Récit de la course : Swiss Irontrail T 121 2015, par Anne-Laure_70

L'auteur : Anne-Laure_70

La course : Swiss Irontrail T 121

Date : 14/8/2015

Lieu : Pontresina (Suisse)

Affichage : 2003 vues

Distance : 124.7km

Objectif : Terminer

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Swiss Iron Trail T121, mon premier ultra de plus de 100 km


 

Swiss Iron Trail T121

 

EDIT : j’ai complété mon récit par quelques détails et photos, suite à des questions que l’on m’a posées. Et aussi parce que j’ai eu plus de temps pour fignoler.

 

 

Mon objectif unique pour 2015 : le Swiss Irontrail, les 14 et 15 août, sur le T121, soit une boucle de 124 km et 7000 m d+. Le tout dans une région superbe, les Grisons dans  l’est de la Suisse.

 

Il existe aussi un T201 (=201 km, au fou…), un T91, un T41 et deux T21.

 

L’an passé, j’avais bouclé le T81, en fait 88 km, à l’aise les doigts innezenoze, j’aurais volontiers continué après l’arrivée, c’est dire comme j’étais bien. J’ai donc décidé de me lancer sur du plus long, 36 km et 2000 m d+ supplémentaires.

 

C’est donc mon premier ultra trail de plus de 100 km, avec toutes les incertitudes concernant la distance, le dénivelé, la durée, la fatigue, les barrières horaires. Au mois de juillet, une reconnaissance de la portion du parcours que je ne connaissais pas a pu néanmoins me rassurer en partie. Mon objectif est donc basique: finir, et en bonne santé. Mais aussi et surtout : prendre du plaisir et vivre une belle aventure.

 

Ah, last but not least, je suis suivie pendant toute la course par Super Ravitailleur.

 

Nous arrivons à Davos l’avant-veille du départ. Ceci afin de réduire la fatigue du voyage et surtout limiter le stress. Stress malgré les discours rassurants de Super Ravitailleur. Stress que je subis alors que j’ai tous les atouts de mon côté : ma connaissance du parcours, ma (petite, mais réelle) expérience des courses et de la montagne, ma préparation physique, mon acclimatation à l’altitude, mon organisation aux petits oignons, le matériel et les ravitaillements préparés minutieusement, check-listes à l’appui.

 

Jour J. A 7h00 déjà vers le départ, pour poser le sac d’effets de rechange pour le ravitaillement de Savognin à mi-course. Contrairement à ce que laisse penser la photo, il y en a une qui ne fait pas la maligne.

 


La maligne.

 

Je vais aussi reconnaitre le début du parcours en ville, pour (un peu) m’échauffer et (beaucoup) me déstresser. Car courir quelques kilomètres en ville derrière un quad ouvreur, enfin je veux dire plutôt en dernière position en queue de peloton, ça a tendance à me stresser.

 

J’angoisse (un peu) moins d’être la dernière, en prévisualisant avec Super Ravitailleur le départ du peloton, d’environ 110 personnes : ils vont certainement partir comme des bombes… en appliquant la devise bien connue :

«A fond tu partiras, ensuite tu fatigueras, plus en avant tu ne pourras, et à l’agonie tu finiras ! »

 Pour moi, vu ma faible vitesse de pointe, ce sera plutôt : 

« Au mieux tu partiras, à coup sûr dernière tu seras, un grand moment de solitude tu vivras, et dès la mi-course tous les morts tu remonteras »

 

On se rassure donc comme on peut, et grâce à mes reconnaissances et ma course de l’année dernière ici-même, je sais que les barrières horaires seront confortables pour moi. Donc, sauf imprévu, ça devrait le faire, et c’est exactement ce que me répète Super Ravitailleur.

 

 

 


Quiz : Une Anne-Laure est cachée sur cette image. Sauras-tu la retrouver ?

 

 Musique épique. Heure H, zéro minute et zéro seconde, top départ.

 

Bon, ben faut y aller…

 

Donc départ à 8h00, un peu vite, mais je me sens bien. Cette année, il y a plus de monde qui marche derrière moi, les participants sont visiblement plus prudents sur le T121 que sur le T81 de l’an passé. Cette première partie (11 km jusqu’à Sertig Dörffli) est assez roulante et permet même à moi de courir sur certaines parties. Et un beau coup d’œil en passant sur une biche (ou vice-versa). Tout mon stress s’est envolé comme par enchantement.

 

Devant moi, un couple de participants, des Coréens, mènent un débat méthodique portant sur la philosophie déconstructive de Heidegger et Derrida, à moins qu’ils ne révisent la théorie des ensembles de Cantor (mes connaissances de la langue coréenne présentent quelques lacunes, je l’avoue à ma plus grande honte).

 

En tous cas, leur discussion doit être passionnante, car les voilà qui partent sur un mauvais chemin. Je les appelle, pas de réaction, j’insiste, à plusieurs reprises, lourdement, ah quand même, ils tournent la tête. Ben oui, faut regarder la moindre le balisage, si on se plante déjà après 5 km, ça ne va sûrement pas le faire sur 124 km. Mais grâce à Dieu et à ma petite personne, les voilà de retour sur le droit chemin, ouf ! Merci qui ? Merci moi ! La dame me remerciera d’ailleurs une demi-douzaine de fois jusqu’à l’arrivée, avec courbettes respectueuses et mains jointes… Oui, bon, ça ira, elle ne va quand même pas installer un autel à ma gloire chez elle en Corée, j’espère.

 


C’est quand même long, le Val Sertig, mais c’est beau.

 

15 min d’avance à Sertig Dörffli sur mon plan de marche, euh je veux dire plan de course.

 

Bref arrêt au ravito pour compléter les flasques et départ direction le Sertig Pass. Compléter encore les gourdes à l’alpage de Chüealp à une fontaine testée à la reconnaissance et premier coup de pas bien dans la montée du Sertig Pass. Un fort vent s’est levé, et des participants, certains en liquette, n’ont pas l’air d’en souffrir, au contraire de moi.

 

Sommet du Sertig, 2739 m, ça souffle, pas possible de faire une pause miam miam ici, et de l’autre côté, c’est pire. Du coup, demi-tour, je redescends quelques mètres en direction de Davos pour m’abriter derrière un gros caillou. Quelqu’un qui m’a vu rebrousser chemin me demande si je keutte ze rèce, non, non, aïe itte somssingue, et du coup tout le monde fait pareil. C’est sûrement ça, être un leader naturel… Peut-être un autel bis ?

 

Retour vers le col, avec un pierrier où je double une participante allemande. Descente de l’autre côté et rappel d’icelle, car icelle part à droite en direction de Bergün direct, alors que la Chamana digl Kesch, c’est  à gauche. Et pourtant le balisage ne prête à aucune confusion, avec moult fanions oranges et rubalises. Le paysage est lunaire, certes, mais ce n’est pas une raison d’y être (dans la lune, donc…) Et hop, un autel ter !

