L'auteur : Zaille
La course : Trail Alsace Grand Est by UTMB - 175 km
Date : 16/5/2025
Lieu : Turckheim (Haut-Rhin)
Affichage : 298 vues
Distance : 158km
Objectif : Terminer
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Depuis 3 ans nous avons un UTMB en Alsace. Avec ses gros sabots, la grosse machine venue de Chamonix s’installe à Obernai pour faire visiter au monde entier les monts et châteaux de notre belle région. Dès la première année j’ai craqué pour le 20k (qui fait 32km) et j’ai adoré l’ambiance avant, pendant et après la course. En 2025, me voilà de retour sur l’évènement pour le plus gros morceau du gâteau UTMB, le 100M, l’Ultra Trail Des Chevaliers.
Aussi déterminé que terrorisé
Objectif majeur de ma saison, je l’ai en tête depuis un moment. Les longues et multiples hésitations devant la page de paiement du dossard vendu à un prix insolent n’auront finalement fait que reporter ma décision. Ça sera mon premier 100 miles qui ici fera 158km pour 5800D+ et c’est aussi déterminé que terrorisé que je décide à me lancer dans l’ultra gueule du loup.
Mes objectifs, cette année, sont (trop ?) multiples autant sur route que sur sentiers et mon entraînement est des plus décousu, j’ai peur d’en payer le prix. J’ai bien fait une reconnaissance sur 3 jours quasi complète du parcours mais mes sorties trails n’ont clairement pas été à la hauteur d’un 100M. Pas de WE choc et la plus grosse distance date de début mars avec un 50k plutôt décevant.
La cerise, histoire de donner un peu plus de saveur au Schwarwälder, 15 jours avant le départ, ma cheville gauche se tourne à l’équerre dans une ornière fourbe cachée dans les herbes hautes. Le craquement de mon ligament résonne encore dans le vallon de Kurtzenhouse ! Grosse douleur sur le coup et comme d’habitude, hématome, patte d’éléphant, etc … Mais, miracle il y a eu car 4 jours après je recourrai déjà sur du plat et le WE d’après je faisais mon dernier entraînement en sentier sans aucune douleur, les dieux du trail auraient-ils mon adresse ?
27 heures
J-5, début du repos total. Je ne rechigne pas à la sieste et me couche un peu plus tôt le soir. La nuit blanche prévue sera la difficulté supplémentaire au-delà de la distance. J’ai déjà expérimenté des courses incluant des nuits et c’est peut-être la chose qui me fait le moins peur, pourvu qu’il n’y ait qu’une seule nuit !
Je prévois 27 heures pour la balade et donc une arrivée pour 22h avec juste un début d’orteil dans une 2ème nuit. J’avais d’abord rêvé d’un chrono de 24h avant que ma reco me fasse entendre raison. De plus, entre temps, le tracé officiel rajoutera 1000m D+, je vais alors longtemps hésiter entre 26 et 27 heures en triturant mon traditionnel tableau Excel dans tous les sens. Joseph, également partant, voudrait même prévoir plus mais je m’obstine, ça sera 27 heures.
Détendu
Vendredi, Jour J, « In RTT we trust ». Je peaufine mon sac qui durant toute la semaine s’est vu rajouter/enlever du matériel. Il y a déjà tout le barda imposé par l’UTMB et à cela quelques éléments persos comme les compotes, les câbles et batterie pour charger montre et téléphone, les affaires de rechange pour le dropbag du km97, etc … De quoi cogiter quelques soirs dans son lit avant de s’endormir.
15h45, Dominique, un autre ultra, me cherche pour un peu plus d’une heure de covoiturage à destination de Turckheim. Stationnement, dossard, tout se fait très rapidement. On reçoit le dropbag et un petit lot limonade/bretzel. On est bien en avance pour le départ à 19h mais la météo est agréable et je suis relativement détendu. J’ai hâte de voir comment je vais appréhender ce nouveau défi.
