L'auteur : Happy74
La course : L'Echappée Belle - Parcours des Crêtes - 63 km
Date : 23/8/2025
Lieu : Allevard (Isère)
Affichage : 75 vues
Distance : 63km
Objectif : Pas d'objectif
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L'échappée belle n'était pas prévue à mon programme mais, après une belle course à Verbier début juillet, j'ai vécu une période de grande forme, avec des sorties magnifiques, si bien que j'avais envie d'en profiter pour réaliser une course pleine et profiter de ces belles capacités du moment pour me faire vraiment plaisir, sur une course réputée belle et alpine. J'ai toujours eu un peu de mal à m'écouter, mais lorsque, une dizaine de jours avant l'échappée belle, j'ai senti la machine se gripper quelque peu, j'ai su lever le pied. A J-7, une sortie au Parmelan faite à un bon rythme sans forcer exagérément me rassure pleinement et je me dis qu'une semaine de décharge ne fera qu'améliorer ces bonnes dispositions. Comme je travaille en Suisse, la rentrée scolaire a lieu le 15 août et une avalanche de petits et gros imprévus me tombent dessus: des problèmes informatique en pagaille, des réunions agendées au dernier moment et, pour ne rien arranger, j'avais prévu de longue date une soirée à Athletissima (Diamond League) avec ma fille, qui a achevé de charger la barque. Pour être pleinement honnête, j'ajouterais que mes déboires passés ont sérieusement entamé ma confiance en moi-même, si bien que j'ai ajouté à tout cela une bonne dose de stress, plus ou moins conscient. Bref, en rentrant chez moi le vendredi à 18h, je constate que je suis loin d'être au top et que mon coeur bat la chamade. J'hésite à renoncer, et puis je me rassure en me disant que, pendant tout l'été, il me suffisait d'un jour de repos pour être en grande forme alors qu'une semaine aussi légère sur le plan sportif (2 footings) ne peut que porter ses fruits. J'ai aussi confiance en ma stratégie nutritionnelle, testée et approuvée à l'entraînement.
Lorsque mon réveil sonne à 5h, je ne me sens pas spécialement fatiguée mais pas particulièrement en forme non plus. Je me change en vitesse et je pars un peu à la bourre pour Aiguebelle, où je vais prendre la navette. Sur place, je ne trouve pas la navette et je cours en tous sens, en voyant l'heure tourner... si cela continue, je vais manquer la navette de 6h30. Enfin, je monte dans le car où je prends la dernière place assise, à côté d'un gars sympa. A Allevard, l'échauffement est un peu étrange, car je sens que mon corps n'a pas envie de forcer. Je ne m'inquiète pas trop et me place tranquillement dans le sas de départ. Après un départ sur des allures pourtant normales, je me retrouve rapidement à bout de souffle et je suis obligée de lever le pied. Les premiers plats montants me mettent anormalement en difficulté et, comme j'ai oublié ma musique, j'ai du mal à canaliser mes pensées, qui tournent déjà au négatif. Après le premier ravito, je me sens pourtant mieux et je travaille à rester sereine et à me focaliser sur mon souffle. La première montée n'a rien de spectaculaire (un mélange de sentiers forestiers et de pistes de ski), mais lorsque l'on débouche sur les arêtes, la vue est à couper le souffle. On voit tout le massif de Belledonne, bien rocailleux, avec un ciel parfaitement bleu qui domine une mer de nuages. Je me dis alors que, rien que pour ce panorama, cela vaut la peine d'être là. Hélas, la descente ne fait que confirmer mes craintes, puisque loin de me permettre de récupérer et de faire baisser le cardio, je sens mon souffle s'emballer au point où je dois lever un peu le pied et laisser filer Maryline Nakache, qui était environ 50m devant moi au sommet. La suite est une succession de descentes techniques et de montées bien abruptes et caillouteuses, avec de très belles vues. J'arrive encore bien à en profiter, même si la souffrance physique est bien là, du fait d'une respiration saccadée, qui me donne en permanence la sensation de manquer d'oxygène. J'en viens à vraiment apprécier les sections de pierriers, qui me permettent au moins de ralentir l'allure et de récupérer un peu. La montée sur le Mont Rognier est difficile mais très belle. Je souffre aussi anormalement de la chaleur, qui n'est pourtant pas étouffante, mais chez moi, ce type de réaction comme le fait de transpirer plus que de coutume est vraiment un signe fort de fatigue. Au Mont Rognier, la vue est splendide et les encouragements des quelques bénévoles ou spectateurs présents font chaud au coeur. On m'annonce toujours la première femme à 3 ou 4 mn, donc je me dis que je n'ai pas trop ralenti, finalement. Hélas, la descente est dure, toujours pour les mêmes raisons, et je me commence à me sentir nauséeuse. Mes gels Maurten et ma boisson énergétique, parfaits à l'entraînement, commencent à me brasser l'estomac, si bien qu'au ravitaillement suivant, je prends le temps de manger des bouts de melons et de la pastèque, qui me font un bien fou. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de la montée suivante, mais arrivée au sommet, vers 40 km, je constate que les paysages sont toujours aussi beaux mais qu'ils ne me permettent plus de trouver la force de me retenir de pleurer. Je n'en peux vraiment plus. J'ai à la fois soif et envie de vomir dès que je bois et j'ai horriblement mal aux pieds. J'ai un hallux valgus à chaque pied et j'ai l'habitude d'avoir mal aux pieds alors je serre les dents, mais cela n'aide pas à me sentir bien.
