Récit de la course : La Petite Trotte à Léon 2014, par tintinmar75

L'auteur : tintinmar75

La course : La Petite Trotte à Léon

Date : 25/8/2014

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

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Distance : 300km

Matos : Saucony xodus 5.
Sac de 30 L wilsa sport.

Objectif : Terminer

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Une PTL

Ami lecteur,

c'est une épreuve longue...je t'inflige un récit en conséquence. Sois indulgent pour les fautes et les lourdeurs, la gestation en fut longue.



Chamonix-1035 m – 0 km

Nous sommes plus reposés qu'il y a deux ans, la nuit a été bonne, le réveil pas trop matinal, nous avons eu le temps de préparer nos affaires. La soirée au chalet CAF du Tour a été pleine de rêves et de rencontres, des canadiens qui finissaient de boucler le tour du Mont-Blanc. L'ambiance dans ce chalet est vraiment internationale, on y parle beaucoup de langues. Des futurs participants à l'UTMB et la PTL ?

Malgré cela, je reste assez tendu, par anticipation de ce qui nous attend et par crainte que la fin de l'arrachage de dent d'il y a 3 jours ne m'ait affaibli et ne s'infecte. En théorie, je dois encore prendre un traitement préventif pendant encore 2 jours...en théorie. Je n'ai pas fait trop de jus, deux semaines de gros travaux à la maison et de maux de dents terribles, suite à une partie de dent mal arrachée.

Les dernières minutes sont moins joyeuses qu'il y a deux ans, l'organisation passe des images hommage au grand manitou de l'épreuve J.C. Marmier qui a disparu lors d'une ultime reconnaissance il y a un mois. La mort de JCM semble avoir rompu un équilibre dans l'équipe organisatrice et celle-ci craint qu'un accident, toujours possible sur une telle épreuve ne vienne remettre en cause l'existence même de la PTL. La météo semble être un sujet de préoccupation pour beaucoup.

Bizarrement, toutefois, je suis certain de finir la course, sans aucune raison valable mais je le sens c'est tout. Par ailleurs, c'est ma façon à moi de rendre hommage aux « poilus » qui débutèrent des épreuves autrement plus difficiles il y a un siècle tout juste à côté de chez nous.

 

Le départ est donné à 17h30, nous allons bénéficier du jour pour entamer la première montée ce qui nous permettra de bien nous caler et de moins entamer nos réserves.

 

Col du Brévent – 2358 m – 7 km

 

Nous mettons environ 2h15 pour atteindre le col, nous avons trouvé le rythme prévu. Il ne fait pas mauvais au col à proprement parler mais le vent est très fort et même en fin d'ascension, le corps chaud, je dois déjà remettre veste, capuche et gants.

Nous entamons la descente plein de bonnes intentions, il y a deux ans je m'étais sans doute « grillé » en courant dès le début, nous nous contentons de trottiner en nous insérant dans les petits groupes qui se sont déjà formés. Il faut rester concentré, car le terrain n'est pas si facile, même s'il s'agit d'une portion de GR et je trouve que le rythme est déjà suffisamment élevé pour un début.

La nuit commence à tomber lors de la remontée qui suit le pont d'Arlevé, ce passage me semble déjà un peu difficile, j'essaie de me concentrer sur le sol, nous n'avons pas encore allumé la frontale.

 

Refuge de Moëde-Anterne - 2002 m – 14,7 km

 

Quelques équipes nous ont précédé, certaines sont déjà reparties. Nous faisons notre première halte repas, un sandwich avec du fromage et un peu de saucisson. Je pense à faire mon bain de bouche préventif et à me laver les dents. Je suis déjà un peu las et j'ai froid au mains. Nous avons mis les frontales juste avant d'arriver au refuge. Nous entrons dans le vif du sujet, ce que je crains le plus : la première nuit.

Nous entamons une longue traversée montante et j'essaie de ne pas trop gamberger, Denis imprime un bon rythme fait de marche rapide quand ça monte et de relances trottinées (6-7 km/h) dans les faux plats. Nous sommes à l'abri du vent, je ne suis pas encore trop mal, et je fais le vœu d'être dans cet état dans 24h alors que nous passons devant les Chalets de Willy. Nous voyons le ruban des frontales des équipes qui nous précèdent et je me retourne assez souvent pour voir les équipes derrière nous, je suis encore en mode « compétiteur ». Il y a déjà des écart conséquents.

 

Col de Salenton – 2526 m – 22 km

 

Le col de Salenton arrive plus vite que je ne pensais, le temps a changé et le faible nombre d'étoiles dans le ciel m'a sans doute trompé dans l'appréciation des distances. Il fait plus froid et il y a toujours beaucoup de vent. Nous ne traînons pas et attaquons la descente. Il s'agit du premier terrain « alpin » de la course. Des équipes ne semblent pas du tout à l'aise. Quand à moi, je passe devant car je suis passé en mode « je commence à fatiguer, plus vite on arrive et plus vite je pourrai me coucher ». Denis a le GPS en main et nous expérimentons une formation que nous aurons maintes fois l'occasion d'appliquer : Denis donne les consignes de direction, j'essaie de traduire sur le terrain. Nous faisons une belle descente dans ce terrain assez difficile, il faut naviguer entre les blocs, parfois sauter, retrouver les cairns à la frontale, et cet aspect ludique me fait oublier la fatigue. Nous progressons bien, Christophe est juste derrière moi. Des équipes nous ont emboîté le pas. Peu avant d'arriver au refuge de la Pierre à Bérard, Denis me gratifie d'un « bien joué Antoine ». Cela me rebooste.

Après le passage au refuge, nous retrouvons un sentier plus classique et d'un coup la lassitude revient.

 

Gare du Buet – 1329 m – 29 km

 

Je suis étonné de voir le nombre de personnes présentes à la Gare de Buet, des accompagnants et de l'organisation. Comme je n 'ai plus d'eau depuis un petit moment je demande à un bénévole où se trouve le point d'eau le plus proche. Il n'y en a pas, il me propose de m'en donner. « c'est de l'assistance, c'est interdit » dis-je, il me regarde comme si j'avais dit une bêtise. La présence de l'organisation se justifie par la dégradation des conditions météo : « il y a 80 km/h de vent au Grandes Autannes…avec des pointes». Pour moi cela reste abstrait, il y a effectivement du vent et nous prenons une collation (pains, fromage, saucisson) dans un fossé près de la Gare pour être à l'abri.

Nous attaquons l’ascension vers le col de Balme. La première partie est en forêt, abritée, néanmoins il faut se couvrir car la pluie commence à tomber par intermittence et le vent enfle. Nous continuons sur le rythme de montée précédent (600 m/h). Physiquement je ne suis pas trop mal, mais je me sens très fatigué, il est environ 1h du matin, c'est le moment de se coucher…

Comme annoncé, dès que nous quittons la forêt, nous sommes sur des pistes de ski ou 4x4 et les conditions deviennent difficiles : pluie, vent qui forcit. Je commence à dormir debout, mais esprit de compétition aidant je ne veux pas ralentir les autres, nous nous trouvons parfois à 3 de front sur les pistes. Il faut assez rapidement mettre toutes les couches imperméables disponibles, y compris aux jambes, mais la marche devient quand même pénible. La pluie vole à l'horizontale.

 

Col de Balme – 2205 m – 35,7 km

 

Nous arrivons au col, les équipes se pressent dans l'espace très restreint de la terrasse pour s'abriter du vent : nous sommes au moins une dizaine sur 5 m². Je suis quasiment au taquet en ce qui concerne les vêtements et pourtant j'ai froid. Tout est trempé. Le guide responsable sécurité de l'organisation, Lucio, nous indique qu'il faut prendre la variante n°2 : les grandes Autannes sont interdites, il y a des pointes à 160 km/h de vent. Ici nous tenons déjà à peine debout. Nous apprendrons plus tard qu'une équipe est arrivée par l'autre côté du refuge et n'a pas eu la consigne. Le PC course essaiera de les contacter sans succès car il n'entendront pas leur téléphone. Il finiront accrochés littéralement aux rochers avant de pouvoir joindre l'orga.

Nous ne tardons pas à repartir sur la variante : elle est à l'abri du vent et démarre immédiatement au col. Les 20 m qui nous séparent du col se font péniblement, j'ai l'impression d'être dans une machine à laver, puis dés que nous basculons sur le versant suisse tout s'éteint. Il y a du vent certes, mais nous pouvons parler et marcher. Quand à la pluie, hé bien, elle nous suivra encore pendant de nombreuses heures…

Nous progressons sur un GR (la fin du tour du Mont-Blanc, sens anti-horaire) ce n'est pas difficile mais il faut rester concentrer car le sol est très irrégulier, avec beaucoup de racines mouillées et de la boue. C'est sur cette portion qu'a sans doute basculé la course pour Christophe : il fait deux chutes coup sur coup. Plus que le genou, c'est sa confiance en lui qui est blessée. Nous poursuivons notre chemin sous la pluie et dans le froid, il n'y a pas de gros dénivelé mais une série de remontées et descentes dans une traversée globalement montante. Denis a du mal a suivre la trace sur le GPS et elle n'est pas forcément très lisible sur la carte du road-book du coup nous avons parfois quelques hésitations. Nous sommes parfois avec d'autres équipes, mais il n'y a pas de réel cheminement commun. Chacun est dans sa bulle (de froid et d'eau).

Nous arrivons à la buvette des Grands, un simple point de passage à priori, sans pointage ni ravitaillement, quelques équipes sont en pause et certains entrent dans le petit chalet. Nous les suivons et avons la plaisante surprise de voir que des responsables bénévoles du CAS qui gère le chalet l'ont ouvert et proposent du café et du thé gratuitement aux pauvres concurrents que nous sommes. C 'est un halte inattendue qui me fait autant de bien au corps qu'à l'esprit. Nous y passons un petit moment, une vingtaine de minutes. Il ne faut pas rester trop longtemps dans cette atmosphère douillette mais confinée, sinon nous serons incapables de repartir. D'autre équipes semblent bien vouloir rester.

Cette cabane se situe sur une bifurcation, à l'amorce de la dernière difficulté avant la base vie de Champex, la Fenêtre d' Arpette. Et nous voyons quelques équipes engagées dans la montée. Mais dés que nous entamons l'ascension, nous croisons des équipes qui redescendent : « vous n'avez pas reçu le SMS ? ». Nouvelle variante : les conditions météo et le chemin obligent l'organisation à nous dérouter une nouvelle fois. Nous devons passer par le Col de la Forclaz et l'alpage de Bovines (bien connu des UTMBistes). Demi-tour donc, nous nous insérons dans le flux des équipes qui se dirigent vers la Forclaz. N'ayant pas de carte de cette partie, non prévue du parcours, et le GPS de Denis n'étant pas chargé pour cette zone, il nous faut nous accrocher à ceux qui savent…

Le souvenir de la liaison Chalet des Grands-Col de la Forclaz se résume à deux mots : métro, nous sommes dans un bon groupe d'une trentaine de personne à la queue leu leu qui marchent d'un pas bien soutenu (le chemin est large) et boue, le chemin est large, relativement plat mais la pluie tombe sans discontinuer.

Après le col, je décide de passer en tête d'un petit groupe qui s'est formé pour entamer la montée vers Bovines. Le jour s'est levé, je retrouve un peu d'énergie, et je n'ai qu'une idée en tête : arriver à Champex pour me poser au sec, j'en ai marre ! La pente est régulière, je maintiens ce qui me semble être un bon rythme. Nous parlons peu.

A Bovines, nous traversons un champs de boue, je manque d'y laisser une chaussure. Il n'est pas évident de trouver un « bon » cheminement dans les sentiers ravinés et gorgés d'eau. La descente sur le vallon de Champex est interminable, j'ai un peu mal au genou, bien moins que Christophe semble-t-il, mais surtout des petites ampoules apparaissent au pied. Nous ne traînons pas, trottinons parfois, mais des équipes, plus lentes en montée, nous dépassent en courant.

Nous atteignons une route bitumée, mais dans la brume, sans carte nous ne savons dans quelle direction aller. Je crois reconnaître les lieux mais en fait rien n'est clair dans ma tête. Bien qu'un panneau indique Champex vers le haut, nous nous engageons vers le bas jusqu'à ce que nous croisions un camping-car de l'organisation qui remonte. Le bénévole nous remet dans le droit chemin en se moquant gentiment. Il ne nous reste que 3 km avant la base vie.

Ces derniers kilomètres seront difficiles pour moi. Christophe et Denis marchent d'un bon pas et commencent à me distancer. J'ai le moral dans les chaussettes et songe à abandonner en les voyant prendre quelques dizaines de mètres d'avance. Nous longeons un oléoduc sur lequel il y a des repères indiqués tous les 100 m. Nous entamons au repère n°115 et je pense que mon calvaire prendra fin au 103. En fait l'oléoduc « disparaît » au n°103 mais nous avons encore le village de Champex-Lac à traverser. Nous arrivons à la tente base-vie à 10h30 environ. La variante nous a semble-t-il fait faire un peu moins de dénivelé, mais beaucoup plus de distance.

 

 

Champex UTMB – 1477 m - ? km

 

Ne plus être sous la pluie, dans un environnement un peu chaud est une délivrance. La première chose que je cherche à faire est de faire sécher les vêtements. Les organisateurs ont plus ou moins détourné une manche à air de chauffage dans ce but et beaucoup de participants essaient de trouver la meilleure place sur ce séchoir improvisé. J'aurai un gant qui tombera dans la manche à air et ce ne sera pas une partie de plaisir pour aller la chercher dans l'air à 50°. Deuxième priorité : manger. Notre dernier passage dans cette base-vie nous avait laissé une impression plus que mitigée sur la qualité de la nourriture, elle est malheureusement confirmée : les pâtes sont peu ragoûtantes, tout est simplement réchauffé sur place. Bref, pas un bon souvenir. A priori, je comptais me doucher à cette base-vie, la pluie qui ne cesse de tomber m'en dissuadera, il faut en effet sortir de la tente (chauffée) pour accéder au sanitaires (pas chauffés).

De même, nous ne dormirons pas ici, de mauvais souvenirs d'il y a deux ans encore. Denis ne l'a pas prévu dans notre tableau de marche (nous ne sommes pas assez fatigués).

Après avoir mangé, nous nous interrogeons sur la stratégie de course : la pluie ne devrait cesser qu'à 16h30 et il est 11h30. Quand repartons-nous ?

Nous décidons assez rapidement de repartir bien qu'il pleuve encore beaucoup. Nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps et puis c'est une course après tout…

La descente sur la ville d'Orsières se fait en compagnie de deux jeunes Vincent, Français et Jocelyn, Québécois, qui ont décidé de participer à la PTL lors de l'attente au départ de l'UTMB. Ils ont fini en 34 heures tous les deux, à quelques minutes d'intervalles, mais sans jamais courir ensemble. J'ai retrouvé un semblant de moral et discute avec les jeunes, nous échangeons sur nos expériences de course. Vincent vient de l'athlétisme (800 m) et a bifurqué vers le trail.