 



Au fond, le Piz Kesch, son glacier et le col avec la cabane.

 

 

Je repars après un bref arrêt pour lire le SMS de l’organisateur qui nous envoie la météo régulièrement, à savoir nuageux et averses éparses.

 

Attaque de la descente et rattrapage de quelques participants dont un aveugle avec un guide, et dépassement des Coréens (un groupe de sept en fait) qui font les lièvres et moi la tortue. Depuis là je ne les reverrai que de loin et toujours derrière. Et oui, ça commence à descendre (dans la pente), et moi, je commence à remonter (les concurrents) Et une nouvelle preuve qu’il me faut au minimum 3h30 d’effort avant de me sentir bien.

 

C’est beau, par ici. Après un (long) faux plat et une (courte) montée, deuxième col, j’arrive à la Chamana digl Kesch, la cabane Kesch en langage local, à 2630 m. Brève pause pour compléter une gourde et manger un demi Powerbar chocolat, le meilleur aliment solide pour ne pas avoir de crampes dans les descentes (Cher monsieur Nestlé, pour ce placement de produit, vous pouvez faire parvenir une enveloppe à mon nom à l’organisateur qui fera suivre, merci d’avance).

 

J’attaque la descente en courotant tout le long. Courotant, du verbe couroter, néologisme signifiant trottiner à plat ou en descente à une vitesse plus rapide que la marche, mais très économe pour la musculature, les articulations et les orteils. Je courote donc. En cherchant la déviation annoncée avant le départ, à cause des vaches allaitantes, inutilement car c’est finalement beaucoup plus bas à Alp Punt que nous prenons la route au lieu d’un sentier pédestre.

 

6h30 de course déjà, me voilà à Bergün à 14h30, au lieu de 15h15, YES, 45 minutes d’avance sur mon programme, et surtout en bonne forme. Je suis plus détendue maintenant, car la barrière horaire initialement prévue à 16h15 puis repoussée à 16h45, me faisait un peu soucis avant le départ. Seulement une heure de marge à ce stade de la course, ça me faisait  du souci ces dernières semaines…. Mais visiblement, j’aurai amplement le temps, 2h15 de marge maintenant. Merci encore à l’organisateur pour la largeur des barrières horaires.

 

Le T91 s’est élancé depuis ici il y a un peu plus d’une heure. Le ravitaillement officiel se situe en plein air, et la pluie menace. Super Ravitailleur est là et a donc tout super bien préparé à l’abri dans le super bus, super papier journal par terre, super lavette et super bassine d’eau pour me super débarbouiller. En un mot : SUPER !

 

Depuis le début de l’après-midi, le temps est donc menaçant, mais j’ai pu éviter les gouttes jusqu’ici. Mais Super Ravitailleur m’annonce que du côté du Piz Ela, un gros orage a éclaté il y a une heure environ. Pas rassurant ça, car un orage sur l’enchainement des cols Tschitta, Ela et Orgels, où il n’y a aucun abri, et où tout se passe à plus de 2500 m d’altitude, ça sent le plan galère limite dangereux à plein nez.

 

Super Ravitailleur prépare mon sac et mes gourdes, je mange un peu, ôte mes Nike Pegasus lisses, crème mes pieds, enfile des chaussettes propres, un gilet coupe-vent cycliste et un mi-long à la place de mon short court, chausse mes Dynafit bien cramponnées.

 

Et voilà la pluie, youppie ! Super Ravitailleur se prend la grosse rincée à l’extérieur de la voiture, le pauvre.

 

Je renonce par conséquent à emmener l’appareil photo, dommage, les images suivantes proviennent donc soit de Super Ravitailleur, du photographe officiel ou de nos reconnaissances, de cette année ou de l’an passé.

 

Je repars avec la veste sous une pluie torrentielle, la pauvre… jusqu’après le camping où la pluie se fait moins soutenue et où j’enlève la veste. Car depuis ici ça monte jusqu’à Naz dans la forêt.

 

 


En arrière-plan, l’un des viaducs de la ligne de chemin de fer de l’Albula, classée à l’UNESCO.

 

Après avoir posé pour le photographe officiel, me voilà dans le petit hameau de Naz. Un super team de retraités m’y accueille, avec cloche de vache pour annoncer mon arrivée. On y trouve des pâtes, pommes de terre, cake au chocolat si envie. Mais pour moi, juste un Biberli à ce stade (environ 8 heures de course) En fait, je reste le plus longtemps possible avec les Biberlis, les raisins secs, les Bloks, et de l’eau (et les demi Powerbar chocolat avant chaque descente, bien entendu…) On me sert un vrai café dans une vraie tasse, un Nespresso, what else ? (Cher monsieur Nestlé, l’enveloppe susmentionnée sera épaisse, j’espère…) Je remplis mes trois flasques, car le prochain point d’eau est très éloigné, trois cols plus loin. 

 

Je quitte le ravito, encore un Grand Merci et des applaudissements à la vue de la baignoire sur laquelle est noté « Dusche/Shower ». Ben la prochaine fois peut-être, n’est-ce pas ?

 

Ici les tracés du T201 (parti la veille) et les T121/T91 se séparent. Départ à droite donc pour les 1100 m de d+ d’une traite jusqu’à Fuorcla da Tschitta, à 2831 m.

 


Une Anne-Laure chargée à bloc en liquide, car le prochain ravito est 5 heures plus loin.

 

Montée dans la forêt, arrêt pour remettre la veste sous une pluie intense, re-arrêt pour l’enlever de nouveau quand la pluie cesse. C’est bon, je suis au point dans le pliage/dépliage de la veste et le rangement dans le sac, ce serait bien :

 

  • soit qu'il pleuve pour de bon sans arrêt,

  • soit qu’il ne pleuve pas du tout.

 

Alors si quelqu’un là-haut pouvait faire le nécessaire, ce serait sympa, merci.

 

Bon, en attendant, j’ai évité l’orage, tant mieux. Par contre, je n’ai pas encore trouvé une méthode pour sécher la veste quand elle est rangée dans le sac. A chaque fois que je l’enfile, brrrr.

 

Je dépasse la limite des arbres. 

 

C’est long, cette montée. Avec de nombreux « faux cols » qui donnent l’impression d’être au sommet, mais non, derrière ça grimpe toujours. Merci la reconnaissance du parcours, ça aide pour garder un moral de guerrière.

 

C’est donc long, cette montée, disais-je.

 

Très long.

 

Interminable.

 

Deuxième coup de pas bien depuis le départ. Bon, faut manger, attendre que ça passe, et continuer d’avancer quand même.

 

Serre les dents, ma petite.

 

Un mètre, encore un mètre.