Je commence à me demander si je ne vais pas abandonner au Bourget-en-Huile, dernier ravito du parcours. La descente, jolie et majoritairement en sous-bois, me permet quand même de récupérer un peu, principalement parce que je baisse le rythme. Arrivée au Bourget-en-Huile, où il y a une chaude ambiance, je me souviens de ce que j'ai lu dans le guide du coureur, à savoir qu'il est dommage d'abandonner si près du but. Il ne reste qu'une bosse avant l'arrivée, je peux bien serrer les dents pour terminer. Alors je bois, je mange un peu de fruits et je repars. Hélas, des crampes commencent à faire leur apparition, si bien que dans les portions faciles après le Bourget, je n'avance plus. Enfin, après avoir cheminé en travers dans une forêt, nous retraversons la vallée pour entamer la montée, qui n'est ni raide ni exposée au soleil.
Hélas, malgré toute ma bonne volonté, j'ai l'impression d'être un véhicule proche de tomber en panne, dont les voyants s'éteignent les uns après les autres. Ma tête tourne, mon estomac se soulève, mes pieds crampent... Quand Sabine Ehrström me double, elle m'encourage à la suivre, avec des mots gentils mais je ne pense plus qu'à m'asseoir pour enfin fermer les yeux. Comme une automate, je me hisse jusqu'au sommet avant de constater que je ne suis plus du tout capable de courir. Alors, enfin, je m'écoute et m'allonge sur le sol. Je ne suis ni déçue, ni triste, juste soulagée que cette souffrance s'arrête enfin. Ensuite, je vomis, encore et encore. J'appelle le PC course qui me dit de marcher jusqu'en bas. Il ne reste que 8 km, ce n'est rien, mais, après m'être difficilement relevée, je constate que je n'y arriverai pas. Par chance, je tombe sur 2 dames, montées là en voiture pour encourager un coureur du 96 km. Elles me redescendent sur une route défoncée, qui finit par me faire de nouveau vomir sitôt sortie de la voiture. Finir sa journée en train de vomir dans un bac à fleurs à 100m de l'arche d'arrivée n'était pas vraiment le scénario prévu. Heureusement, je tombe par hasard sur Guillaume Anezo, un masseur bénévole très engagé dans le trail. Il m'aide à trouver ma voiture (je ne suis plus très lucide si bien que je mets 20 mn à la retrouver), puis les douches et m'offre un bon massage.
Alors quelles leçons tirer d'une telle expérience? Travailler sur mon stress et mon manque de confiance en moi-même: sûrement, c'est la piste à suivre, mais c'est difficile. Chez moi, le stress est souvent inconscient, pernicieux, enseveli sous un optimisme de façade. Il vient faire son travail de sape et amoindrir mes capacités sans que je sois en mesure de le contrôler. Aurai-je dû renoncer, au dernier moment? Sans doute, mais j'aurais eu des regrets... et je n'aurai pas profité de cette vue exceptionnelle des aiguilles rocheuses illuminées par le soleil matinal au-dessus d'une mer de nuages. Cela fait peut-être un peu lyrique, mais c'est ce souvenir-là comme celui des beaux pierriers, de la belle pointe de Rognier et même des dernières arêtes que j'ai pourtant parcourues en pleurant que j'ai envie d'emporter avec moi. J'en ai bavé et je n'ai pas terminé, mais comme la souffrance s'oublie vite, c'était quand même une sacrée belle journée!
