Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2025, par alexch

L'auteur : alexch

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 16/10/2025

Lieu : Saint-Pierre (Réunion)

Affichage : 343 vues

Distance : 183km

Objectif : Se dépenser

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La Diagonale des Fous 2025 : 45h de bonheur, de découverte, de joie, de douleur, d'émotions

183km/10700m D+ 44h42 --- départ 22h St Pierre --- arrivée 18h42 St Denis

Des années qu’on voit les images sublimes. Des voisins comme Bernard, Didier, qui ont le regret de n’avoir jamais tenté d’accrocher ce dossard. Les potes Yan-Eric puis Cyril qui finissent cette course incroyable. Des coureurs expérimentés du club, Michel et Valentin, qui l’ont courue et finie avec un souvenir impérissable, les récits (dont Kikourou), les vidéos de course, et les images en direct qui montrent l’ambiance unique de cette fête réunionnaise.

Un 100 miles (environ 160km) reste un défi important, qui à mon niveau signifie une nuit blanche (si le départ est le matin comme pour l’Echappée Belle) ou 2 nuits blanches (si le départ est le soir comme pour l’UTMB). Un engagement important, une seconde partie de course à gérer les multiples bobos, douleurs, voire débuts de blessures qui peuvent apparaître. Mais une expérience difficile à décrire tant qu’on ne l’a pas vécu, c’est-à-dire cet état de transe où on sait qu’on va tout faire aller au bout, malgré les voyants virant parfois à l’orange (sanguine).

Décembre 2024 : je finis la LyonSaintéLyon sous une météo de rêve, 100 miles de moyenne montagne, sans bâtons, avec quand même 5000m de dénivelé, avec une pause de 4h au milieu. Je sais désormais que je peux courir sans bâtons ce type de distance. Je bascule plus proche de 50 que de 40 ans cette année, est-ce le bon moment ? J’ai acheté le guide « évasion » de la Réunion (que j’oublierai dans le trajet en avion d’ailleurs !!) pour me faire rêver un an plus tôt.

Janvier 2025 : Désormais, après avoir utilisé le site internet (old school années 1990) d’une agence de voyages fournissant un package avion+3 nuits d’hôtel+dossard, je déboule dans le bureau de mon épouse (les joies du télétravail) : « chérie, j’ai 30 minutes pour valider mon dossard, on y va ? ». Elle qui a écumé la France, la Suisse et la Belgique pour diffuser ses messages de prévention, d’émancipation, de reconstruction des relations humaines, se dit que l’occasion de visiter les Régions d’Outre Mer, et de partager des moments privilégiés avec nos amis installés depuis 17 ans sur place (Odile étant native de St Pierre/Le Tampon), c’est donc une évidence. C’est parti pour 3 semaines de vacances, un peu moins de congés en août, et une coupure après la course pour visiter l’Île en famille. Nous achetons dans la foulée les billets pour ma famille et laissons à plus tard les logements (mis à part les 3 nuits de repos post-course).

Eté 2025 : Je termine en bon état (dos musculairement pas génial quand même) le trail X-Alpine de Verbier, à 143km et 9000m de dénivelé pour 38h, assisté par mon fils et mon épouse, météo de cinéma. Ma mère pour la première fois en 10 ans à l’arrivée d’un trail, puis un mois d’août incroyable où je commence l’entraînement sans bâtons, ma femme réalisant une très belle course de 40km/2000m D+ au début de la semaine UTMB à Chamonix.

Septembre 2025 : ça y est, c’est concret, on contacte ma femme directement pour une dédicace de livre et une formation, tout semble alors naturel et la communication en sera facilitée. Pas de nounou pour cette rentrée (2e congé maternité), mais nous gérons et savons que 3 semaines de coupure nous attendent. Je finalise la prépa notamment avec Micka, à Elancourt et à Fontainebleau, sur des terrains variés pour me préparer aux racines et marches hautes de la Réunion, en solo souvent aussi pour préparer les moments durs de la course à Guerville et dans la forêt d’Hautil pour découvrir de nouveaux chemins proches de la maison.