Ludovic Collet
Il y a du monde, on parle de 700 ou 800 coureurs. Joseph nous a rejoint entretemps, le trio est complet. On s’avance vers la zone de départ où s’agglutinent déjà les plus beaux spécimens de traileurs d’Alsace et d’ailleurs. Je reconnais « la voix du trail », Ludovic Collet et son style inimitable. Le temps de déposer mon dropbag et faire une dernière photo souvenir et hop c’est parti.
Je me suis volontairement placé tout à l’arrière, je ne suis pas dernier mais presque. Je limite ainsi le risque de vouloir flamber. En passant l’arche, je vois Ludo et réussi à lui faire un check, un petit boost qui ne se refuse pas, un long chemin nous attend. Beaucoup d’encouragement dans la ville que nous quittons très vite pour arriver direct dans le pentu après un petit étranglement sans importance où nous piétinerons un peu.
Je raisonne section par section, de ravito en ravito
Ma stratégie de course est d’y aller vraiment mollo au début et de me focaliser sur l’économie de l’effort. Mentalement, comme souvent, je raisonne section par section, de ravito en ravito. Je ne regarderai jamais la distance totale mais uniquement les données sur le tronçon, il y en a 11 en tout, le premier en direction de Kaysersberg fait 2h40 pour 17km (9:25/km de moyenne), il fait partie des 4 surlignés en rouge sur mon tableau, les 4 plus durs en termes de ratio D+/km.
Très vite on randonne en direction du premier sommet suivi d’une descente où malgré l’envie, je trottine à petits pas alors que le terrain invite plutôt aux grandes foulées. Il fait encore jour et on arrive sur le premier château, le Wineck sur les hauteurs de Katzenthal avant encore un peu de D+ et le premier arrêt qui lui se fera déjà frontale allumée.
Physiologiquement déjà fatigué
Premier ravito et quelle déception !! En effet, ma stratégie de « traîner » un peu à l’arrière me fait arriver à un ravito où il ne reste littéralement que des miettes des gaufres et barres Näak (le sponsor nutrition) promises. Je dois me contenter du traditionnel combo Tuc/saucisson ce coup si mais suis un frustré par une organisation que je jugeais jusqu’ici parfaite. Pire encore, il ne reste plus qu’un sachet de poudre isotonique que les pauvres bénévoles, démunis, doivent rationner. Le prochain ravito est à 24km, impensable de faire un tel tronçon sans boisson mais heureusement j’arrive à avoir mon aumône tant bien que mal.
Je repars avec Joseph qui lui a la chance d’avoir une assistance (Alexia). J’ai environ 15 minutes d’avance et suis détendu bien que physiologiquement déjà fatigué. Le couche-tôt que je suis va devoir lutter un peu ces prochaines heures d’autant plus que c’est un gros morceau qui nous attend. 2 bosses puis la grosse montée vers le village le plus haut d’Alsace : Aubure.
Le froid commence à se faire ressentir
On démarre dans un petit sentier bien encombré mais très vite suivi de chemins très roulants où l’on avance bien. Je ne connais pas cette partie, c’est celle qui a été rajoutée au tracé que j’avais emprunté durant ma reco. Ce sont 10km qui passent crème, je me prépare déjà mentalement à l’ascension de la nuit, 7km non-stop.
Une impressionnante file de frontales serpente dans ce long single où le silence n’est interrompu que de temps en temps par l’un ou l’autre souffle bruyant. Je ne ressens pas de difficulté sur cette partie mais c’est long et j’ai hâte d’arriver au prochain arrêt. Malgré l’effort, l’altitude aidant, le froid commence à se faire ressentir et cela même si je suis en manches longues, j’ai hâte de revêtir ma veste.
Deux gros morceaux sont déjà derrière moi
Aubure, km40, 6h15 de course, 25 minutes d’avance et tout va bien. J’ai retrouvé Joseph entre temps (enfin c’est plutôt lui qui m’a retrouvé), je pensais qu’il était devant moi car j’ai dû faire un arrêt « technique » derrière un stère de bois. Le ravito ici est bien fourni et il y a même un coin sous tente avec bancs et tables pour se restaurer en tout confort. Je me sers une soupe chaude, elle me fait un bien fou.
