L'auteur : Cecile Germin
La course : Marathon d'Athènes
Date : 10/11/2019
Lieu : Athènes (Grèce)
Affichage : 147 vues
Distance : 42.195km
Objectif : Pas d'objectif
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4h45 : le réveil sonne... Ça pique, mais de toutes façons je n'ai pas bien dormi. Des mois que j'attends ce jour.
Une douche, une moitié de Gatosport, un thé et on part avec mon homme pour que je prenne la navette à Omonia. Quelques minutes de marche et nous voilà au pied des bus mis à disposition des coureurs pour rejoindre le départ à Marathon. Un dernier bisou et "On se revoit à l'arrivée ! "
5h45 : départ du bus. Il fait encore nuit à Athènes.
Nous empruntons une grande partie du parcours qu'il va falloir courir.
Au fur et à mesure que défilent les kilomètres, je prends conscience de ce qui m'attend avec le relief. Le trajet me semble interminable. La pauvreté de la Grèce est visible partout. Les maisons en ruine, les constructions laissées en plan. Ça me fait un peu penser à Cuba...
Doucement, le jour se lève.
6h40 : nous entrons dans Marathon. Le soleil s'est levé pour accueillir les 60 000 coureurs qui vont tenter de relever le défi.
Nous sortons du bus pour rejoindre le stade.
L'organisation est sans faille.
On commence par nous distribuer un sac poncho. Je peux m'alléger de mon sac poubelle. Puis distribution d'eau.
Après une petite marche nous arrivons devant l'arche du départ. Il n'y a encore que peu de monde. C'est déjà impressionnant.
Je longe le stade, où je découvre des toilettes par dizaines.... Jamais vu autant de toilettes sur une course. Je mange mon 2e Gatosport. Je bois. Je vais pouvoir jeter ma gourde qui fuit et utiliser leur bouteille. J'élimine un premier problème logistique.
Petite visite des alentours du stade. Il y a la coupole de la flamme olympique, et une plaque commémorative au sol. Je prends quelques photos souvenirs.
J'ai presque 2h à tuer mais je ne veux pas me fatiguer du coup je redescends au stade et je m'allonge, comme d'autres coureurs. J'essaye de me mettre dans ma bulle. Je révise mon bracelet d'allure.
Je sais où sont les difficultés du parcours.
Ma stratégie de course est simple : les 10 premiers à une allure de 7mn/km. Du 11e au semi, ça monte, on réduira à 7mn15/km. Du 22 au 31e c'est la partie la plus difficile, on réduira encore à 7mn20/km et les 10 derniers retour à 7mn/km.
Ca donne un marathon en 5h01mn12sec.
Pendant mon entraînement, le coach m'a dit qu'il savait que je pouvais passer sous les 5h. Mais sur du plat, sur un parcours comme celui-ci peut être pas qu'il m'a dit.
Ouais. Mais moi je suis une tête de mule. Et s'il dit que je peux faire moins de 5h, ben je veux faire moins de 5h. Je vais donc me débrouiller pour gratter 1mn30 sur ce plan. Et faire moins de 5h... Plat ou pas.
9h00 : on rentre dans nos sas. Les Elite partent. Un coup de pistolet annonce le départ de chaque vague.
Les Grecs sont ponctuels.
Soudain une grosse averse. Mais une vraie grosse bien grosse. Je me planque sous le poncho.
Le speaker annonce d'être prudent car le sol peut être glissant.
9h30 : mon sas est annoncé. On avance vers le départ. On passe au pied de la flamme olympique qui a été allumée. C'est beau. J'ai la chair de poule. Devant nous la grande allée du départ, rien que pour notre sas, du coup il y a beaucoup d'espace pour trottiner tranquille et s'approcher de la ligne. Je mets ma musique, je prends une grande inspiration. Ca y est ! J'y suis enfin...
Je passe sous l'arche. Il est 9h40. J'enclenche le chrono.
La première difficulté d'une course c'est le départ. Le risque est de partir trop vite et de se griller. Je dois garder mon allure, ne pas me laisser entraîner et canaliser l'adrénaline. Les premiers km défilent. C'est plat. Les spectateurs sont rares, les habitations aussi, le paysage un peu moche. Sur le bord de la route, que des hommes, type Afghan, avec barbe longue et habit typique nous regardent passer. C'est bizarre. On se croirait à Kaboul.
Km 5 : moyenne de 6mn56/km. Nous contournons le tumulus de Marathon. Je grapille ces précieuses secondes en faisant attention à ne pas me griller. Il faut garder du jus, car c'est la partie la plus facile.
Km 10-12 : c'est là que ça va commencer à monter. Rien de bien méchant à vrai dire. Des gros faux plats plus que des côtes. Première grimpette au 12e mais ça se gère.
Ca me permet de garder mon rythme à 6mn53/km.
Km15 : premier vrai ravito. Je prends un gel. Je suis autour de 6mn57/km. Je suis bien. Je pense pouvoir garder l'allure.
Mais je reste lucide, le plus ardu est à venir.