13 octobre 2025 :

Départ en soirée pour un vol de nuit. Tout se passe bien mais je vous conseille de choisir un siège où l’on peut étendre ses jambes (voire en business… quand on fait 1m90 !). Le dos va survivre mais nuit relativement courte, ça sent la sieste. Atterrissage royal tout en douceur, que tout le monde applaudit. La chaleur douce nous accueille en ce début de printemps austral. De bonnes odeurs, et à la sortie de l’aéroport, des tentes sont dressées pour accueillir les participants du grand Raid, concert de musique locale, petit déjeuner offert, renseignements divers. Je passe une journée tranquille à St Denis. Petit footing en bord de la plage au Barachois, avec vue sur la Vigie vers 15h une fois que les nuages ont couvert le ciel. Il y a la vue sur notre dernière descente, qui se fera sur un sentier tournicotant avec vue sur l’océan et la ville. Le décalage est de 2h mais avec le soleil qui se lève vers 5h45, cela fait plutôt 3h. Mais aucun souci d’adaptation. La météo s’annonce radieuse et pas trop chaude (comme pour mes 4 autres courses de 145km et plus !), et avec mes timings de course, j’aurai chaud dans le Taïbit (montée qui suit Cilaos) mais je verrai Mafate en fin de journée et début de nuit, ce qui devrait me préserver des gros coups de chaleur, toutefois la fin de course le long de la mer pourrait être chaude aussi.

Puis le lendemain matin, je papote avec Thibault au petit déjeuner de l'hôtel, lui que j'ai filmé à l'échappée Belle (je lui montre LA vidéo de lui par hasard), et accueil de ma famille qui arrive 24h après. La route côtière est magnifique, nous faisons la pause petit déjeuner à la Possession, avant dernier point d’assistance à 25km de l’arrivée. Nous sommes accueillis royalement à St Pierre par Odile et Lionel, ainsi que leur fils Raphaël. Une ambiance apaisante et sympathique qui prépare une course sereine. Nous choisissons d’attendre la fin de journée pour la remise de dossard. Je croise à nouveau Thibault, avec ses 2 amis, dans la file d’attente, après 3km de footing léger sur le bord de mer ! En réalité, le retrait prend littéralement 5 minutes, pour obtenir le dossard et la puce de sac à dos, le débardeur et le teeshirt, et les 3 sacs d’assistance pour Cilaos (km 75), Ilet Savannah (km 139) et l’arrivée. La longue file d’attente qui fait beaucoup parler est en fait… celles pour les cadeaux « goodies » : tour de cou, casquette saharienne, bracelets… Je fais quand même la queue, ignorant en fait que cela était facultatif, mais la casquette de la marque Raidlight en valait la peine. Nous faisons une photo à deux et croisons quelques abonnés de mon épouse avec qui l’échange est très cordial, le coucher de soleil (premier d’une longue série) est royal pour ce mercredi soir. Je commence à m’habituer à la chaleur et aux moments calmes pour ne pas transpirer instantanément. Le départ est jeudi soir.

Le jour J

Belle journée que nous occupons à visiter le domaine du Café Grillé, sorte de jardin botanique exotique superbement entretenu. Je craque aux 2/3 de la visite car trop attaqué par les moustiques (petits mais voraces 😊). C’est l’heure de la sieste après un plat succulent de riz parfumé avec patates et crevettes épicées. Nous avons été accueillis de très belle manière et nous avons déjà invité nos amis à visiter les Yvelines (ils n’ont jamais vu Versailles par exemple !). La course approche et je prends en main la manière dont je veux partager ma course, à mi-chemin entre performance et balade, je vais essayer de partager quelques photos et impressions mais rester concentré sur les partis plus dures (au hasard, 2e nuit et 2e journée… où j’aurai la chance d'avoir de l’assistance). Je suis dedans, ça y est.