Le terrain est constitué de pentes herbeuses parfois assez raides, et je remarque que Christophe, certes taiseux, a le visage fermé et reste quelques mètres derrière nous.

La traversée d'Orsières se fait assez facilement, je suis porteur du road-book et fais la trace, Denis n'allume le GPS que dans les situations « délicates » en matière d'orientation. Nous avons rejoint un couple d'Italiens qui manifestement ont des lacunes dans cette matière.

A la sortie du bourg, nous nous arrêtons sous le pont de la route du Grand Saint Bernard et discutons avec un couple de locaux, nos accompagnateurs Français et Italiens prennent de l'avance.

1700 m de dénivelé positif nous attendent pour atteindre la cabane des Mille, les panneaux indiquent 3h25 de temps de marche depuis Orsières. Je pense alors en terme de marathon : il nous reste un marathon de route avant la pause. Une paille. La montée jusqu'au village étape de Commeires alterne chemin dans les champs, attention aux bouses et aux flaques, et route. Nous devons souvent franchir des barrières pour le bétail, c'est assez fatiguant…

Nous rejoignons assez vite le couple d'Italiens, toujours perdus, et Jocelyn et Vincent. Denis est devant et fais le rythme, je suis, difficilement, avec Christophe. Au village de Commeires, Christophe m'annonce qu'il abandonne, je rappelle Denis qui avait pris un peu d'avance.

Nous prenons une dizaine de minutes pour faire le point : Christophe a très mal au genou, je pense à une tendinite vu sa description (humidité ?, chute?) et ne se sent pas capable d'avaler ce qui nous reste. Il m'avait dit qu'il était du type « dur au mal », donc ce n'est pas un simple coup de moins bien. Cette décision ne me surprend pas, je le voyais souffrir de plus en plus, et en traversant Orsières, j'avais pensé que c'est l'un des dernier endroits « facile » pour abandonner : rejoindre Chamonix en train via Martigny est simple, mais ce n'était pas forcément à Christophe que je pensais alors.

Nous nous quittons sans beaucoup d'effusions, ce n'est pas le moment et Christophe doit être extrêmement déçu. J'ai suivi, et partagé en partie, sa préparation en voisin, fait quelques trail en sa compagnie. Je sais l'investissement familial, physique et psychologique que tout cela a représenté. Je suis un peu mal, d'autant que je sens qu'une certaine forme de pression me retombe dessus : dés le départ, je me suis senti « le vilain petit canard » du groupe : le moins fort physiquement sur ce genre d'efforts, le seul qui n'ai pas fini d'ultra en montagne, le plus fatigué (travaux + dent) et le moins bien entraîné. Bon il est vrai que l'entraînement de Denis est « léger »...mais ce garçon est indestructible.

 

Commeires

 

A partir de ce moment, c'est une autre course d'après moi ; nous nous retrouvons en mode « cordée », ce qui à mon sens est l'esprit de la PTL.

Nous repartons. Je suis, bien entendu, très fatigué, mais je me fais violence pour imprimer un bon rythme (600 m/h) et rester devant. Je sais que je fonctionne au moral, il faut uniquement que je panse à la cabane de Mille, au repas et à la chaleur qui nous y attend. Nous traversons une forêt sur une piste forestière très raide et je suis à la limite du coup de pompe. Il ne faut pas céder. A la sortie de la forêt, nous arrivons sur une zone d'alpage, la pluie commence à perdre de sa vigueur, il reste de la brume, mais nous devinons les crêtes sur lesquelles évoluent d'autres équipes. Ce n'est pas si loin en fait, mais avant d'atteindre ces cimes, il nous faudra traverser de multiples clôtures.

 

 

Cabane de Mille – 2470 m

 

Nous atteignons la cabane des Mille après une longue traversée sur une arête. Il est environ 16 h 00, la pluie a cessé , il ne reste qu'un crachin et de la brume. Nous devinons le début de l'arête du Mont Rogneux, elle n'est pas franchement accueillante et nous ne voyons pas beaucoup de groupes s'y engager. A l'entrée du refuge, il y a un papier : « PTL variante n°3 ». Ceci explique cela. Notre cheminement est à nouveau modifié, cela semble plus sage en effet, mais même si je suis fatigué je suis un peu déçu. J'aurai bien voulu voir ce Mont Rogneux et revoir le col de Lâne.

Du coup nous allons adopter un chemin beaucoup plus court à nouveau, mais surtout beaucoup moins alpin semble-t-il . Il s'agit d'une longue traversée plutôt descendante qui nous amènera directement jusqu'à Bourg-Saint-Pierre.

Avant cela nous prenons un repas au refuge, le repas « conventionnel » standard PTL : pâtes, riz ou Polenta, Pomme. Toujours pas de repos, il y a de toute façons trop de monde pour en profiter.

Nous repartons juste après le duo franco-canadien déjà évoqué. La descente est facile, sur un chemin du type GR, toujours très humide, mais maintenant nous sommes habitués. Nous rattrapons quelques équipes car nous avons adopté un bon pas, n'hésitant pas à courir en fin de descente. Nous croisons le chemin qui montent vers la cabane de Valsorey, à côté de laquelle nous aurions dû passer : 5h10...Nous gagnons au moins 7h de parcours sur cette variante. Je reconnais la fin du parcours que nous avons parcourue dans l'autre sens il y a deux ans. Mon moral est bon, la pluie a définitivement cessé, mes souvenirs me jouent toutefois des tours lorsque nous arrivons à Bourg Saint Pierre : je croyais avoir reconnu l'hôtel servant de base-vie, mais c'est raté, une passante nous indique qu'il faut remonter sur la route de 500m.

 

Bourg St Pierre Hôtel du Crêt – 1632 m – entre 80 et 85 km

 

L'accueil à l'hôtel est aussi chaleureux qu'il y a deux ans. Il est 18h30. Nous sommes annoncés 12ème équipe, nous sommes encore en compétition il est vrai. Nous allons enfin pouvoir nous poser : Denis a prévu un arrêt de 4/5 heures. Nous trouvons nos sacs d'allégement dans un amoncellement conséquent, et nous dirigeons vers le dortoir pour nous doucher. Nous ne sommes pas encore très nombreux et déjà il y a bouchon dans le couloir et au douches. Il faut trouver une place dans le dortoir, attendre pour pour la douche. Il y a l'équipe « mythique » des Trottons gaiement, des Japonais, des Italiens et Espagnols…et leur assistance.je suis un peu nerveux dans cette foule. La douche nous requinque un peu, mais il faut préparer les affaires pour la suite, penser à recharger la frontale, les affaires sèches, les affaires sales, bref la logistique demande un peu d'énergie. Je m'aperçois que j'ai perdu une gourde et que l'autre a un bouchon qui fuit, je vais demander au gérant de l'hôtel s'il a des bouteilles vides et peu après il revient en me faisant don de deux gourdes qu'il a eu en cadeau promotionnel. Merci.

Nous prenons le repas classique PTL et faisons rapidement le point : un gros morceau nous attend, j'aimerai dormir au moins 3h. Nous nous entendons sur 3h30 de sommeil pour un départ vers 1h du matin. A côté de nous, des équipiers commencent à se désunir à propos de temps de sommeil et de stratégie de course. Le ton monte un peu, mal joué ! Un bénévole de l'organisation nous demande notre heure de départ, nous la lui donnons, il semble mettre en cause notre temps de sommeil.

Dans le dortoir, il est impossible de dormir ; des allées et venues incessantes dans le couloir, la porte continuellement claquée...même Denis, d'habitude si bon dormeur, a du mal, je le vois plusieurs fois allumer la lumière de sa montre et se retourner dans son lit. De mon côté j'aurai l'impression d'être constamment réveillé par la porte qui claque dés le moindre assoupissement, j'ai oublié de mettre mes bouchons anti-bruits, comme Christophe me l'avait conseillé. Finalement au bout d'une heure trente de « repos » relatif, nous sommes réveillés par le bénévole : il y a trop d'affluence, il faut céder la place...Nous prenons un petit déjeuner copieux (payant) à 23h45, alors que d'autre équipes dînent...décalage horaire. Nous partons finalement à 0h30, en 12ème position, pour l'un des « juges de paix » de la course : le col d'Annibal, il y a à priori 12 km d'ascension, 1300 m de dénivelé positif mais surtout un terrain annoncé comme pas facile.

Denis fait la trace et le rythme, nous devinons au loin, pas si loin, quelques frontales de concurrents. Les premières centaines de mètres de dénivelé sont avalées à un rythme très soutenu, je suis exténué, nous ne tardons pas à rattraper une équipe, puis une autre. Près d'une bergerie, le chemin que nous suivions disparaît et nous entrons dans une zone d'alpage,puis assez vite, Denis, qui suit la trace GPS taille « dré dans le pentu ». Le terrain est très raide, parfois herbeux, parfois rocailleux, nous tentons de trouver un compromis acceptable au niveau de la pente. Je suis de plus en plus crevé, et parfois pris de vertiges, probablement dus à la fatigue. Petit à petit, je commence à me sentir mieux physiquement, mais alors que je suis sur une petite vire herbeuse, un vertige me prend et je perds l'équilibre. Je pars en glissade sur quelques mètres, grosse montée d'adrénaline, je contrôle et stoppe ma chute assez rapidement, mais il fait noir : je n'ai plus ma frontale sur la tête, un bâton en moins et j'ai senti un objet me taper la tête puis partir en tombant. Denis se rapproche assez vite et m'éclaire, je localise ma lampe, la rallume ouf, tout va bien rien de cassé ! Un peu plus loin je retrouve un bâton un peu plié, mais fonctionnel et l'objet qui m'a cogné n'est autre qu'une des gourdes données à l’hôtel. En observant les alentour à la frontale, j'aperçois la gourde (elle est blanche) plus bas à entre 50 et 100 m de dénivelé. Tant pis, je n'ai ni envie, ni force, ni courage d'aller la chercher. J'ai eu chaud !

Je n'ai plus qu'une gourde, calée dans mon sac. Je rejoins Denis qui était à quelques mètres au dessus de moi, et à peu près à l'endroit où je viens de chuter, je me pose pour sortir la deuxième gourde du sac...et...je chute à nouveau. Cette fois ma lampe reste sur mon front, du coup je vois que je chute sur le dos et glisse sur une dizaine de mètres avant de pouvoir m'arrêter. Je vois la gourde que j'allais sortir du sac aller s'écraser en contrebas. Pas question non plus d'aller la chercher. Ma première chute ne m'a pas impressionné, j'étais dans le noir, par contre celle-ci me marque plus. J'ai eu du mal à stopper la glissade et je revois la gourde tomber assez loin en bas. Bref, je suis un peu choqué, mais je sais qu'il faut tout de suite repartir sinon la peur et la fatigue ne me laisseront pas aller plus loin. Nous n'avons plus qu'un litre d'eau pour deux, c'est le principal problème. Nous repartons donc assez rapidement en suivant la trace GPS, c'est une succession d'arêtes peu exposées, de descentes et montées dans des éboulis et sur des rochers parfois givrés en surface (effectivement les gants ne sont pas de trop!). Il y a des frontales dans toutes les directions, des équipes ont l'air bien perdues…nous en dépassons une dans les pentes finales du col.

Nous mettons enfin pied sur un névé et c'est pour moi l'occasion de mettre pour la première fois des crampons légers nouvellement acquis, et après quelques centaines de mètres sur la neige, c'est le Col d'Annibal. Denis est étonné que nous y soyons si tôt.

 

Cote 2992 mètres - Col d'Annibal – entre 90 et 95 km

 

Il n'y a pas de chemin dans la descente qui suit ; il faut suivre de vagues traces dans des éboulis ou des pierriers très raides, Denis suit la trace sur son GPS. Nous ne tardons pas à cheminer avec une équipe de Français qui nous a rejoints dans le début de la descente, nous prenons le temps de discuter un peu, mais il faut rester concentré dans un tel terrain.

Nous voyons loin sur la gauche du vallon quelques lumières de frontales, d'autres ont semblé prendre un chemin complètement différent depuis avant le col et ne sont même pas dans la même vallée. Ils ont peut-être pris une des variantes, nous ne le saurons jamais. J'ai confiance dans les talents d'orientateurs de Denis et cela ressemble à ce que je pensais trouver dans mes projections d'avant course.

Petit à petit, la pente s'adoucit, nous arrivons sur un terrain mixte, d'alpages parsemés de rochers et

un chemin commence à se dessiner. Nous arrivons bientôt au bivouac de Molines, une bergerie apparemment, où nous faisons halte. Nous mangeons un minimum, mais surtout, nous avons besoin de repos. Nous prenons quelques minutes pour essayer d'avoir un sommeil « flash », car depuis la fin de la descente dans le pierrier, la fatigue m'est vraiment retombée dessus.

Nous n'avons, d'autre part plus qu'un litre d'eau pour d'eux, ce n'est pas encore vraiment un problème et je pense qu'au refuge de Champillon, prochaine halte, à 5 km environ, nous trouverons de vieilles bouteilles.

Le jour va se lever, nous abordons une partie à priori plus facile, une longue traversée ascendante à flanc de vallon avant de retrouver le sentier qui monte franchement jusqu'au col de Champillon qui domine le refuge éponyme. Mais à la vue des nombreuses équipes qui ne sont manifestement pas sur la trace prévue, des problèmes d'itinéraires ne sont pas à exclure. JCM a un talent pour trouver des cheminements improbables, très beaux esthétiquement, mais pas évident à suivre. C'est le cas ici, et Denis, toujours brillant en guidage et lecture de GPS a réussi à découvrir le « sentier », en fait une vague sente à animaux, constituée de multiples passages de torrents, de montées et descentes bien casse-patte dans une broussaille de rhododendrons, type « maquis corse », et tout cela en devers s'il vous plaît. Bref pas une partie de plaisir, les chevilles et les pieds sont mis à l'épreuve et je crois que j'ai perdu plusieurs fois l'équilibre. Une équipe anglaise, nous rejoint dés l'attaque de ce sentier et nous félicite, elle a flairé le bon guide. Nous marchons ensemble jusqu'à l'attaque du sentier menant au col et dès les premières pentes je sens que je ne pourrai suivre le rythme, les Anglais prennent un peu d'avance, je sens toutefois que l'un d'eux force pour suivre les autres. De notre côté, Denis a pris un lacet (30 m) d'avance sur moi et je me bats pour ne pas craquer. C'est vraiment dur, je n'ai pas eu le regain d'énergie et de moral qui suit habituellement le lever du jour.

 

Col de Champillon - 2709 m – entre 100 et 105 km.

