Récit de la course : Les 66 du Doubs 2003, par Cerium

L'auteur : Cerium

La course : Les 66 du Doubs

Date : 14/9/2003

Lieu : St-Ursanne (Suisse)

Affichage : 1584 vues

Distance : 64km

Matos : porte gourde

Objectif : Se dépenser

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66 du Doubs

Un récit qui date un peu, mais comme j'y retourne cette année, ça peut donner des idées à ceux qui voudraient se tester sérieusement avant, par exemple, l'UTMB. en effet, la course a lieu maintenant au mois de juin. Les quelques défauts de jeunesse sont oubliés

LES 66 DU DOUBS... OU PLUS SI ENTENTE.


Vous, je sais pas, mais moi, il y a des mots qui provoquent immédiatement une succession de liaisons hasardeuses. Par exemple "St-Petersbourg = canaux, musées, cyclistes" ou "sortie du groupe hors stade = terrain boueux, chutes diverses, repas léger". Alors quand je lis "Les 66 du Doubs", je m’évade à travers "murets en pierre, fermes isolées, collines et sapins" et surtout ça fait ressurgir dans la mémoire la superbe traversée de Genève à Bâle par la grâce du Swiss Jura Marathon. Donc, pas d’hésitation, c’est un truc pour moi ! Foin d'entraînement spécifique, de montée en puissance, de travail de qualité. Quand on aime, on ne compte pas ! Il faut garder son âme de poète! Et pendant que j'y suis, autant inviter mon épouse à participer, l'argument qu'il s'agit sans doute d'une bonne introduction au "Trail Nature" balayant toutes les craintes! C'est beau la confiance!
Il s’agit d’un parcours touristique dans la région appelée "Clos du Doubs" à partir de St-Ursanne, une petite boucle de 66 kilomètres et d’à peine 4180 m de dénivelé au total. Les nombreuses chambres d’hôtes, de gîtes sur la paille ou auberges permettent de tronçonner la balade à sa guise, mais bien sur, cela ne nous concerne pas puisqu’on nous propose de découvrir la contrée soit : En randonnée de deux jours, en course relais de quatre coureurs ou d’une traite, le " défi ". Bien entendu, c’est cette dernière option que je choisis.
Une seule interrogation subsiste; malgré son nom, la course fait 64 km. Etrange! L'étude approfondie de la carte topographique offerte dissipe mes doutes sur la cohérence mentale des organisateurs : on nous fait grâce de l'aller-retour d'un km. jusqu'à la gare.

Quelques heures de voiture, pas mal de virages et de petits vallons plus tard, nous voici à pied d’œuvre. Les randonneurs convoyés à leur deuxième étape, il ne reste plus qu’un peloton un peu maigrichon à s’échauffer dans St-Ursanne, très joli et très calme en ce matin de septembre. 25 coureurs, c’est intime comme atmosphère! Quelques connaissances, des habitués des courses de longue distance, se lancent déjà dans les pronostiques. Je définis plutôt ma tactique : limiter les dégâts dans les montées sans me mettre dans le rouge, relancer et rouler sur les plats, récupérer au maximum dans les descentes en laissant aller. Le tout à un rythme raisonnable bien sur.

Départ, passage sous la porte voûtée de la cité médiévale, et premier béquet. 450 m de grimpette sévère pour se régler. Ça va pas mal. Un petit bout sur la route menant à l'Ajoie, coup d'œil aux trois majestueuses fermes du 17eme siècle, la pente se fait moins rude, ce qui me permet de revenir sur le groupe de tête. Chacun se décrispe un peu, on fait connaissance, les plaisanteries fusent. Ambiance typique du trial longue distance, ça discute plus qu’au café du commerce ! On bascule à six dans une longue descente, même qu’elle se prolonge drôlement, sans balisage. Inquiétant, d’autan que l’on débouche sur une route et qu’il n’y a aucune indication de direction ! Je m’approche d’un chasseur providentiel pour me renseigner. Il me confirme que " là, vous êtes pas bien, les gars" dans un grand éclat de rire. Tronche des copains en réalisant le dénivelé à remonter! Bon, on va pas dormir ici, un encouragement et tout le monde m'emboîte le pas. Ça rigole plus du tout, mais on arrive quand même à une ferme isolée, au nom bien de circonstance: La Vacherie! Je toque avec ma patiente délicatesse à la porte vitrée, la maîtresse de maison m'ouvre juste avant que l'huis ne s'arrache, et recule de trois pas, jugeant son mari plus apte à traiter avec un énergumène éructant "fopasséparoupourlechemindé66dudou?!"