Je prends une dernière collation vers 18h30 à base de müesli, après 3 jours où j'ai forcé sur la boisson Maltodextrine, ce qui épargne du travail de digestion à l'estomac, puis me mets dans ma bulle, révisant une dernière fois les points du parcours, et l’assistance dont je bénéficierais, avec un petit carton collé derrière mon téléphone. Cilaos km 75, Plaine des Merles km 93 (merci Anthony !), Maïdo km 120 puis Possession km 154 et Grande Chaloupe km 164.

Je me fais déposer 1h30 avant la course dans les petites rues de St Pierre, je discute avec des locaux qui viennent fêter ce départ mythique.

Je salue Arthur Joyeux-Bouillon (abandon sur troubles visuels sûrement dus à la poussière), et Marianne Hogan (abandon sur blessure au pied/mollet), pas de chance… les coureurs élites doivent également entrer dans l’aire de départ une heure avant et traînent sur l’herbe entre 2 crottes de chien… Ludovic Pommeret soulignera ce côté artisanal en interview post-course, c’est aussi ça le Grand Raid ! On vérifie que nous portons bien le teeshirt ou le débardeur au départ pour les images de ces 5 premiers kilomètres, originalité de cette course. Je suis au début du SAS2, environ 600ème, tout le monde est concentré et excité à la fois, on nous a répété un peu trop qu’il y avait des bouchons, mais l’organisation a rajouté quelques allées agricoles pour étaler le peloton.

Départ : St Pierre > Cilaos

Cela part assez vite sur ces 5 km de bord de mer en bitume après l’hymne de la course, mais je reste à 10/11 km/h, surveillant le cardio. Bruit, musique, feux de bengale… c’est vraiment une belle ambiance, similaire à l’UTMB, voire encore plus folklorique et chaleureuse.

