L'auteur : Zaille
La course : L'Infernal Trail des Vosges - 200 km
Date : 11/9/2025
Lieu : St Nabord (Vosges)
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Distance : 200km
Objectif : Terminer
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L’objectif de l’année et certainement le plus costaud de ma vie de coureur, le bien-nommé Infernal Trail 200. Oui, 200, 200 comme 200km (plutôt 208) mais aussi 10.000m de dénivelé positif et surtout des sentiers vosgiens sans compromis.
40% de finishers
Ça fait des années que j’en entends parler de cette course, de son organisation soignée, de ses gentils bénévoles et bien sûr, de sa difficulté hors norme. Pourquoi serait-ce si dur ? On est pourtant loin des Alpes ! J’ai eu un début de réponse sur 30km de reconnaissance effectuées sur le début du parcours durant une des canicules de ce mois d’août et … Ce n’est pas roulant du tout mais alors pas du tout.
Mon impatience à y être s’est très vite transformée en doute, gros doute puis peur à en rêver la nuit. Très vite j’ai revu mes ambitions chronométriques de quelques heures pour me rendre à l’évidence : en-dessous de 48 heures ce ne sera pas possible et cela implique beaucoup de choses. Des choses nouvelles à gérer comme l’enchaînement de plusieurs nuits. Trois nuits et donc des phases de sommeil à inclure dans mon programme.
C’est un gros morceau, c’est clair ! Si j’arrive à bout de ce monstre, je pense que je serai capable de mener à bout la plupart des trails en France. Il est réputé comme l’un des trois plus durs de l’hexagone avec en moyenne 60% d’abandon. Être dans les 40% de finishers serait un incroyable accomplissement et donc le moteur qui va m’aider à appréhender ce défi titanesque.
Un évènement d’importance
Départ à minuit à Saint Nabord près de Remiremont, à ne pas confondre avec Saint Nabor (sans « d ») près du Mont Saint Odile. J’arrive sur place trois bonnes heures en avance après quasi 4 heures de train effectuées presque sans ambages. Je rejoins Thomas qui squatte le village de départ depuis 17h. Moi, J’ai préféré mettre à profit le plus longtemps possible ma journée en me reposant un maximum à la maison.
L’aménagement du site, à côté du stade de foot, est impressionnant. On sent tout de suite qu’on est dans un évènement d’importance avec de nombreuses marques présentes, des écrans géants et une organisation incroyablement rodée. Une tente chauffée permet aux coureurs de se préparer et d’attendre le départ. Je récupère le dossard rapidement et me plonge dans le dispatch de mes différents sacs.
En effet, il y a le sac de course mais aussi deux sacs de délestage répartis sur trois bases vie : km59, km97 et km143. Je prévois de changer de chaussettes, maillots et tour de coup à chacun de ces arrêts prolongés. Au dernier j’ai même prévu de me doucher et dormir, il le faudra bien à un moment.
304 partants
23h30, on nous demande prendre la direction du contrôle des sacs juste avant l’entrée dans le sas de départ. C’est la première fois que je vis un contrôle aussi sérieux. J’ai même dû prouver que j’avais le numéro du PC course dans mon téléphone, ce que j’avais fait, ouf. Une petite moue quand-même du bénévole quand je lui ai expliqué que mon gobelet servait aussi de bol pour manger mais c’est bon, ça passe.
Nous sommes 304 partants. Je regarde autour de moi et pense que de tout ce monde 3 sur 5 ne mèneront pas l’aventure à terme et je serai peut-être de ceux-là. Je chasse ces pensées négatives, ferme les yeux pour rentrer dans la course et mieux sentir cette ambiance emprunte de fébrilité. J’ai de la chance d’être là, c’est ce que je me dis souvent. La chance de faire du sport, de faire ce que j’aime et d’en avoir les moyens physiques.
Avant le coup de feu, un vibrant hommage est donné à Pascal, un bénévole pilier de l’organisation aujourd’hui disparu. Beaucoup d’émotions avec un enchaînement musical sur Hells Bells, c’est bien la première fois que j’ai la larme à l’œil sur du AC/DC. Quelques recommandations de sécurité plus tard et hop, décompte, feu d’artifice et c’est parti.
La Moselle
Un « INFERNAL » en lettre de feu illumine notre passage en direction de la forêt et de la Moselle, la rivière. Durant ma reconnaissance, c’était ma première difficulté car je n’avais pas d’autre choix que celui du franchissement à gué. Heureusement, aujourd’hui, il y a un pont flottant pour ne pas avoir les pieds trempés dès le premier km.
