L'auteur : shef
La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 152 km
Date : 22/8/2025
Lieu : Vizille (Isère)
Affichage : 237 vues
Distance : 152km
Objectif : Pas d'objectif
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Contrairement à ce que le titre suggère, cette aventure se termine bien, et aucun trailer n'a été blessé pendant l'écriture de ce récit (on ne peut pas en dire autant de la cloche à l'arrivée).
Une Echappée Belle, encore ? Vraiment ? En bouclant ma première intégrale en 2018, je me rappelle m’être posé beaucoup de questions sur la suite à donner à ma pratique du long (ultra >30h) car j’avais trouvé ça vraiment difficile, et encore, on nous avait soulagé de la montée à la Croix et surtout celle du Morétan. La suite, c’est l’UTMB en 2019, et une longue période plutôt orientée sur des formats 100k moins exigeants. Et puis l’an dernier, retour sur un beau 100 Miles avec le Grand Raid des Pyrénées.
Fin janvier lors d’une sortie avec un copain-voisin trailer j’évoque la possibilité d’Echappée Belle avec pacer, ça serait l’occasion de partager un moment sympa, et ça fixerait également une grande course pour cette année (après un énième recalage au tirage au sot utmb). Et comme j’avais dit dans mon CR de 2018 : «Et le point qui fâche: il va vraisemblablement falloir revenir pour boucler la vraie EB ! ».
Problème, comme j’ai mis du temps à me réveiller, la course est déjà pleine, et je trouve place sur liste d’attente à la 47è place. Fin février, j’ai gagné 7 places. Mi-juin, je suis encore 38è et je commence doucement à me faire à l’idée que je devrai assister fin août aux processions de copains sur les plus beaux sentiers des Alpes et des Pyrénées sans être de la partie. N’étant pas le maître du suspense, et pour la faire courte : je consulte régulièrement ma place, puis c’est le départ en vacances en Italie pour le Valmalenco Ultra Trail, et 20 jours de montagne, via ferrata, vélo, quelques sorties très longues dans des pierriers innommables. Au retour, alors qu’il reste 2 semaines avant le départ, je suis encore dans les 12è. C’est mort. Quel dommage, j’ai un entraînement plutôt correct, je reviens d’un séjour en altitude avec des sorties en terrain Belledonnien, bref... Le déclic vient, comme souvent, de Vincent, qui souligne que « La chance ça se provoque ». C’est ce que je fais. Un bon magicien ne révèle jamais ses secrets, mais finalement j’ai le sésame le vendredi 15 août. Il me reste une semaine pour me préparer, sacs base de vie, roadbook, matos, etc. J’oscille entre pure excitation et peur légitime, car j’ai beau avoir un entraînement correct, il me manque une dose de volume et D+. Surtout, la fraîcheur n’est pas au rendez-vous à cause d’un bel épisode caniculaire et des nuits pas vraiment réparatrices (entre moustiques pénibles, AirBnb ultra-bruyants, chaleur...). Le roadbook traduit le niveau de confiance avec un pleutre 36h. Mais qu’importe. Vu le niveau d’arrache pour l’inscription (qui ne bat toutefois pas mon UTB de 2023), j’irai seul, sans pacer ni assistance.
Jeudi soir, je suis le seul van garé sur le parking un peu glauque du lycée de Vizille, il pleuviote. La route s’est faite sans histoire, récup du dossard à Aiguebelle, puis j’ai covoituré Vik à son hôtel, et pris un coup avec des copains de longue date de passage. La météo est annoncée nuageuse, et j’espère qu’on nous laissera faire cette fois l’intégralité du parcours. Nuit moyenne. A 1h du matin, le ciel est encore bien bouché. A 3h on voit quelques étoiles.
Le départ est donné à 5h, assez simplement. Il ne fait pas froid du tout et on sent une certaine humidité ambiante.
Montée à Arselle que j’estime tranquille. On est majoritairement dans les nuages, il fait limite froid, avec du vent. Ce sont exactement les mêmes conditions que 2018. Heureusement on finit par sortie de la purée de pois un peu après Luitel, et c’est sous un soleil éclatant que j’arrive au premier ravito. Superbes paysages. J’effectue la suite du parcours les yeux grands ouverts, découvrant ce qui nous avait été caché il y a 7 ans. Col de la Botte, les lacs Achard & Robert, les beaux sommets tout autour.