Mes amis et ma famille m’attendent dans les champs de canne à sucre au km7, je me mets alors en débardeur, après avoir doublé 3 équipages de joëlette (qui ont semble-t-il aggravé un peu les bouchons). L’ambiance est festive, on voit la file de lampes derrière en regardant l’océan, les étoiles brillent, les lumières de St Pierre aussi, c’est superbe. Je commence à rattraper beaucoup de monde, en courant les faux plats quand c’est possible. On va s’élever depuis le niveau de la mer jusqu’aux abords du volcan dans la plaine de Cafres, il y a quelques descentes en bitume et en béton, ça casse un peu les jambes, il faut se freiner. Le Domaine Vidot est garni de supporters, je salue Camille Bruyas, récente 2e de l’UTMB, venue aider Marianne Hogan sur son assistance., je croise aussi la podcasteuse Laurie de « Culotte&Trail », qui parle avec simplicité du sport au féminin. En réalité, cela fait du bien de voir des têtes connues, même de manière très brève. Pas trop de cohue, je privilégie l’eau minérale aux robinets, il n’y a pas d’attente. Quelques micro-bouchons où tout le monde est calme, à l'image des routes de la Réunion, où tout le monde est courtois malgré les ralentissements réguliers. Le chemin est long mais je suis ravi de voir la sérénité des autres participants. La poussière vole et je prends parfois ma frontale à la main pour éviter les reflets dans les yeux, je me mouche régulièrement pour évacuer cette fine poussière. On enchaîne Notre Dame de la Paix, Nez de Bœuf et c’est déjà l’heure des premières lueurs, juste entre le piton des Neiges et le volcan du piton de la Fournaise, la vue à 360 degrés est sublime, au milieu des ajoncs d’Europe avec leurs fleurs jaunes. L’effort passe mieux quand les yeux s’émerveillent. Les oiseaux de nuit de France m’envoient déjà des messages d’encouragement, cela fait plaisir, j’ai encore le temps et la lucidité pour les lire, contrairement à la seconde partie de course ! Il y a un bon bout assez plat jusqu’à Mare à Boue (sorte de sentier entre des prés, cette fois sans aucune boue !!), le soleil nous réchauffe mais dans le dos. J’ai mis les manchettes et le coupe-vent 2 fois 20 minutes par prudence, mais il fait doux avec peu de vent. La montée du côteau Kerveguen va être longue, je continue à tourner aux pâtes de fruit et aux boissons énergétiques, certains sont déjà sur des plats de pâtes au ravitaillement, je picore juste quelques fruits : orange, pastèque, ananas confit. Je me rappelle les mots de Mathieu Blanchard : patience dans le côteau Kerveguen, première longue montée. C’est long et des montagnes russes, des racines, des cailloux, toujours de petites relances et même un passage superbe en corniche avec échelles. On arrive à un ravitaillement en eau, il reste encore 30 minutes jusqu’au refuge sous le piton des Neiges avant de basculer vers le Bloc et Cilaos. Je rattrape Alexandra, que j’avais encouragée avec sa tenue léopard, et elle a aussi le teeshirt assorti ! On bascule au col, les signaleurs nous félicitent, et on voit le cirque de Cilaos, profond et majestueux. Lionel et ma famille attendent tout en bas, je suis bien dans les temps prévus, c’est un régal, et ils sont déjà installés car la « route aux 400 virages » mérite qu’on arrive tôt. Lionel a même fait la circulation pour pouvoir franchir un tunnel. L’organisation nous déplace un sac de rechange, rassurant si le moindre incident arrive à nos assistants. Je pense enlever les cailloux de la chaussure mais finalement, je me mets à dévaler assez vite avec un compagnon pour l’occasion, on papote, il vient du Sud-Ouest, ça passe le temps et le cardio est plus calme en descente. Sous le pied, c’est un pli entre le gros orteil et le suivant qui donne l’impression de caillou dans la chaussure, mais je sais d’expérience qu’avec un crémage régulier cela ira jusqu’à bout. Après la recharge en eau au parking du Bloc (celui qui sert de départ pour l’ascension du piton des Neiges via notre sentier de descente), la Roche Merveilleuse nous vaut une remontée (mieux que le bitume, mais on râle sur le coup !). Je demande à ne pas être filmé en courant et ça m’agace un peu, mais l’accueil est royal, il est presque midi et le soleil tape fort, je m’assois à l’ombre sur la chaise de camping confortable qu’a apporté Lionel. Je masse soigneusement les pieds à la crème. Pour le dos, je préfère ne pas trop y toucher, j’ai massé moi-même avec un peu de crème, je joue la prudence. Pause un peu longue à mon goût de 20 minutes environ, mais de quoi se refroidir et changer un peu plus solide (viande des grisons et purée de patate douce) et ça repart.

Cilaos > Plaine des Merles

Petite descente où je suis un peu dérangé par une coureuse qui papote fort avec une copine (sur le papier, c’est interdit d’être accompagné mais les bénévoles laissent filer quand ce n’est plus la tête de course, on va calmer le jeu et accélérer un peu pour les lâcher !). La mythique montée vers le col Taïbit commence, avec 1400D+ assez pentus mais raisonnables. Moitié ombre, mais peu de vent, il faut donc s’arroser dès qu’on peut, avec une gourde en supplément. Je fais des pauses et me fais doubler, mais c’est habituel car je m’arrête peu aux ravitaillements. Je manque de m’exploser le tibia lors d’une traversée de rivière où je glisse sur un galet et voulant mouiller ma casquette. Je peste mais 20 minutes après, le mal est passé, je vais continuer à être prudent, le terrain est poussiéreux mais il y a toujours de l’humidité sur les traversées de ravines. Une halte rapide chez une tisanière, où je me trempe à la tête dans un tonneau et m’arrose le torse avec une douchette agréable, je ne goûte pas à la tisane, c’est l’après-midi et l’estomac doit être préservé. Le ravitaillement au dernier parking (premier tiers du dénivelé) est un mouroir : des personnes vomissent, ont mal à la tête… monter trop vite dans la chaleur de l’après-midi peut se payer cher. La brume nous accompagne finalement pour la suite, je grimpe seul sauf à la fin où j’échange en anglais avec un Polonais quand nous découvrons Marla, le village le plus haut du cirque de Mafate. Petite incursion de 2h environ avant la nuit avant de basculer brièvement dans le cirque de Salazie. Ambiance sympa à Marla où je continue rapidement après le ravitaillement, où pas mal de participants se reposent après l'éprouvant Taïbit. La plaine des Tamarins, figée dans le temps à cause des bœufs divagants qui mangent toutes les jeunes pousses ou presque, est surréaliste et futuriste, avec des arbres centenaires.