Il a bien plu avant mon arrivée sur le site et après une petite période d’accalmie, voilà que de nouvelles gouttes tombent. J’attends un peu pour mettre ma veste mais me rends très vite à l’évidence, ce n’est pas juste un crachin passager. J’attrape ma veste sans m’arrêter, mon nouveau sac de chez Décathlon est vraiment pratique pour ça, pas de regret.
Km17, à 40 minutes seulement des barrières horaires
Le premier ravito est au km17 et je compte y arriver en un peu plus de 3h. Il va bien falloir ça pour déguster les 900m de D+. Le terrain de plus en plus boueux et donc glissant ne me fera pas aller plus vite, bien au contraire. D’autant plus que ça tombe vraiment dru et sur les hauteurs il y a même du brouillard qui réduit fortement la portée de nos frontales.
Je dépasse, je me fais dépasser, aucune importance, j’essaie de doser mon effort et avance à l’économie. Le froid et la pluie ne me dérangent pas, je rejoins mon premier objectif avec 20 minutes de retard et à 40 minutes seulement des barrières horaires. C’est bien la première fois sur une course que je me soucis de cette épée de Damoclès. Je ne stresse pas pour autant, je m’alimente, fais le plein, passe aux toilettes, tout ça en moins de 10 minutes.
Km29, crêpes au Nutella, croquemonsieurs
Quelques km de plat, je trottine espérant, malgré tout, rattraper un peu de temps perdu. On traverse une zone de prairie avant de replonger en forêt, il pleut toujours et encore, en revanche le terrain est un peu moins glissant et les pentes un peu moins abruptes. Les petits singles sont agréables et je reconnais les lieux où, cet été, je me couchais dans les ruisseaux quasi-asséchés pour un peu de fraîcheur. Aujourd’hui des ruisseaux, il y en a partout et j’ai souvent les pieds dedans.
Les 2 bosses passées de ce tronçon et me voilà dans la descente vers le ravito du km29 juste après un dernier petit coup de cul et pile dans le temp imparti. Il est 5h30 du matin, le jour ne pas tarder à se lever mais en attendant c’est le grand luxe ici. Crêpes au Nutella, croquemonsieurs, je me fais plaisir. Je retrouve aussi Thomas, il se plaint de douleurs … Mince, on est mal là. Je l’attends un peu en continuant de me goinfrer mais pars finalement sans lui. De toute façon, on n’a pas le même rythme.
Km45, à la minute près par rapport aux prévisions
Nouvelle grosse difficulté avec 5km de montée non-stop pour arriver à 1000m d’altitude. La pluie s’est calmée et l’ascension se fait tranquillement à la marche sur du gros chemin d’abord puis sur du sentier. Tout en haut, une croix mais pas de vue bien qu’il fasse jour, on est dans la brume, dommage.
A peine la descente engagée que je fais plusieurs glissades dont une où je me rattrape douloureusement sur les poignées. Décidément il va falloir rester prudent. Tout va plutôt bien même si une fois de plus la descente n’est pas très roulante, je gère. On traverse Cornimont et bientôt le nouveau ravito : Travexin, km45, où j’arrive presque à la minute près par rapport aux prévisions. Cela dit, je n’ai toujours pas retrouvé les 20 minutes perdues au début.
Un peu moins de 10 minutes de pause et je repars mais pas sans jeter un dernier coup d’œil dans la montée d’avant dans l’espoir de voir Thomas mais non, il n’est pas là. Le moral est bon malgré tout, je sais que le prochain arrêt sera la première base vie dans 14km. J’y ai prévu 30 minutes et un changement de tenue, je suis trempé mais je n’en ressens aucune gêne.
Ambiance KV
Au menu, une montée, une descente mais sur le profil, tout en haut, je vois comme un creux, une montée, une descente au niveau du sommet, peut-être un bug d’impression ? En tout cas c’est bizarre. Ascension tranquille avec des portions plus plates pour courir un peu. On ne me dépasse pas et je fais le chemin tout seul jusqu’au bug qui, en fait, n’en est pas un.
Surprise ! Arrivé en haut, c’est une piste de ski qu’on nous fait descendre droit dans le pentu vraiment pentu sur 500m pour relier … une autre piste que l’on va cette fois-ci monter. Ambiance KV, d’abord avec les mains sur les cuisses (évidemment je n’ai pas de bâtons) puis presque à quatre pattes en agrippant les touffes d’herbe pour ne pas tomber en arrière. Le cardio sonne l’alarme, je ralentis. Ce n’est plus que par demi-pied que j’avance, c’est dur.