 

Atteindre le col me remonte un peu le moral, mais je suis vraiment fatigué, je n'attends plus que la sieste au refuge que nous apercevons d'ici à moins de 2 km. Nous comptons y prendre un petit déjeuner et faire 20 minutes de sieste dans le dortoir, il y a deux ans cette étape ici m'avait bien regonflé. La météo a vraiment changé, il fait un grand soleil, nous voyons bientôt la fenêtre Durand quelques kilomètres sur notre gauche, que nous avons empruntée il y a 2 ans, sous la pluie, en face de nous se dresse le massif du Grand Combin magnifique. Quelle différence entre hier et aujourd'hui, nous allons en prendre plein les yeux !

 

Rifugio Champillon – 2435 m

 

Il est 9h30 environ, les Anglais nous ont précédés de quelques minutes, il y a quelques équipes mais ce qui est surprenant c'est que nous sommes pointés en 5ème position ; la nuit dans le col d'Annibal a fait du dégât. En entrant dans le refuge, les souvenirs affluent : il y a deux ans, nous parvenions avec peine à ce point, rincés par la pluie et le froid, nous avions reçu un très bon accueil autour d'un poële. Aujourd'hui, les jumeaux Pierre et Antoine ne sont plus là ; et seules nos chaussures, trempées par les herbes gorgées de rosée profiteront du poële. Je m'enquiers de bouteilles d'eau en remplaçement de mes gourdes et je vais faire une sieste dans le dortoir : 20 minutes qui me revigorent bien. Nous prenons un repas, les bénévoles me trouvent deux bouteilles de 50 cl, mes batteries sont rechargées, le moral est en hausse. Dehors je discute avec l'un des organisateurs italien de la course en admirant le panorama. Nous pouvons détailler la suite du parcours sur au moins une quarantaine de kilomètres, car on devine la vallée du village d'Etroubles, on voit le massif du Mont Fallère et ce qui semble être la pointe Labiez. Nous repartons après une heure de pause. La partie qui s'annonce jusqu'à Etroubles est très agréable, une descente pas trop raide en sous-bois le long d'une bisse (que nous avions longée deux ans plus tôt). Nous nous arrêtons pour boire et nous rafraîchir à un abreuvoir, il fait chaud, quelle différence en 24 heures ! Nous repartons et quelques centaines de mètres après, je m'aperçois que j'ai oublié mon chapeau péruvien. Je reviens sur mes pas, impossible de le trouver, tant pis, il faut avancer. Denis a l'air plus abattu que moi par cette perte. Nous avions acheté nos chapeaux ensemble il y a une douzaine d'années, et c'est lui qui avait négocié le prix sans doute. Plus tard, il me dira avoir admiré mon renoncement, en fait je suis un peu fatigué et je n'ai pas envie de perdre de temps, mon esprit compétiteur (nous sommes 5ème!!!) me l'interdit.

Les conditions sont idéales aujourd'hui, un peu chaud peut-être, mais cela convient à mes vieilles articulations, mises à mal par les premières 36 heures de course. Nous pensons arriver vers midi à Etroubles, un village souvenir d'il y a deux ans encore, le moral était bon alors je crois me souvenir, mais la nuit suivante avait été très pénible, surtout pour Antoine (pas moi).

 

Etroubles – 1205 m – entre 110 et 115 km.

 

Nous arrivons à ce charmant village de lauzes à 12 h 15, nous y croisons à la sortie le guide-organisateur avec lequel j'ai discuté au refuge Champillon. Il lève un léger doute sur le départ du chemin à la sortie du village et à 12h39 c'est reparti pour une ascension peu digeste : 1400 m de dénivelé positif pour atteindre la croix du Mont Labiez. Nous avons pu l'observer dans la descente précédente, j'ai le moral : n'ai-je pas réussi la veille à enquiller les 1600 m de montée à la cabane des Mille à un bon rythme, sans avoir dormi et dans le froid et la pluie ?

Je passe en tête pour me mettre en confiance sur ce chemin n°6, que le road-book annonce très raide, c'est effectivement le cas mais j'essaie d'imprimer un rythme régulier mais soutenu. C'est l'occasion d'utiliser régulièrement ma montre altimètre pour vérifier l'allure, à base de règle de 3, car il n'indique pas la vitesse ascentionnelle. A peu près une heure après l'attaque, je vois que Denis n'a pas l'air bien, nous faisons de petites pauses, mais il reste derrière moi, mauvais signe.

Je m'arrête finalement, et , chose rare, l'attend plusieurs minutes avant de le voir arriver en me disant qu'il a un gros coup de barre. Je m'étais concentré sur mon propre rythme et l'avais distancé sans m'en rendre compte. Nous faisons donc une vraie pause repas.

Denis va beaucoup mieux ensuite et repasse devant, en ce qui me concerne, le début de la digestion me casse un peu les jambes, j'en ai l'habitude, une heure de mauvaises sensation et puis tout devrait rentrer dans l'ordre.

Le chemin est de moins en moins tracé à mesure que nous montons, nous passons parfois au milieu de champs de ronces, et finalement, après avoir traversé un troupeau d'ânes ou de mulets, nous voyons notre objectif, une arête menant au sommet. Sur son fil, une équipe avance assez lentement, nous la rattrapons assez vite (c'est bon ! Me crie mon cerveau « compétiteur ») et il s'avère qu'il s'agit de l'équipe Anglaise qui nous a accompagné avant le col Champillon. Ils n'ont pas l'air au mieux.

« -ça va ? 

- Ok, you're doing well !»

Ces quelques paroles échangées ont un effet profond, je ne me sentais pas super bien et voilà que les anglais nous félicitent, dans mon esprit, la petite voix qui me dit depuis quelques mois que tout va bien se passer, me sussure : « nous allons y arriver !!! ».

Le passage sur cette crête offre un panorama fabuleux. JCM nous a gâtés : le versant italien du massif du Mont-Blanc, les Combins, Le Cervin, Le Rutor, Le Grand Paradis...tout y est !

Je suis euphorique, j'interpelle les Anglais en dessous : « Look , The Matterhorn ! ».

 

Mont Labiez, Croix – 2616 m – environ 120 km

Nous atteignons la croix vers 15h30. Denis estime que la descente qui suit (-700 m) nous prendra 1h30, je tablais sur 1h, sans doute grisé par le paysage, mais il aura raison, une fois de plus, car cette descente est assez longue avec des passages piégeux et raides, il faut avoir le pied alpin, au milieu d'alpages dans un premier temps puis d'éboulis. Nous nous arrêtons à une source, le soleil cogne aujourd'hui, je sors mes pastilles de désinfection. Des concurrents italiens nous rejoignent à cet endroit et boivent directement l'eau, je leur donne des pastilles et leur conseille de les utiliser. Ils repartent et progressent plus rapidement que nous semble-t-il.

Durant cette journée, les premières décisions logistico-stratégiques sont prises. En effet, nous devons maintenant réfléchir aux points de ravitaillement et de repos car nous entrons dans une partie du parcours dans laquelle les refuges et les villages sont parfois très espacés. Parcourir une quarantaine de kilomètres en montagne lorsqu'on est reposé, sur un GR, c'est déjà une belle ballade, mais nous marchons en « tout terrain » et commençons à bien entamer nos réserves. La difficulté et la beauté de l'épreuve, consiste à mon sens à bien savoir gérer ces paramètres sans se mettre en danger.

Nous allons maintenant franchir un nouveau col, je suis confiant car dans la descente nous avons eu le temps d'observer la suite des événements. Je m'attend à beaucoup de traversée et peu de dénivelé au total.

L'équipe italienne qui vient de nous doubler a une curieuse conception de la course d'équipe, un équipier est loin devant, un reste en arrière et fait beaucoup de pauses puis se met à courir…

Cette partie du parcours, en arête jusqu'au col qui suit la pointe Chaligné est très très belle avec toujours de magnifiques points de vue sur les massifs suisses et italiens, la météo nous en fait bien profiter.

 

 

 

Pointe Chaligné – 2603 m – environ 126 km.

A la pointe, il est 18h00 à peu près, nous rejoignons l'équipe italienne qui se fait photographier par un randonneur et qui repart à peine sommes nous arrivés. Finalement, cette partie que je supposais facile m'a semblé bien longue, peu dénivelé au total, mais de nombreux petits « coups de cul ». Dans la descente qui suit, nous croisons une équipe TV, sans doute la télévision du val d'Aoste, l'interview est très brêve : « Magnifique ! Vous avez un très beau pays, vous avez tout. » et d’énumérer tous les massifs déjà cités que nous avons reconnus, « même la Vanoise ».

Nous repartons gaiement, pour moi, le moral est au beau fixe, je sens l'écurie : le refuge du Mont Fallère, dont nous contournons le massif éponyme, où nous avons prévu de prendre un repas et nous reposer un peu. Ce n'est plus très loin sur la carte…

En fait, il nous faudra entre 2h et 2h30 pour y arriver, après un cheminement pas compliqué mais la trace de JCM nous a fait prendre des raccourcis parfois « dré dans le pentu » dont Denis semble raffoler.

Peu avant le refuge, Lac des Grenouilles (effectivement je vois trois spécimen) nous en sommes très près, mais la trace GPS ne correspond pas au chemin indiqué par le road-book et les panneaux indicateurs (n°19 ? n°14 ?) que nous croisons.

Hésitations, petits allers-retours, mon humeur bascule, je deviens irritable et ai des paroles un peu dures pour Denis et la trace de JCM. La journée a été longue, nous venons de Bourg-Saint-Pierre avec une courte nuit et une sieste plus courte encore. Toute la fatigue accumulée me retombe dessus et je commence à être moins lucide, j'en ai marre, où est ce refuge ?

Nous avançons néanmoins et à un kilomètre du but j'ai une énorme hallucination : face à nous, sur le chemin, à 500 m, je vois une immense maison en bois dressée au milieu des rochers et une équipe espagnole (je sais dans mon mirage que ce sont des Espagnols) qui y entre. Je vois même un homme, équipé d'une frontale, qui les accueille et qui nous fait signe.

Je le dis immédiatement à Denis, qui bien évidemment ne voit rien, je m'obstine et lorsque nous approchons de la zone où je pense avoir « vu » le bâtiment, nous découvrons le vrai refuge, mais il est à 1 km environ. Je dis alors à Denis « non ! Le refuge est là à 50 m » et je pars bille en tête en le plantant là pour quitter le chemin et rejoindre la maison « de mes rêves ». Bien sûr, je me retrouve dans un chaos rocheux, aucun bâtiment. Je réalise alors mon erreur et analyse la situation : je me suis séparé de Denis, la nuit va tomber, nous risquons de ne pas nous retrouver puisque j'ai quitté la trace. Je retrouve rapidement le sentier en revenant sur mes pas et mon compagnon de route qui revenait également en arrière sur le chemin. Je suis confus et explique à Denis ce qu'il m'est arrivé, nous reprenons la route pour quelques centaines de mètres.

 

Rifugio Mont Fallère – 2385 m – environ 130 km.

 

Nous nous y arrêtons pour manger et faire une petite sieste, nous tablons sur un départ vers 22 h pour arriver à la base vie de Morgex pas trop tard dans la nuit. Nous commençons par la partie repos du programme, dans un dortoir réservé. Je suis réveillé après moins d'une heure de sommeil par une douleur intolérable au pieds. Les ampoules que je supposais bénignes sont à vif. Je réveille plus ou moins Denis et lui annonce que je ne pense pas pouvoir repartir. Je vais essayer de réparer quand même tout cela. Après quelques soins (compeed pour couvrir les ampoules) la douleur est supportable. Avec la monnaie qui nous reste, nous négocions un léger repas chaud avec le gardien. Je suis à peu près opérationnel, mais il me faut beaucoup de temps pour rassembler mes affaires et surtout mes esprits. Denis est déjà dehors, nous repartons dans le tempo prévu (22 h) en compagnie d'autres équipes, une a vidé la batterie de son GPS, elle ne pourra passer le col de nuit dans ces conditions. En effet, le cheminement vers le col qui suit a l'air complexe, mieux vaut être accompagnés à priori. Denis se permet un petit aller-retour en courant pour aller chercher ses bâtons au refuge alors que nous venons de démarrer. Les vingt premières minutes d'ascension seront parmi les plus pénibles de la course pour moi. Mes pieds me font souffrir, je dois rapidement changer de batterie de frontale, mais surtout nous sommes 7 personnes pas en phase au niveau rythme, lecture du terrain et orientation, ce groupe ne peut qu'éclater. De fait, sur une nième divergence au sujet de la trace, nous prenons naturellement la tangente et quittons le groupe. En ce qui nous concerne, l'organisation est plus simple : Denis guide, au GPS quand il fait nuit, parfois je complète pour lui permettre de trancher grâce au road-book et aux cartes que je porte. Nous prenons les décisions par un accord naturel en ce qui concerne, lieu et temps de pause, il n'y a pas de grosses divergences entre nous.

 

Col de Palletaz – 2707 m – environ 131 km

 

La descente qui suit est assez difficile, raide, sur un terrain instable et pentu, pas de réel sentier ; cela me rappelle la descente du col Vertosan il y a deux ans. La nuit et la fatigue faussent la perception des distances. Bref, un moment pas facile.

La pente s'adoucit ensuite, nous nous trouvons maintenant dans une traversée descendante en forêt. Nous retrouvons plusieurs équipes, italiens, hongrois. Le cheminement est facile mais il y a quelques passages de champs, ou de torrents qui rendent la trace compliquée à suivre. C'est dans ces circonstances que notre équipe fonctionne le mieux : Denis indique la direction, je pars devant en « éclaireur », essaie de trouver le passage ou la trace et nous recommençons.

 

Vedun carrefour – 1560 m – environ 140 km

 

Notre étape du jour doit se finir au gymnase de Morgex et, en théorie, nous avons fait la partie la plus difficile en arrivant au village de Vedun. En fait, ça devient une habitude, après ce hameau le chemin est truffé de pièges : remontées de longueur et pentes variables, traversée très délicates (glissade interdite insiste le road-book) et bien sûr descentes interminables. Un passage de nuit au dessus de petites ruines est très impressionnant. Il faut garder le pied sûr malgré la nuit et la fatigue, on ne voit pas ce qu'il y a dessous, mais le sol a l'air loin. Dans cette portion, nous sommes accompagnés par l'équipe hongroise qui manie le GPS presque aussi bien que Denis. Nous les quittons un peu avant le village de Chalançin, une lecture de trace différente. La descente finale vers Morgex est exactement celle que nous avions pratiqué il y a deux ans, elle est très variée et piégeuse : traversée de hameaux, route, champs. Nous atteignons Morgex vers 4 h du matin.