Les 10 minutes de pause prévues passent très vite mais c’est suffisant pour faire le plein et m’équiper un peu plus chaudement. Je repars motivé, deux gros morceaux sont déjà derrière moi, direction le Haut-Koenigsbourg. 17km à boucler en 2h30 avec pas mal de descentes et des montées beaucoup moins sévères. Je sais aussi qu’une fois là-bas, une bonne descente me mènera vers Châtenois où la nuit devrait commencer à s’estomper.
Km56 avec 30 minutes d’avance
Le moral est au beau fixe et en plus j’ai trouvé un traileur parisien, Marc, pour papoter et partager nos ultra-souvenirs. Le temps passe beaucoup plus vite, l’effort se dilue. Je lui parle de mon objectif de 27 heures sur lequel j’ai même de l’avance et ça le motive pour me suivre, lui qui était parti initialement pour plus de 30 heures.
Dans la dernière montée on aperçoit le château tout illuminé au loin et Marc se fait la même réflexion que moi lors de la reco, « on n’est pas arrivé ». Je le rassure sur cette fausse impression, un panneau de randonnée indique 1,6km, on y est presque en fait ! Je suis toujours en pleine forme et trottine quand le sentier le permet. On passe devant un groupe de figurants médiévaux buvant des bières (ou de la cervoise) autour d’un feu et nous y voilà au km56 avec 30 minutes d’avance.
Encore un ravito bien fourni où je prends le temps de m’attablé. Il y a même des lits où certains se reposent … Si je fais ça, pas sûr de pouvoir me relever avant l’aube car même si les jambes ne se manifestent pas trop, je sens la fatigue physiologique tout à fait normale … Il est quand même 4h du mat ! Même à nouvel an je ne me couche pas aussi tard ! En attendant je m’alimente et remplie mes flasques. On part dans 4 minutes, Marc acquiesce, go !
A fond les ballons
J’ai prévu de courir à 7:30 sur cette nouvelle portion avec plus de 600m de D- et très peu de D+. 1h00 pour 8km mais les sentiers du début encombrés de racines ne vont-ils pas rendre la chose impossible ? En plus les premiers mètres par les coursives du château ne facilitent pas la tâche. Je réalise que Marc n’est plus derrière moi, j’avance quand-même, il me rejoindra peut-être plus tard. Je suis un groupe qui avance bien, il m’ouvre la voie, on déroule pas mal, je prends beaucoup de plaisir même s’il faut rester très concentré. Si ma cheville revrille (malgré la petite orthèse que je porte), ça sera fini pour moi.
Tiens ! Pourquoi ma frontale clignote ? Tiens ! Pourquoi ma frontale n’éclaire quasiment plus ? Je devine que la batterie de ma Stoots est à bout, je suis obligé de m’arrêter sur le côté pour changer de batterie. Au fait ! Comment on change de batterie dans le noir total ? Je comprends mieux Dominique qui me disait qu’il était plus facile de changer de frontale que de batterie. C’est ce que je vais finalement faire même si la Décathlon n’éclaire pas aussi bien mais je ne devrais pas devoir à l’utiliser longtemps.
C’est reparti, à fond les ballons, je redépasse ceux qui avaient pris l’avantage sur moi durant ma panne d’éclairage et m’amuse vraiment à foncer (en toute relativité !! hein !) et relancer dans les faux-plats. Je vois mon allure moyenne petit à petit se rapprocher de l’objectif pour finalement même la dépasser. Un dernier coup de cul, histoire d’avoir un peu de D+ quand-même, me voilà à Châtenois où le soleil encore absent apporte malgré tout déjà un peu de clarté.
La partie la moins glamour du tracé
J’ai mis à peine 1 minute de plus que prévu sur ce tronçon et je suis toujours en avance d’une vingtaine de minute. Je n’ai prévu que 5 minutes de pause mais décide de prendre mon temps, je m’assoie, je vais aux WC et me ravitaille correctement. À tout moment je pense revoir Joseph ou Marc mais non … Tant pis, j’y vais, frontale éteinte, il est environ 5h20 du matin.