Deux signes de la main plus tard, on s'élance les uns à travers un troupeau de veaux, les autres prudemment dans une grande boucle. Enfin nous voilà sur la crête, auprès d'un panneau indicateur rassurant. C'est ça l'esprit chevaleresque, j'allai pas me contenter d'un parcours au rabais qui ne justifie pas son nom, là au moins j'ai le quota plus les bonus! Descente sur Seuleute, le temps de me fixer un nouvel objectif: me placer au mieux dans le classement "virtuel"des égarés. Bientôt je reprends les derniers coureurs, ou qui se croyaient tels. Ça me donne le mors aux dents et j'accélère un peu. Derrière, un seul collègue s'accroche, les autres sont soit déjà découragés, soit plus raisonnables. Tient, voilà ma femme dans le long faux-plat qui fend la forêt, elle est plutôt surprise de me voir apparaître de ce côté!

Ravitaillement, renseignements, voilà bien 20' que les premiers sont passés. Temps pis, je ferai sans eux. Temps pis aussi pour les ruines du château médiéval de Montvoie, pas le temps de tourner la tête! Trois cents mètres de rude descente à travers bois et petits chalets pour rallier La Motte, car pour ceux qui n'ont pas bien saisi la topographie de l'épreuve, je résumerai par: Grimper sur la crête, suivre la crête, plonger dans le vallon, suivre le fond de la vallée, traverser le Doubs, remonter, etc., le tout à satiété. Donc me voici sur la route remontant la rivière et je peux admirer la kolossale organisation germanique: toute une équipe attend le coureur allemand qui me suit, lequel a d'ailleurs récupéré un compagnon de club au passage. Ravitaillement, encouragement, renseignements, photos, ils vont les rejoindre à chaque occasion. Le staff dispose même de canoës sur la voiture, histoire de combiner vacances et compétition.

Ocourt, petit pointage, quatre concurrents à 15’, deux qui me talonnent, et 450m bien raides sous le nez. Et vu l’angle de montée, vraiment pas loin du nez ! En avant, marche. Ben oui quoi, vous voulez quand même pas que je cours dans une déruppe pareille, non, bande de sadiques. Bon, d’accord, je consens à trottiner dans les pâturages ou la pente se fait plus douce, ce qui n’empêche pas les Allemands de s’envoler facile. Ouf, et maintenant mesdames, la minute romantique, une petite pause au soleil entre deux sapins, juste le temps d'apprécier le petit vallon qu’il faut maintenant contourner. Avant d’aborder Epiquerez, village le plus élevé du Clos du Doubs, étalé face au sud et à une ondulation de colline, je reprends un coureur de ma connaissance complètement à la dérive, ça m’étonnerai qu’il finisse. Deux mots d’encouragements contre les nouvelles du "front", et je pars jouer à saute-mouton avec les antiques bornes frappées sur une face de l'ours bernois et de l'autre de la fleur de lys du royaume de France. On longe sur plusieurs kilomètres la frontière, ce qui ne modifie pas le paysage; l'herbe est du même vert, les forêts couvrent tout autant les collines, les vaches ruminent à l'identique. Fini de rêvasser, virage plein sud avant d'arriver à l' Atlantique, et un petit mot rassurant accompagné d'un sourire à la dame du ravitaillement de la Pâture d'Amont qui se soucie du peu que je mange, car "vous savez, c'est encore long".

