurs. Sur la route il y a tous les genres. Il y a des bons cyclistes qui ont réussi à nager aussi mal que moi. Ils me déposent sans forcer. D’autres roulent entre amis. Ils tapent la discute sur la femme, les enfants… Et comment s’est passé la natation ? Et t’as pas vu René on s’est perdu de vue au départ ? Bonne humeur matinale… Pour certains c’est plus grave, ils sont déjà à l’article de la mort. Ceux-là m’étonneront toujours. On en voit dans toutes les courses, déjà agonisants au premier kilomètre d’un marathon et qui pourtant vont jusqu’au bout. Une partie de moi me dit que cette fois y’a pas moyen, ce gars-là jamais il arrive dans les délais. Une autre partie me dit que si, qu’il faut pas se fier aux apparences, et vas-y mon gars, ça va le faire… J’en reverrai certains, d’autres non.
Moi je suis concentré. Je regarde mon compteur. Je tripote les boutons. Je regarde l’heure. Tout se déroule comme prévu. Mais aujourd’hui il faut pas faire d’erreur. Alors je regarde mon compteur, je tripote le boutons, je regarde l’heure et je revérifie. Et ainsi de suite… Dans la descente je me crois seul alors je chante. Une fusée me dépasse, visage fermé. Espoir ténu, pourvu qu’il n’ait rien entendu…

Retour sur Embrun et ambiance Tour de France. Ca fait dresser les poils, c’est délicieux. Je baisse la tête pour avoir l’air d’un coureur. Encore une fois je me sens bien. Sur la route : "A bloc Jojo Vainvain". Jojo c’est moi. Trop bon. Je me retiens de ne pas accélérer. Longue journée en perspective.
Guillestre. Moment clé. L’Isoard est en vue et on sent que ça ralentit. A nouveau Rob, Erk, Jéjé et ma petite sont là. Je souris. Tout va bien pour vous les jeunes ? Je blague. Je suis en grande forme. Mon compteur me le confirme : les délais vont exploser. Je biche à mort. Je relance. Des groupes de cyclistes me doublent en paquet. Je me dis qu’ils ratent quelque chose. Je suis pas sûr pourtant qu’ils nous envient.

Au début les gorges c’est sympa ça descend. Dans un des tunnels il y une zone, très courte, dans l’obscurité. Je me crispe sur les freins. Je retiens mon souffle. Evidemment il n’y a ni trou, ni bosse, ni monstre tapi dans l’ombre. N’empêche ça fait peur. La route est magnifique. Sur la rivière des rafts galèrent entre les rochers. Il y a peu d’eau faut dire. Ce qui est dur en raft, c’est la sécheresse.
En vélo ce qui est dur c’est pas la sécheresse. En vélo ce qui est dur c’est le vent. Surtout le vent de face. Surtout dans un petit faux plat bien faux-cul comme celui-là. Surtout avant le col. En tous cas mon compteur est impitoyable. Moment assez difficile. En plus j’ai beau y repenser le vent n’est pas censé souffler dans ce sens-là à cet endroit-là. Bonne nouvelle pour le retour sans doute, mais il faudrait pas qu’il soit défavorable dans l’Isoard. Il faudrait vraiment pas.
Il l’est.
Je remets en route la machine à calculer. 13H10. Ca ira. Juste. Je m’inquiète pour Sylvain. Derrière moi il n’y en aura pas tant que ça dans les délais. A Brunissard c’est l’apocalypse. On voit la pitié dans les yeux des spectateurs et une sorte de résignation dans les yeux des triathlètes plantés. On attend le sommet en serrant les dents. Ca ira mieux en haut. Si on y arrive...
Sur la route : "Turbo Jojo Vaivain". J’esquisse un sourire en regardant mon compteur. J’aurais pu pleurer aussi. Qu’est-ce que tu fous Vainvain d’ailleurs ? Va falloir te presser un peu tu crois pas ? A la casse déserte je me crois arrivé. Et puis j’aperçois le sommet. Encore un passage difficile. Le vent souffle un lacet sur deux, toujours de face. Etrange. Loin du grand moment que j’imaginais, le sommet est un vrai soulagement. Je me remplis bien la panse et les poches. Je vais repartir mais on m’arrête. Je dois mettre quelque chose pour me protéger du froid. Je dis "Pas moyen". Le gars me regarde en souriant et me dit d’arrêter d’être con. Je répète "Pas moyen". Mon cerveau est un peu en purée. Finalement il me glisse un truc sous le maillot. Poli, je repars en remerciant. Une minute plus tard j’adresse une prière pour que ce gars-là aille direct au paradis. Affaibli par la montée, je tremble de froid au sens propre. J’entends même pas le vent tellement je claque des dents. Je suis en retard alors je passe vite les virages et je relance bien après. Dans les lignes droites je me calme. Il fait trop froid. C’est dur le vélo. Et puis je voudrais bien savoir où est Sylvain. Dans la vallée la chaleur, enfin. Et le vent dans le dos, enfin. Je mets le turbo réclamé par nos supporters. Puis je me calme un peu. J’attends Pallon et son mur. Dans Pallon petite folie et moyen plateau. C’est dur mais ça avance. C’est bon pour le moral en plus. Et en parlant de moral Céline et les autres sont là pour me le remonter à bloc. Je ne flanche pas. Ils ne savent pas où est Sylvain. C’est très inquiétant. Jéjé m’encourage "Pour toi c’est bon…". Pour moi c’est bon oui, mais ça me plairait pas trop de finir sans mon grand frère. Qu’est-ce qu’il fout ? Aux trois quarts de la montée je cale un peu et je me rassois. Des triathlètes marchent. Tous les coups sont permis. Deux cyclistes de passage se tirent la bourre. Désolé les gars ç’aurait été avec plaisir mais là, vraiment, ça va pas le faire.
En haut je souffle, je revérifie mes calculs, et je me mets en mode tourisme. J’aime bien le vélo mais là j’en ai plein les pattes. Ca ne redescend jamais en plus on dirait. Je me fais beaucoup doubler. Pour l’horaire c’est bon alors je m’inquiète pas. Pas pour moi en tout cas. Je croise le car des supporters. Coincés dans les bouchons. Merci. Vraiment. Longue journée pour vous aussi.
Moi je fais le bilan. Reste Chalvet, reste un marathon. Je décide de pas trop y penser. Evidemment c’est à ce moment qu’on croise les coureurs. Pour certains ça semble facile. Pour d’autres moins, beaucoup moins. Je préfère regarder la route finalement. Dans Chalvet je crains le pire mais finalement ça va. Je monte lentement mais sûrement. Par contre je m’endors presque. Je croyais pas ça possible. Je dois vraiment être épuisé. Je rêve de coca bien frais et de grasse matinée, demain. D’ailleurs demain n’existe pas. Dans la descente aussi c’est lentement mais sûrement. J’y suis arrivé, à battre ces putains de délais. C’est pas fini mais déjà ça fait plaisir. Je n’ai toujours pas de nouvelles de mon frère. A mon avis c’est mort. J’essaie de m’habituer à l’idée. Bof ça me plait pas trop. On verra bien.