Cette nouvelle portion ne comporte qu’une seule difficulté et je l’appréhende donc sereinement. En plus elle ne fait que 13km, 2h00 selon mon planning, ça va passer vite. Je ne reconnais pas du tout le parcours au début et puis me souviens de la sortie de la ville et du pont d’autoroute. La partie la moins glamour du tracé avec pas mal de bitume avant de s’enfoncer à nouveau dans la forêt.
Une fois de plus en avance au checkpoint
Les coureurs se font rares mais dès que j’en vois un au loin j’essaie de me forcer à trottiner pour arriver à sa hauteur. Je me rends compte que je n’ai même pas encore fait la moitié, c’est terrible, je chasse ces pensées négatives en me focalisant sur l’étape suivante, Dambach-la Ville. Là j’aurai fait la moitié … ou presque !
Je ne me souvenais plus non plus du niveau de difficulté de cette unique montée. Waow ! Encore du pentu bien costaud 4km durant. En plus je me trompe à un croisement entrainant avec moi un chapelet de runners avant d’être alerté par ma montre que je suis hors parcours depuis quelques centaines de mètres. C’est l’unique fois que ça m’arrivera, le balisage étant globalement parfait sur tout le tracé.
Au sommet, un château, un banc mais non, je ne vais pas commencer à me poser entre les ravitos sinon je n’en finirai jamais. Une descente plutôt confortable s’en suivra avec vers la fin une partie dans les vignes. Je suis une fois de plus en avance au checkpoint et cumule à nouveau plus de 30 minutes de rab. Je prends 5 minutes de plus que les 10 prévus, on est sur une placette du village, le soleil est là, je profite d’un peu d’accalmie.
La fatigue commence à jouer sur mon humeur
Le prochain morceau est un gros morceau de 18km que j’ai estimé à 3h15 de course mais c’est aussi la base vie où j’ai programmé une grosse pause pour me changer avec les affaires de mon Dropbag que je retrouverai là-bas. En attendant ça va monter bien raide avec dans mon dos des hollandais qui parlent forts et rigolent, ça me dérange, ça me sort de ma bulle et m’énerve. A tel point que je m’arrête et les laisse me dépasser pour ne plus les entendre. Je comprends que la fatigue commence à jouer sur mon humeur.
Il y aura deux types de montées sur cette section (et finalement sur tout le parcours) : les très raides où j’avance tête baissée les mains accrochées aux bretelles de mon sac et les moins raides où le balancier de mes bras m’aide à avancer. Dépourvu de bâtons (encore une fierté mal placée) c’est ma technique pour faire la nique à ceux qui représentent 90% du peloton : les bâtonniers 😉.
Je me sens comme neuf
Bon, j’arrive à Andlau, je me souviens de cette dernière descente. Dominique m’avait accompagné sur cette section durant ma reco et on avait bien envoyé. Là c’est un peu moins flamboyant même si je prends encore un peu de gras sur les prévisions. Je rentre dans la salle des fêtes et récupère mon dropbag pour squatter une chaise, je prends mon temps une fois de plus, j’ai prévu 20 minutes ici. 95km au compteur !
J’enlève la sous-couche à manches longues et change de maillot, je passe à la tenue estivale avec bob et lunettes de soleil. Je fais le plein de compotes et me passe de l’eau sur le corps te le visage, je me sens comme neuf. J’entends çà et là des coureurs qui parlent d’arrêter là mais je n’y pense pas une seconde, pas ici, pas maintenant, pas après tout ce chemin parcouru.
Joseph n’est plus en course
C’est parti pour 12km à la difficulté moyenne. Ça part assez fort, tout droit dans les vignes puis sur des singles variés mais tout en D+. Il y a du monde derrière moi mais personne ne dépasse malgré mon allure de randonneurs. A un moment, mon esprit est un peu parasité par des notifications de messagerie où je comprends sans vouloir y croire que Joseph n’est plus en course. Je décide de ne pas regarder les détails, je suis entre déception et colère, pourquoi ? J’espère quand-même que ce n’est rien de grave !