Au refuge de la Pra, les nuages sont à nouveau présents et ça pince. Encore une fois, ça sera de courte durée, on ressort de la couverture nuageuse vers les lacs Doménon. Je reviens sur Juliette Blanchet (gagnante en 2021) dans le grand mur avant la Croix, et me cale dans son rythme. J’aurais peut-être dû y rester plus longtemps.
Je double peu avant le sommet. Petit détour à la croix de la Croix pour le bisou qui garantit le finish (j’ai bien fait) et je me lance dans la descente bien chaotique mais tellement plaisante.
J’ai un léger mal de crâne que je mets sur le compte de l’altitude/stress/manque de sommeil des derniers jours, ça passera. Après Freydane le côté technique s’accentue et on entre dans les nuages.
L’humidité est partout, notamment sur les cailloux du chemin, c’est glissant et merdique. Le brouillard est tellement épais qu’on ne devine le refuge Jean Collet qu’à 50 mètres. Là encore ça caille bien. Soupe chaude, quelques victuailles et ça repart.
Il faudra rejoindre Roche Fendue pour sortir de la purée de pois, et globalement sur toute cette partie Sud, on aura des nuages côté Ouest, et bien dégagé côté Est. Au Habert d’Aiguebelle, belle ambiance. Je reviens à nouveau sur Juliette qui m’a doublé à Jean Collet. On fait une bonne partie de la montée ensemble. J’essaye de m’appliquer à un rythme tranquille au cardio. Col d’Aigleton, puis le col de la Vache où je me régale encore une fois dans le chaos, si on excepte la présence d’un improbable traileur youtubeur (ou en tout cas réseau-socialiste) qui profite d’un bout de réseau pour appeler ses 50 followers en braillant comme un âne.
Bascule au col pour une descente vraiment chouette, jusqu’à entrer dans les nuages, qu’on finit par traverser avant de retrouver l’infâme détour pour rejoindre le Pleynet. Je pointe avec 1h d’avance sur le roadbook.
35 minutes de stop avec le support d’une amie locale, repas chaud etc. Je me sens super bien, top moral, top forme. Bien sûr cela ne va pas durer.
Je subis fortement la montée au refuge de la Valloire. Le rythme est correct, le cardio pas trop haut mais j’ai vraiment l’impression d’être un vieux diesel sans turbo en 5è dans les montées de l’A39. C’est-à-dire : ça passe mais c’est limite. Et pourtant, depuis le départ j’ai une bonne hydratation et je m’alimente régulièrement. Après le refuge, en jouant à « le premier qui allume sa frontale est une poule mouillée » je rate la bifurcation dans les pieds de myrtilles et rhododendrons. Ma motnre me rappelle a l'ordre rapidement. Je sauve un coureur qui est juste derrière moi (mais pas celui devant, hors de portée). Demi-tour, frontale à toc pour bien voir les fanions réfléchissants et tout rentre rapidement dans l’ordre. La descente à Gleysin est toujours aussi pénible, sans compter un joli bonus dans le bas, ravagé par les engins de débardage, qui transforme momentanément notre Belle Echappée en une mud race bien grasse.
Le ravito n’est plus dans la grange comme en 2016 ou 2018, mais les bénévoles sont toujours aussi sympas. Je subis la montée au Morétan comme j’ai subis la précédente. J’ai bien compris que je n’étais pas dans un grand jour. Dos rond, on boit, on mange, on ne regarde surtout pas ces étoiles si haut dans le ciel et qui sont en fait les frontales des copains, qui n’en sont pourtant qu’à peine à la moitié de la montée ! On est de mémoire un petit groupe de 3 ou 4 et on navigue comme on peut. Le Morétan de nuit n’a rien à voir avec le Morétan de jour, la progression dans les blocs est tellement plus complexe. Pourtant a posteriori les 2h35 pour monter ne sont pas si mauvaises. Mais toujours cette impression de diesel asthmatique. La descente n’est pas des plus simples non plus. Le névé habituel est entièrement fondu, révélant un joli chaos de blocs. Puis la moraine dérape bien, les cailloux sont toujours bien glissants. La corde me soulève du sable que je prends dans l’œil et il me faudra plusieurs minutes pour arriver à l’ouvrir correctement. Petit moment d’enchantement avant Périoule où les bénévoles ont installé un incroyable champ de photophores qui donne au lieu une poésie remarquable. En éteignant la frontale, on voit bien la voie lactée, superbe. Il faudrait vraiment que j’apprenne à mieux graver ce genre d’instant fugace dans ma boîte à moral.