 

Morgex gymnase – 923 m – environ 152 km

 

Nous nous sommes mis d'accord pour faire une pause d'environ 4 h à Morgex et naturellement, nous adoptons le schéma suivant : manger, se doucher, dormir, manger. Nous apprenons à notre arrivée au pointage que notre balise émettrice a eu une longue période d’interruption (14 h) depuis Bourg-Saint-Pierre. Dommage, nos proches n'ont pas pu suivre notre magnifique traversée du col d'Annibal. Les lasagnes se prennent dans une salle à une cinquantaine de mètres du gymnase qui nous accueille (il faut quitter le nid douillet du gymnase pour se replonger dans le froid) elles sont moins bonnes que dans mes souvenirs mais restent excellentes pour un estomac de « montagnard » qui vient de passer une nuit dehors. La douche fait du bien par la chaleur qu'elle procure mais son bénéfice est immédiatement perdu dans la froidure du vestiaire. Elle fait moins de bien aux ampoules…

Je constate avec stupeur que le dortoir est en fait constitué de simples tapis de sol étendu sur le parquet de la salle et qu'il n'y a pas de couverture, impossible de dormir il fait trop froid. Mais la bonne idée vient après quelques minutes passées à frissonner : la couverture de survie que nos transportons obligatoirement avec nous, il me vient même l'idée qu'ainsi les organisateurs peuvent vérifier que nous avons cet élément du kit nécessaire sur nous. Son effet est miraculeux, je n'ai plus froid et la sensation de légèreté est très agréable. Ce coup ci, je n'oublie pas de mettre les bouchons anti-bruit que Christophe m'avait conseillés. Pour garantir un semblant de calme et de silence dans la salle commune, un des bénévoles de l'organisaton fait des rondes...cela semble malheureusement utile car des concurrents italiens sont en pleine conversation au téléphone et sont un peu exubérants. Je vois par ailleurs un des hongrois qui nous ont accompagnés se faire masser par des accompagnants.

Nous avions prévu 2h30 de sommeil, mais je me réveille naturellement au bout de 1h30. Denis est également réveillé. J'ai dormi d'un sommeil de plomb, je ne suis pas frais loin s'en faut, mais c'est la première tranche de vrai repos depuis le départ. Les batteries, les miennes un peu, et celles de ma frontales complètement, sont rechargées. Nous prenons un petit déjeuner copieux, 3 h après le repas, en conversant avec l'équipe n°83, des Français et avec le responsable de la société chargé du suivi GPS des équipes. Il passe lui aussi une sacré semaine, avec des nuits de 2/3 h. L'autre équipe est constituée de 2 personnes qui nous expliquent rapidement la suite du parcours car ils l'ont reconnue en juillet. Il y avait encore un peu de neige, mais ce qu'il faut retenir c'est 1) les horaires indiqués par le road-book sont très ambitieux car ils n'ont pas pu les tenir en étant reposés et 2) « Vous allez en prendre plein la vue les gars ! ».

Nous repartons vers 8 h 30, le responsable nous désigne comme 5ème équipe à redémarrer.

A partir de maintenant, nous entrons dans le vif du sujet, le cœur de la course. J'avais annoncé à mes camarades, Christophe en particulier, que la course commençait à Bourg-Saint-Pierre, les cent premiers kilomètres étant un échauffement destiné à étirer le peloton et à éliminer les équipes trop faibles. A partir de Morgex, les questions de stratégie, déjà un peu abordées depuis Champillon deviennent cruciales. Nous allons traverser des zones sauvages avec peu de possibilités de repas ou de repos, des cols difficiles et assez hauts. La première halte possible « en dur » se situe au refuge Angeli après 41 km et trois grosses ascensions. Il nous reste un peu plus de 150 km en théorie.

Je pars regonflé par l'annonce de notre 5ème place, l'esprit de compétition est décidément un for aiguillon pour moi. Je commence à imaginer notre arrivée à Chamonix, j'ai des flashs. Je me vois en train de discourir à l'arrivée et essaie de trouver les mots qui décrivent le mieux ce que je ressens. Des bouffées d'émotions me débordent parfois, les larmes ne sont pas loin. Cela est en partie dû à la fatigue et je me rend compte, c'est un poncif, de la puissance de l'esprit. C'est le moral et la tête qui me font avancer, la fierté et l'envie de se prouver quelque chose aussi. Le corps est aux ordres, à part les ampoules qui se font parfois sentie, il sait rester à sa place.

 

Arpy – 1674 m – environ 160 km

 

La montée au lac d'Arpy se fait à à notre train habituel, dans l’état d'esprit que je viens de décrire. les jambes ont eu un peu de mal à se remettre en route après notre longue pause à Morgex. Je suis plutôt en tête et en mode marche « agressive » du fait de notre place à défendre. Petite inquiétude, nous n'avons pas trouvé de distributeur de monnaie sur notre parcours dans le bourg et cela pourra poser problème peut-être pour payer les repas en Italie si le besoin s'en fait sentir, nous avons des chèques pour la France. Nous arrivons pour manger au lac entre 12h et 12h30. Le site et le temps sont magnifiques, l'ambiance familiale et nous envisageons à ce moment de passer des vacances dans le Val d'Aoste après la traversée que nous venons d'effectuer.

Le repas, tiré du sac de Denis est frugal : pain, fromage, saucisson (un classique) et une banane en dessert. Comme d'habitude, le repas me coupe un peu les jambes et j'ai moins d'entrain pour redémarrer.

La montée au col d'Améran qui suit est un peu pénible. Le soleil cogne vraiment, il y a des randonneurs. Cela n'aide pas à se concentrer, car bizarrement, garder un rythme posé, régulier, être à l'écoute des signes émis par son corps appelle la solitude et la méditation. Quelques marcheurs essaient de nous suivre quand nous les rattrapons, sans y parvenir pour la plupart, c'est toujours bon pour l'ego et la confiance. Beaucoup s'arrêtent au lac de Pierre Rouge, l'ambiance est déjà plus minérale et sauvage sous le col, quelques uns nous souhaitent bonne chance en voyant nos dossards ou nous félicitent car nous portons le n°1. Nous devinons une équipe qui a une petite avance sur nous, elles nous a doublé pendant notre repas, une autre s'est arrêtée pour déjeuner au même endroit que nous, et j'ai bien entendu fait les calculs concernant notre classement. C'est à ce moment de la course je crois que j'ai eu l'instinct de compétition le plus fort, à posteriori cela me semble un peu ridicule…

Je commence à me sentir fatigué et à perdre un peu mon bel état d'esprit après le lac de Pierre Rouge. Un petit incident me laisse prendre conscience à nouveau du caractère un peu aléatoire de la réussite de notre entreprise : Denis a eu quelques saignements en début d'ascension, mais au débouché du lac, sous les pentes finale menant à Ameran, nous devons stopper quelques minutes tellement cela est devenu gênant pour lui. Il n'est pas inquiet : il y est habitué, je le suis plus quand il me rappelle qu'il a un taux de plaquette assez bas et une mauvaise coagulation. Je commence à élaborer des scenario catastrophe...des bouchons dans le nez parviennent à arrêter l'hémorragie.

 

 

 

Col d'Améran – 2683 m – environ 165 km

 

Nous arrivons au col d'Améran, la vue sur le versant italien du Mont-Blanc est superbe, nous entamons une descente bien tracée mais très longue qui doit nous emmener jusqu'au dortoir « le paradis ». Pas de fait marquant jusqu'à ce que nous arrivions dans la forêt où les ennuis commencent : je manque une bifurcation de chemin. J'étais plus ou moins sur pilote automatique, et n'ouvrais pas bien les yeux. Ensuite nous nous perdons sur le « sentier », plus exactement, le chemin se perd le long d'un torrent, le facétieux JCM a peut-être voulu s'amuser à cet endroit car nous coupons tout droit en pleine pente au milieu des arbres et des ronces, il faut batailler bien que nous soyons exactement sur la trace GPS. Nous parcourons ainsi quelques centaines de mètres en mode « bulldozer » jusqu'à la rivière et tombons sur le dortoir.

Nous y retrouvons 2 ou 3 équipes, dont l'équipe hongroise. Tout le monde a semble-t-il été marqué par ce périple forestier. Nous en profitons tous pour faire une petite pause et pour refaire le plein d'eau. Le dortoir est fermé ce qui incite tout le monde à redémarrer assez vite car il reste deux gros morceaux a passer avant un endroit sûr où se poser et il est entre 16h et 16h30. Les équipes repartent en ordre dispersé, nous mêmes juste avant les hongrois, la pause a duré une dizaine de minutes.

Je repasse en tête pour faire le rythme, mais il devient assez vite évident qu'il me faut une période de sommeil, nous faisons donc halte près d'une bergerie après une heure de marche. Denis se couche sur le flanc, il est gêné, le nez bouché par les saignements, je me pose sur le sac et sombre...Vingt minutes chrono, alarme de montre mise, la montre sonne, il est 17h15 environ. Je me sens un peu reposé, un peu seulement...Nous repartons pour le col de La Crosatie, l'environnement est de plus en plus minéral, le chemin devient aérien, des marches sont taillés avant le col.

 

 

 

Col Crosatie – 2826 m – environ 177 km

 

 

Le paysage est splendide, il est 19 h. Nous faisons un repas classique : pain, saucisson, fromage et un peu de raisin sec au col. Nous prenons le temps de savourer la vue. Une équipe française est repartie peu après notre arrivée au col, juste le temps de discuter trail. L'esprit de compétition qui m'a animé en début de journée m'a quitté, même pas envie de les suivre. Les hongrois arrivent, nous repartons, l'arrêt aura duré une demi-heure .

L'objectif est d'atteindre le village de Planaval avant la nuit. J'ai remarqué, et cela correspond à ce que disent beaucoup de récits d'ultra, qu'il est plus pertinent de ne pas penser à la tâche monstrueuse qui nous attend, rejoindre Chamonix, mais de penser et terme de micro étapes. L'idéal serait même de ne plus penser du tout et de vivre l'instant présent. Je n'en suis pas encore là.

La descente ne présente pas de difficulté particulière, nous voyons assez vite les lumières des villages du Valgrisenche vers lequel nous nous dirigeons. Au détour des lacets, nous apercevons une ville plus importante, sans doute Aoste, que nous dominions à la pointe Chalignez.

Au hameau qui précède Planaval, une dame est dehors, dans la nuit qui tombe. Elle semble attendre les coureurs et nous félicite. J'essaie de la remercier en Italien. Je suis très touché.

Le dernier kilomètre avant le village de Planaval se fait sur route, on n'y voit plus grand-chose, mais nous n'avons pas encore besoin d'allumer la frontale.

 

Planaval – 1567 m - environ 185 km

 

Nous refaisons le plein d'eau à la fontaine qui jouxte la chapelle du village. Je rallume la frontale en essayant pour la première fois la batterie double charge que j'ai acquise une semaine auparavant. Les hongrois, nous ont suivi dans la descente et lorsqu'ils nous rejoignent à la fontaine, j'en profite pour leur demander comment on dit « bonjour » dans leur langue. J'oublie aussitôt la réponse, trop fatigué, plus lucide.

Le moral est nettement remonté, nous sommes dans la dernière ligne droite avant de conclure notre journée et de réussir notre pari, faire la liaison Morgex-Angeli. Il reste certes 1500 m de dénivelé positif, mais pas de terrain difficile selon le road-book. Tout va bien se passer !

A la sortie du village, un hôtel, il me semble y voir une des équipes croisées dans la salle commune. J'ai un petit pincement en pensant au confort, la chaleur, le lit douillet.

Nous attaquons par une montée bien raide sur route mais régulière, qui doit nous mener à un hameau,400 m de dénivelé positif, avant d'entamer une longue traversée ascendante. Nous avançons bien, je fais le rythme, le cheval sent l'écurie.

Le hameau est là, il faut traverser un torrent, pas facile, nos corps se souviennent des heures passées sous la pluie, nous ne voulons plus nous mouiller. Il faut, après le franchissement du torrent, retrouver le sentier n°19, balisé à partir d'ici, qui doit nous mener tranquillement au refuge. Nous trouvons le passage, il y a une énorme marque rouge sur un rocher. Le début de ce chemin, n'est pas déplaisant, nous montons régulièrement à un bon rythme, mais très vite cela se dégrade. Notre fatigue nous conduit à faire une nouvelle « sieste minute ». Ce sont quelques instants magiques, sous les étoiles exactement, on voit bien la voie lactée, nous sommes couchés près d'une bergerie, l'odeur n'est pas super mais la vue compense. Je ne sais plus si j'ai dormi, pas eu l'impression, mais cinq minutes sont passées, une équipe, les hongrois, nous double, et il faut repartir. Durant toute cette nuit qui commence, je serai accompagné par une troupe de lutins : chaque feuille, chaque rocher se révélera être un visage plus ou moins grimaçant. J'évoluerai ainsi à la lisière de deux mondes, je suis conscient de ce que je fais et de la fatigue, omniprésente, mais mon esprit me laisse apparaître une réalité. La qualité du sentier est en baisse, parfois mal marqué, le balisage se perd mais surtout, une appréhension se dessine : comment monter de 1000 m de dénivelé avec aussi peu de pente ? Je suis devant et j'assure un tempo, je sens Denis en retrait, sa frontale est moins performante, il est fatigué. Ces circonstances rendent cette section particulièrement pénible à parcourir. De jour et peu fatigués, tout serait facile, mais c'est presque plat, nous ne comprenons pas le tracé le sentier : chaque lacet ne nous faisant gagner qu'un mètre de dénivelé, il ne cesse de touner dans tous les sens. Cela n'en finit plus ! Nous grognons tour à tour de dépit et de lassitude, mais Denis grogne le plus et je prends sur moi en jouant le rôle du métronome qui doit assurer la cadence. Je sens que je ne dois pas m'arrêter. Nous rattrapons une équipe arrêtée, l'un des concurrents est littéralement endormi debout contre un rocher. Nous ne sommes pas plus vaillants et c'est ainsi que nous craquons et nous octroyons une nouvelle micro-pause de 5 minutes chrono. Je suis assez vite réveillé par des voix : un homme est en train de parler de théorie mécanique à son partenaire. Je les vois passer à quelques pas de nous (nous sommes écrasés au bord du chemin), le premier, parle fort pour maintenir le second éveillé, lui pose des questions et il le traîne par un fil vert qui le lie...ce n'est pas un rêve !

Denis s'ébroue, ou je le secoue, je ne sais plus, nous repartons sur ce chemin n°19. Il est 1 h du matin. Il est toujours impossible de comprendre le cheminement, nous ne cessons de changer de direction, il n'y a sans doute des barres rocheuses à contourner mais nous n'avons aucun repère. Finalement, nous voyons les lumières du refuge alors que nous longeons un lac, il nous faudra encore beaucoup trop de temps pour y accéder, il est 2 h du matin passé...le coin doit être magnifique, mais nous l'apprécierons demain...ou pas.