L’unique descente arrive après 6km. Je me sens bien et certains singles, joueurs, en faux-plat descendant me donne envie de m’amuser. Je déroule, je dépasse, je m’amuse alors que j’ai plus de 100km dans les jambes, la magie de l’ultra. Je reçois quelques messages motivants et apprends que Dominique n’est pas encore à Barr, ma destination du moment. J’adorerai le retrouver en cours de route et faire un bout de chemin avec lui alors … J’accélère. Ma pseudo vitesse me grise et je relance même dans les petites montées.
Laetitia est là
Sortie de forêt, on arrive dans les vignes, c’est roulant, je roule. Une douleur au genou est vite oubliée, ce n’est qu’une information. Je dépasse pas mal de monde et en contre-bas, Barr, j’arrrrrive !!! En ville un dernier faux-plat montant où je relance étonne les coureurs à la marche. Je pousse le vice (ou la connerie) en montant deux à deux les marches menant au ravitaillement. Je rigole, quelques coureurs applaudissent ma prestation et surprise … Laetitia est là pour assister au spectacle de son clown de mari 😊
Je ne suis pas au bout de mes surprises car en plus de la joie de retrouver ma chère et tendre, voilà que je vois Dominique avec sa petite famille. Par contre il est couché sur un banc et est contraint à la marche depuis un moment par la faute de son genou en carafe. Je suis vraiment désolé pour lui d’autant qu’il était sur une base de 24h. Moi j’ai à présent une heure de rab et suis en pleine forme. Laetitia s’occupe de moi et de mes flasques, je ne rechigne pas à me faire servir, quel confort !
Joseph a abandonné, Laetitia me le confirme, quelle merde et Dominique dans un sale état … On décide de repartir à deux. J’ai prévu une allure très lente pour ses 8 prochains km en montée unique où il s’agira de grimper jusqu’au Mont Sainte-Odile. Un morceau que j’appréhende et qui en même temps me fait piaffer d’impatience. Entre nous on l’avait dit 100 fois : une fois là-haut, on sera finisher, le doute ne sera plus permis.
Mal au pied et mon ventre gargouille
C’est reparti après 20 minutes de pause (au lieu de 10) mais je ne regrette pas le temps passé avec ma runneuse préférée et la famille de Dominique, c’est du boost mental inestimable pour la suite du chantier. Dominique part devant, il sert les dents et je le suis avec un début de douleur au pied. Sur le côté extérieur, à l’endroit où j’avais un hématome suite à mon entorse. C’est gênant mais pas handicapant, je ne m’inquiète pas pour l’instant.
Dès les premiers mètres de pente je me fais distancer. J’encourage Dominique à continuer, moi, je ne veux pas forcer, j’ai prévu volontairement une allure réduite pour ne pas me stresser du chrono dans ce gros morceau. Je connais ces sentiers, je les ai déjà pratiqués plusieurs fois et c’est à 11:00, 12:00 ou même 13:00 minutes au kilo que j’avance. C’est lent, c’est long mais j’y arriverai dans le temps imparti. Laetitia me rejoint même pour faire le dernier km avec moi.
Après un tour dans les jardins du couvent pour bénéficier de la vue sur la plaine d’Alsace, je retrouve la clique à côté du ravito. Je ne suis plus du tout dans l’état de forme qu’il y a 8km. J’ai mal au pied et mon ventre gargouille. Un passage aux WC me délestera d’une substance blanchâtre que j’analyserai comme le résultat de mon excès de boisson iso et sans vraiment manger …
Salade de cailloux
On traîne un peu, je mange un peu tant bien que mal et nous voilà reparti pour 18km en direction de Klingenthal. Jusqu’à présent les chemins me semblaient plutôt faciles mais là, cette première descente est horrible, une vraie salade de cailloux où je descends aussi vite que je montais juste avant. En plus chaque appui sur mon pied gauche me fait mal et ça me saoule. L’obligation de viser l’endroit exact où poser le pied à chaque pas et la peur de la sur-entorse me font détester ces sentiers. La fatigue y est pour quelque chose aussi, c’est sûr après 20 heures de course.