La descente vers le plan de l’Ours sera pour moi un calvaire. Je glisse très régulièrement sur les cailloux (ou les racines, quand ce n’est pas du caillou), manque de me faire une cheville et finit par bien me ramasser sur les fesses et le bras. Je peste, je râle, je finis par jurer bien fort, et je suis à peu près certain que les bénévoles au bas de la descente m’ont entendu bien avant de me voir. Mes plus pates excuses à eux et toute la faune sauvage que j’ai dérangé, en particuliers les juvéniles, avec un vocabulaire mal adapté.
Retour du diesel dans la Pierre du Carré. Je broie du noir bien charbonné. Je suis lucide sans l’être : on croise deux fois un contrôle dossard, les deux fois je donne mon numéro dans le désordre (je m’en rends compte mais ça fait bizarre). Quand j’arrive à Super Collet vers 4h20, je m’affale sur le banc. Zéro énergie, zéro envie de partir. Message assez parlant : « Super Collet je suis explosé ». Quelques coureurs assis avec de gros plaids sur le dos. Je ne cherche pas à manger car j’ai l’impression d’avoir le ventre rempli d’air. Je pose ma tête sur mes bras et je sens que je suis à la limite de dormir. C’est comme en 2018. Il fait froid, et moi je n’ai pas d’assistance avec un édredon. Et je commence à sentir un début de chute de tension. Je sors de sous le barnum, gros coup de chaleur (je sais maintenant interpréter ça comme une belle hypo). Je repère un banc où je peux m’allonger avec les jambes en l’air sur la table adjacente. Ça passe en 2 minutes. Un gros gyrophare rouge s'est allumé dans ma tête. Je retourne à table pour essayer un mini somme, mais trop froid. Tout se bouscule dans ma tête. Je vais vers l’un des braseros, mais je n’arrive pas à m’y réchauffer. Je cherche des solutions sans en trouver. Je n’ai pas l’intention d’abandonner, même si je me suis posé la question. La barrière horaire ici est ultra large. Il y a des pacers en attente. Je demande à tout hasard s’il y en aurait un désœuvré, mais non. Et puis quelqu’un me suggère de prendre une couverture dans la zone sommeil pour me réchauffer. Et si je me laissais tenter par un lit ? Un petit « reset corporel » ne pourra pas faire de mal. Hop je m’allonge. Couverture fine. Je grelotte fort, tremblements incontrôlables. Ça ne va pas le faire. Quelques minutes plus tard, un coureur se lève et s’en va. Il me propose sa couverture en polaire bien épaisse. Qui que tu sois, je te remercie depuis mon aire de repos de l’A39, tu es celui qui m’a permis de terminer ma course. La chaleur est instantanée, et je sombre dans les bras de Morphée.
« Debout les gras il est 6h et demie ». Oups. Quelle sieste. Réveillé par une femme qui vient chercher 2 coureurs. Il fait jour. Je me sens... euh... complètement fracassé ! Petit message évocateur : « 6h28 je ne peux pas repartir je suis complètement courbaturé ». La communauté de suiveurs numériques (celle qui ne dort jamais à des heures normales) se met en branle. Je sors et commence un peu à marcher, mais c’est rouillé. Il va me falloir un petit temps pour me mettre dans le bon état d’esprit, car je sais aussi que la prochaine étape est parmi les plus longues. Le chrono : foutu. Le classement : n’a jamais été un objectif. Je prends un café, rassemble mes affaires (j’avais laissé mon sac à dos et mon allègement en vrac sur les tables). On ouvre la salle des leviers de commande. Je suis venu ici de mon plein gré, j’ai même fait jouer ma chance, je suis motivé, pas de blessure, la journée commence, et j’ai largement le temps pour rallier l’arrivée, en plus il fait beau, je vais enfin pouvoir voir les paysages ! Quelques courbatures, mais ça va partir. A 7h ma décision est prise, j’ai mis toutes mes couches, et ce n’est pas la bénévole qui explique à l’abandon devant moi que la navette va arriver dans 10 minutes qui va changer quoi que ce soit. 25 minutes pour basculer un mental récalcitrant. Est-ce cela, la résilience ?