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5 commentaires
Commentaire de bubulle posté le 25-08-2025 à 09:41:47
Merci Caro, d'avoir eu le courage d'écrire ce récit (je crois qu'il y a 1 ou 2 voix qui t'y ont incitée...;-) ).
Comme je te l'ai mis par ailleurs, tu identifies probablement bien cette tendance au stress que tu ne pourras pas gommer, juste continuer à apprendre à gérer. Paradoxalement, ton super résultat à Verbier a forcément ramené cet instinct ultra-compétiteur qui est manifestement une caractéristique de ton approche de la course. Caractéristique qu'il faut, là aussi, gérer plus qu'essayer de la gommer totalement. C'est évidemment facile à écrire a posteriori, mais il aurait probablement mieux valu oublier d'emblée le classement, surtout vu le niveau qu'il y avait sur la course. Donc, accepter que tu n'étais pas dans ton meilleur jour et que, donc, autant partir pour une belle ballade tranquille en montagne.
L'avantage du Parcours des Crêtes c'est que les BH sont ultra-larges, y'avait le temps (je blague, bien sûr, en te suggérant de jouer les barrières horaires). Va savoir, si ça se trouve, ces très mauvais jours peuvent être une occasion de mesurer pourquoi nous, les roulettes de queue de fond de peloton, on s'inflige cela...;-). Là, c'est facile : c'est juste parce que la montagne c'est beau...et ça tu l'as vu et écrit.
En tout cas, merci de ta fidélité à Kikouroù où tu sais que tu as de nombreux amis, réels ou virtuels. Et à bientôt, peut-être sur une autre course....avec ou sans pression (enfin, si, avec une pression....à la fin de la course!).
Commentaire de jano posté le 25-08-2025 à 10:00:35
malgré ton ressenti et ce que dit bubulle, j'ai suivi un peu la course et les classements et
je trouve qu'il y a un décalage justement entre tes sensations et le résultat car juste derrière maryline, top25 au scratch et devant sabine et d'autres à la pointe roignier, c'était loin d'être une journée sans.
Donc peut-être qu'effectivement, l'effet de "surprise" de verbier passé, tu t'es remis la pression et le stress du résultat.
Peut-être aussi que la gestion de course que tu avais avant doit être différente quelques années après ? une gestion plus conservatrice à la ludo pommeret qui permet d'être dans une dynamique positive...
Mais sûrement aussi que ton stress de la rentrée a joué, ça a forcément un impact. Et probablement aussi que ton pic de forme était déjà un peu passé, sans être bien loin quand même.
en tous cas, bonne récup et merci pour le récit de course.
Commentaire de coco38 posté le 25-08-2025 à 10:19:22
bravo Caro et merci pour ce récit. Très très impressionnant de voir à quel point tu peux aller au delà de l'inimaginable pour le commun des coureurs. C'est ça qui fait les grands champions certainement. En plus tu gardes à la fin le positif de cette "belle" journée ! bonne récup... et bonne rentrée.
Commentaire de Happy74 posté le 25-08-2025 à 10:48:37
Merci pour vos conseils. Oui, je pense que j'aurais dû avoir la sagesse d'y aller pour une bambée sympa, sans me prendre la tête avec l'idée d'aller vite. Mais c'est plus facile à dire avant qu'après. Maintenant, je ne sais plus très bien si je suis encore capable de rester sur mon objectif, qui était de faire un 110 km dans un mois, car je ne suis pas arrivée à en faire 64. Je suis bien épuisée et je vais éviter d'y réfléchir à chaud, mais, côté confiance en moi, cet échec n'aide pas non plus.
Commentaire de Matt38 posté le 25-08-2025 à 14:33:54
Je suis bien peu de chose en trail pour me permettre en quelconque conseil, mais je sais que tu n'as rien a prouver a personne (car c'est déjà fait ! et tellement bien !) et que je pense que des compétitrices comme toi sont bien plus fortes après un échec, qu'avant.
Et tout ça, n'a de raison que pour être HAPPY !
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