Non, ce qui m'inquiète plutôt, c'est de trouver le bon chemin à la lisière du pâturage pour plonger dans la forêt, car après ma mésaventure je suis devenu méfiant. Et ce qui est évident à celui qui se ballade tranquillement est invisible à contre-jour au pressé. Enfin un "stupa jurassien", soit trois rubans qui flottent aux branches d'un arbre, et je me lance dans un exercice que j'apprécie autant que la raclette; la descente débridée. C'est d'autan plus amusant qu'avant la passerelle de Clairbief j'ai encore dépassé deux concurrents. Les oscillements cadencés du dit pont stimulent mes réflexions: d'abord, si mon décompte est juste, il ne reste devant que trois personnes, et c'est stimulant. Puis, je me trouve au 31eme km, soit pas tout à fait à mi-parcours, et il serait sage de lever un peu le pied, car je veux bien être battu par plus fort que moi mais je ne veux pas leur faciliter le travail en m'explosant inutilement.

La sagesse prend enfin le dessus et je poursuis ma "flânerie" au bord du Doubs avec un peu moins d'agressivité dans la foulée. L'observation du flot nonchalant est fructueuse, des ombres ondulantes confirment la présence silencieuse des truites à zébrures foncées, spécialité du Doubs. Et pour être grosses, elles sont grosses, même un pêcheur aurai de la peine à mentir en écartant les mains "comme ça". Ma pêche est tout aussi intéressante, c'est maintenant l'ex premier de l'épreuve que j'harponne. Il a l'air plutôt soulagé de ne plus avoir à mener le train, et ne s'accroche même pas. Le parcours longe la rivière dans la réserve naturelle sur une dizaine de km quasiment plat. Petit pointage avec le duo de tête, que j'aperçois épisodiquement, 1 minute qui ne veut pas rétrécir mais je me rends compte que c'est toujours le même qui mène, s'ils se séparent…miam!

Des familles se baladent, les hérons déjeunent, les rares fermes tendent leur pignon au soleil. Ambiance de dimanche calme, mais les autres jours ne doivent guère être plus agités. Passage sur la rive gauche, traversée de Chervilliers, un minuscule hameau isolé, à tel point que je me demande si les gens qui l'habitent savent qu'il existe un monde au-delà de la colline. Un ethnologue en manque de tribu inconnue trouverai certainement son bonheur ici!

Remontée pénible sur Epauvillers, par le seul accès carrossable, véhicules bas s'abstenir! J'inspecte d'en haut la route empruntée tout à l'heure, pas l'ombre d'un coureur, mais ou sont' ils donc passés? Comme souvent dans la contrée, le village est aligné à l'horizontale au milieu du pâturage. Petit problème, je ne trouve pas le balisage et j'ai le choix entre traverser l'agglomération ou suivre la route principale. Je prends cette dernière car elle passe plus haut et je préfère piquer sauvagement à travers un jardin bien propret que de remonter, et zut pour les poireaux. Heureusement, je retrouve le ravitaillement à la sortie du village ou je parviens dans le dos du responsable du balisage, un peu étonné. Mes excuses au passage pour le coup d'œil un peu agressif, la signalisation n'était pas mauvaise, juste un peu dur à repérer pour les gens pressés, dont je suis. Des faux-plats au menu pour moi, apéro et broches odorantes pour les bénévoles et spectateurs, et c'est reparti en direction de Montenol.

Au détour d'une clairière, un promeneur m'annonce avec un accent plein de terroir "le premier à quatre minutes, le second à 2". Bonne nouvelle, s'il est vrai que j'ai encore perdu du temps dans la montée, il y en a un qui ne peut plus tenir le rythme. Excusez-moi, je n'ai pas le temps de vous faire la visite de Montenol, mais vous pouvez relire ce qui précède et aligner le village sur la large crête, pignon au soleil, etc.…vous pouvez faire aussi un effort, non.

Soudain, la vue se dégage à gauche, en surplomb de la gare de St-Ursanne, son pont en arche et son tunnel, mais, fausse joie, on tourne à droite! Il faut bien les caser quelque part les 18 km qui restent. Mais que vois-je? Un coureur à l'horizon. Et dans une descente en plus! Banzaï, en arrivant à sa hauteur, j'assouplis ma foulée, l'air décontracté lui glisse un petit "ça va?" et accélère. Petit coup de guerre psychologique digne de Napoléon! Heureusement qu'il ne s'accroche pas, car à la première courbe, je peux resserrer les dents. Pour la visite de Ravines, voir plus haut, je suis très pressé! Mon plan est simple, prendre assez d'avance à la descente afin d'avoir de la marge pour la monté sur Montmelon, qui se présente d'ailleurs sitôt le pont couvert franchis. Si le village a une partie "dessous" et une "dessus", c'est parce qu'ils n'ont pas trouvé assez de plat pour poser le tout, et ils nous en font profiter. Je grimpe, mains sur les genoux, guettant un souffle derrière moi, mais je suis rassuré avant de pénétrer dans la forêt, la petite silhouette au fond du champ ne pense plus à moi.