 

Je compte mes pas, un deux trois… cinquante, et je recommence une série, et une autre, et encore une autre... Et c’est comme l’entrainement par séries, ça finit toujours par payer, et me voilà donc au col Tschitta. Et comme toujours, la forme aussi a fini par revenir.

 


Super Ravitailleur lors d’une reconnaissance.

 

Trois bénévoles sont postés un peu plus haut sur l’arrête pour nous voir arriver de loin. L’un des bénévoles, une dame,  bien emmitoufflée, descend vers le col à chaque fois pour s’enquérir auprès de tous les participants de comment ça va.

 

Demi Powerbar chocolat, et hop : attaque de la descente de 250 m d- environ, en courotant jusqu’au lac Grond. 

 

Au fond, le Fuorcla da Tschitta d’où nous venons.

 

Un deuxième petit lac, puis montée droit en haut la pente vers le Pass Ela à 2724 m, environ 160 m d+. Lors de la reconnaissance, j’avais suivi l’itinéraire pédestre sur un joli sentier, beaucoup moins raide mais évidemment plus long.



Droit devant, le Pass Ela.

 

 

Un autre participant et moi arrivons au Pass Ela, avec un vent vraiment monstrueux, que j’estime à 100 km/h. Je porte en ce moment les manchettes et le gilet coupe-vent de vélo, mais pas la veste ni les gants. Il fait un peu frisquet, c’est un euphémisme, mais l’autre concurrent ne s’arrête pas. Ce serait plus prudent pour moi de ne pas être seule dans le Pass Orgels, le passage le plus technique de toute la course. Donc pas d’arrêt pour enfiler la veste et les gants pour rester avec ce gars. De toute façon, il souffle tellement fort que cela aurait été la galère et un plan à laisser s’envoler la veste.

 

Le parcours suit en fait l’arrête entre le Pass Ela et le Pass Orgels, en passant quasi par le sommet du Cotschen à 2829 m. Le vent souffle de la gauche, je dois m’arc-bouter pour lutter. A chaque pas mes bâtons veulent partir vivre leur propre vie sur la droite. A chaque pas je dois lutter et insister pour leur montrer qui c’est qui commande ici, tout d’abord, hein ?

 

Je m’accroche donc à l’autre participant. Nous arrivons dans la zone pierrier, abritée du vent heureusement. C’est technique, par ici. Mon compagnon n’est pas du tout à l’aise sur ce genre de terrain. Je le distance inexorablement, même sans le vouloir. Zut, je vais me retrouver seule, mais je n’ai pas envie de me faire surprendre par la nuit ici, faut donc avancer. Alors ma foi, désolée, mais tant pis pour lui.

 


Photo d’une reconnaissance.

 

Là-haut, dans une espèce de petite combe à l’abri du vent, quelqu’un (de l’organisation ?) m’offre un Bloks Melon (pas mal, les miens sont à la framboise) Puis ça descend vers le Pass Orgels. Technique, c’est le mot. Il n’y a plus de sentier, mais un bon gros pierrier de chez pierrier de derrière les fagots, un amas de gros blocs avec une vague trajectoire indiquée par la peinture rouge et blanche. Il y a des endroits où il faut s’aider des mains. Faut rester attentive, un accident est vite arrivé ici. Et attention aussi de ne pas casser un bâton.

 

Voilà le col Orgels, 2699 m, personne, je suis toute seule. Petit moment de "répit" sur un chemin raide droit en bas dans la caillasse. Puis revoilà Pierrier 2 le Retour, et il n’est pas content, voix caverneuse. Heureusement qu’il fait encore suffisamment jour et qu’il ne pleut pas. Je me lance donc dans cette désolation. Mais qui c’est qui a fichu un bazar pareil ici ?

 


Photo d’une reconnaissance.

 

 

 

 

Fin du pierrier, ouf, un gros morceau de fait, pas fâchée de l’avoir derrière moi. Voilà ensuite le lac Tigiel, plus loin encore le photographe, et vers 2455 m, le ravito, placé juste hors des limites du parc naturel Ela.

 

 

 Au fond, le Pass Orgels et son pierrier.

 

 

Je parviens au poste de ravitaillement juste avant la nuit, et revoilà de nouveau une pluie vivace, et vivifiante… A trente minutes près, c’était la grosse galère au Pass Orgels. Quel bol !


Elle n’a pas l’air un peu soulagée, la Anne-Laure ?

 

 

Le ravito : au milieu de rien, deux personnes, quelques boissons, un peu de nourriture, des gels, une mini-tente abri, et c’est tout. Ici, c’est vraiment loin de tout, pas de route, pas d’alpage, rien.

 

Je re-re-re-enfile la veste et les gants. Je dégaine aussi ma lampe, une Lupine-de-la-mort-qui-tue, offerte par Super Ravitailleur, qui éclaire comme en plein jour, même sur la position médiane (la lampe, pas Super Ravitailleur).  

 

Je repars du ravito avec un autre concurrent, en remerciant les bénévoles et en leur souhaitant une bonne nuit quand même. Nous suivons un sentier à flanc de montagne. Il fait nuit noire maintenant, et il pleut.

 

Nous traversons un premier troupeau de vaches, tout se passe bien, elles nous regardent à peine, nonchalantes. Un peu plus loin, deuxième troupeau, pas de soucis non plus. Une vache cependant nous toise en soufflant épais juste en dessous du chemin. Mon compagnon prend peur et s’arrête net. Je suis juste derrière lui, et avec cette pluie, les bouses, ce single plein de cailloux, je glisse, me rattrape comme je peux en gesticulant, mes bâtons tapent, ma puissante lampe éclaire tout et n’importe quoi dans toutes les directions ! La vache prend peur à son tour, saute d’un coup en l’air !

 

Tout s’enchaine très vite, le troupeau s’organise en deux secondes, se met à galoper vers nous. Nous déguerpissons fissa, les vaches en rang par deux derrière nous, à nous tracer après. Nous nous retrouvons encadrés par LA vache d’un côté et une autre de l’autre côté, qui lèvent toutes les deux le cul à chaque ruade. Très impressionnant avec d’aussi grosses bêtes, avec tout le reste du troupeau à nos basques! Avec le tintamarre des cloches en sus ! Nous détalons cette fois comme des lapins. La peur de ma vie ! Voilà heureusement une courte montée, que nous arrachons en force. Les vaches s’arrêtent, ouf !

 

Jamais couru aussi vite sur un tel sentier, de nuit et sous la pluie, et sans glisser ni m’étaler. J’ai cru que j’allais y passer. Et pourtant j’aime les vaches, j’en côtoie régulièrement et n’en ai pas peur habituellement. A la décharge de ces vaches, nous sommes les premiers à être passé ce soir avec des lampes, et ces bêtes n’avaient certainement jamais vu de leur vie pareilles lumières vives accompagnées de bruits bizarres venir vers elles, dans cet endroit où de toute façon il ne passe pas grand monde en temps habituel.