Km18 : une vraie côte qui pique.
Les Grecs sont des supporters de choix. Nombreux maintenant, tout au long du parcours.
Semi en 2h26mn ! j'ai 3mn d'avance sur mon plan. Si je reste comme ça, je l'ai mon "moins de 5h"...
Km24-25 : il pleut à nouveau. Nous longeons la côte. Et la grimpette est assez raide. J'opte pour regarder ce paysage magnifique à ma gauche plutôt que la grimpette. Cette partie du parcours est juste sublime. La mer, la montagne, c'est tellement paisible malgré la pluie. Cette pluie justement me fait sentir vivante. J'ai une chance inouïe d'être là, de vivre ça. Je pense à Carole, là, tout de suite. A cette chance qu'on a de pouvoir courir, d'être en bonne santé.
Fin de la grimpette. Ca redevient plus plat.
Tous les 2.5km il y a des postes de secours. De plus en plus de monde s'arrête pour mettre de la crème. Ça commence à cramper, les visages se durcissent.
Je sais que le plus difficile est à venir. Ce sont les 30 et 31e.
Km 25 : 2h54mn, j'ai 5mn d'avance sur le plan.
Km27 : sur le bord de la route les Grecs sont toujours présents. Ils crient leurs encouragements à grand renfort de "Brrrrravo brrrrrravo". Ils applaudissent, tendent leurs mains pour qu'on checke, offrent des rameaux d'olivier.
Et puis au milieu de tous, je vois ce petit garçon, roux avec des grands yeux bleus. Aux antipodes du Grec qu'on s'imagine. Il me tend un rameau avec un grand sourire. Je prends le rameau et je sens monter des larmes. Et je mets à pleurer. Je pense à mes enfants. Je sais qu'il faut me ressaisir tout de suite sinon c'est mort.
C'est là tout le paradoxe du marathon : en 2mn on passe par des émotions totalement opposées. L'ascenseur émotionnel.
Je me reprends. Je reste sur mon allure. Je pense aux amis, à la famille, à mon chrono qui est bon. Je vais non seulement le finir ce marathon mythique, parce que je me suis entraînée comme une dingue, mais je vais aussi exploser mon chrono parce que je ne lâcherai rien. Je calcule, inlassablement, le temps que je peux faire si je reste à cette allure. Et calculer, ça occupe mon cerveau qui bouillonne autant que mes pieds courent sur le bitume grec.
Km30-31 : c'est ici qu'il y a la plus grosse difficulté : 2km d'une côte très raide. Au pire moment, là où le corps arrive souvent au "mur". Le "mur" je n'y pense même pas. J'ai bu toutes les 10mn et mangé tous les 6km. Les ressources sont là, il faut "juste" monter la côte.
Je repense à Paris-Versailles. Je repense à mes fractionnés en côte. J'en ai bouffé de la côte pendant ces mois de prépa.
Mais bon sang que celle-ci est looooooongue. Je n'en vois pas la fin. Elle est interminable. Je me force à courir alors que la plupart marche. Je prends des petits objectifs : le feu là-bas, puis le suivant... Ca crampe autour de moi. Si je marche pour cette côte, c'est mort. Alors je réduis l'allure. C'est ce que le coach m'a dit : on réduit dans les côtes.
Et enfin on en sort.... Allure 7mn20. Ce sera le km le plus lent de toute ma course. Je sais que maintenant il n'y a plus de difficulté avec le relief. Il reste cependant encore 11km à parcourir. La difficulté qui peut arriver maintenant, c'est que mon corps me lâche. Parce que mine de rien, je lui demande beaucoup depuis 32km.
Je reprends mon allure. C'est un peu compliqué car la côte m'a bien cassé les pattes. J'ai les cuisses qui tirent.
Les Grecs sont toujours aussi nombreux.
Des bus passent sur l'autre côté de la route pour ramener à Athènes ceux qui ont abandonné. J'imagine leur déception, leur désarroi.
Mes cuisses me font mal. J'en ai littéralement plein les pattes là. Je me focalise sur mes cuisses. Et du coup je me mélange les pinceaux dans les km. Je ne sais plus où j'en suis. Ah si.... 36....
Km35 : 4h04mn de course. J'ai 7mn d'avance sur le plan. C'est énorme. Sauf que je croyais avoir déjà passé le 35e. Coup de mou. Ca veut dire qu'il en reste encore 7. Comment vais-je tenir encore aussi longtemps ?
J'ai beau penser à tous mes supporters, être seule en course c'est vraiment dur. Je suis vraiment face à moi même. Personne à qui parler. Personne pour me botter le cul. Le paysage n'est pas super.
Juste mon cerveau, mes jambes et moi.
Ca crampe à tout va autour de moi. Les Grecs continuent à crier "Brrrrrravo".
Je change de playlist. Je mets ma playlist de Paris.