L’application Livetrail a des soucis et prévoit un horaire farfelu à l’assistance faite par Anthony. Je suis un peu énervé mais je reprends rapidement mon calme car on est à presque 20h de course et une petite pause avec le gros du cirque de Mafate dans la nuit ne sera pas de trop. Je papote avec un gars un peu raide sur ses cuisses, je prends mon temps au ravitaillement de la plaine des Merles et échange avec les bénévoles. Une petite averse commence à pointer son nez : je suis content, ça rafraîchit et cela va peut-être coller un peu la poussière ! J’arrive au pointage du sentier Scout, où j’apprends qu’Anthony est garé au village du Bélier, mais doit monter 3km de route pour me rejoindre. Les bénévoles sont conciliants, il faut dire que le roadbook fourni était assez peu compréhensible, l’assistance devait se faire au ravitaillement en théorie (donc encore plus haut). Je prends un bout de banc au niveau d’un poste de secours et j’ai papote 10 minutes avec Anthony, trempé, avec qui je vais échanger les Goretex, quelle bonne idée il a eu de m'amener la rechange ! Je recharge en pâtes de fruit, purée et autres pour Mafate et ses 6 à 7h dans la solitude, les élites ayant une assistance organisée par une équipe de bénévoles (« Team DAF »).

Plaine des Merles > Maïdo Ti Col

J’ai découpé la course dans ma tête et savais que le cœur de la Diagonale serait donc dans cette nuit étoilée dans le cirque sauvage de Mafate, accessible uniquement à pied ou en hélicoptère. Cela commence bizarrement avec de la brume qui a succédé à l’averse, puis des nuages de poussière. Je dépasse allègrement sur le sentier Scout, superbement tracé et pas très technique. J’utilise l’astuce de l’anti-brouillard, à savoir prendre la lampe à la main pour éviter les reflets dans les yeux. Certains me remercient du conseil, d’autres sont dans le dur et ne comprennent pas. Les ombres sont inversées mais la netteté offre un confort visuel incroyable. Je suis prêt pour les montagnes de russes de Mafate. 1000D- avalés assez vite, à un moment, on sent le vide des deux côtés mais à droite, la rambarde en cordage est tombée, ce que je verrai 10 jours plus tard en randonnée, je marche donc calmement, pas question de prendre de risque. Premier village, Îlet à Malheur, avec ambiance tam-tam et chansons créoles. Le ciel se dévoile avec des étoiles par milliers, d’autant que la Lune est absente. Un coureur local nous raconte les faits de course des élites qu’il a écoutés à la radio, et nous explique qu’après un passage de ravine, nous avons encore quelques grosses marches pour arriver au petit village (Îlet) d’Aurère, tout en bas du cirque en rive droite, où nous sommes à nouveau cueillis par une chaleur moite, il est 20h40. Ravitaillement express, ça repart cette fois en papotant à fond, on se groupe car la peur de se perdre est palpable, on a parfois très peu de balisage… j’ai la trace GPS sur la montre, ça rassure. Grande ravine qui mène au bras d’Oussy, paysage chaotique de blocs, passerelle… puis montée et descente raides pour atteindre la rivière des Galets, que l’on doit traverser dans l’eau. Je n’hésite pas à traverser pieds nus car les pieds déjà chauds et usés doivent être préservés de l’humidité. J’en profite pour les tremper quelques minutes car cela semble un peu gonflé, je pense avoir pris un coup sur la cheville droite. Encore des ravines et on découvre le fil de frontales vers le col du Maïdo, puis en arrière vers le col Taïbit et sentier Scout, c’est magique ! Un coureur nous dit que le captage d’eau est potable et qu’il l’a déjà bu en randonnée, je vide la gourde que j’avais remplie pour me refroidir au niveau de la rivière des Galets, on porte plus que nécessaire mais c’est une précaution importante. Arrive le ravitaillement du petit village « Îlet des Orangers » qui semble charmant. J’ai vraiment envie de revenir de jour en randonnée avec ma famille, la nuit est belle mais il y a une petite frustration de ne rien voir autour ! Je mesure toutefois le privilège du calme de la nuit, alors qu’en journée, les hélicoptères de ravitaillement et de touristes se succèdent.