 

M’étaler, ce sera un peu plus tard dans la longue descente droit en bas dans la boue et l’herbe détrempée. C’est comme l’a écrit Gainsbarre pour BB : boum, splatsh, wiiiiiiizzz ! Sans mal, mais bien repeinte couleur camouflage.

 

Nous arrivons à l’Alpstübli. Depuis là, c’est donc sur une route forestière ou un sentier roulant. Mais alors que ça devient courable, mon compagnon ami des vaches persiste à vouloir marcher. Je le laisse et ne le reverrai pas. Au détour d’un chemin, un gars tout en noir, seulement visible avec les bandes réfléchissantes de ses habits, a l’air d’attendre… qui, quoi ? Je ne sais pas, je le salue et il me répond « Alles im Griff ». Qui est-ce ? Que veut-il ? Je n’ai pas tout compris…

 

22h10. Me voilà à Savognin, 1173 m, dans la salle polyvalente, où j’ai prévu une pause de 50 minutes. Plus que 65 kilomètres, et déjà plus de 14 heures de course. 45 minutes d’avance sur mon programme, et une marge sur la barrière horaire de 4 heures.

 

Pas de Super Ravitailleur en vue. Où est-il ? Ah, il est devant l’écran géant qui affiche les positions des participants grâce au tracker que nous portons tous. Et selon l’écran et mon tracker, je me trouve encore à 2000 mètres d’altitude au-dessus de Savognin. En fait, avec le recul, je pense que c’est l’endroit où je suis tombée. Et la chute a fait perdre le signal du GPS. Selon Super Ravitailleur, mon tracker a eu énormément de bugs en ce début de course. Il vaut mieux ne pas trop compter dessus en cas de problème. D’ailleurs, moi, en cas de soucis, je compte sur Super Ravitailleur (voir ci-après).

 

Pause de 50 minutes comme prévu. Changement de tenue complet, crémage des pieds, à nouveau les Nike Pegasus, pasta, cake au chocolat. Tout va bien, jambes, pieds, estomac et tête.

 

 

 D’abord les pasta, puis les pieds, et enfin le dessert.

 

Beaucoup de concurrents abandonnent ici, alors que la barrière horaire est confortable. La météo joue certainement un rôle. Mais aussi certains T121 et T91, au vu de la difficulté du tronçon précédent, ont vraisemblablement eu peur pour la suite. A tort, car depuis ici, c’est plus « facile », moins technique, moins haut. Connaitre le parcours, c’est vraiment un atout majeur pour garder le moral et envisager de finir. En fait, pour l’équité, il devrait y avoir deux classements : ceux qui connaissent le parcours et les autres. Et aussi un classement de ceux qui ont une assistance personnelle et ceux en autonomie. Mais bon, le monde est injuste. Car il y a aussi ceux qui ont un VO2 de 85 et les autres, ceux qui grimpent à 1400 m d+/h et les autres. Oui, c’est trop injuste, disait un grand philosophe de mon enfance.

  

 

Le Philosophe. A noter que les sacs sont plus ergonomiques de nos jours.

 

Bon, de toute façon, moi, je m’en balance, du classement.

 

Depuis ici, nous « récupérons » les T201, pour finir tous ensemble sur le même tracé. Certains de ces surhommes (-femmes) du T201 ne sont pas dans une forme exubérante. Pour eux, c’est le km 140.

Super Ravitailleur a profité de l’attente pour regarder les méthodes et matériels des suiveurs de ces Terminators, car on en apprend tous les jours. Certains ont même une masseuse personnelle à leur disposition… Car on parle ici de gens qui font une course de plus de DEUX CENTS KILOMETRES ! Et 11’500 m d+! Les fous !

 

 

 

23 heures. Je repars en ayant ma maman au téléphone.

 

 Mais comment faisait-on avant sans Natel ?

 

 

Je courote le long du lac et attaque la montée sur Riom, tout roule ma poule, la routine, avec la musique dans les oreilles.

 

Et soudain surgit face au vent, le vrai héros de tous les temps, euh non, je croise Super Ravitailleur au centre de Riom.

 

Jolie surprise, sympa qu’il soit là, ce n’était pas prévu. Pour m’encourager ? Non, en fait je suis repartie de Savognin sans ma veste ! Heureusement Super Ravitailleur s’en est aperçu en rangeant les affaires à Savognin : mais c’est quoi ce truc rouge sur le dossier de la chaise, là ? Me…..de ! S’il se remet à pleuvoir, et cela ne saurait tarder, ce sera la méga galère, vu la température. Sans même parler d’un éventuel contrôle inopiné du matériel obligatoire. Ni une ni deux, Super Ravitailleur a réussi à improviser une solution dans les plus brefs délais. Super Ravitailleur a dégainé ses cartes topos, les a bien étudiés, calculé mes temps de passage et son temps de déplacement, pour savoir où il serait certain de me croiser à temps afin de me redonner ma veste. Et le voilà !

 

Super Ravitailleur, c’est le vrai héros de tous les temps ! Il s'en sortira toujours à temps, tel l'aventurier solitaire, Super Ravitailleur est le roi de la terre !

 

  

 

 

 

Blague à part, c’est une erreur qui n’aurait pas dû arriver. Pour la prochaine course, nous allons revoir le protocole des ravitaillements, et le remettre par écrit sur une check-list. Car à Savognin, ni Super Ravitailleur ni moi avons été assez attentifs pour ne pas faire cette erreur grave d’oublier la veste sur une chaise. Suivant l’endroit où elle serait arrivée, cette faute aurait pu avoir des conséquences graves. Bonne leçon donc pour la prochaine fois.

 

Je poursuis sur Del et la descente raide assez boueuse sur Tiefencastel, dans laquelle je rattrape deux gars dont un dont je pensais d’abord qu’il n’avait pas de lampe tellement le lumignon qui lui sert d’éclairage est faible. Rappelons que depuis Savognin, c’est sur le même parcours pour le T201, dont les participants passent leur deuxième nuit dehors.

 

Bref arrêt au ravito de Tiefencastel à 851 m d’altitude pour compléter les flasques, et moteur pour la montée vers Alvaschein-Zorten-Lain-Sporz.

 

L’an passé sur le T81, je l’avais roté à cet endroit car il y faisait chaud. Je me réjouissais donc de parcourir toute cette partie de nuit. Mais en fait, je la rote tout autant maintenant… Avec le recul, c’est ce tronçon jusqu’à Lenzerheide qui m’a semblé le plus pénible de toute la course. Alors qu’avant le départ, je pensais au contraire que la partie Savognin-Lenzerheide serait une étape de transition facile. Et bien non, cette étape de 25 km relativement plate (1260 m d+) a même failli compromettre la suite de la course.