 

Rifugio Angeli – 2916 m -environ 195 km

 

Nous sommes chaleureusement accueillis par un bénévole de l'organisation de course au refuge. Il ne s'agit pas d'une base vie mais d'un refuge « partenaire » de la course. Ce qui signifie qu'un accueil, repas et dortoir sont assurés 24h sur 24 mais que ces services ne sont pas gratuits. C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué notre recherche de monnaie à Morgex et notre négociation d'un repas au refuge du Mont Fallère. Lorsque nous avons envisagé de participer à cette édition de la PTL, j'avais pensé « facile ! Il y a 5 bases vie sur le parcours, ça fera 5 trails de 60 km à enchaîner. » Puis en étudiant plus précisément les consignes et le road-book donnés par l'organisation, il s'avéra que des petites haltes intermédiaires seraient bienvenues. Au final, sans la présence de ces refuges partenaires, boucler l'épreuve doit être très difficile.

Bref, le sommeil s'impose. Nous pensons dormir 3h et avoir une durée totale d'arrêt de 4h à ce magnifique refuge. Un bénévole nous conduit au dortoir PTL, nous lui demandons de nous réveiller vers 6h. Quelques équipes s'y reposent, je me pose et je sombre…

Denis me secoue : « il est 7 h passé ». Nous devrions déjà être debout. En fait, il y a eu malentendu ou méprise cette nuit et le bénévole ne nous a pas réveillé. Cette longue pause, une heure de rab, nous a sans doute permis de mieux poursuivre notre périple, nous ne le saurons jamais.

Je passe faire un brin de toilette et soigner mes ampoules, cela a l'air d'aller un peu mieux de ce côté. J'entends alors quelques notes de guitare, puis quelques instants après, je reconnais quelques arpèges. Pas de doute, c'est « il est libre Max », chanson de circonstance. Dans la salle commune, je retrouve Denis à la l'instrument, il fait une démonstration à un jeune bénévole italien. L'instant est magique, quelques secondes de communion dans la salle commune. Mon camarade me tend la guitare, à 3000 m d'altitude et si peu sommeil je ne suis pas mélodieux. Nous prenons notre petit déjeuner, je prend le temps de discuter avec une dame qui s’avérera être l'épouse d'un des manitous de la course. J'évoque mon manque d'expérience dans les ultras, la barrière des 200 km que nous allons franchir dans quelques minutes. Nous repartons vers 8h15, avec envie et confiance (200 km!!) dans une météo variable.

Nous avons un menu copieux, nous le savons, avec au moins le passage d'un glacier et d'un gros col mais nous ne savons pas où nous dormirons, ni quand…L'idée générale est d'atteindre la base-vie du col du petit Saint-Bernard puis d'aviser en fonction de nombreux paramètres.

Apéritif : deux petits collets à franchir et une traversée de vallon entre eux, le vallon de l'arp vieille. Passage pas si facile : de nombreux torrents à franchir, la trace GPS ne nous aide pas et la carte du road-book n'est pas assez précise. Nous avons franchi les torrents ça y est !!! Nous finissons l'ascension du deuxième collet lorsque je veux consulter le road-book. Je ne le trouve plus, il a dû tomber. J'ai pris l'habitude de l'avoir à portée de main sur mon deuxième porte-gourde situé sur une bretelle du sac. Il n'est jamais tombé jusqu'ici et dans ce passage relativement débonnaire, il disparaît...Allô Houston-Denis, on a un problème. En effet, le road-book contient les descriptions assez fines des passages compliqués et une carte au 1/25000 du parcours, c'est l'outil complémentaire du GPS. Perdre l'un des d'eux, revient presque à marcher sur une jambe, comme pour de nombreuses activités humaines, deux c'est mieux ! J'essaie vaguement de le voir – il est blanc – au milieu des nombreux torrents, rochers et alpages que nous venons de franchir. Je reviens même sur mes pas, c'est vous dire. Mais bon ; impossible de le retrouver, il faudra trouver une solution aux prochain points de contact avec l'organisation. D'ici là, il faut être résolument optimiste et compter sur notre feeling montagnard, sur celui de Denis plutôt. Je suis bien évidemment profondément confus et vexé d'avoir perdu un objet aussi important pour notre sécurité.

Plat principal : Nous redescendons ensuite sur le lac de Saint-Grat. Je loue intérieurement, à nouveau, le sens de l'itinéraire de JCM, c'est magnifique (je sais je me répète…). Le cadre est très minéral, il n'y a pas un poil de vent et aucun bruit. Nous voyons deux humains qui remontent la pente dans notre direction : ce sont deux bénévoles, la photographe « officielle » de l'organisation et l'un des « dirigeants ». Ils ont passé la nuit dans une chapelle au bord du lac et viennent à la rencontre des équipes. Instants forts mais simples, nous partageons ces moments magiques.

Peut-être le lecteur se demande-t-il comment on meuble son esprit dans des épreuves sportives aussi longues. Souvenez-vous qu'au début, c'est l'esprit de compétition qui m'animait : observations des autres équipes, calculs de performances en tout genre (vitesse moyenne, dénivelé), comparaisons. Petit à petit, la fatigue venant, je me suis attaché à me fixer de petits objectifs, qui seraient autant de jalons menant à la réussite, et qui permettent de rendre concrète notre progression. C'est un moyen de rester dans une dynamique positive. Le compétiteur s'est à nouveau imposé à mon esprit dans la section qui a suivi Morgex, je me suis projeté sur la ligne d'arrivée. Je me suis imaginé courant dans Chamonix sous les vivats du public. Bien entendu à l'arrivée, il faut faire un discours et donc depuis un petit moment, mon esprit est occupé à concocter ce discours. Au moment de croiser les bénévoles, j'essayais de qualifier en quelques mots la PTL, l'un des mots clés s'est imposé à moi à cet instant : c'est une aventure, certes, mais d'abord une aventure humaine. Je n'ai pas trouvé de mot meilleur pour expliquer tout ce qui j'ai pu ressentir. Humaine car nous formons une équipe, une cordée, avec les hauts et les bas de chacun, pensée à Christophe. Humaine car pour réussir à créer et animer cette épreuve, il faut des personnes qui se mobilisent depuis des mois, ou pas, mais qui s'investissent plus qu'énormément. Humaine enfin, par les rencontres faites, bénévoles, randonneurs, mais aussi autres équipes. Les équipes ne sont plus des concurrentes, j'ai peu à peu oublié cette notion de compétition. Je me sens comme un élément d'un ensemble, et je souhaite la réussite de chacun des participants à la course.

 

 

 

Au niveau du lac, splendide je le répète, c'en est fini du calme. Un hélicoptère nous survole de manière insistante et s'approche très près, il s'agit d'un hélicoptère de secours. Je pense au début à un reportage photo ou à un suivi de sécurité de la course. Dans la montée sur le glacier de la Sassière qui suit, un très gros passage au niveau sécurité, nous en savons plus. Nous croisons Lucio, le guide italien, responsable « sécurité sur le terrain » de la PTL. Il s'est positionné au col pour placer des cordes fixes car les derniers mètres sont très raides. Il a lui-même fait appel aux secours car une équipe italienne est restée bloquée un long moment à un endroit inapproprié et délicat et ne répondait pas aux appels du PC course. Il a ensuite croisé l'équipe en question qui remontait le glacier qui lui a simplement indiqué qu'ils s'étaient reposés et avaient mangé. C'est peu dire que Lucio est très mécontent…Il continue sa route pour accueillir d'autres équipe, il nous a observé avec nos mini-crampons dans l'attaque du glacier et ne semble pas inquiet quand à nos capacités.

Le passage sur le glacier n'est pas aussi difficile que nous le pensions, la pente finale est effectivement assez raide et le mélange de glace et de terre mouillé nous fait utiliser les cordes fixes. Ma fierté m'a laissé essayer de grimper sans, mais avec le matériel, la fatigue et ce sol, j'ai vite déchanté.

 

Col de la Sassière – 2841 m – environ 200 km

 

 

Nous passons le col entre 10h et 10h30 du matin. Nous sommes de retour en France. Le contact téléphonique peut à nouveau être établi entre nous et le reste du monde. En effet durant la traversée de L'Italie, ni Denis, ni moi ne pouvions utiliser notre mobile, faute de forfait adapté pour moi et par bug dans l'option internationale pour mon Compagnon. Au départ, tout était carré, mais l'abandon de Christophe nous a privé d'appareil photo, nous n'avons pas pensé à lui demander, et d'un téléphone avec option internationale. Cela contrevenait au règlement de course, mais notre philosophie de l'épreuve, autonomie et indépendance maximale, nous l'autorisait. Il y a deux ans, j'avais été étonné de constater que beaucoup d'équipes étaient souvent en liaison avec le PC course, pour se faire expliquer des passages compliqués au niveau de l'itinéraire ou pour des discussion logistico-stratégiques. Dans mon esprit pourtant les choses sont claires : on se débrouille !!! Pas de contacts si possible.

La descente est plus ou moins hors-sentier dans un pierrier très raide. Avec notre expérience « montagne » nous n'éprouvons toutefois pas trop de difficultés, mais il faut garder une attention soutenue et constante, sinon gare à la chute. La pente s'adoucit peu à peu sans que le terrain ne devienne facile, il faut naviguer entre blocs, et lire l'itinéraire. Des cairns apparaissent de loin en loin pour nous guider, il n'y a toujours pas de sentier marqué. De nuit, cette section peut être très délicate à aborder, les avertissements du road-book ne sont pas superflus, un GPS non plus !

Nous cherchons également un cairn particulier : celui que ses amis ont érigé en l'honneur de Jean-Claude Marmier. C'est ici en effet qu'il s'est éteint, lors d'une des dernières reconnaissance sur ce parcours. Nous ne le trouvons qu'avant le ressaut qui nous cachait le vallon abritant la prochaine base-vie : le refuge du Ruitor. Nous nous arrêtons quelques minutes, pour déposer des pierres en hommage puis repartons. Nous n'avons pas échangé un mot. Je me sens un peu ému. Je n'avais croisé ce Monsieur qu'assez rapidement. Nous avons rapidement fait un debriefing à Chamonix, il y a deux ans, après notre abandon (blessure d'Antoine). Nous l'avions remercié alors pour avoir imaginé cette épreuve unique.

 

 

Nous continuons la descente, nous voyons de plus en plus clairement le hameau situé tout au fond du vallon de la Sassière. Les quelques chalets sont magnifiques, en toit de lauzes, au milieu d'un « bout du monde » comme nous en avons déjà croisé au cours de notre ballade. Nous voyons le refuge, ce n'est pas ainsi que je m'imaginait une base-vie : un chalet tout simple. Nous allons pouvoir nous reposer un peu, nous restaurer, il est bientôt midi et peut-être répondre au flot de messages SMS qui nous sont parvenus de puis l'entrée en France. Bien que je répugne à appeler, trop de lassitude, j'ai quand même pu joindre brièvement Muriel au col.

 

Refuge du Ruitor – 2032 m -environ 205 km

 

Nous arrivons au refuge vers 12h00, une étape qui s’avérera importante pour nous. Nous savions en effet que les jumeaux, Pierre et Antoine, y seraient basés. Nous les avons rencontrés il y a deux ans sur la PTL au refuge Champillon, une petite conversation autour d'un poêle, bien réconfortante alors. Nous sortions d'une longue traversée dans la pluie et le froid. Nous partageons quelques points communs qui font que, dès le départ, nous espérions les retrouver à cet endroit. Il sont angevins, prof de Maths pour l'un et chercheur en Physique pour l'autre. Aujourd'hui, ils sont accompagné par l'épouse d'un des organisateurs.

Nous retrouvons également l'équipe italienne, mentionnée auparavant. Elle repartira avant nous et les trois bénévoles nous confirment que leur commerce n'est pas très agréable. Nous sommes reçus comme des rois. Nos hôtes ont préparé la soupe et un buffet repas. Une petite pluie nous oblige à rentrer précipitamment nos sac et nos affaires qui séchaient dessus, mais ce sera le seul bémol de cette halte. Nous passons une heure au refuge, sans dormir, à parler de la course, de la montagne (le Ruitor nous domine de sa haute masse), à simplement partager un moment ensemble tous les cinq dans ce décor somptueux. Une petite anecdote, l'un des jumeaux, chargé de rapatrier les victuailles que nous dégustons et venus de Chamonix en passant par la Suisse, plus rapide, son véhicule chargé à ras. Les douaniers suisses, l'ont arrêté et , intransigeants, lui ont mis une amende pour importation de certaines denrées. Pas de passe-droit pour les voisins chamoniards organisateurs de course inter-pays.

J'oubliais un bémol : mes pieds sont toujours douloureux, le mal se réveille quand ne suis pas concentré sur la marche ou quand muscles refroidissent. Et puis, je me mets à saigner abondamment du nez alors que je déguste ma soupe. Cela ne m'arrive jamais. Autant la vue du sang des autres ne me pose pas de problème (relativisons, je ne suis pas psychopathe!), autant la vue du mien me met très mal à l'aise : j'ai l'impression que ma « force vitale » s'enfuit avec mon sang. C'est probablement un souvenir des nombreuses prises de sang que j'ai eu à subir.

Finalement, l’hémorragie est arrêtée par un vigoureux point de compression nasal et mes inquiétudes sont calmées par les paroles rassurantes et rationnelles de mes compagnons.

 

 

Nous repartons vers 13h15 ; notre prochaine halte se fera à l'hospice du petit Saint-Bernard, il y aura deux cols à passer avant.

Nous rattrapons une équipe qui ne s'est pas arrêtée au Ruitor dans la montée vers le pas de la Louïe Blanche. Pas de difficultés notables, je suis en forme, je marche devant et j'ai bon moral, tellement en fait que que je prend le chemin qui mène au col de la Louïe Blanche. Très vite Denis trouve le cheminement bizarre et après vérification nous comprenons ma méprise. Le sentier continue plus bas, en traversée. Pour ne pas trop perdre de temps, nous allons essayer de couper en pleine pente. L'autre équipe se lance, pour ma part je rebrousse un peu chemin avant d'attaquer droit dans le pentu. Je ne me sens pas assez fort pour descendre dans ce terrain très raide, au milieu de la végétation humide qui cache des rochers. Lorsque Denis annonce « Ça passe ! », je me range à son avis. Quelques glissades plus ou moins contrôlées me permettent de le rejoindre sur le chemin du PAS (pas du col), effectivement bien plus facile. Nous avions remarqué dès l'attaque de cette ascension, la précision « fantaisiste » des temps de parcours indiqués sur les panneaux de randonnées (nous sommes sur un « vrai » chemin). Quelques centaines de mètres sous le pas : « 28 minutes » par exemple. Immédiatement sous le col (le pas!), nous croisons des chasseurs alpins : ils sont jeunes, costauds, sportifs, chargés et n'ont pas tous le pas montagnard.