C’est l’ascension finale, le long du Rempart (que nous emprunterons plus tard à la descente par la crête). On se groupe à 3, on parle pour passer le temps. On arrive à la brèche, porte d’entrée symbolique faisant penser  à l'entrée dans un cirque des gladiateurs, car souvent le sentier est fermé (pour entretien suite à la saison des pluies et ses cyclones (ou dernièrement à cause d’une incendie « volontaire » déclenchée par un pompier en mal d’héroïsme en 2019, avec une ré-ouverture à l’automne 2024). Quelle chance de le parcourir, c’est dur mais je suis venu pour ça. Mes compagnons sont aussi au radar, un ami a rejoint son pote depuis le sommet, et nous sommes désormais 3, puis 4 quand un coureur nous explique qu’il a fait demi-tour après avoir paniqué suite à la rareté du balisage. On entraperçoit les frontales qui partent à l’horizontale vers la droite et la sortie du sentier Maïdo, sortie mythique tracée parmi la falaise, on sent la raideur même de nuit. Je préviens que j’approche, Lionel et mon épouse ont réussi à se garer près de la piste de luge et prendre la navette de 15 minutes puis marcher dans la nuit noire 15 minutes et atteindre cet endroit incroyable. Le sentier et ses abords herbeux sont occupés par les assistantes qui attendent que leur protégé.e sorte de « l’enfer de Mafate », et c’est une ovation, je stationne quelques secondes comme pour voir si je suis bien éveillé, on sent les odeurs de Marijuana, ambiance Woodstock, musique et applaudissements, il est 2h30 du matin. Lionel déboule 30 secondes plus tard avec ma femme, j’ai juste eu le temps de mettre mon sous-pull et ma Goretex, car le vent nous saisit après cette montée où ça carbure et on n’a jamais froid. Soulagement symbolique, car il reste 55km 2000D+ et 4000D- mais on sent la fin approcher, toujours avec un timing de moins de 45h qui évite la troisième nuit blanche. La chaise pliante ne peut pas tenir car c’est étroit, je m’assois dans la pente herbeuse et savoure la soupe maison préparée par Odile pour l’occasion, c’est royal. Le petit plus qui permet de passer la douleur à la cheville, et celle du grand dorsal qui parfois donne l’impression d’avoir une aiguille plantée dans le dos. Les jambes vont bien, les muscles lombaires et abdominaux sont fatigués mais ça tient. Je dois me forcer à quitter rapidement pour ne pas me refroidir, je vais garder les gants fins 1h le long de la crête avant de plonger vers Sans Souci et l’océan. Je sors un « c’est hard » du fond du cœur, sans bâtons, et avec la technicité, la hauteur de marches à sauter, la raideur des sentiers, les douleurs musculaires arrivent encore plus vite que d’habitude.