 

Je ne suis pas en phase de sommeil, mais tout mon organisme est de fait au repos, mon estomac, mon cerveau, ma volonté. Contrairement à l’an passé, où à partir de la dix-huitième heure de course, l’adrénaline de l’arrivée proche m’avait boosté pendant longtemps. Ici et maintenant, il doit rester 45 à 50 kilomètres, peut-être 15 heures de course, c’est encore loin Davos. Donc pas d’adrénaline cette nuit, mais un énorme coup de bambou.

 

Village de Lain, trois heures du mat’, j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son… euh non, pas le son, je croise un groupe de jeunes devant le bistrot. Salutations. Très polis et respectueux, ils me demandent depuis combien de temps je suis en route.

 

Je rassemble ma lucidité et mon allemand.

 

-Et bien, cela fait 19 heures pour l’instant.

 

-Quoi, autant long que ça ?

 

-Oui, et c’est de loin pas fini…

 

-Et bien bravo, bonne suite et bien du plaisir!

 

Merci à eux, et heureusement qu’ils n’ont pas demandé à des concurrents du T201, car pour eux, ce ne sont pas 19, mais déjà 43 heures. Oui, il faut avoir un grain quelque part, quand même, pour se lancer dans des expéditions de ce genre.

 

Et je la rote, encore, surtout depuis Lain où c’est du goudron montant jusqu’à Sporz, avec un nouveau tracé que je n’avais pas remarqué sur les cartes 2015. Finalement, c’est plus court, donc pas plus mal.

 

Je me réjouis d’arriver à Sporz, croquignolet village entièrement restauré. L’an passé, il y avait des lampes à pétrole dans tout le village, et je m’étais dit dommage qu’il fasse jour. Cette année à 4 heures du matin, c’est parfait, les lampes sont allumées, c’est féérique, avec l’odeur en prime.

 

Par contre, il fait froid, l’herbe est givrée, et il me manque la lucidité nécessaire pour me pousser à enfiler les gants et la veste. Ben ça valait bien la peine que Super Ravitailleur se décarcasse pour me la ramener. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû prendre un ou deux gels à la caféine pour me réveiller un peu, et aussi appeler Super Ravitailleur pour retrouver du poil de la bête au niveau mental. Je m’en souviendrai pour une prochaine fois.

 

Interminable faux-plat descendant avec un petit vent de face. J’arrive complètement frigorifiée à Lenzerheide, 1470 m. Ouf ! Non : OUF ! Ce tronçon Alvaschein-Lenzerheide a été un calvaire, mon chemin de croix, mon Golgotha.

 

Super Ravitailleur m’attend à quelques centaines de mètres du ravitaillement. Je ne suis pas bien du tout, et ça doit se voir sur mon visage, car Super Ravitailleur jauge tout de suite la situation. C’est bien utile, un ravitailleur qui a une grosse expérience des courses et qui peut réfléchir pour deux. Il prend aussitôt les choses en main, et me guide par la main vers la salle polyvalente. Il m’ordonne un changement complet d’habits pour me mettre au sec.

 

Impossible d’avaler quoi que ce soit, j’ai l’estomac un peu en vrac, et de plus Super Ravitailleur constate que je n’ai quasiment pas touché aux réserves alimentaires de mon sac depuis Savognin. Super Ravitailleur me conseille vivement d’aller me faire vomir aux toilettes. J’essaie, mais rien ne sort, que de la bile et des convulsions. Je me sens toutefois un peu mieux. Super Ravitailleur me rappelle quel était l’Objectif initial : TERMINER. L’Objectif N’EST PAS de me mettre minable.

 

Vu la marge très confortable de 5 heures sur la barrière horaire, Super Ravitailleur m’envoie au lit avec bonnet et gros chaussons. Et une bonne et profonde sieste de 20 minutes, qui m’a bien réchauffée et retapée. Je peux avaler un bout de sandwich et du salé, ça va nettement mieux, un petit miracle.

 

 

 C’est pas la tête du vainqueur. A noter la diététique d’enfer.

 

J’avais prévu ici une pause de 40 minutes. Elle durera finalement 1h35. Merci à Super Ravitailleur pour m’avoir prise en main, sans lui, la suite aurait été beaucoup plus pénible.

 

 

Je rechange pour la dernière fois les Nike pour les Dynafit. Cette fois, mes vieilles Nike Pegasus Trail adorées ont vécu, trop usées, trop lisses. Super Ravitailleur les dirige directement vers la poubelle. R.I.P. Amen. Vraiment dommage que je n’arrive plus à en trouver (Monsieur Nike, ou madame, après tout, vous êtes une déesse grecque, n’est-ce pas, ceci est un message subliminal, à bon entendeur).

 

 

Super Ravitailleur me conseille de ranger la lampe dans le sac, vu que le jour se lèvera d’ici dix minutes. Et aussi de m’habiller avec tout ce que j’ai, le temps de me réchauffer définitivement dans la grimpette suivante. Avantage collatéral : le sac devient très léger. 

 

 

Pas bien épais, le sac.

 

Super Ravitailleur m’envoie donc sur la montée de Scharmoin, en me disant que la forme et l’envie vont bien finir par revenir, et qu’en mettant un pied devant l’autre, ça avance. Ah bon ? Sans blague ! C’est clair que dit comme ça assis au chaud devant son écran, ça n’a pas le même impact qu’à la sortie d’un bled des Grisons à 6 heures du matin, après 22 heures de course, avec une température frisquette et une forte humidité.

Allez, courage, plus que 41 km, et 2650 m d+ ! Prochaine étape : Arosa à 22 km.

 

 

The Walking Dead ? Non, the Swiss Irontrail !

 

Le jour se lève, et j’arrive à Scharmoin en 1h30. Et bien, pas si mauvais, ce n'est pas du tout la cata. Le moralomètre remonte. Quoi, le moralomètre ? Mais oui, le moralomètre. Coup d’œil aux panneaux de randonnées pédestres, lesquels indiquent Urdenfürggli à 2h00. Bon, en route dans le brouillard.

 

Je me souviens de cette portion l’an passé, aussi dans le brouillard, mais en plus de nuit : interminable, sur les pistes de ski, avec des montées assez raides. Cette année, de jour et dans la peuffe aussi, ça me parait autant interminable, monotone, rébarbatif, sans points de repère pour se fixer des objectifs intermédiaires, tellement long qu’à force de ne pas voir l’étable de Motta à 2262 m d’altitude, je m’arrête pour consulter la carte et l’altimètre. Où suis-je ? C’est encore loin, le col ? Ah mais ouiiiiii, mais noooon : en fait je suis déjà dans la fin de la dernière montée. Quelle bonne nouvelle ! En fait, je n’ai pas vu la fameuse étable à cause du brouillard, je suis passée à côté il y a un bon moment déjà. L’aiguille du moralomètre retourne par conséquent sur la graduation bon.

