Récit de la course : Grand Union Canal 145 Mile Race | London - Birmingham 2025, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Grand Union Canal 145 Mile Race | London - Birmingham

Date : 24/5/2025

Lieu : London (Royaume-Uni)

Affichage : 214 vues

Distance : 233km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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Pas d'autre récit pour cette course.

English lesson

Londres, 5h30 du matin. Je sors de ma chambre d'hôtel, impatient de rejoindre le départ de ma course, et c'est la douche écossaise. Il pleut des chats et des chiens. Un véritable déluge. Pas le choix cependant. Ma veste de pluie, censée rester imperméable 2 à 3h, va tenir à peine 10 minutes. Je n'ai pas encore rejoint le départ que je suis trempé jusqu'aux os, tremblant de froid. Heureusement, en bonne douche écossaise, la pluie ralenti vite et a presque cessée quand je retrouve, près de Little Venice, le peloton détrempé et intrépide qui a l'ambition de rejoindre Birmingham en courant. Je dépose mon sac, en pensant le revoir à l'arrivée, et retrouve mon ami Pierre. Il m'informe que les sacs nous suivront de CP en CP. Je n'ose y croire tellement ça me semble énorme. Nous écoutons le petit discours de Keith, l'organisateur dont la barbe n'a rien à envier à celle de Laz', et nous élancons pour notre course.


Pour ma première course au Royaume-Uni, je cherche ces petites particularités qui font tout le charme des grands -bretons. La première m'inquiète franchement : il n'y aura, sur ces 145 miles (X 1,609=233 km) aucun balisage, pas plus qu'il n'existe de trace gpx officielle : nous n'avons pour nous aider qu'un canal à suivre, et une fabuleuse carte au trésor de 6 pages qui nous indique les rares bifurcations à suivre, la position des 9 ravitaillements, et, à tout hasard, celle des pubs et autres tea-rooms.

Et puisque je parle de charme, comment ne pas commencer par le charme de ce canal ! Nous sommes au plein centre de Londres et nous ne voyons quasiment pas la ville. Il y a, sur notre gauche, une haie dense. À droite, le fameux canal, le long duquel sont rangées toutes sortes d'embarcations habitées. La plupart sont très coquettes, pimpantes, avec des jardinières de fleurs entre autres décorations. D'autres ressemblent plus au repaire de brocanteurs. Toutes ont en commun d'être relativement étroites, sans doute pour passer les écluses. De temps en temps, nous en voyons naviguer une au milieu du canal, et échangeons avec le capitaine de grands saluts. Je me demande si ces bateaux ne sont présents qu'à Londres, où il est paraît il si difficile de se loger, mais ils seront quasiment présents sur les 145 miles.

CP1. Pris par ma discussion avec Pierre, je suis parti plutôt en queue de peloton. J'ai commencé à le remonter ensuite, mais je n'ai aucune idée de ma position quand j'arrive à ce premier CP. Je vois une bénévole inscrire mon numéro de dossard sur une feuille, il y a peut-être une vingtaine de noms avant le mien, mais ce n'est pas important. Je vois surtout mon sac, ce n'était donc pas un malentendu, ceux-ci nous suivent vraiment ! J'en profite pour y vider la moitié de mon sac à dos, ne gardant que ce que j'estime nécessaire pour rejoindre le CP suivant, 15 miles plus loin, et je me remets en route.


Je m'attendais à courir seul, mais pas si tôt ! Entre le premier et le second CP, je ne retrouverai qu'un coureur, Jonathan, qui s'est arrêté à l'un des WC publics indiqués sur la fameuse carte au trésor. J'apprends pour ma part à lire cette carte. Outre les péniches, il y a des centaines de ponts enjambant le canal, numérotés de façon décroissante jusqu'à Birmingham. La carte indique lesquels nous devons emprunter pour passer d'une rive à l'autre, c'est en fait très simple, d'autant que généralement le chemin de halage que nous empruntons n'existe que d'un côté du canal. Très vite, je prendrai l'habitude de vérifier au CP quels traversées il faudra faire avant le CP suivant, et pourrai courir sans consulter la carte. On franchira ce pont quand on y arrivera. Un soucis de moins !

Un soucis de moins, un soucis de plus ! À cause de la pluie, les premières ampoules apparaissent très vite, avant même le premier marathon. Heureusement que je retrouve mon sac au CP 2 ! Je soigne celles-ci, mets des chaussettes sèches et archi-sèches, et me sens comme neuf. Le bénévole me propose quelque chose que je ne comprends pas. C'était l'une de mes craintes, mon anglais est lamentable, et passer seul quatre jours au Royaume-Uni constituait pour moi une aventure presque plus stressante que courir 240 km. Pourtant, c'est lui qui s'excuse avec un savoir-faire tout britannique :  "Sorry, my English is horrific, ... and I am English !"


Leçon d'anglais suivante. Quelques miles plus loin, une cyclo touriste me demande, incrédule :
"- you run to Birmingham ?"
 - hopefully
- You will"
Il y a dans ce "you will " un tranquille réconfort qui vaut tous les cours sur le futur et les verbes modaux. Thank you, M'dam !