Km59, charge de la montre, de la frontale, allumage du téléphone, …
Rude celle-là mais il fait beau et les paysages commencent à se laisser découvrir. Il doit rester 6 ou 7km de descente pour finir cette première tranche de cake de 59km. Ces derniers km sont longs mais faciles et plutôt digestes. J’arrive comme prévu pour les 11 heures à Bussang (à 15 minutes près) où les bénévoles applaudissent chaque coureur qui rentre dans la salle, ça fait chaud au coeur.
Je m’installe, on me ramène mon dropbag et j’étale tout mon bordel sur une table. Charge de la montre, de la frontale, allumage du téléphone, il faut penser à plein de choses. Je me change et me crème les pieds tout en mangeant des pâtes bolognaises avec un Orangina de ma cave personnelle. Quelques messages aux proches et un appel à Thomas qui va arriver mais qui semble en chier.
Il est temps de repartir, bientôt 45 minutes que je végète ici alors que je n’en ai prévu que 30. En sortant je croise Thomas, il est fatigué, il parle de se coucher. Je lui conseille d’effectivement dormir s’il en ressent le besoin. Je le rassure un peu en lui indiquant que la prochaine base vie n’est qu’à 38km avec juste deux ravitos entre, ça sera beaucoup moins long que ce qu’on a déjà fait, courage.
Un km en 24 minutes
Le prochain arrêt est dans 12km mais la distance est généreusement saupoudrée de 900 de D+, un ratio bien costaud qui augure quelques beaux pétards. Je ne vais pas mettre longtemps à comprendre à quel point j’ai raison. Scindée en plusieurs sections, la montée commence dans un pré pour ensuite enchaîner deux pistes de ski où il faudra parfois chercher ses appuis hors sentier pour ne pas glisser sur la rocaille qui se dérobe sous mes semelles Vibram.
Arrivé en haut, ce ne sont même pas 3km que j’aurai parcouru en presque une heure. J’ai quand même fait un km en 24 minutes, un record ! De lenteur ! Je jette un œil dans la vallée, m’hydrate correctement est pars dans une longue descente bien agréable. Je suis facile. Je dépasse un gars qui marche et lui fais de me suivre pour que ni lui, ni moi soyons seuls mais il me lâchera rapidement, dommage.
Km70, Le début de la fin ?
3km jusqu’au prochain ravito mais qu’est-ce qu’ils seront longs ces 3 petits km sur le tracé d’une piste de VTT tout en lacets. 400m de D+ que je vais payer cher car c’est totalement éreinté que je vais arriver à la Jumenterie. Hagard, avachi sur une chaise, je tente de récupérer, je ne me sens pas bien, je me coucherai bien sur ce lit de camp mais il est déjà occupé. Je ne m’attarde finalement pas, il faut que je prenne l’air, je grignote mais rien ne me fait envie. J’emmène un croque-monsieur mais suis obligé de le jeter, ça ne passe plus. Le début de la fin ?
Je titube, j’avance bon an mal an vers le sommet du Ballon d’Alsace (1247m). Le temps est dégagé mais là je suis flingué de chez flingué. Tout effort me semble surhumain et ce n’est que la vue splendide à 360° qui me fait un peu oublier mon mal. Je m’assieds sur une pierre au pied d’une statue de Jeanne d’Arc qui elle est en en pleine forme sur son cheval cabré.
Km83, rien ne va
Je me force à manger une compote qui ne passe pas trop mal et repars pour la longue descente pas roulante du tout. Il y aura tout ce que je déteste, des gros cailloux, des racines, des petits cailloux dans des lits de ruisseaux … L’enfer (oui, l’infernal, l’enfer, tout ça … Je m’étais promis d’éviter la facilité de ce champ lexical mais bon …). Je suis tout aussi abattu que saoulé par ce terrain dans lequel ma lucidité ne sert plus qu’à me maintenir sur mes deux jambes.
J’arrive à Oberbruck, dernier ravito avant la 2ème base vie en 3h09 au lieu des 2h25 de prévues, je me suis bien planté là ! 87km et 18h15 de course, j’ai quasiment 2 heures dans la vue mais c’est franchement le cadet de mes soucis. Là, je veux juste m’assoir mais pas manger, je ne peux pas, je vais boire, au moins ça. Un peu de grenadine, le Coke est trop sucré et ma boisson ISO je n’en veux plus.