 

Pas de la Louie Blanche – 2526 m -environ 210 km.

 

Petite pause au col, il est environ 17 h : victuailles...paysage, petits SMS. Les italiens (c'était une équipe italienne) repartent un peu avant nous. La descente est d'abord un peu (beaucoup!) raide, mais le chemin est bien marqué ce qui ne rend pas forcément le pas plus sûr car beaucoup de graviers et de cailloux roulent sous la chaussure.

Nous avons basculé dans un vallon occupé par des équipements de ski : La Rosière dit Denis (mais comment fait-il?). Au pied de la dernière montée avant le Petit-Saint-Bernard, col de la Traversette, nous joignons nos compagnes. La fatigue me saisit à nouveau, j'essaie de garder le rythme pour en finir au plus vite, le paysage n'est pas attrayant, pistes 4x4 ou de ski, remontées mécaniques. Nous arrivons au col dans les temps indiqués, 23 min et 52 s, selon les panneaux ;). Nous voyons nos concurrents italiens sur la piste 4x4 que nous allons emprunter. Elle est régulière et facile, mais attention aux pierres qui peuvent faire trébucher. Nous prévoyons environ 3/4 d'heure pour atteindre l'hospice du Petit Saint Bernard où se trouve une base-vie. Il y a en effet 5 km à parcourir, mais globalement en descente. Sur cette route, nous avançons bien en rythme et ne tardons pas à rattraper un groupe de randonneurs. En voyant mon tee-shirt de l'Ardennes Méga-Trail ils nous interpellent ; ils viennent de la région rémoise. Nous devinons bientôt le col frontière, encore des installations de ski avec les stations de La Rosière en France et de La Thuile en Italie. Nous voyons surtout les nuées chargées qui remontent le versant français du col. Jusqu'ici, le temps est resté clément, je suis en tee-shirt donc, lunettes de soleil et short. Il nous reste moins d'un quart d'heure avant d'arriver à l'abri et je pense pouvoir largement l'atteindre sans avoir à me changer. Erreur ! Le vent forcit, j'ai froid, je sors la veste gore-tex. Quelques secondes de plus, j'enfile les jambières. Je parie que nous ne serons pas mouillés...moins de 5 minutes après, un orage s'abat sur nous. Nous arrivons en courant et trempés à la base-vie. Je n'ai même pas eu le temps de retirer mes lunettes de soleil.

 

Hospice du Petit St Bernard – 2187 m -environ 215 km

 

La base-vie occupe les deux derniers étages de l'hospice. Petit plaisir, il faut monter 4 étages pour être pointés et récupérer les sacs d'allègement. Nous retrouvons des têtes connues : un bénévole qui nous suit depuis le Buet, c'est celui qu m'a donné de l'eau, qui conduisait le camping-car à Champex. Vincent, chargé du suivi GPS est là aussi. Un étage supplémentaire nous amène à la salle commune des repas. Il est entre 17h30 et 17h45. Ma première pensée tient en un mot : chaleur ! Mes vêtements sont trempés, notre hôte du jour a la bonne idée d'allumer le poêle. Je me change très vite et me précipite pour faire sécher pantalon et veste.

Ceci fait, je tombe à « deux de tension », beaucoup de questions se bousculent dans ma tête. Combien de temps s'arrêter ? Que prendre, que laisser dans le sac d'allègement ? Comment soigner mes pieds ? Peut-on continuer sans road-book ?

Cette dernière question est cruciale, nous demandons aux bénévoles s'ils disposent de cartes et d'un road-book pour la fin du parcours. Pas à priori, ils vont se renseigner...pas de photocopieurs dans l'hospice en plus. Nous empruntons leur documents de course aux italiens, arrivés juste avant nous et commençons à recopier les infos les plus stratégiques. Nous sous sommes étalés sur une table et le gardien qui doit accueillir d'autre clients nous demande de faire un peu de place. Toujours un peu « à l'ouest » je range nos affaires pendant que Denis continue le travail de prise de notes. Toujours pas de documents en vue. Quelqu'un se rappelle alors qu'il y a une boutique de tourisme au rez-de -chaussée, et qu'on y vend des cartes. Il est 17h50, elle ferme à 18h...me sentant coupable je file me renseigner. 5 étages plus bas, je trouve des cartes qui peuvent convenir pour le reste du trajet. Je retourne, au 5ème, chercher ma carte bleue (plus de monnaie depuis…?). Il est 17h55, j'ai expliqué à la vendeuse notre situation et lui ai demandé d'attendre mon retour. Au moment de redescendre de la salle commune, le bénévole m'intercepte en me montrant quelques feuillets : la fin du road-book photocopiée...les cartes du moins. Je redescend quand même m'excuser auprès de la vendeuse, pas d'achat, « pas grave » me répond-elle. Les bénévoles sont un peu stupéfaits de me voir ainsi monter et descendre rapidement les étages.

Entre temps, le repas a été servi, polenta, lapin, soupe, ça change. Nous dînons rapidement puis rassemblons nos paquetages. Comme nous l'avions plus ou moins envisagé au départ delli Angeli ce matin, nous allons essayer de pousser jusqu'au refuge des Mottets, 23 km plus loin. Il y a deux grosses difficultés : le col d'Argueray et le col des Ouillons, mais nous nous sommes bien reposés (entre 4 et 5 h) la nuit précédente. Même si j'essaie de ne pas y penser, boucler le parcours complet semble réalisable. Juste avant notre départ, une équipe arrive : les mythiques (il ont fini toutes les éditions de la PTL) « Trottons gaiement » et l'un d'eux, le guide nous voyant partir prend le temps de nous décrire rapidement l'itinéraire, en insistant sur la deuxième ascension, un vallon interminable. Il nous dit « il faudra être forts dans vos têtes ». Je revois son regard, il me regarde dans les yeux et redit « soyez forts dans vos têtes ».

Nous partons et, à ce moment, je ne suis pas particulièrement inquiet ; je ne suis pas aussi fatigué que la veille, mes vêtements ont un peu séché sur le poêle et par ailleurs, en remontant, pour la dernière fois de la boutique, j'ai entendu le bénévole (en fait je crois qu'il s'appelle Christian) expliquer le cheminement à Denis. Il a employé des termes tels que « j'ai fait cet après-midi une ligne de cairns inratable » pour éviter le glacier, en plus je cite encore : « c'est un vieux glacier, peu pentu, pas besoin de crampons ». Bref, des paroles qui mettent en confiance, c'est bizarre que le guide des Trottons Gaiement n'ait pas l'air de cet avis.

Il est 18h30 environ, nous partons sous un léger crachin, nous avons 2 h de jour devant nous, ce qui nous permettra d'effectuer l'approche du glacier et du col dans de bonnes conditions. La trace GPS ne correspond pas tout à fait au cheminement des cartes : nous contournons le lac du Freney par un chemin plus cassant. Le massif du Mont-Blanc, qui devrait trôner face à nous est caché, les nuages sont très bas et assez vite, la pluie s'intensifie. Nous descendons vers le lac par un sentier au milieu des myrtilliers, c'est très glissant par ce temps, et en longeant les rives spongieuses du lac, nos chaussures sont déjà bien humides. Le confort dans des vêtements secs aura duré une demi-heure…

Mes ampoules ne vont sans doute pas tarder à se rappeler à moi dans un tel environnement.

Le vent, que nous avions de profil sur ces premiers hectomètres, nous arrive de face maintenant, la pluie tombe de plus en plus fort...forts dans vos têtes...Nous cheminons de concert avec Denis, pas besoin de parler, nous pensons aux mêmes choses au même moment : mettre une couche supplémentaire, les gants. Parler n'est plus nécessaire, mais plus trop possible non plus, la pluie et le vent en pleine face rendent tout dialogue impossible, nous sommes pourtant encore sur un sentier de randonnée bien marqué !

Nous profitons une dernière fois de l'abri d'un rocher pour nous restaurer, boire, mettre les frontales (une batterie double, portée à même la peau pour la protéger du froid j'ai encore en mémoire mes mésaventures d'il y a deux ans). Je sens que nous allons être à nouveau confronté à un gros morceau, un juge de paix de la PTL.

IL est entre 21h et 21h30, la nuit est tombée, le vent est très fort et ramène la pluie sur les visages. Ma frontale, pourtant très puissante, n'éclaire qu'un rideau d'eau. Nous quittons le chemin (pas vu de cairns…) et abordons une zone rocheuse chaotique et très pentue.

Le manque de visibilité et la difficulté du terrain nous font adopter une démarche déjà utilisée ensemble en montagne : je passe devant (j'ai la frontale la plus puissante), essaie d'apercevoir des cairns guidé par Denis, qui essaie de nous maintenir sur la trace GPS.

C'est très très éprouvant physiquement, car pour deux pas montés, je recule souvent d'un, mais aussi mentalement car il est impossible de prévoir et de se représenter le cheminement. Imaginez vous en train de marcher, yeux bandés, sur un terrain rocheux instable. J'ai l'impression de me fatiguer pour rien, pas de repère, seulement corrigé par Denis qui donne consignes et azimut (« essaie à gauche », « vise par là »). Il marche en tenant le GPS à la main, garder la trace est très difficile, je ne fait pas plus de 5 m sans l'attendre. Il faut vraiment vraiment « être fort dans la tête », je n'ai aucune idée de la distance ainsi parcourue, mais nos années d'expérience commune en montagne nous ont probablement permis de tenir dans ce moment.

Malgré ces difficultés, il faut croire que nous avons progressé car le terrain change peu à peu de nature : des névés (ou le glacier) et de plus gros blocs nous autorisent à marcher à peu près normalement. Nous ne mettons pas les crampons sur les pentes de neiges glacées, la pente est « supportable ». Nous devons ensuite louvoyer à travers d'énormes blocs, il faut parfois mettre les mains pour s'équilibrer ou sauter, mais comme nous sommes un peu protégés du vent, l'entrain et le moral reviennent.

 

Col de l'Argueray – 2853 m – environ 225 km.

 

Nous arrivons au col entre 23h et 23h30. La descente est au départ une succession de passages entre rochers mouillés, gros bloc et névés, avec parfois un peu de ramasse sans piolet et quelques sauts. Denis est repassé devant et continue à suivre la trace GPS. Ce serait impossible dans un tel environnement de nuit. Nous arrivons ensuite dans une zone d'alpages, il faut traverser des torrents (les pieds avaient commencé à sécher…) et passer des clôtures. Nous atteignons le point bas dans le début du fameux vallon interminable.

Nous nous arrêtons peu , uniquement pour faire le point sur la trace et pour trouver les meilleurs passages pour traverser les nombreux torrents qui parsèment cette zone. C'est le début de la dernière partie un peu difficile, la montée vers le col de l'Ouillon. Nous ne pouvons pas faire pire que ce que nous venons de vivre et pourtant, c'est à cette montée que faisait allusion le guide quand il nous enjoignait d'être forts dans nos têtes. Et nous comprenons assez vite pourquoi. Au début, cela fait du bien de marcher dans des alpages sur des pentes relativement douces, il y a bien quelques ressauts, rien de bien méchant. La lassitude nous gagne cependant très vite : la terre, l'herbe, tout est saturé d'eau, boueux, bouseux (oui les bouses!), le chemin se perd, il faut rester concentré lors des traversées de torrents, parfois assez larges. Les pieds sont bien entendus trempés, cela recommence à faire un peu mal, il fait nuit, la fatigue commence à se faire sentir. Je suis repassé devant, ma frontale nous permet occasionnellement d'apercevoir un cairn, mais dans l'ensemble nous procédons comme auparavant : Denis marche en lisant la trace sur le GPS et me lance dans la bonne direction. Il me fera essayer de tenir le GPS plus tard, afin sans doute de se reposer et je constaterai alors combien c'est difficile de marcher sans pouvoir se concentrer sur son pas dans des terrains difficiles. Encore chapeau l'artiste !

L'éternité, c'est long...surtout vers la fin a dit Woody Allen, j'ai le sentiment de ressentir l'éternité en remontant ce vallon du Versoyen (c'est son nom!). Il ne pleut plus, c'est le seul point positif : nos pieds, nos jambes sont trempés, chaque pas devient pénible car le sol est en dévers et piétiné par les animaux, il y a des trous et aucun appui franc.

Je suis constamment à deux doigts d'exploser, je pensais en avoir fini des difficultés !!! Je ne cesse de demander à Denis d'estimer la distance restante : « 3 lignes de niveau », « 2 lignes de niveau », « 2 lignes de niveau »… « Mais tu viens de le dire ! »...bref il y a beaucoup de parties « plates » dans lesquelles il est long et pénible d'avaler le dénivelé.

Un petit moment cocasse : le GPS indique que nous sommes au milieu d'un lac, c'est possible, effectivement c'est plat mais il n'y a pas d'eau quoique je nage dans mes chaussures.

Après un ultime ressaut de 70 m de dénivelé, nous arrivons au Col de L'Ouillon. Enfin !!!

 

Col de l'Ouillon – 2612 m – environ 235 km

 

Nous apercevons 800 m plus bas les lumières du vallon des Chapieux (ou des Glaciers) et, surprise !, les frontales des « cousins » UTMBistes. Je ne pensais pas en voir autant puisqu'à cette heure, il est environ 2h du matin, j'avais calculé que nous ne verrions que l'arrière-garde. En fait, nous aurons vu des concurrents très bien placés, le peloton étant très étiré après une cinquantaine de km.

La descente s'effectue sur un chemin bien tracé et marqué, un peu pentu toutefois et il ne faut pas encore relâcher l'attention, pourtant la fatigue devient très pesante. En fin de parcours, le dernier kilomètre avant le chalet des Mottets se passe à croiser et encourager les concurrents de l'UTMB qui doivent se demander qui sont ces olibrius qui descendent de ce col. La plupart ont des visages fermés qui ne montrent pas de plaisir. Est-ce la concentration sur l'effort ou, déjà, de la souffrance ?

Refuge des Mottets. J'arrête vite mes encouragements, beaucoup ne montrent aucune réaction, à côté de l'aventure que nous sommes en train de vivre, cette épreuve ne fait pas envie.

 

Refuge des Mottets – 1870 m – environ 240 km

 

L’accueil au Chalet des Mottets est assuré par deux sœurs, les filles des gardiens. Elles voient nos dossards : « Ah vous êtes les n°1, on vous a suivi », ça fait très plaisir ! Elles se mettent en quatre pour nous : un poële ronronne dans la pièce, nous nous empressons d'y poser nos affaires mouillées.

Maintenant que nous sommes en France, les chèques sont acceptés et nous n'avons plus de problème pour payer le repas...à 3 h du matin. Il aurait été dommage de s'en priver, c'est succulent : soupe garnie de légumes (ça change du saucisson et du fromage), saucisses et garniture à volonté, nous nous servons dans la marmite.