Un pied devant l’autre et on avance. C’est le mantra que je me répète régulièrement. Tant que je pose un pied devant l’autre je me rapproche de l’arrivée. Dans cette orgie de caillasse je rencontre Karim qui râle tout autant que moi. On se fait une raison. A un moment, une longue descente sur une piste forestière où je trottine à nouveau mais le sol jonché de silex ne plait pas du tout à mon pied, je serre à mon tour les dents. Dominique est loin, je lui ai demandé de ne pas m’attendre, je ne veux être le poids de personne.
Un km bouclé en 18:25 minutes
Oh, un ravito ! Mais … En fait c’est le 20K qui passe par là et c’est pour eux qu’est prévu cette halte. Je continue pour embrailler direct sur le boss de fin de section. 4km en pente dure, très dure où je battrai mon record de lenteur avec un km bouclé en 18:25 minutes, impressionnant. D’autant plus impressionnant que les premiers du 20k nous dépasse en courant à une allure insolente. On n’hésite pas à les encourager, ce sont pour la plupart des tous jeunes et souvent ils nous rendent la pareille malgré leur rythme effréné.
Dernière descente sur cette étape dans un single encombré de racine et de traileurs à vive allure. En effet, on n’arrête pas de se faire dépasser par les fusées du 20K. Pour ne pas les gêner, je me mets systématiquement de côté mais ça rajoute de la lenteur à ma lenteur et même si au début je le faisais volontiers, ça devient pesant d’être toujours sur le qui-vive.
Finalement, au bout de 2-3km, les tracés des deux courses se séparent et nous rejoignons une piste large où je peux à nouveau courir un peu. On passe à côté du château d’Ottrott avant de « déjà » voir le village de Klingenthal. Le ravito est tout à l’autre bout et ce dernier km me semble interminable. J’ai perdu beaucoup de temps durant ces 18km et il ne me reste plus que 15 minutes d’avance. Les 27 heures sont encore jouables mais la finalité est déjà ailleurs pour moi : terminer, juste terminer.
Moins de 4 heures
Laetitia est à nouveau là et oh surprise, des amis runneurs, Thierry et Sylvie qui a bouclé la veille le 100k (116km) en 17h30 … Bravo !! On me propose plein de chose à manger ou boire mais je n’ai envie de rien, je ne suis pas bien. Je suce 2-3 quartiers d’orange mais même un bretzel ne passe plus. Je demande à Laetitia de remplir les flasques uniquement avec de l’eau, je n’en peux plus de la boisson Näak et de son goût citron. Je composerai avec mon stock de compotes.
Je regarde la montre, il faut que j’y aille. Objectif Rosheim, 16km et tout de suite une grosse montée, la seule et je l’avais complétement zappée. En partant je vois Karim et l’embarque avec moi. Il est 18h passé, un dernier regard vers mes supporters que j’espère revoir dans moins de 4 heures, une broutille comparée au temps déjà passé depuis Turckheim.
A quatre pattes
Je fais part à Karim de mon objectif de 27 heures et de l’allure de 9:04 qu’il faudrait maintenir sur ces 16km. Il est OK mais les 5 prochains km qui nous attendent ne sont pas OK du tout. Une fois de plus, ça sera à l’allure de marche forcée que je vais évoluer. Heureusement que je suis en bonne compagnie, le temps parait moins long et la pente plus douce.
Les derniers mètres de l’ascension se font à quatre pattes, je m’aide des mains pour m‘accrocher à des racines, j’hallucine. Les premières descentes ne nous feront pas de cadeau non plus avec des sentiers similaires à ceux que j’avais maudit après le Mont Sainte-Odile. Ce n’est pas comme ça que je vais y arriver mais que faire ? La douleur au pied ne s’arrange pas non plus, c’est comme si à chaque appui on me pressé sur un hématome.
Enfin de nouveau de quoi courir. Une piste forestière à la pente légère, rien de plus que pour me décider à relancer et ignorer mes petits tracas. J’avance à 6:15 et dépasse pas mal de monde, je ressens à nouveau une certaine euphorie et repense au chrono. Il y a effectivement des hauts et des bas dans l’ultra et là j’en profite encore vite avant de retomber une nouvelle fois dans les abîmes.