 

J’arrive à Urdenfürggli (2546 m) en 1h56. Et le panneau plus bas annonçait 2 heures. Très bien, si j’arrive encore à progresser à la vitesse des randonneurs, alors ça ne va pas trop mal. Le moralomètre passe sur très bon.

 

Que dire de la météo ? En 24 heures, la température a chuté de 15 degrés. Hier matin au départ, je portais un short court et un simple T-shirt, ça me parait abstrait maintenant. C’est la première fois qu’il fait aussi frais depuis deux mois. Et il est tombé plus de pluie depuis le départ de la course que depuis le début de l’été. Rude, le changement de climat ! Mais moi, j’aime le frais ! Quant à la pluie, et bien l’année dernière, il avait neigé sur les hauts. Alors on ne va quand même pas se plaindre !

  

 

A gauche, la Hörnlihütte (photo d'une reconnaissance)

 

Traversée de la combe, longue, et voilà le ravito de la Hörnlihütte, à 2511 m, sous l’arrivée du télésiège, J’y suis aiguillée par un employé des remontées mécaniques d’Arosa, merci. Toute seule au ravito, car Denis, un concurrent francophone du T201, en repart à l’instant. Je bois un thé et discute avec la petite dame qui me confie que beaucoup de participants ont de la peine à s’alimenter ici.

 

Départ du ravito à l’arrivée de trois gars et courotage dans la descente, avant d’attaquer la montée d’environ 350 m d+ vers le Weisshorn, 2653 m, en trois temps : montée au col, puis jusqu’à l’arrivée du télésiège, et ensuite la dernière dérupe. Tout simple, non ? Pour garder un bon moral, je décompose donc l’effort, et procède par étape. Et ça avance, et ça monte.

 

 

 

Dernière dérupe, où j’entends crier hop hop hop ! Tiens, un connaisseur… mais je ne vois rien à cause du brouillard. En fait, surprise, c’est Super Ravitailleur qui est monté en télécabine au sommet du Weisshorn. Super ! Ça me fait grand bien et plaisir.

 

 

 

 

Petite pause au sommet pour manger un sandwich et discuter un peu.

 

J’attaque la descente sur Arosa, 900 m d-.

 

 

 

Pas terrible, le panorama…

 

A nouveau par un tracé modifié, plus long, plus bucolique, mais surtout moins casse-patte, car moins vertical droit dans la pente comme l’an passé. Et là, THE panneau qui annonce les 100 kilomètres depuis le départ! 100 km ! YES ! C’est la première fois que je dépasse cette distance, je m’étonne moi-même d’en être capable. J’en suis toute fière et le fais savoir bruyamment à toutes les marmottes à la ronde ! Le moralomètre indique excellent.

 

Depuis quelques temps, je cours, oups pardon, je courote en compagnie de quelques participants du T201. L’un deux porte sur son sac un « J’aime Jésus ». C’est son dossard ? C’est un Espagnol et son nom, c’est Jaime Jesus ? J’ai de la peine à réfléchir de manière rationnelle. Avec le recul, je n’arrive même pas me souvenir si l’inscription était vraiment en français ou si j’en ai spontanément fait une traduction depuis une autre langue. Toujours est-il que pour moi, ce concurrent sera dorénavant Jésus.

 


 

 

100 km! Ravie, Anne-Laure, toutes dents dehors. Et en plus, ça rime.

 

Voilà la station intermédiaire de la télécabine où Super Ravitailleur m’encourage à nouveau.

 

L'arrivée à Arosa se fait de nouveau par un tracé modifié, par la forêt et la gare plutôt qu’à travers la ville : plus bucolique, plus agréable, mais évidemment, c’est plus long. Ma foi, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, n’est-ce pas ?

 

Surprise : je suis accueillie à la gare par deux dames francophones.

 

-Hé mais c’est Anne-Laure ! Tu es fribourgeoise, n’est-ce pas ?

 

Ce sont deux compatriotes fribourgeoises d’Oberschrot.

 

Elles connaissent Markus, un autre participant fribourgeois, et du coup elles ont fait un relevé de tous les Fribourgeois de cette course. Elles m’ont certainement suivie avec le Live Tracking. L’une d’elle m’accompagne jusqu’au ravitaillement, car elle veut tout savoir sur comment on vit une telle course, comment on passe une nuit toute seule dehors, comment on s’entraine, etc. car elle-même est une adepte de marathon. C’est ça qui est bien sur les ultra trails : même en pleine course, on peut donner des interviews et saluer ses fans ! Merci à elle pour la compagnie.

 

 

Anne-Laure et son Fan’s-Club

 

Ravito dans l’abri de protection civile. Des locaux pas terribles par rapport au super luxe de Savognin et Lenzerheide. Pas terribles, mais très fonctionnels quand même, cuisine, réfectoire, douches, dortoirs, infirmerie. Super Ravitailleur est là, en forme malgré le fait qu’il est en route depuis 28 heures et avec des voyages en télécabine en plus ! Brève pause de 20 minutes pour manger des pâtes et repartir pour la dernière ligne droite. (C’est une image, ce n’est pas une ligne, et elle n’est pas droite)

 

Je me sens bien, les jambes et les pieds répondent toujours présents. Cette fois, pour la dernière étape pour Davos, je la sens vraiment bien, cette fois ça va le faire, on ira au bout ! Arosa-Davos, après tout, ce ne sont que 19 kilomètres. 


 

 

Davos, prépare-toi, j’arrive ! Au fond, Denis.

 

 Allez, en route !

 

Descente en courotant, et après une descente, que trouve-t-on généralement ? PAF ! Une montée, mais oui ! C’est incroyable, non ? Donc longue marche dans la forêt et arrêt après une heure pour remettre la veste à cause de la pluie qui revient : ça faisait longtemps, encore merci là-haut. Je progresse moins vite que l’an passé, non pas parce que je suis plus fatiguée, mais comme je suis toujours confortable au niveau des barrières horaires, je ne vois pas l’utilité de gagner 30 minutes à aller plus vite.

 

Je rêvasse. En musique. En chantonnant. Mais je vais quand même mon petit bonhomme (-femme) de chemin.

 

Salutations à quelques habitants du hameau de Medergen qui discutent dehors sous leur parapluie. Mais sont-ce vraiment des habitants ? (Voir plus loin)

 

Soudain, je rencontre Jésus, qui descend vers moi ! Euh non, je croise « J’aime Jésus » (à moins que ce ne soit Jaime Jesus ? Ou Ich liebe Jesus ? Ou I love Jesus ?) qui me demande (en quelle langue ? Je ne m’en souviens pas) si j’ai vu un gant. Oui, juste un peu plus bas. Pas ramassé, car si j’avais ramassé tout ce qui trainait par terre depuis Arosa, j’en aurais rempli un sac poubelle entier. Oui, c’était Anne-Laure la grincheuse, car le chenit qui traine par terre, ça a tendance à m’énerver. Désolé Jésus, c’est tombé sur toi.