La course à pieds


Au parc pas de panique, il me faut deux heures pour le moindre gel mais je suis lucide. Je cherche un peu ma casquette et la sortie et je pars à mon rythme, très lentement. Mes poches sont pleines de trucs que je ne pourrais jamais manger. De quoi nourrir un régiment. Ca ballotte et ça me gène mais je ne fais rien. Pas si lucide que ça finalement. Dans la montée un gars dit que c’est inutile de courir, qu’on gagne pas de temps. Mais moi je veux pas marcher, et d’ailleurs je le double. En haut ça fait 5 kilomètres. Je regarde ma montre. Ca va être long, très long. Mais ça va. Et puis je suis pas vraiment pressé en fait. J’ai eu le coca dont je rêvais mais curieusement c’était pas tout à fait comme dans mon rêve.
On court le long d’une digue, à coté d’une rivière bleue, presque à sec. On croise des triathlètes dans tous leurs états. Au demi-tour une seule chose en tête, croiser Frère. Je crois qu’il est en rouge. Je crois qu’il a une casquette blanche avec un peu de bleu et un short de course. Je crois que c’est lui là bas au fond. D’ailleurs c’est lui. Ca va mieux du coup. Il me dit qu’il va m’expliquer. Il a plutôt intérêt.
Les kilomètres passent lentement. Je ne regarde pas les marques. Du moins j’essaie. Et je ne regarde pas ma montre non plus. J’essaie en tout cas. Je passe le premier tour en souriant. Je sens que ça va être bon. Un barbu et une petite mignonne distribuent des colliers roses. Am stram gram, c’est le barbu qui me passe le mien. Je l’embrasserais presque quand même pour la peine. En plus j’aime bien les colliers qui brillent dans le noir.
Dans la montée ça court vite derrière moi. Très vite. Inutile de jouer à "coucou qui est là", je sais que c’est toi frangin. Parce que mon frère le vélo il aime pas trop ça mais par contre courir c’est son truc. Heureusement il est sympa il reste avec moi. Il me dit qu’on peut marcher si je veux. Faut dire que vu ma vitesse… Mais bon je veux pas marcher, c’est la règle. Alors on court. Et on cause. Et il me raconte sa journée. Et je l’imagine dans l’Isoard, à fond les manettes contre un horaire qui ne tient pas compte du vent. Je l’imagine au sommet à une minute de l’élimination, heureux mais flippé. Je l’imagine dans Chalvet avec l’énergie du désespoir, et j’imagine sa descente de folie, sans faire attention à rien, avec une seule idée, foncer. J’en tremble rétrospectivement. Il me raconte aussi son arrivée dans le parc, la décision des arbitres et le public qui l’encourage comme un vainqueur, alors qu’il repart le dernier, pour la dernière épreuve. Sa préférée…
J’en frissonne.
A deux ça passe plus vite, on se raconte nos journées et les kilomètres défilent. La fin, nocturne, se passe comme dans un rêve. On suit une petite fille qui nous éclaire le chemin dans la nuit, Rob et Jéjé nous accompagnent quelques minutes et nous motivent pour tenir l’ultime délai. On accélère de plus en plus en sentant l’arrivée, ça sert à rien mais ça fait un bien fou. On commence à entendre la foule, puis on la voit. Impressionnant. Les gens s’écartent pour nous laisser passer. C’est magique.

A l’arrivée il y a la photo finish ensemble. A l’arrivée il y a Céline juste derrière la ligne. A l’arrivée j’ai un T-shirt dans les mains mais je ne sais pas du tout qui me l’a donné. A l’arrivée je dois sourire bêtement j’imagine. A l’arrivée je crois qu’on n’a pas eu nos médailles.

Je crois qu’on s’en fiche. Je me sens bien.

3 commentaires

Commentaire de akunamatata posté le 01-06-2007 à 18:26:00

très beau récit coeurgan, embrunman c'est quand même quelque chose!

Commentaire de taz28 posté le 02-06-2007 à 15:27:00

Superbe récit très émouvant, ta conclusion est magnifique !
Merci beaucoup
Taz

Commentaire de LtBlueb posté le 13-10-2010 à 23:29:00

sympa la fonction qui propose aleatoirement 30 recits : sans elle, je n'aurais jamais lu son si beau récit ! merci !

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