La frontale est à nouveau en fonction
J’arrive dans Rosheim après 2km de piste cyclable où je cours à nouveau aux alentours de 6:20, j’ai 150km dans les pattes mais les jambes ne vont pas si mal et enfin le dernier ravito où je m’assoie directement sur une chaise. Ce dernier effort, aussi intelligent qu’inutile, en rajoute une couche sur mon état nauséeux que je connais depuis 3-4 heures. Je vacille sur ma chaise et un bénévole me propose d’être pris en charge par le poste de secours mais hors de question, il reste 8km, je veux en finir.
Je repars sans même remplir mes flasques, à quoi bon, je ne peux plus rien avaler. J’ai pris un simili-coke mais il a du mal à passer. La frontale est à nouveau en fonction, la nuit s’installe pour la 2ème fois. Il est 21h00 et je sais que je n’arriverai pas à boucler ces 8 derniers km en une heure. Aussi facile sont-ils sur le papier, dans mon état ça ne sera pas possible. Dans tous les cas je serai finisher.
Plus jamais ça
L’entrée dans cette deuxième nuit fait apparaître les premières hallucinations. Tout autour de moi se transforme en objet quelconque, je navigue dans un brouillard mental et ne peux (veux ?) définitivement plus courir du tout. Je me sens trop mal et mon pied … Pourquoi s’infliger de telles souffrances, je gamberge, plus jamais ça, même pas un marathon, 20km maxi, en tout cas plus jamais d’ultra. Je suis éreinté et nauséeux, je décide de mettre le doigt, titiller la glotte dans l’espoir d’un soulagement mais plus de bruit que de vraie purge.
A un moment, seul dans un bois, je m’assoie par terre. Je suis peut-être à 2-3km de l’arrivée, Laetitia m’attend et moi je suis là assis, c’est désespérant. Je me fais encore dépasser par l’un ou l’autre coureur et pense peut-être revoir Karim qui lui aura sûrement eu une meilleure stratégie de fin course. Finalement c’est un bénévole que je croise et qui m’indique 1km ou 10min. J’envoie un message à Laetitia, j’arrive.
Ni heureux, ni fier
Enfin la croix qui surplombe Obernai, on y est. Plus qu’une descente, sur du bitume bien raide et je rentre en ville. Je trottine à nouveau. Je l’ai fait, je ne réalise pas, je n’apprécie même pas, je suis trop mal. Une passerelle aux escaliers affutés et voilà l’arche au loin. Un long tapis rouge cerné de barrières m’emmène vers l’achèvement de mon premier 100M. Il n’y a plus grand monde mais j’ai quand même encore droit à quelques applaudissements. Le speaker m’annonce en égrainant mon modeste palmarès. Je passe la ligne en 27h28 pour 159km et 6249D+.
Laetitia est là mais il faut que je souffle, avachi sur une barrière. Joseph et Alexia sont là aussi, quelle surprise. Enfin je m’assoie, je n’ai pas d’autre sentiment que le souvenir de ces dernières souffrances. Je ne suis ni heureux, ni fier, incapable de ressentir quoi que ce soit, je suis une carcasse vide. Joseph me propose un Tourtel fraîche, boisson que j’adore, mais rien à faire, je ne peux pas. Idem pour le ravito d’arrivée que je ne regarde même pas.
C’était mon premier 100M ou mon dernier 100M. L’avenir nous le dira.
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2 commentaires
Commentaire de A6T posté le 27-05-2025 à 20:59:06
merci pour ton récit. Pour quelqu'un qui n'a pas fait de week-end choc et sans bâtons, tu t'en sors plutôt bien 😉. Tu feras mieux pour ton deuxième ultra.
Commentaire de Zaille posté le 28-05-2025 à 14:05:41
Merci. Depuis j'ai pas mal cogité et comme je suis déjà inscrit sur l'Infernal 200, je vais pouvoir parfaire mon expérience. Je vais notamment creuser côté nutrition !
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