 

Maïdo Ti Col > Possession

Je supporte la douleur et tente de la gérer dans trop appuyer et en alternant les foulées. Je me cogne plusieurs fois la tête sur des branches car on regarde beaucoup ses pieds, rien de grave mais ça fait peur ! Les champs de canne à sucre approchent, les lueurs aussi, la crête du rempart s’illumine. Je suis rattrapé par les premiers coureurs et coureuses du trail de Bourbon, petits mots sympathiques entre nous, on souligne que je suis méritant, paroles valorisantes très pertinentes à ce stade de course où on a l’impression de se traîner !

Je m’arrête pour le gros besoin avant d’arriver à un lotissement, j’enterre tout et cela va un peu mieux. Thibault me double, je le salue, on va se revoir au ravitaillement, tout le monde gère son capital nerveux, physique, énergétique comme il le peut. Le bitume fait mal, je temporise. Je ne le sais pas mais j’ai encore repris des places et serai ici à mon meilleur classement (398e contre 520 à l’arrivée).

Je préviens ma famille que ça va être long, environ 3km/h sur cette fin (ça sera une bonne estimation). Cela les fait un peu stresser, mais la fin peut se faire en marchant, voire en rampant (façon de parler), et ça finira, surtout au vu de la marge énorme sur l’horaire. Je passe le ravitaillement rapidement, pas envie de voir le staff médical et de m’arrêter longtemps. Je décide également de ne pas me médiquer, je fais juste un petit massage à la crème arnica (peu dosée), puis décide de tremper le pied droit dans la rivière des Galets. C’est cocasse car un photographe est présent sur l’autre rive pour capter les sauts de cabri sur les grosses pierres. Il capture un moment sympathique où un coureur prend de mes nouvelles. Il y a des supporters, c’est agréable. Le pied a un peu dégonflé mais je décide quand même de faire un petit bandage de maintien. Ça repart, avec un petit couac : j’ai oublié de garder les lunettes de soleil et d’en mettre dans le sac de l’Îlet Savannah (oui le soleil se lève très tôt !) et j’ai juste un buff pour la tête. On a pas mal de forêt et le soleil est plutôt de dos sur la partie sentier Kalla > Possession. Les dépassements se multiplient, c’est un mix, mais souvent agréable car je reçois beaucoup de félicitations. On ne peut pas tout avoir, l’arrivée aux heures de pointe et personne qui me dépasse, c’est un choix de l’organisation mais ça promet de vivre une fin de course humaine et joyeuse. Le contraste est quand même très prononcé entre la sauvagerie et le calme de Mafate, et ce bord d’océan truffé de supporters et avec de nombreux dépassements ! Je parle de plus en plus avec tout le monde, des remerciements, et un sentier plutôt roulant mène à la Possession, en bord d’océan.