Je reste presque 15 minutes prostré sur une chaise mais il faut repartir. Je tente un fond de soupe dans mon gobelet mais mon estomac n’en voudra pas, je m’en débarrasse en sortant de la salle sous le regard écœuré de quelques accompagnateurs. Rien ne va et pourtant il faut bien continuer, au moins jusqu’à la prochaine base vie. Au moins … L’idée de l’abandon commence à faire son chemin, une perspective qui me terrorise.
La 2ème nuit
Dans l’immédiat ce sont 14km qui m’attendent avec « juste » une montée et une descente. Les premiers km en pente douce me refont trottiner un peu de temps en temps et sinon je marche à un rythme plutôt correct sur ce chemin forestier. Evidemment tout cela ne durera pas avec un nouveau sentier bien pentu qui va s’enfoncer en zigzagant dans la forêt.
Je suis anormalement essoufflé malgré un cardio plutôt bas, je connais ce symptôme de fatigue extrême, ce sont des messages clairs que mon corps en souffrance m’envoie. Je regarde ma montre mais les km n’avancent pas, je fais à nouveau un km en plus de 20 minutes. Bien sûr, il y a la pente mais pas que … Je fini par arriver en haut de ce col et c’est déjà le moment de rallumer la frontale, la 2ème nuit s’amorce.
Le moral dans les chaussettes
Plus que de la descente mais ça ne va pas mieux, je marche et m’arrête même pour franchir quelques pierres ridicules. J’ai du mal à lever les jambes. Pas de douleur particulière, juste les batteries totalement à plat. Je me jauge, les cuisses ça va, les pieds ça va, le dos, les hanches, tout va ou presque … Le moral ? Dans les chaussettes !
Je vais gamberger durant plus d’une heure dans cette descente : J’arrête, je n’arrête pas, je vais dormir, je veux rentrer, ça va aller, ça n’ira pas, je n’ai même pas fait la moitié, ce n’est plus possible, je vais me faire bouffer par les barrières horaires de toute façon, il reste 30 heures de course, …
Km97, je prends ma décision
Enfin St Amarin et sa base vie, il est à peu près 21h00 (au lieu de 19h00 prévu) avec une centaine de km au compteur. On m’applaudit en entrant mais pas de quoi être fier, je suis en miettes. Je m’assois, on me ramène mon sac de délestage, on me propose à manger mais non, je ne veux toujours rien, je ne sais pas ce que je veux. Je rallume mon téléphone, à la maison on s’inquiète, ils ont le tableau de mes prévisions et savent que je suis probablement en train de souffrir.
Je veux rendre le dossard mais on me dit de bien réfléchir, de me reposer d’abord, de ne pas prendre de décision à la hâte. J’ai 3h30 de marge sur la barrière horaire, c’est vrai mais l’idée des 30 heures (si tout ne va pas plus mal) de course restantes m’est insupportable. Je téléphone à Thomas, il est encore à Oberbruck, le ravito d’avant et va rendre le dossard. Je prends ma décision, terrible, la tête baissée, je décroche mon dossard et l’apporte au bénévole responsable.
Pas de taille
La navette part dans 2 heures, je me couche sur un lit de camp et dors aussi sec malgré le bruit. En tenue de course, les chaussures mouillées encore aux pieds et le tour de cou sur les yeux, je m’abandonne, j’abandonne. On me réveille gentiment et je rejoins le cortège des honteux, ceux que l’on va rapatrier à Saint Nabord. Les bénévoles nous réconfortent comme ils peuvent mais la déception mêlée à la fatigue a du mal à passer. D’un côté je suis soulager de ne plus souffrir, de l’autre je me rends à l’évidence : j’ai vu trop gros. Mon expérience, mon entraînement et puis tout simplement, moi, ne sont pas à la hauteur de cette course hors norme. Les 200km bien sûr mais aussi, surtout, le terrain, les pourcentages de pente, les nuits, … Je ne suis pas de taille, c’est tout.
Il est presque une heure du matin quand je me couche dans mon sac de couchage sur 2 bancs de brasserie. La nuit va être éprouvante mais beaucoup moins que pour ceux qui courent encore. De toute façon je n’ai que ce que je mérite, je ne me plains pas. A 5h40, réveille en fanfare, le 1er arrive en moins de 30 heures, je vais voir ça, c’est la moindre des choses. Grand respect à lui, je me sens minuscule devant ce gamin.
Pour moi il va être l’heure de rentrer, j’attends encore un peu le temps de saluer Christophe qui part sur le 70km et prends la direction de la gare avec ce désagréable sentiment d’inachevé, d’échec … Une grosse remise en question sur ma pratique de la course à pied est en route mais laissons faire le temps, pas de précipitation.
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