Récit de la course : 100 km Sri Chinmoy 2025, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : 100 km Sri Chinmoy

Date : 19/7/2025

Lieu : Paris 12 (Paris)

Affichage : 165 vues

Distance : 100km

Objectif : Pas d'objectif

2 commentaires

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Métaphysique d'un DNF (Did Not Finish)

"Je ne peux pas continuer, j'arrête". La bénévole assise à la table de pointage me regarde gentiment. "Pas de soucis", et enregistre mon abandon sur sa tablette. Je vais ensuite m'asseoir sur ma chaise, préviens mon épouse que je vais rentrer plus tôt que prévu, discute un peu avec Ray qui est venu nous accompagner aujourd'hui. Il paraît que l'on n'est pas un coureur d'ultra tant que l'on n'a pas connu l'abandon. C'est donc pour aujourd'hui, après une centaine de "marathons-ou-plus" terminés. Pourtant, je n'éprouve aucune frustration ni aucun regret : j'ai tellement mal au talon d'Achille que la question ne se pose pas.

 

Ce n'est même pas une surprise. Cette douleur est apparue quand j'ai repris sérieusement la course après mon dernier 24h, il y a trois semaines. J'ai bien tenté le repos complet combiné aux anti-inflammatoires, ce qui m'a permis de ne plus rien sentir en marchant ni dans les escaliers depuis mercredi. Mais dès le premier tour (ce 100 km en compte 45), je sens une gêne. Je sais bien que ça ne peut pas tenir 100 km, mais je ne me suis pas levé à 4h ce matin (merci aux travaux sur le RER B) pour arrêter après 2 km. Alors tant que c'est supportable, je continue.

Après une vingtaine de km, la gêne s'est transformée en douleur, mais seulement à des moments bien précis. Lorsque j'allonge la foulée, et surtout à chaque fois que je me remets à courir, après les courts "arrêts pastèque" que, chaleur oblige, je fais un tour sur deux. L'abandon se rapproche.

C'est dommage, car il y a tout aujourd'hui pour s'amuser. D'abord les copains. Mais aussi un circuit sympa et ombragé dans le bois de Vincennes, une météo très agréable pour un mois de juillet, un panel de coureurs de tout niveau, et une organisation impeccable.


Ça devient presque un running gag. À chaque tour, ou presque, j'annonce à Ray ou à quelqu'un d'autre que c'est mon dernier tour. Puis encore un dernier. Puis un dernier dernier, comme disait mon fils au manège quand il avait 3 ans. Après 10 "derniers derniers", je suis au marathon. Je pousse encore un tour, deux tours, trois tours pour arriver à 50 km.. Puis c'est fini, la douleur irradie sous le pied, dans le mollet, j'arrête à mi-course.

L'important est de savoir quand s'arrêter. Pas trop tôt pour ne pas avoir de regrets, pas trop tard pour ne pas avoir de remords. On peut raisonner en distance, on peut aussi raisonner en niveau de douleur. Pas trop tôt pour se prouver que l'on n'est pas douillet, pas trop tard pour ne pas se faire sérieusement mal. Il faut savoir ne pas écouter son corps, et il faut savoir l'écouter.

 

Voilà ce que j'explique doctement à mon ami Ray, et je le pense sincèrement. Pour parachever ma démonstration, et éliminer tout regret futur, je me remets à trottiner une centaine de mètres, tout doucement. Bizarrement, la douleur ne réapparaît pas tout de suite. J'essaie 200 m de plus, et étant bien engagé sur ma boucle, je finis un nouveau tour. La bénévole me dit : "mais vous m'aviez dit que vous arrêtiez, vous n'êtes plus en compétition !". "Ce n'est pas grave, je voulais juste essayer, mais de toute façon je risque d'arrêter dans 10 minutes " "je vais voir quand même..." , me répond-elle. Un tour plus tard, elle me rassure "c'est bon, vous pouvez continuer ". Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle.

Mais je continue, sans raison.

Tout est une question d'allure. En acceptant de courir doucement, en raccourcicant ma foulée et en prenant une pause pastèque à chaque tour, je contiens pour le moment la douleur à un niveau tolérable. Dont acte, je continue encore un peu, sans soucis du chrono ni du classement, simplement avancer.

Tout est une question d'exemples. Jamais peut-être je n'ai été aussi sensible au courage des athlètes qui se battent pour être simplement finishers, quelque soit le temps. Je pense à ce jeune, Maël, qui marche depuis des heures mais ne lâche rien, et espère finir dans le délai (il n'y arrivera pas, mais ce sera pour une prochaine fois). Et tous les autres, qui mènent chacun leur combat avec leurs armes. Je trouve aussi de la force dans le succès des autres : chaque coureur qui finit me rapproche de l'arrivée.

Tout est dans les encouragements reçus. Mon complice Ray, bien sûr, Marie-Laure, qui finira en un ébouriffant 9h09, Zhuoming, qui finira en un décoiffant 8h06. A chaque fois qu'ils le pourront, ils m'enverront un précieux signe amical. Mais aussi les autres coureurs, les bénévoles qui applaudissent "celui qui a failli abandonner", les accompagnateurs, ... Le Parc de Vincennes est plein de bienveillance aujourd'hui.

Il y a évidemment un moment de bascule. Quand j'ai fait 75 km, plus question d'abandon, alors que jusqu'à là,  je n'étais jamais certain de repartir au tour suivant. Bizarrement, plus la course avance et moins j'ai mal. Peut être l'effet des endorphines, ou plus simplement parce que ma course  ressemble de plus en plus à de la marche.

Nous avons parlé avec Ray du film Métaphysique des tubes. Il me partage cette citation de la petite Amélie qui a trois ans au moment où elle découvre la marche : "Marcher était d'une utilité indéniable. Cela permettait d'avancer en voyant le paysage mieux qu'à quatre pattes. Et qui dit marcher dit courir: courir était cette trouvaille fabuleuse qui rendait possibles toutes les évasions. (...) C'était le verbe des bandits de grand chemin et des héros en général."


Quelle belle définition de la course ! Mais aujourd'hui, j'ai l'impression de faire le (grand) chemin inverse. De passer de la course à la marche, et de la marche debout à celle à quatre pattes, bientôt. De passer du héros à l'enfant qui fait une bêtise. Qu'importe ! J'avance, et la liberté est la même !

Les bénévoles sonnent la cloche pour annoncer le dernier tour. Je le savoure celui-là ! Le vrai dernier dernier tour ! Et quand je franchis la ligne, en 10h23, je serre le poing, incrédule. J'ai DNF le DNF !

 

 

 

 

 

2 commentaires

Commentaire de Yannael posté le 23-07-2025 à 22:57:42

Salut Yann. Pas trop grave tout de même, j'espère, ta blessure. Remets-toi bien.
En tout cas, belle preuve d'abnégation. Et chapeau pour le récit, bien mené, je ne m'attendais pas à cette issue somme toute heureuse.

Commentaire de keaky posté le 24-07-2025 à 15:06:57

Bravo Yann !! Un récit écrit tel un roman à rebondissement. Et un excellent chrono malgré l'avarie...
En espérant que la douleur ne soit pas revenue ;)

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