Finalement, je m'y fais, à l'anglais ! Je croise de nombreux promeneurs, qui n'hésitent pas à m'encourager :"Well done ! Good job ! Good luck !" Je comprends tout !

Maintenant que nous sommes hors de la ville, la vue est plus dégagée. C'est vraiment propret, le long du canal. Nous voyons l'envers du décors, qui est aussi joli que l'endroit : des jardins parfaitement tenus, des villages impeccables. J'ai l'impression de découvrir une Angleterre intime, qui pourrait servir de décors à n'importe quel roman d'Agatha Christie ou de Wodhouse. 

CP3, CP4, les deux seuls coureurs que je croise sont donc James et Lee, qui avancent ensemble. Je commence à bien connaître le canal. Les passages sur les ponts ne me surprennent plus. J'ai vu plus d'une fois manœuvrer les lourds bras des écluses en bois. J'ai pu admirer des canetons de tout âge, et j'ai constaté qu'à leur différence, les petits des oies bernaches préfèrent avancer en lignes impeccables, entre les deux parents. J'ai vu des dizaines de chiens, tous au poil lustré et surtout admirablement éduqués. Au moment d'arriver à mi parcours , je me dis que cette course sans piège se gère comme un 24h, et qu'il ne tient qu'à moi de bien doser mon effort jusqu'à l'arrivée. Aussi facile qu'une soupe de canard. Naïf que je suis !

Il y a foule au CP 5 : 5 coureurs en même temps ! Outre Jonathan, James et Lee, nous sommes rejoins par Gordon et sa foulée alerte. Je suis le premier à repartir. À l'approche du crépuscule, s'en est fini du chemin goudronné qui longe le canal : nous sommes maintenant sur un étroit sentier en herbe, il faut faire plus attention où nous posons les pieds. Et la tête ! Combien de fois ma casquette kikourou reste accrochée à des branches d'aubépine ! Je me perds dans un village. Puis je retrouve mon chemin. Puis le canal disparaît.

Comment ça, le canal disparaît ? Je croyais qu'il suffisait de le suivre jusqu'à l'arrivée ? Alors que je cherche à me frayer un chemin à travers les broussailles, je suis rejoint par Gordon à la foulée alerte. Il a sa carte à la main et m'indique que nous sommes à l'endroit où le canal est enterré sur 2 miles. Pour éviter toute mauvaise surprise, je m'accroche à sa foulée légère (le bougre finira second !), nous ne nous égarons ensemble qu'une fois, et au moment où nous rejoignons le canal, je m'arrête pour sortir ma lampe et je lui souhaite "Good luck". Ce serait suicidaire de vouloir suivre son rythme.

Et c'est le drame.

Ma lampe, ma fidèle Petzl qui ne m'a jamais trahi, refuse de s'allumer. Le black out total.


Je suis seul, à 15 km du ravitaillement le plus proche, dans une course où la densité de coureurs est ridicule, et je n'ai pas de lumière.  Sur la partie de parcours la plus sauvage, sur un étroit sentier piégeux au bord de l'eau. Je suis dans une eau profonde.

Mon seul espoir est Gordon. Je sprinte pour le rattraper, espérant bénéficier du halo de sa frontale jusqu'au prochain ravitaillement, où je serais probablement mis hors course faute du matériel obligatoire.

Et Gordon est un géant. Il fouille son sac avec flegme, et en sort sa lampe de secours qu'il n'hésite pas à me donner. Bien sûr, il ne s'agit que d'une faible loupiote à la lumière blafarde, mais celle ci est suffisante pour me permettre de distinguer le canal du chemin, donc de continuer.

Je continue donc, prudemment. J'ai souvent du mal à voir où je pose mon pied sur ce terrain irrégulier, et alors que j'avais adapté ma foulée à mes ampoules, je suis souvent douloureusement surpris par le terrain, mais qu'importe ! Mieux, je suis rattrapé par James et Lee. C'est quand même une sécurité. Il était conseillé sur le site de se faire des amis la nuit, c'est exactement ce que je vais faire, alors que j'ai couru seul quasiment toute la journée (ce qui sera aussi le cas demain). Hors de question de les lâcher, d'autant que je n'ai aucune idée de l'autonomie de ma loupiote. Ils courent vite, mais en me forçant je peux les suivre. Ils marchent vite, mais en trottinant de temps en temps je peux les suivre. Je me souviens qu'il y a un autre passage où le canal sera enterré, je fais mon maximum pour rester avec eux au moins jusque là. Et si possible jusqu'au CP suivant. Et si possible jusqu'au jour.

James est sympa. Nous ne parlons pas beaucoup, mais il se retourne souvent pour éclairer avec sa puissante frontale les ornières et autres endroits un peu délicats. Ensemble, nous enjambons une écluse car nous avons loupé le bon pont. Ensemble, nous voyons un chevreuil se baigner bruyamment dans le canal, effrayé par notre présence. Ensemble, nous nous sortons de l'autre "trou noir", la partie de 2 miles où le canal est enterré. Ensemble, enfin, nous voyons les premières lueurs du jour, juste avant le CP 7.