Il y a même des douches, nous ne les utiliserons pas, trop fatigués. Lorsque nous revenons de notre petite toilette (surtout les pieds pour moi!) nous voyons l'équipe Finlandaise « championne » en titre et j'entame la conversation à propos d'entraînement et de leur position dans la course, un classement inhabituel. Il s'avère que l'un des équipiers, Jann , est moins en forme que les années précédentes, l'âge, explique-t-il, et les problèmes intestinaux.

Il ne s'entraîne pas régulièrement, 2 à 14 fois par semaine, en fonction des objectifs et de la disponibilité et que le dénivelé le plus important qu'il répète est une côte de 60 m… Cet échange illustre l'esprit qui anime les équipes, et la course en général, convivialité, rencontre, sont des mots importants.

Nous allons nous coucher entre 4h et 5h, dans le dortoir réservé, quasi vide, il ne fait pas chaud et c'est un dortoir « à l'ancienne » et je ne suis pas mécontent de pouvoir me recouvrir de 4 ou 5 couvertures. Malgré ces précautions, le froid me réveillera plusieurs fois.

Nous avons prévu 2 h de sommeil, et à 7 h, Denis donne le signal du réveil. Les batteries sont un peu rechargées, c'est la dernière étape dans mon esprit. Nous dormirons à Chamonix la prochaine fois !

 

Nous repartons entre 8 h et 8 h30, en direction d'un dernier juge de paix : le col d'Enclave, qu'il est fortement déconseillé de passer de nuit. Pour l'instant, la montée est relativement débonnaire au milieu des alpages, nous ne suivons plus forcément la trace de JCM car il a la fâcheuse tendance à couper dans la pente – nous apprendrons plus tard qu'il a fait la trace à ski de rando – et ni Denis, ni moi surtout, n'avons les jambes « conquérantes ». En effet, ce matin, même si le mental va bien, le corps commence à accuser un peu le coup, les articulations et les muscles un peu mais surtout les ampoules sont bien réveillées et les alpages sont encore un peu humides…

Nous quittons assez vite un chemin 4x4, il y a des bergeries, pour une ligne de cairns assez nette qui doit nous mener au col. Denis me montre l'aiguille des glaciers qui resplendit au soleil levant. Nous traversons une nouvelle zone minérale au dessus d'un lac, nous avons suivi le sentier qui est en dévers et passe par quelques gros blocs, et nous apercevons en dessous de nous une équipe qui a choisi l'option « basse » et longe le lac en marchant sur des névés.

 

Col d'Enclave – 2672 m – environ 245 km

 

Il est environ 10 h, ça y est je me dis que c'est fini !!! Nous dominons les lacs Jovet, j'avais beaucoup imaginé cet endroit alors que je rêvais me préparais mentalement devant ma carte en relief du massif du Mont-Blanc. Je ne suis jamais venu dans cette région, le Beaufortain « est ». Nous dominons, de très haut, les lacs Jovet et dans mon esprit, la course est finie, il ne reste en effet plus de difficultés majeures. Mais en regardant le début de la descente du col, je comprend que ce n'est pas tout à fait le cas...il n'y a aucune trace et la pente est très sévère dans un pierrier. Heureusement qu'il fait jour et beau, quelques heures plus tôt ça aurait été très compliqué. Après une courte pause, nous nous engageons « dré dans l'pentu » et je suis moins à l'aise que Denis qui a pris une dizaine de mètres d'avance. Je m'efforce de le recoller pour des raison de sécurité car le terrain est très instable. Assez vite, nous entendons le bruit de l'équipe que nous avons aperçue plus tôt près du lac. Elle ne s'engage pas dans la pente mais bifurque sur la gauche du col. Après quelques minutes passées à bien « parpiner », Denis confirme que la trace passe effectivement sur la gauche et qu'il faut s'appuyer sur une crête rocheuse. Il lui était impossible de lire correctement le GPS dans un tel environnement. Nous payons à nouveau l'absence du road-book et de ses information précieuses, les cartes et le GPS sont insuffisants seuls.

Nous rejoignons la barre rocheuse à gauche où le sol est plus stable et dans laquelle se dessine une vague sente, sans être très évidente car cela reste bien raide, c'est sans commune mesure avec ce que nous quittons. L'équipe concurrente nous rejoint en bas de cette partie raide juste avant de retrouver le sentier menant aux lacs Jovet. Nous avons déjà croisé ces deux gars : l'un d'eux nous avait encouragé et décrit la section qui allait suivre à Morgex. L'équipe s'appelle les « va comme je te pousse » , n°83, c'est l'équipe du « Janus barbu ». Nous discutons un peu, tous s'accordent pour dire que cette section a été très, et peut-être trop, « montagne » et qu'il y aura probablement des polémiques. Apparemment, il y a déjà eu des plaintes d'équipes au sujet de la difficulté générale et même des blessés. Ils nous décrivent la suite de l'itinéraire, qu'ils ont déjà reconnu et chacun poursuit à son rythme, c'est à dire que Denis et moi nous retrouvons seuls.

Enfin, seuls, c'est relatif, car nous avons définitivement basculé du côté de la civilisation. Nous croisons de plus en plus de randonneurs. Certains nous demandent leur chemin et nous saluent, d'autres nous ignorent. Au niveau des chalets de Jovet, nous prenons un court moment le GR menant au col du Bonhomme, à rebours des UTMBistes de la nuit puis nous bifurquons vers le col de Fenêtre. Après une longue et difficile descente, j'ai toujours un peu de mal à enclencher le mode « montée », mais cette courte et simple ascension vers ce petit col me semble pénible. Mon mental n'est fort que dans l'adversité semble-t-il. La dernière base-vie nous tend les bras, un col à passer, elle n'est plus loin, 50 km environ, de Chamonix, mais pourtant cela me semble bien long et je ne cesse de jeter un œil sur mon altimètre pour me convaincre que nous avançons.

 

Col de la Fenêtre – 2245 m – environ 250 km

 

Nous atteignons le col de la Fenêtre, qui porte bien son nom, vu son étroitesse, dans le temps prévu.

Il ne nous reste plus qu'une traversée d'environ 3 km jusqu'au col du Joly où nous pourrons nous reposer et manger. Le chemin est facile et nous ne traînons pas, nous croisons et dépassons (si! ) quelques randonneurs. Il y a quelques variations de dénivelé, nous dominons le paysage bucolique du Beaufortain, le lac artificiel de la Girotte. Il y a des vaches, au niveau du téléphérique du col, donc des bouses, ce n'est pas une section mémorable. Je chute bêtement (trop pressé de manger?) au pied de la dernière butte qui domine le col du Joly.

 

Col du Joly – 1989 m – environ 254 km.

 

Je suis un peu déçu en arrivant à la base-vie, car je pensais que nous occuperions une partie du chalet qui occupe le col, mais non la base-vie est une tente, comme à Champex, qui a servi également à la TDS quelques jours plus tôt. Je pense à m'allonger pour faire la sieste depuis au moins le col Fenêtre et en arrivant, je vois que des lits da camp sont installés au soleil devant la tente, mais je n'aurai pas l'occasion de m'y installer.

En effet, ma première préoccupation en arrivant concerne l'état de mes pieds. Alors qu'une bénévole allait s'occuper de donner des soins à Denis, en voyant leur état pendant que j'enlevais mes chaussettes, elle commence par moi et sors sa trousse médicale. Nous discutons naturellement, je suis bavard et j'ai été sevré ces derniers temps...elle s'appelle Cécile, est pharmacienne à Chamonix et m'explique que les soins que j'ai pratiqué sur mes ampoules ont fait plus de mal que de bien. Je mettais du compeed dessus sans les avoir forcément percées au préalable. Du coup, j'ai des énormes ampoules aux talons et de multiples « ampoulettes » ailleurs. Mais les crevasses qui sont apparues entre certains orteils, et qui sont de loin les plus douloureuses lui causent plus de soucis : en gros, on ne peut rien faire, il faut juste essayer de maintenir les orteils écartés et secs...Je suis un peu gêné d'être soigné ainsi, et le lui dis, mais elle répond qu'elle est là pour ça. Une nouvelle fois les bénévoles rencontrés sont incroyables de générosité. Nous papotons, elle fait plusieurs fois allusion à la crainte que l'ambiance se détériore dans l'équipe de la PTL après le décès de JCM. Nous discutons avec les autres personnes présentes, des coureurs de la TDS qui sont passés de l'autre côté après avoir profité de cette halte quelques jours avec notre passage. Nous changeons de balises émettrice car nous apprenons que celle que nous portons a de nouveau dysfonctionné, nous ne sommes pas chanceux de ce côté. A ce propos, une pensée m'a plusieurs fois traversé l'esprit : que ces absences d'émission et de suivi par le PC course ne jette un doute sur notre parcours. Nous avons tenté de réaliser le parcours le plus loyalement et honnêtement, et l'esprit de compétition qui a été présent au début de notre marche n'est plus le moteur principal. Pour être plus précis, ce qui me tient à cœur, c'est de réaliser un « beau » parcours, me prouver que nous pouvons le faire. A notre arrivée, les « va comme je te pousse » étaient sur le départ et nous avons brièvement discuté avec leurs compagnes qui les ont assisté à cette base-vie. Les bénévoles présents sont un peu partagés au sujet de cette notion d'assistance, car ils ont entendu parler d'abus qui se seraient déroulés dans les différentes éditions de la PTL. Il est vrai que j'ai vu les hongrois se faire masser par des accompagnants à Morgex et je me souviens de la remarque ironique de Denis il y a deux ans alors que nous croisions une équipe attablée près de la gare de Martigny en train de déguster des melons...Arès une heure de buffet froid et de bavardage, nous repartons. Il est 13 h 30, je n'ai pas dormi, nous avons changé de balise, mangé, sommes réchauffés. Je me sens frais psychologiquement et physiquement. La pause m'a fait du bien. Nous n'avons plus de difficulté majeure, objective, à affronter. Mon beau-père, Francis, a certes évoqué les arêtes du Joly, que nous allons aborder, en des termes peu amènes lorsque la pluie vient. Ce ne sera probablement pas le cas, le temps est variable, je n'ai pas de crainte. Chamonix est en vue !!

Quelques minutes après notre départ, nous sommes rattrapés par le bénévole qui a changé notre balise : elle n’émet pas. Décidément, nous collectionnons les balises défectueuses. Nous n'avons pas été suivis durant notre traversée Bourg-Saint-Pierre – Col d'Annibal – Etroubles pendant 14 heures, ce qui m'a valu un SMS mémorable de Muriel, que je n'ai reçu qu'à notre retour en France : « Vous êtes où, bordel !!! » je cite. Nous avons disparu également entre le col Fenêtre et le col du Joly. Nous repartons après vérification du bon état.

Je suis toujours étonné par la vitesse de progression d'un marcheur, pour peu qu'il soit régulier. Le bénévole a dû en effet bien s'employer et courir pour nous rejoindre alors que nous n'étions partis que depuis quelques minutes. Nous entamons l'ascension de l'arête Aiguille Croche (que nous longeons par le dessous) – Mont Joly. Le temps est variable, nous sommes dans la brume, ou les nuages, et apercevons parfois le versant Megève, à l'ouest dans les trouées, c'est bien raide et aérien. Par contre le chemin est sans trop de difficulté, un peu monotone même, pas de grosse côte mais une succession de petites bosses, nous ne pouvons profiter de la vue qui doit pourtant être magnifique sur le Val Montjoie et, peut-être, les Aravis.

Plusieurs fois, au cours de notre périple, en Italie notamment, nous nous sommes demandé ce que Christophe avait fait après notre séparation. Nous n'avions aucun contact avec la France. Denis serait rentré à la maison à sa place, je pense que je serais rentré également. La réponse nous est venue finalement dans la montée qui a suivi le Chalet des Mottets :

un SMS de Muriel, nous a appris qu'il arrivera de Chamonix à notre rencontre, je m'attend à le voir vers le col de Tricot.

 

Mont Joly – 2525 m – environ 260 km

 

En fait, nous le rejoignons plus tôt : nous croisons, ou plutôt devinons, un randonneur dans le brouillard lors de notre passage près d'une antécime du Mont-Joly. Il nous interpelle, c'est Christophe !

Il semble en pleine forme ; il vient de Bellevue et va nous accompagner jusqu'à Chamonix, une cinquantaine de kilomètres au total...

Il nous raconte comment sa semaine s'est déroulée. Récupération les deux premiers jours, la tendinite s'est calmée immédiatement. Suivi de la course au PC, l'équipe n'avait pas besoin de l'aide qu'il a proposée. Montée à Bellevue, au dessus des Houches puis attente.

Nous avons maintenant un « super-pacer », il est frais, connaît le parcours, ce qui n'est pas du luxe, mais j'avoue que je suis content que l'équipe soit reconstituée mais n'ai pas envie de me reposer sur lui, toujours pour garder une forme d'éthique de course. Il me faudra un petit moment pour passer psychologiquement d'un groupe de 2 à un groupe de 3, un rééquilibrage est nécessaire. Christophe prend la tête, il a beaucoup d'énergie et de fougue, je le comprends, son attente a dû être longue et il a fallu qu'il digère sa déception. Nous nous racontons nos jours de séparation.

Durant la traversée, l'action m'a un peu fait oublier le mal au pieds, plus précisément l'envie d'en finir domine la douleur. Mais dans la descente jusqu'au hameau de Tresse entre Saint-Gervais et Les Contamines le mal se réveille, je suis obligé de faire une pause « douleur » un peu avant que nous traversions le champ de boue laissé par le passage des UTMBistes que Christophe nous fait remarquer.

C'est la fin de l'après-midi, il est environ 18h30 et il ne nous reste qu'une dernière montée en deux phases, routière de Tresse au village de Miage puis plus alpine avec le franchissement du col de Tricot.

La première partie est avalée sur un rythme bien soutenu, que je suis content de suivre, j'ai l'impression que nous nous tirons un peu la bourre. Nous nous arrêtons pour manger dans le village de Miage, un peu maladroitement devant l'entrée du « restaurant ». Ce sera notre dernier repas : pain, saucisson, fromage. Le classique que nous prenons depuis quatre jours à chacun de nos arrêts « pique-nique ». Une équipe nous dépasse, des italiens que nous avons déjà croisé, nous nous souhaitons bonne route et continuons notre repas. Plus besoin de se presser, plus de compétition. Nous les voyons s'attaquer à la dernière ascension : le col de Tricot. Christophe évoque une origine possible de ce nom, les lacets qui tricotent le montagne. Après trois quarts d'heure d'arrêt, nous avons fini notre repas et repartons. Il est environ 20h30. Comme après chaque repas, j'ai les jambes un peu coupées, mais cette pause a eu surtout un effet négatif sur mes pieds. La montée, raide et tortueuse, qui suit devrait bien se passer je pense car les ampoules au talon sont bien tenues et il y a peu de frottements. Je marche plutôt sur la pointe des pieds pour les soulager ce qui me laisse pressentir une fin de parcours difficile avec toutes ces descentes. Les crevasses aux orteils font mal. Dans cette montée, nous croisons des hardes de bouquetins vraiment pas farouches, un beau mal a eu des réticences à nous laisser passer près de son harem.