 

Me voilà de nouveau en compagnie de Denis, du T201, qui a dormi 15 minutes à Arosa. Et de Jésus, qui a récupéré son gant et qui m’a redoublé.

 

J’essaie de ne pas me faire semer par Denis et Jésus dans cette descente marécageuse et pierreuse à la fois (?!) bref, piégeuse jusqu’au ravitaillement de Jatz.

 

Au ravito, une buvette d’alpage, quelqu’un demande aux bénévoles de lui envoyer tout de suite à l’étage le concurrent n°XXX du T201. En fait, les spectateurs de Medergen n’en étaient pas, ils surveillaient et jaugeaient l’état de forme des concurrents, en prévision du dernier col. Car à Medergen et à Jatz, il y a encore un accès routier et on peut donc encore évacuer quelqu’un au cas où. Ce qui n’est plus le cas au Strela Pass, car un hélico ne peut pas voler avec cette météo. C’est vraiment du solide, l’organisation de cette course. Et ce concurrent du T201 a donc probablement fini sa course ici.

 

Denis et Jésus ne s’arrêtent pas, tant mieux pour eux, tant pis pour moi. Je profite d’un bref arrêt pour enfiler le pantalon k-way et les gants au cas où il y aurait du vent au Strela Pass (2346m). Et en route pour attaquer la dernière montée.

 

J’aime bien utiliser le terme attaquer, surtout à ce stade de la course. Attaquer, ça sonne bien et donne un côté dynamique, rapide, résolu et décidé à la chose. Beaucoup mieux en tous cas que l’expression trainer sa misère, qui ne reflète toutefois pas mieux la réalité de l’instant présent. En fait, je navigue entre les deux.

 

Bon, je m’égare un peu, là, avec cet exposé de linguistique. Où en étions-nous ? Ah oui ! La dernière montée, disais-je, 510 m d+, oui, pas 500, non, 500 et dix mètres. Je me sens bien, avec encore de bonnes jambes, assez étonnant compte tenu de la durée et la distance.

 

Sur cette route d’alpage en fond de vallée, je suis dépassée et encouragée par des participants du T41 (Davos Arosa Davos). Un Allemand du T41 me dit qu’on a jusqu’à minuit pour terminer, donc amplement le temps. Je rétorque que pour la Bratwurst (la saucisse au grill), ce n’est pas minuit, c’est 22 heures. Offusqué, il me répond qu’en tous cas il ne va pas manger une Bratwurst après cette course… Et bien moi, si ! En fait, ma Bratwurst est mon objectif ultime en ce moment. Une Bratwurst mit Senf (avec moutarde). Mmmmmh, du croquant, du gras, du salé, et l'odeur du grill… Je suis suffisamment  lucide pour mener cette conversation en allemand. Mais pas assez pour penser à lui demander son bon pour la Bratwurst mit Senf de l’arrivée, vu qu’il ne va visiblement pas l’utiliser.

 

Des Hongrois du T41, Marianna et Nyikolaj, m’encouragent également en me dépassant. Merci.

 

La route devient sentier, toujours en fond de vallée. Je suis seule. Ah non, un groupe de vététistes arrivent en sens inverse. Ils sont les premières personnes extérieures à la course que je croise sur les chemins depuis le départ hier matin. Ils s’arrêtent pour me laisser le passage. Merci.

 

L’un des vététistes me demande d’où je viens comme ça. Mince, que faut-il lui répondre ? Allez, je tente :

 

-Davos.

 

Air incrédule du gars, comment puis-je venir de Davos alors que je me dirige justement vers Davos? Bon, j’en étais sûre, je fais l’effort de préciser :

 

-Yes, Davos, Sertig, Bergün, Ela, Savognin, Lenzerheide, Weisshorn, Arosa. Ouanne andrède ènnde tvènnti fore kilométèrce. OK?(Fabuleux, mon anglais, n’est-il pas ?)

 

 

Visiblement le gars n’a rien compris, j’aurais parlé chinois, cela aurait été pareil. Pour la prochaine fois, il faut que je pense à rajouter à ma check-list : emmener un traducteur chinois.

 

Bon, c’est bien sympa de papoter de choses et d’autres, mais je veux quand même finir, alors en route chemin. J’arrive assez seule dans le dernier raidard du Strela, 300 m d+ cette fois plutôt droit dans la pente. À nouveau le brouillard, personne derrière et vaguement des ombres devant.

 

Ca grimpe. Vu le terrain, je me demande bien comment on peut descendre ce single à VTT. Infaisable sur le vélo, selon moi. Je cale un peu. C’est mon dernier coup de pas bien de la course. Si proche de la fin. Dur dur. Je dois me rendre à l’évidence, là, c’est clair, je coince à nouveau. Mais ma petite, tu es parvenue jusqu’ici, alors ce ne sont pas les quelques malheureux petits mètres restants qui vont t’achever. De toute façon, quoi qu’il arrive, c’est bientôt fini, c’est bientôt la Bratwurst mit Senf . C’est pas faux, je serre les dents, et compte les pas, par séries de 50.

 

In-ter-mi-nable.

 

Surtout minable.

 

Surtout vers la fin.

 

Surtout les dix derniers mètres précédemment évoqués, en faux-plat dans le brouillard.

 

Mais enfin le col ! YES ! J’y suis, la course, mon défi est quasi bouclé ! Bratwurst mit Senf, fais gaffe, j'arrive!

 

Et voilà aussi la cabane ! Et le gardien qui demande si je désire du thé. D’abord je réponds non, me disant qu’il n’y a plus que cette dernière descente. Mais je me ravise, car finalement je ne suis pas à 5 minutes près. Ni 10, ni 15, d’ailleurs. Je bois un thé à la menthe sur la terrasse couverte à l’abri du vent. Du monde sort de la cabane, car ils veulent savoir si j’ai vu un gars en difficulté. Apparemment un T201 (le même qu’à Jatz ?), que tout le monde cherche depuis des heures. Pas vu, non.

 

Coup de fil à Super Ravitailleur. Il me félicite et me conseille de bien apprécier chaque pas jusqu’à l’arrivée. Et me voilà prête à attaquer cette ultime descente de 780 m d-.

 

Je pars en courotant sur le sentier, rattrape un couple, puis un autre en arrivant sur la route forestière. C’est Marianna et Nyikolaj. Ouh là là, je les ai vus il y a deux heures… pas beaucoup d’avance, donc si je ne veux pas arriver en même temps qu’eux à la photo finish, il faut que je mette un peu les gaz. Oui, c’est mon côté asocial et égoïste qui ressort. Mais moi, j’y tiens à ma belle photo finish pour mon premier ultra de plus de 100 kilomètres. Et sur cette photo, je veux y être seule, pas avec des inconnus. Point.