C'est un vrai soulagement. Je profite du CP pour demander aux bénévoles de remettre la loupiote de Gordon dans son sac, qui est encore là, et je ne me sens plus obligé de suivre le rythme un poil inconfortable de James et Lee. J'avance à mon rythme, pas très soutenu, sur la partie suivante. Un coureur,  qui fait son jogging du dimanche matin, me salue. Je regarde ma montre : 4h20 . Même avec le décalage horaire, c'est tôt pour un dimanche ! Mais il est vrai que le premier oiseau attrape le vers.

Le CP 8 est situé après une impressionnante construction d'une dizaine d'écluses. Au moment où j'y arrive, c'est de nouveau la douche écossaise, une violente averse éclate. J'en profite pour me poser un peu au sec, à la différence des infortunés James et Lee qui viennent de repartir. On me propose un sandwich que j'accepte avec curiosité. La bénévole me fait griller des tranches de bacon. C'est gentil, d'autant qu'elle me dira plus tard qu'elle est végétarienne. Elle me demande ce que je veux d'autres, je réclame du soleil, qui ne manque pas d'arriver.

Mais c'est le jeu des douches écossaisses. Quelques minutes plus tard, alors que je suis reparti, nouvelle averse. Je ressens immédiatement une brûlure sous la plante de mes pieds de nouveau mouillés, à tel point que je dois enlever mes chaussures et chaussettes pour constater les dégâts. Entre nous, c'est pas joli-joli.

Est-ce que les fakirs aiment la douleur, ne la ressentent pas, ou ont appris à l'ignorer ? C'est mon instant fakir. Enfin, un "instant" qui va durer encore 25 miles, un bon marathon, presque 6h. Et en tant qu'apprenti fakir, je peux vous dire que je ressens bien la douleur, et que je n'aime pas ça !

Depuis le départ, je ne raisonne qu'en miles. Çela me semble plus judicieux pour me repérer sur ma carte au trésor. C'est un peu à double tranchant quand, au CP 9, il ne reste que 11 miles. 11, ce n'est pas beaucoup, pressé d'en finir, je ne m'assieds même pas, alors qu'il reste plus de 2h de course !

Il y a moins de bateaux à l'approche de Birmingham, mais pas mal de jeunes faisant du canoë ou du paddle. L'un d'entre eux me demande si je fais cette course dans un but caritatif, je lui réponds que non, c'est pour le plaisir. Il me dit qu'à mon âge, c'est vraiment inspirant. Perfide compliment !

L'entrée dans Birmingham n'est pas forcément très jolie, mais vraiment bienvenue. Nous passons par des côtés industriels, puis arrivons discrètement au centre ville. Dernières écluses. Je guette la petite île qui nous indiquera la dernière bifurcation. Trouvée, je suis près du trésor ! Le centre ville me semble étonnamment familier, alors que je ne suis jamais venu ici. Voici la bifurcation, voici le dernier pont. Encore 200 yards au milieu des promeneurs, et voici la discrète arche d'arrivée. Après 32h40 d'effort, je peux lever les bras. Je suis sur le neuvième nuage.

Dernière leçon d'anglais. Je ne résiste pas au plaisir de vous partager le message de Keith, que je remerciais une semaine plus tard de l'organisation de la course :

"Thank you Yann for your contribution to this year's GUCR, you are right to feel very proud of yourself. In particular, thank you for making it all of the way, with grace and in a great style "

With grace and in a great style ! Qu'en termes élégants ces choses là sont dites !!!

3 commentaires

Commentaire de PetitManseng posté le 04-06-2025 à 16:42:17

Bravo pour ta course et merci pour ton récit. Content de voir un kikou s'aventurer ici pour courir l'un des plus vieux ultra-marathons du pays. Vivant dans le sud-ouest Londonien, j'ai couru cette course il y a deux ans - mais sous un beau soleil et une grosse chaleur -, et ton récit m'a rappelé d'excellents souvenirs malgré le caractère très "roots" de la course.
Une remarque cependant : Le Monsieur barbu n'est pas Keith, il se prénomme Dick (https://canalrace.org.uk/about/). J'avais fait la même erreur :-) Dick est la figure emblématique de la course mais Keith, l'organisateur a tendance a rester plus en retrait. Keith devrait arrêter l'organisation de ces courses après la dernière en Août entre Liverpool et Leeds. Je serai au départ de cette dernière ;-)

Commentaire de marathon-Yann posté le 04-06-2025 à 17:03:53

Merci de cette précision ! Comme c'est lui qui a fait le discours avant le départ, je pensais que c'était l'organisateur !
Bon courage pour pour ton Liverpool Leeds ! J'espère que tu nous raconteras, j'irais bien moi aussi ! (mais probablement pas cette année)

Commentaire de keaky posté le 06-06-2025 à 16:21:51

Inspirant ;) Félicitations !!!

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