35km, je le sais maintenant, ça doit être mon mur psychologique à moi, ça m'a fait la même à Paris. J'ai mal aux cuisses mais je ne veux rien lâcher de mon allure. Je dois me ressaisir. Je savais que ce serait difficile, et au fond de moi je suis venue me confronter à ça. Aller chercher le bout de soi-même. C'est ça qui amène les marathoniens à prendre le départ.
Je suis au bord d'atomiser mon chrono. Je suis sûre que mon coach est en train de se dire que je risque de me griller car si j'ai été assidue aux entraînements, je n'ai rien respecté du plan de course.
Et il a raison car je me demande comment je vais tenir encore 6 km comme ça. 6km ? C'est moins que ma sortie classique.
Je me donne encore et toujours des objectifs. Je visualise les distances et je les ramène à des circuits que je maîtrise.
Nous entrons dans Athènes et les supporters sont de plus en plus nombreux et de plus en plus bruyants.
Km38 : je pleure, à nouveau. J'ai mal. Ce stade me semble tellement loin. Mais en même temps mon chrono est tellement bon que je ne veux rien lâcher. Il en reste 4.
Km39 : je retrouve un des coureurs de la joëlette des Dunes de l'Espoir. Je les ai salués sur le stade, les copains de Lolo le Bagnard. Il est tout seul. Il est lui aussi dans le dur. On discute un peu. Ca fait du bien. Ce gars que je ne connais pas est en train de galérer comme moi, et soudain son réconfort est une bouée dans ma tempête. Je m'accroche. Il est rattrapé par une de ses co-équipières. Je continue ma route seule mais un peu revigorée.
Km40 : on est dans les beaux quartiers d'Athènes. Encore plus de supporters. Ca grouille et ça crie. J'ai les cuisses en feu. Il reste 2km, c'est ma distance d'échauffement sur la Dhuys.
2x7mn = 14mn +1mn pour les 195 derniers mètres, il me reste 15mn de course. (ouais je calcule mal, mais ça a distrait on cerveau)
4h39 de course. Encore 15mn. Je tiens mon 4h55.
Km41 : je pleure à nouveau. Je vais aller la chercher cette médaille, je vais finir cette course mythique. Je vais retrouver mes supporters... je sais que les autres sont connectés au live.
Je suis seule sur le bitume mais je cours avec plein de gens qui m'aiment et qui vibrent avec moi et me poussent.
Et puis, alors que je me demande à voix haute "Mais enfin il est où ce stade ? " le dernier virage révèle au fond les gradins de marbre de ce joyau de -330 avant JC.
Km42 : une foule incroyable borde les 2 côtés de la route. Elle crie et nous encourage en Grec.
J'ai calculé 10 fois. Calculer pour faire diversion au cerveau et ne plus penser aux cuisses. Je sais que je peux faire 4h55. Et que je vais faire mieux que mon objectif. 5mn ça paraît peu, mais sur ce genre de course c'est beaucoup.
Mes cuisses me brûlent. La sueur me brûle les bras. Mon cerveau brûle de mille émotions.
Les larmes coulent encore. Je touche au but. J'ai réalisé mon rêve de marathon originel. Le vrai. Le réputé si difficile.
Je cherche mes supporters du regard en scrutant ma montre. Je vais faire mon entrée dans ce stade et je vais la faire bien.
J'aperçois mon homme sur la droite au milieu d'une nuée de spectateurs. Je suis en larmes et au bout de ma vie mais je suis tellement fière. La chair de poule m'envahit plus je m'approche de la ligne finale. Je frissonne de joie, d'épuisement et de fierté.
Je suis en larmes, j'accélère et je m'offre un sprint pour aller passer cette ligne dans ce stade extraordinaire.
C'est trop d'émotions cette arrivée !
Je regarde une dernière fois ma montre avec une fierté sans nom et je franchis la ligne.
4h53mn39sec
Je suis à nouveau marathonienne.
J'ai pulvérisé mon chrono.
Je ne me suis pas blessée.
J'ai géré ma course toute seule comme une grande.
J'ai fait face aux difficultés.
... Je suis encore et toujours une Warrior.
Alors je profite du stade, de cet instant. Et cette fois les larmes de douleur laissent place à la joie et à la fierté.
Je vais aller rejoindre mes supporters mais je déguste mon tour de stade et la joie de recevoir cette si jolie médaille.
Cet endroit est tellement beau et impressionnant. Il s'en dégage une atmosphère incroyable. Combien d'athlètes ont vibré ici depuis des siècles ?
Oui Athènes est un marathon vraiment difficile. Je m'attendais à plus de côtes dans le premier semi, ce qui m'a sans doute permis de gagner ces précieuses minutes pour la fin.
On vient à Athènes pour le côté mythique de la course, pas pour un parcours touristique (comme à Paris) car franchement à part le bord de côte et l'arrivée au stade, le parcours n'est pas super joli.
L'aventure du marathon est vraiment particulière.
Elle nous apprend beaucoup sur nous, elle repousse nos limites, elle nous fait sortir de notre zone de confort. Elle nous fait surfer sur une mer d'émotions multiples.
Redescendre du nuage marathon est toujours un peu long.
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