 

Final en courant franchement cette fois, super bien dans la tête, les jambes, les pieds. J’apprécie ce moment ! Entrée dans Davos. Goudron, rue principale.

 

Et voilà la ligne d’arrivée.

 




 

Sentiments mitigés : un peu de déception, et oui, c’est déjà fini… faut revenir dans la vie réelle. Mais aussi : YES ! Je suis fière de moi. De réussir ce défi que je m’étais lancé. 35h46, à comparer aux 35 heures estimées avant le départ, chuis trop forte !

 

Je suis accueille et félicitée par le directeur de course en personne, qui serre la main à tous les participants. J’apprécie vraiment ce côté personnalisé, qu’on ne trouve que sur les « petites » courses.

 

 

Le photographe, la finisheuse et Ze Big Boss,

photographiés par Sergio Leone Super Ravitailleur.

 

Et je retrouve aussi plein de bisous de mon Super Ravitailleur.

 

Je vais de suite chercher mon T-shirt de finisher. Désolé, on n’a plus la taille que j’avais indiquée à l’inscription. On me l’enverra par la Poste, visiblement quelques-unes des cinq finisheuses ayant terminé devant moi ont :

 

  • soit perdu beaucoup de poids

  • soit grandi d’une taille pendant la course.

 

Car une telle course, ça fait grandir. Et là, je ne parle pas de la taille.

 

Aaaaah ma Bratwurst mit Senf, de la haute gastronomie, trop bonne ! J’ai le temps de commencer à la déguster avant que n’arrivent Marianna et Nyikolaj.


 

 Puis douche bien méritée et long massage car il n’y avait plus grand monde à ces heures tardives.  Quelques courbatures en sortant du massage, mais où est l’ascenseur ?

 

 

 

Je me pose à l’horizontale, et m’endors aussitôt. Cette fois, c’est bien fini.

 

Mon Swiss Irontrail 2015 : Une super et belle expérience et des supers souvenirs ! Dommage que ce soit déjà fini, j’ai vraiment bien supporté un effort de cette durée, et ce malgré les conditions climatiques difficiles, très différentes de celles des deux mois caniculaires précédents.

 

 

Les Dynafit après la course mais avant le Karcher.

 

Je suis particulièrement contente de la façon dont Super Ravitailleur et moi avons réussi à surmonter l’énorme coup de pas bien à Lenzerheide. C’est une expérience qui va me servir.

 

Vivement l’an prochain sur du plus long. Car finalement, 124 km, ce n’est pas si terrible.

 

Il s’agissait de ma deuxième participation à cette course. Ce que j’y apprécie :

 

  • La région, les Grisons, dans l’est de la Suisse.

  • Le terrain, la montagne, les cols à plus de 2000 m, certains à 2800 m, les sentiers et les pierriers.

  • La convivialité : on ne se marche pas dessus, environ 1000 participants en tout sur les différents formats.

  • Les bénévoles, aux petits soins pour chacun, toujours serviables et avec le sourire, même à des endroits et heures improbables.

  • Le côté cosmopolite : les participants viennent de partout, 27 pays selon Datasport le chronométreur. Je suis par exemple la seule Suissesse (et francophone) sur le T121, des connaissances d’allemand, d’anglais, et aussi d’autres langues (comme le finnois, le tchèque ou le coréen…) peuvent être utiles si on veut éviter un grand moment de solitude, solitude d’autant plus accentuée que la densité des coureurs sur le parcours est faible.

  • La qualité et le sérieux de l’organisation (même équipe que le Swissalpine Marathon de Davos, 30 éditions)

  • Le départ à huit heures le matin et pas en fin de journée ou début de nuit, ce qui me permet de ne pas partir déjà fatiguée et de ne passer qu’une nuit blanche au lieu de deux. Et ainsi de récupérer plus vite.

  • Une liste du matériel obligatoire, mais je n’ai jamais vu aucun contrôle, avant le départ, à l’arrivée ou en course, ici de toute évidence les participants sont considérés comme des adultes responsables.

  • Le balisage bien fait selon moi (mais je connais le parcours).

  • Et j’aime surtout la largeur des barrières horaires, ce qui permet à quelqu’un comme moi, qui ne suis pas une foudre de guerre au niveau de la vitesse, de pouvoir envisager de terminer un ultra dans les délais. Ces barrières sont selon moi plus larges que celle du Trail Verbier St Bernard, ou X-Alpine, pour citer une course à laquelle j’ai participé deux fois, ou qu’un trail dans les Préalpes vaudoises, qui demandait du 6 km/h de moyenne, ce qui est pour moi inenvisageable. Ici, on ne la joue pas élitiste, tout le monde est le bienvenu. Mais attention, bien que larges, les barrières sont strictes, dixit le directeur de course avant le départ.

  • Ah oui, et pour ceux que ça intéresse, il y des points UTMB à collectionner. D’ailleurs, la date de la course 2016 est avancée pour permettre d’enchainer les deux.

 

 

 

Merci à tous ceux qui ont donné de leur temps pour la course et les participants.

 

Et MERCI à mon Super Ravitailleur grâce à qui cette expérience a été possible. Et aussi pour son coup de main pour la relecture de mon (long) résumé de course.

 

PS : j’ai bien reçu mon T-shirt par la Poste, accompagné d’un petit mot manuscrit sympa.

 

(édité le 21.10.2015)


 

 

 

 

 

3 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 12-09-2015 à 14:23:41

Ça et le compte-rendu phénoménal de TomTrailRunner l'an dernier, il fait furieusement envie ce Swiss Iron Trail, malgré les noms légèrement barbaresques des villages et des cols (AlpStübli, j'adore...). Super Ravitailleur, il a l'air vraiment au point, en plus, étonnant comme ils sont ces suiveurs et comme on les aime quand on les retrouve.

Bon, faut juste choisir son week-end, quoi, parce que, quand même, être tombée le SEUL week-end de tout l'état où il faisait un temps de chien, c'est quand même pas de chance pour les paysages....

Bon, encore une course de plus à faire. À force, je n'y arriverai jamais, moi, pfffff

Merci pour ce super récit très détaillé comme je les aime !

Commentaire de Jean-Phi posté le 14-09-2015 à 09:32:34

Superbe CR, très drôle et instructif. Le temps n'était peut être pas de lapartie mais on sent bient otu le plaisir que tu y as pris ! Ca fait très envie en effet !
Merci pour ton retour !

Commentaire de Anne-Laure_70 posté le 21-10-2015 à 13:13:35

Merci pour les commentaires.
@Bubulle: Super Ravitailleur va attraper la grosse tête...

Pour info: j'ai complété mon récit avec plus de détails et de photos, suite à des questions qu'on m'a posées. Bonne lecture, courage!

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