Le petit coup de chance, c’est que ça démarre par une montée, de quoi se chauffer tranquille et tomber les couches comme un oignon. Le soleil me cueille sur les crêtes, puis c’est la plongée vers le vallon où je rattrape Vik qui me croyait loin devant. Je suis toujours en mode diesel, mais ça suffira pour joindre l’arrivée. Les crêtes des Férices sont vraiment belles et élancées. A Val Pelouse, la grosse étape est derrière. Pas après pas (en s’écartant souvent pour laisser passer les coureurs du Marathon). Col de Perrière, sources du Gargoton, col de la Perche avec l’équipe incroyable des connards à cloche à vache qu’on entendait (il est vrai depuis) le col précédent sans les voir.
Le Mont du Chat fait miauler mes quadris à la descente. J’appréhende car après mon arrêt buffet de Super Collet, ils sont un peu susceptibles. Finalement la longue descente passe à peu près. Arrivée au Bourget dans une ambiance de dingue. Je ne traîne pas, je veux en finir et je n’ai aucune capacité d’accélération (On est sortis de l’A39 mais ça reste proche du lamentable). La montée à Montgilbert est toujours aussi (dé)plaisante. Juste sous le sommet, revoilà Juliette ! Elle a l’air de ramer. Un petit mot d’encouragement et c’est la descente finale jusqu’au parc bien animé. Je termine en 36:06, donc plutôt fidèle à mon roadbook malgré un stop de quasi 3h à Super Collet.
C’est la troisième cloche que je fais sonner à Aiguebelle, et à chaque fois je la secoue un peu plus fort !
Je ne voulais pas faire de récit chronologique, mais ma foi, c’est sorti comme ça. Quelques leçons à tirer de cette aventure, et aussi essayer de comprendre ce blocage à super Collet. Je m’alimentais correctement, mais manifestement ça manquait d’énergie. Il faudra que je prenne un peu de temps pour revoir ma stratégie alimentaire (se reposer un peu plus sur le ravitaillement perso, ne pas conserver les aliments pour plus tard « au cas où ça va plus » - dans cette fable j’ai l’impression que la fourmi a tué la cigale). Possiblement un travail également sur la boisson. Comment expliquer ce ventre ballonné rempli d’air (amis de la poésie) ? La fatigue qui me tombe dessus (comme en 2018, mais je n’avais pas réussi à dormir et était reparti assez vite) peut s’expliquer par les mauvaises nuits précédentes. Le plafonnement du cardio assez tôt dans la course semble l’indiquer.
J’ai fait preuve d’une bonne résistance mentale pour ne pas bâcher alors que j’étais fin cuit en arrivant, et aussi un bon coup de boost pour repartir (je peux remercier Vincent et Clémence pour ça). Mais il y avait peut-être mieux à faire. Aller dormir sans mettre de réveil, n’est-ce pas une certaine forme d’abdication ?
Bref, à réfléchir, à maturer, à travailler... Et peut-être rendez-vous dans 7 ans !
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3 commentaires
Commentaire de Gilles45 posté le 31-08-2025 à 19:47:04
Et bien, après un GRP idyllique l'an passé, cette fois tu as dû sacrément batailler pour repartir du Super Collet et sonner la cloche. Bravo car ça ne devait pas être simple de se remettre dedans à ce moment. Quand tu penses que ça se joue à une couverture en polaire et un beau geste près...c'est la beauté de ce sport.
Bravo une fois encore pour ta perf et ce récit très agréable à lire
Commentaire de shef posté le 31-08-2025 à 20:26:27
Eh oui je pensais stupidement et naïvement que ça se passerait aussi bien, partant du fait que les mêmes recettes donnent les mêmes résultats. Mais force est de constater que même à 45 ans passés on apprend encore. Et c'est une des choses qui fait la beauté de notre sport.
Commentaire de jazz posté le 01-09-2025 à 22:59:32
Mais pourquoi tant de douleurs... Félicitations
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