Possession > St Denis stade de la Redoute

Encore un peu agacé car je préfère être filmé à l’arrêt ou en repartant, je profite de mes enfants et de mon épouse pour parler et me délester des douleurs en me plaignant, et je constate avec joie que le ciel se voile et l’atmosphère va être plus agréable. On sent qu’une averse est possible. Ma femme a réussi à se garer au mieux, alors que la sortie de voie rapide était saturée, organisation folklorique disais-je 😊 Je ne m’attarde pas, il faut marcher mais ne pas se refroidir. Le large « chemin des Anglais » ne faillit pas à sa réputation, je le découvre comme toute la course, étant arrivé 3 jours avant, je n’ai rien repéré et cela me va bien, j’adore la découverte ! Des lacets superbes en pierre volcanique, un photographe encore bien placé, je profite de l’instant et je crie presque de joie quand une averse arrive. La pierre volcanique accroche bien, seules les 2 traversées de ravines avec des galets ronds sera délicate sur la fin. Grande Chaloupe, c’est un petit crachin par 22 degrés, je me mets sous un arbre, ça commence à sentir bon car il reste 14km et environ 4h maximum, il est 14h30. Je réalise que je vais peut-être arriver avant la nuit, j’ai quand même pris la frontale neuve d’Anthony, qui sera à pleine puissance si besoin. Tout le monde est au radar, je mène parfois de petits groupes, ça me rattrape un peu moins. La montée du Colorado commence par un sentier similaire aux Anglais, puis une sorte de chapelle en hommage aux ouvriers morts dans plusieurs chantiers (je crois), puis on redescend dans un petit village et c’est la montée finale, assez longue dans des sortes de canyons dont on imagine l’état l’an dernier après la pluie ! Et sans bâtons. Le sol a bien absorbé et le bascule au sommet, où il me semble voir le directeur fondateur de la course, annonce la fin. Je partage ma position sur Whatsapp à mes suiveurs, nos amis Odile, Lionel et Raphaël ont rejoint ma famille au stade de la Redoute, ainsi qu’Anthony. On entend désormais le speaker « star » Ludovic Collet, je ne sais pas si ce sont des hallucinations (pour le moment j’ai juste vu quelques chiffres dessinés au sol à la place des aiguilles de filaos). Flo m’accompagne sur la fin de course, il est sur le Metis Trail, je suis un peu déçu car avec la cohue de la fin, on ne peut pas finir ensemble. Un coureur du Bourbon me double en prévenant trop tard et me tape la malléole avec son pied, je peste et souffle un coup, j’encaisse. Le coucher de soleil est joli, on file sur le sentier parfois roulant, parfois pavé, parfois truffé de racines et cailloux, mais très joli. Un coureur manque de tomber de 6/7 mètres en essayant de doubler, cela calme les ardeurs de tout le monde. Le pont au-dessus de la voie rapide, derniers 500 mètres en longeant le stade. Mes enfants me rejoignent, on profite de l’instant, moment d’éternité, de soulagement, de joie, de gratitude envers mes assistants, mes amis et ma famille pour leurs messages de soutien, ayant pris le temps d’informer très régulièrement de mon avancée et mes pensées. Je me ravitaille, je suis en meilleur état physiologique qu’à la fin de l’UTMB où j’avais oublié un peu de boire en fin de nuit et avait utilisé à tort un grand verre pour boire la bière, cette fois ça sera le lendemain midi ! Je m’installe sur une chaise avec mon maillot offert à l’arrivée, que mes amis vont me dédicacer en créole, quel beau cadeau ! L’impression d’être parti une semaine en aventure, je découvre les abandons, les joies, Guillaume notre voisin qui a fini 10h avant moi (dans le calme de la matinée, Mag finissant dimanche midi). Arrivé sans la lampe, défi relevé sur cette fin de course, en préservant une santé convenable. Je dépile des dizaines de messages car la fin de course a été compliquée. MERCI les amis, MERCI la famille, MERCI la Réunion !

Vidéo d'immersion de 11min : Vidéo Youtube

2 commentaires

Commentaire de Bacchus posté le 14-11-2025 à 08:57:09

Bravo pour ta course, superbe récit, un peu difficile à lire (un peu gros les pavés -;), j'avoue avoir fait un copier/coller de tout le récit dans ChatGPT en lui demandant de me reformater les pavés. Bonne récup
Sympa la vidéo, trop envie d'y retourner

Commentaire de alexch posté le 14-11-2025 à 09:15:34

Merci Bacchus, très bonne remarque (en plus c'est long...), je vais travailler ça ! J'ai hésité à mettre des photos pour aérer, je pense que cela va améliorer le rendu. Même pour un Bourbon/Mascareignes ça vaut le déplacement pour une expérience assez unique, et en randonnant/visitant l'île, c'est vraiment royal comme vacances si on peut en prendre à la Toussaint !

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