 

Col de Tricot – 2120 m – environ 275 km

 

Nous atteignons le col vers 21h – 21 h 15, il est temps de mettre la lampe frontale. Pour une fois, je demande une pause pour me masser et soulager mes petons. Cela ne suffit pas. Dés les premiers mètres de plat ou de descente, la douleur devient intense et je commence à gémir, voire à ronchonner à haute voix. C'est très frustrant car je me sens encore relativement en forme mais je pense ralentir l'équipe à cause de ces fichus pieds. Le terrain n'est pas vraiment méchant, mais comme ce n'est pas un sol régulier, les changements d'appuis me font énormément souffrir. Même si l'arrivée est proche, je suis à deux doigts de « péter un câble » et de m'arrêter. Nous nous arrêterons deux fois entre le col Tricot et la gare de Bellevue. J'ai juste envie d'en finir. Denis nous avait annoncé une section en traversée globalement descendante, mais dans mon état psychologique, les moindres déclivités deviennent insupportables car elles nous ralentissent. Je n'apprécie même pas la traversée « légendaire » de la passerelle suspendue. La courte remontée, 100 m de dénivelé, vers la gare de Bellevue est un calvaire. Maintenant nous dominons la vallée de l'Arve, Chamonix et ses lumières sont réellement en vue ! Je suis déchiré entre la joie, il ne peut plus rien nous arriver, et la douleur.

 

Bellevue – 1801 m – environ 278 km

 

Si la section précédente fut difficile sur le plan mental, que dire de celle-ci ?

D'abord qu'une descente qui commence par un faux plat légèrement montant augure mal de la suite. Le point positif est que ma douleur va se transformer peu à peu en colère, nous sommes sur un sentier très plat avec de trop nombreux lacets inutiles qui ne nous font pas gagner de dénivelé alors que le bourg des Houches est 800 m plus bas. J'en ai tellement assez que je brusque un peu mes coéquipiers pour avancer plus vite, je suis passé en tête. Je cours parfois et en viens même à couper les lacets en m'engageant dans des raccourcis scabreux. Nous avons atteint la forêt, il y a beaucoup de racines. C'est humide et donc glissant, un peu piégeux. Mon humeur massacrante semble déteindre un peu sur mes compères et Denis est aussi énervé. Nous arrivons aux premières maisons du village des Houches où des épouses de concurrents attendent leurs maris. Elles nous félicitent et nous offrent des coupe-faim, ce qui fait plaisir et me fait oublier quasi-instantanément mes récents mauvais quarts d'heures. Est-ce la proximité de l'arrivée ? Mes douleurs disparaissent durant la traversée des Houches. Nous devons rester encore concentrés sur l'itinéraire mais tout devient beaucoup plus facile maintenant, il y a de la lumière, plus besoin de regarder où poser le pied, des appuis sûrs. Nous croisons quelques fétards, il est presque minuit un samedi soir après-tout !

Un autre élément qui facilite notre avancée, nous retrouvons les traces de la TDS de plus en plus nombreuses. Nous suivons en effet l'itinéraire de cette belle course depuis Bellevue au moins et j'ai une pensée pour les coureurs « véritables » qui sont passés par ces chemins, notamment la dernière descente.

Nous traversons l'Arve et l'autoroute et puis c'est le dernier virage à droite pour s'engager sur le sentier qui longe la rivière et qui doit nous mener jusqu'à Chamonix. Il faut rallumer les frontales. Je commence à ressentir une vraie fatigue, le cerveau commence à débrancher les connexions et je suis heureux mais surtout pressé d'en finir. Il reste huit kilomètres de chemin à priori débonnaire, mais dans notre état de fatigue rien ne l'est. Denis accuse le coup, mais Christophe aussi bizarrement et je me prend en main pour maintenir le rythme du groupe. J'ai l'envie secrète de confirmer notre belle position.

Je passe par tous les états possibles sur le plan du mental : de l'euphorie, du renoncement, et lorsque j'écoute mon corps, de la douleur. Ce qui provoque cela est simplement la facilité du terrain, car il n'y a plus besoin d'être concentré et donc l'esprit divague…

Nous discutons bien entendu, de tout, des souvenirs des courses et nous meublons comme nous pouvons. Nous en venons à chanter des titres phares des années 80, du Goldmann...et même des comptines enfantines ! Nous jouons également au jeu des devinettes : donne moi une lettre...le G...un chanteur…Gainsbourg !

Les premières maisons de Chamonix arrivent, nous rentrons dans la ville. Les rues sont désertes. On est loin de l'arrivée triomphale que j'avais imaginée. Nous avons un petit défi : arriver avant 1h00 du matin, ce qui ferait 128h depuis notre départ. C'est l'horaire « idéal » que nous avions imaginé dans nos courriels avant course. Christophe se demande s'il doit finir avec nous. Pour moi, c'est évident qu'il le doit. Il a effectué la partie la plus difficile en course sous la pluie et nous aura accompagné sur la fin, une centaine de kilomètres au total.

Derniers hectomètres, je reconnais les immeubles qui jouxtent la place du triangle de l'amitié. Tout est allé plus vite que je ne l'avais imaginé, dernier virage à gauche, c'est l'arrivée. Il est 23h44, nous avons bouclé en 1h30 les huit derniers kilomètres. Temps de course 127h44 au total.

 

Chamonix-1035 m – environ 300 km...

 

Je me tourne d'abord vers Christophe, je ne peux qu'imaginer les sentiments par lesquels il passe. Nous nous serrons la main. Je me tourne ensuite vers Denis, j'espère qu'il ne l'a pas mal pris. Nous nous serrons encore simplement la main, qu'ajouter de plus ? Rien ne se passe comme je l'avais prévu. L'animateur qui accueille les concurrents des différentes courses rappelle aux spectateurs présents les caractéristiques de notre petite ballade, puis nous passe le micro. Il nous pose une question beaucoup trop précise : « citez les trois meilleurs moments ». Je m'y colle et arrive à vaguement trouver deux moments, mais impossible de rassembler mes idées. Trop de choses à dire. Parler est trop réducteur. Je finis sur une faute de goût, je remercie les bénévoles extraordinaires au micro, mais oublie JCM.

Christophe me dira ensuite qu'il a trouvé ce que je disais trop convenu...tu parles, avec si peu de sommeil j'ai oublié de dire tout ce que je porte depuis trois jours.

Pas de réelle cérémonie pour les équipes PTL qui arrivent, les coureurs UTMB qui arrivent sont dans les trois cents premiers, certains exultent. Nous saluons les quelques bénévoles de la famille PTL qui sont restés pour nous accueillir, prenons notre polaire « finisher » verte, qui va bien avec le tee-shirt jaune, les couleurs du Brésil. Pas si moche en fait.

Une petite collation rapide à l'arrivée, la petite bière, les boissons énergétiques, nous récupérons nos sacs au PC course puis nous dirigeons vers le lycée pour manger. Nous avons encore nos dossards et les passants qui nous croisent cette nuit nous félicitent. Ce sont pour la plupart des personnes qui attendent des proches coureurs UTMBistes. Quoi qu'il en soit, je me sens un peu dans la peau d'une vedette grâce à tous ces inconnus qui nous saluent.

Nous arrivons au restaurant du lycée où nous avons mangé le mardi précédent, c'était il y a cinq jours...Il reste ouvert pendant les nuits et les journées d'arrivées des concurrents à toutes ces courses, il faut reconnaître que cette grosse organisation est bien rodée et que l'accueil et le confort du coureur sont des points qui comptent, on en a, au moins en partie, pour son argent. Bref, au restaurant nous tombons sur l'équipe « vas comme je te pousse » avec laquelle nous avons fait un petit bout de chemin. Ils sont arrivés 25 minutes avant nous. Nous nous installons ensemble et discutons naturellement, ainsi que nous l'avons fait depuis le départ avec tout le monde. Ce sont des haut-alpins, de Gap je crois, ils ont fini un UTMB en 28h (!!!), ainsi que le triathlon d'Embrun : « le truc que tu dois faire quand tu es dans les Hautes-Alpes ». J'obtiens la réponse à la question directe que je lui pose : « Janus » est « Janus », la moitié du visage rasée, à la suite d'un pari avec des collègues. Il travaille dans le secteur social et au boulot ils sont tous un peu « déjantés » et se lancent des défis pour pimenter la vie. Nous nous souhaitons au revoir, ils ne pensent pas refaire cette course, nous admettons tous que c'était quand même un peu compliqué et engagé par moment.

A la sortie du restau, un peu inattentif (un peu fatigué?), je me cogne violemment le genou contre un bloc rocheux et me retrouve complètement par terre un peu ahuri. Un peu de bobo, mais je suis trop las pour avoir trop mal. Nous allons nous coucher dans le dortoir immense qui occupe le gymnase du lycée Quelques concurrents UTMBistes dorment déjà sur les nombreux lits de campings installés dans la salle. Un bénévole nous accompagne gentiment vers les douches chaudes dans ce véritable labyrinthe qu'est devenu l'ensemble sportif après le début des festivités. Christophe ne nous a pas suivi immédiatement, il profitera des douches plus accessibles mais froides. La douche est agréable mais je ne m'éternise pas, je commence assez vite à avoir froid.

Rincé, je retrouve le lit, rassemble mes affaires, mets les bouchons anti-bruit (il y a des ronfleurs…) , me pose une couverture sur les yeux et sombre...

Réveil, vers 7 h 30...plus l'habitude de dormir autant. Nous allons prendre notre petit déjeuner au self du lycée. Il y a des arrivants de l'utmb qui croisent des arrivés de la PTL, tous portent la fameuse polaire verte « finisher ». Beaucoup, dont je fais partie, sont fiers. Nous avons le sentiment d'être dans une famille un peu à part.

Assez vite, nous envisageons le retour. Notre train est planifié pour le début d'après midi, avec une arrivée sur Paris prévue en milieu de soirée, mais Denis est pressé car il doit encore faire un changement à Angers. Il va essayer de changer ses billets. Avant cela, nous devons passer remercier le personnel et les bénévoles au PC course car nous ne pourrons pas rester pour la remise des prix (et monter sur le podium). Nous allons en profiter pour chercher notre lot « spécial » PTL : la cloche. Il y a très peu de monde au centre de suivi, l'ambiance est calme. Nous voyons les équipes encore en course et les abandons qui sont listés sur un grand tableau blanc...la n°1 a fini...c'est nous.


En passant par la gare, Denis voit qu'il peut anticiper son départ (c'est plus pratique pour rentrer à Angers) et nous quitte avant 9h00. Peu d'effusions, pas son genre...nous sommes fatigués.

Je passerai une partie de la matinée à l'infirmerie pour me faire soigner l'ampoule et le genou. Pas de gros dégâts.

Nous rentrerons ensuite avec Christophe qui me servira de chaperon, à peine dans le train à crémaillère, après avoir eu mon père au téléphone (il m'apprend le décès d'un oncle), je m'écroule. Christophe me guidera jusqu'au TGV et nous aurons une sérieuse discussion sur la sécurité et sur son abandon.


Il me faudra plusieurs jours pour me remettre physiquement, par contre je pense que j'ai pour toujours laissé une partie de moi là-haut...il faudra que j'y retourne pour essayer de me retrouver.


 

8 commentaires

Commentaire de kelek posté le 19-08-2015 à 13:44:50

merci pour ce récit. beaucoup d'émotions dedans... on avait l'impression d'y etre !

Commentaire de benoitb posté le 19-08-2015 à 14:08:34

Super récit, belle description des états par lesquels on passe lors de ces aventures "extrêmes". J'ai retrouvé certaines sensations éprouvées lors de mes diagonales des fous, même si la PTL, c'est juste plus de 2 fois plus long !

Commentaire de pinafl posté le 19-08-2015 à 14:51:11

J'ai assisté au départ de la PTL en 2013, je voyais ça plutôt comme une balade entre copains, on se promène dans la montagne, on prend son temps pour manger et pour dormir... j'étais un peu loin de la vérité en fait :-)
Ce qui n'apparait pas clairement dans le récit c'est que vous portez le dossard n°1, mais que vous finissez n°1! Même si l'épreuve n'est pas officiellement une course, belle remontée depsuis la 12ème place!

Commentaire de bubulle posté le 19-08-2015 à 22:14:57

Superbe récit, merci. Il faudra que j'y revienne plusieurs fois pour tout emmagasiner car....qui sait? Un jour peut-être convaincrai-je quelqu'un(e) de tenter le coup ?

Et le plus amusant c'est qu'au final, tu ne dis même pas à quelle "place" vous terminez car on a l'impression que ça n'a plus d'importance....:-). J'ai vraiment énormément regretté, sur cette édition, de ne pas arriver à attendre l'arrivée "en tête" des Célestes : ça s'est joué à quelques dizaines de minutes.

Commentaire de tintinmar75 posté le 20-08-2015 à 08:52:17

En fait comme vous l'avez compris, l'ordre d'arrivée importe peu...il n'y a pas de classement et c'est tant mieux car dans les passages très limite ce serait dangereux de vouloir aller vite. Par contre il est vrai que nous sommes tous un peu compétiteur et que cela aiguillonne bien, mais au fur et à mesure que nous progressons, on oublie la place. PS: nous serions 6ème ou 5ème temps. Quoi qu'il en soit, si on aime la montagne, c'est un truc à vivre, mais il faut y aller dans l'optique "longue rando en montagne".

Commentaire de lemulot posté le 20-08-2015 à 09:16:39

Sacrée aventure, ça donne envie. Peut-être dans quelques années qui sait, si l'épreuve existe encore, dans ton CR tu écris que certains bénévoles ne sont pas optimistes sur la pérennité de l'épreuve suite à la disparition de JMC, le vrai test se sera cette édition 2015 finalement qui aura été organisé entièrement sans lui. En tout cas merci encore, sur des grandes aventures comme ça on laisse toujours un peu de nous là-haut et c'est bien comme ça.

Commentaire de Benman posté le 21-08-2015 à 09:51:27

Quelle aventure! Merci d'avoir pris le temps de nous la faire partager

Commentaire de Potamochere posté le 24-08-2015 à 10:26:03

C'est fabuleux d'écrire pareillement ! Quel récit exceptionnel !

Tu n'as pu prendre autant de notes durant ton périple ! quel est ton secret ?
Bravo !!!

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