Il me reste une grande boucle à fermer pour retrouver mon point de départ, mais je commence à sentir le prix de mes efforts. La moindre petite montée me pousse à la marche. Heureusement, le sol se fait doux, le gazon raz et moelleux. Pas de panique j'ai pas fumé, non, c'est le golf de la Caquerelle qui m'accueille. La longue et agréable traversée au soleil me requinque, et personne, ni devant, ni derrière sur ce boulevard. L'euphorie est de courte durée, car je me retrouve au coin d'un champ, sans marques. Encore perdu! 200m de remontée, un bout de banderole sur une barrière à vache, et je repars la rage au ventre pour la dernière montée. J'adopte le style "walking en projection rapide". Penché en avant, grandes foulées, bras en balancier, peut-être pas très esthétique mais efficace, à part le mal aux épaules le lendemain! Quelques crapahus dans des sentes hasardeuses mènent à un site de décollage de parapente, je profite de me remplir la tête de paysages bucoliques et caractéristiques. Encore plus typique, le sentier de crête caillouteux. Bordé d'arbres, il longe une falaise abrupte, avec quelques rares ouvertures sur l'Ajoie. Les pieds commencent à regretter la volupté moelleuse du green de golf, le calcaire, ça ne tient peut-être pas l'eau mais c'est solide sous la semelle! La fatigue se fait maintenant durement sentir, mais à la vue de l'affluence derrière moi, je peux trottiner sans stress et chercher les oiseaux qui s'époumonent sous les frondaisons.

Clairière d'Outremont, ça sent le pique-nique pour les randonneurs agglutinés au soleil, et surtout le doux parfum de la dernière descente pour moi. Coup de frein brutal, gauche? droite? On ne va pas recommencer par les chemins de traverse, non? Heureusement, une accompagnatrice Suisse-Allemande guette et mouline de grands tours de bras en criant "Rome, Rome"*, ben oui, je sais que tous les chemins mènent à Rome, et subsidiairement à l'arrivée.

*NdT: je vous l'écris en phonétique, mais ce n'est pas de ma faute s'ils prononcent de cette manière "komme, komme" (viens)

Dernier salut, dernier "hop tsäme" un chemin que je reconnais pour m'y être échauffé, une porte médiévale voûtée vue de l'autre face et arrivée sur la place principale de St-Ursanne. Ouf!, 6h 32' 58'' ça a été certes une partie de plaisir, mais pas facile du tout. Le dénivelé important et le rythme un peu fou du début y sont pour beaucoup. Une telle course, gérée "normalement", c'est à dire tranquillement jusqu'à la moitié, est sans doute à la portée de tous ceux qui aime la découverte. Surtout, la corbeille garnie de produits du terroir permet de se régaler tout en se remémorant les passages les plus majestueux (pour les poètes), ou les plus épiques (pour les agressifs).

Je profite du massage pour récupérer, avant de récupérer ma femme après 8h 54 de course. Je ne suis pas certain qu'elle me croie sur parole la prochaine fois que je lui proposerai " un petit truc sympa". Les spectateurs ont le temps de féliciter chacun, vu les écarts: quatre coureurs dans les 6 heures, cinq dans les 7h, neuf en 8h, trois en 9h et quatre abandons. Plus cinq relais, une trentaine de randonneurs, et des familles sur un petit circuit.
Si vous passez à l'occasion par là-bas, pensez à me ramener une saucisse sèche d'Ajoie! Bonnes fêtes à tous.

Cerium




1 commentaire

Commentaire de Epytafe posté le 30-08-2007 à 11:19:00

Encore un texte sympa... Belle plume!

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