Récit de la course : Grand Raid des Pyrénées - Ultra 160 km 2025, par Gilles45

L'auteur : Gilles45

La course : Grand Raid des Pyrénées - Ultra 160 km

Date : 22/8/2025

Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)

Affichage : 182 vues

Distance : 160km

Objectif : Pas d'objectif

5 commentaires

Partager :

143 autres récits :

De retour pour un cinquième !

En attaquant ce récit du GRP 160, je réalise que le temps file à une vitesse folle. Mon dernier « 100 miles » achevé en passant l’arche remonte déjà à… 2022. Et devinez quoi ? C’était déjà le GRP. Bref, avec cette année ce sera le 5 ème, on peut dire que je suis fidèle.

(Si l’orga veut me faire une ristourne sur les prochains dossards je prends…) 😬

Entre temps, même si j’habite la région centre (désespérément plate) je n’ai pas passé mes week-ends à tricoter non plus : j’ai enchaîné quelques beaux morceaux, mais sans remettre les pieds sur un format qui t’oblige à jouer les cabris pendant 35-37h.

En 2023, j’ai avalé les 110 km / 7900D+ de l’Ultra Trail de Corse (un menu corsé, sans jeu de mot).
En mai 2025, c’était les 110 km / 7700D+ de l’Ultra des Bauges : moins technique mais tout aussi digeste niveau difficulté.
Le reste ? Des « petites promenades » entre 80 et 100 km type Vulcain, Templiers, UTPMA… bref rien qui dépasse 24h.
Sinon…depuis fin juillet j’ai 50 piges…ça joue aussi…

Ma dernière tentative sur un 160, c’était l’an passé… mais un traître de trou planqué dans la descente d’Hautacam a eu raison de ma cheville (bon, pas que… j’avais aussi foiré l’alimentation et l’hydratation depuis le début de course – voir le feuilleton 2024 pour les curieux).

Ah, et petite parenthèse : malgré mes 1,6 % de chances au tirage (merci le 1RS), j’ai été sélectionné pour l’UTMB. Oui oui, j’avais presque oublié que je m’étais inscrit. Mais impossible de me motiver à cliquer sur « confirmer » :

D’abord parce que le GRP, c’est mon chouchou et j’ai une revanche à prendre.
Ensuite, parce que la foule chamoniarde m’angoisse de plus en plus… et que le grand écart entre les discours « écolos » et les 70 % de coureurs venus de l’étranger commence à piquer. « Rien de personnel » comme on dit dans les films, j’ai adoré finir en 2019, mais l’envie est passée. J’offrirai donc mon dossard (et ses 600 €) à un heureux chanceux. 

Cette année sur le GRP, changement de stratégie : mode finisher only.

Exit la chasse au chrono ou au classement.
Pas de montre, téléphone en mode avion, juste moi et mes jambes.
Pas de contact avec famille et amis…bulle 100% hermétique
Je pars tranquille, loin du premier tiers, pour éviter la descente aux enfers psychologique quand tout le monde me double en cas de coup de mou. Mieux vaut partir un peu derrière et tenter une petite remontada, ça flatte l’ego. 

Bref, mon dossard me donne la 138ᵉ place théorique sur 1000. Mon plan : viser plutôt la 200-250ᵉ au départ, histoire de ne pas me laisser aspirer par le train express du début de course.

Côté préparation, pas de miracle mais pas de catastrophe non plus :
Les + : Aucune blessure (je touche du bois… ou alors c’est mon régime végétarien depuis 6 ans qui fait des miracles ?)
Trois dossards cette année : Vulcain, Bauges et UTPMA (abandon, mais avec quand même 90 km dans les pattes).
1500-2000 km de vélo de route en juin/juillet pour muscler la machine.
Une semaine dans le Sancy avec 10 000 de D+ avec le toutou/pacer.
Et surtout, un vrai signe que je suis plus focus qu’en 2024 : j’ai fait et refait mes sacs de BV dix fois au moins. L’an dernier, j’y étais allé la fleur au fusil.
Cerise sur le gâteau moderne : j’ai même suivi un plan d’hydratation concocté par… ChatGPT. Première fois que je me préoccupe sérieusement de ce que je bois avant une course. Rozanna et Saint-Yorre sont devenues mes meilleures amies la semaine précédente.

Les – : « Seulement » 35 000 D+ au compteur cette année. Pas fou.
Pas de stage Corse intensif comme d’habitude.
Beaucoup (trop) de boulot et de stress.
Pas d’assistance familiale (et je sais que sans eux, en 2024, je n’aurais peut-être pas bâché).
 

Mais malgré tout ça, je me sens confiant. Cette fois, je prends le GRP comme une grande rando organisée. Logistique nickelle : merci Zucchini, qui court le 120 et a eu la bonne idée de louer un appart à 1 km du départ/arrivée. Finies les nuits glaciales ou étouffantes dans ma Quechua : on s’embourgeoise ! Et puis partager les jours d’avant-course à deux, ça évite de trop cogiter.

Veille de course

Cette année, pas question de revivre le sketch de 2024 (arrivée la veille du départ à 16h, galère totale pour placer la tente, choper le dossard dans une cohue indescriptible). Là, j’ai prévu large : arrivée dès le mercredi, histoire d’être zen comme un moine tibétain.

Résultat : 7h de bagnole à 110 sur l’autoroute, installation peinarde à l’appart, deux-trois courses, lecture, dîner, dodo. Rien d’exotique, mais terriblement efficace.

Merci encore à Zucchini pour l’appart à 1 km du départ : pas glamour (au bord de la nationale entre Saint-Lary et Bourisp), mais côté logistique, c’est le jackpot. On évite les embouteillages pré- et post-course. Et puis bonus 2025 : Vielle-Aure m’a semblé moins bondée, sûrement parce que certaines arrivées ont été déportées ailleurs.

Jeudi, veille de course : couché à 22h mais réveil beaucoup trop tôt, 3h15 du matin (merci le stress), mais journée cool. Le Zucch débarque vers 11h30 avec le kangoo tuning, on file direct au retrait des dossards. Et là… bim, la file d’attente XXL. Apparemment, les bénévoles bataillent avec l’informatique. On se dit qu’un tableau papier et un Stabilo auraient été plus rapides, mais bon, Livetrail doit amener pas mal de contraintes techniques j’imagine.

Avec Citron (voir ci-après) on déconne en se disant que le GRP a dû embaucher des consultants Mc Kinsey pour optimiser le retrait des dossards : « on vous propose une nouvelle organisation moins bien et beaucoup plus chère » 😀).

Je déconne car franchement au-delà de ces bug c’était top avec des bénévoles désarmants de gentillesse

La dotation ? Toujours sympa : T-shirt, pâté, bière, saucisson. On papote donc avec Citron, inscrit sur le 120, qu’on retrouvera plus tard dans la bagarre (chapeau à lui d’ailleurs, vu sa prépa.. ? juste un Eco trail dans les pattes !).

Nb pour Citron : Cloclo m’a dit à merlans que tu étais juste derrière moi ; heureusement que tu ne m’as pas rattrapé, tu faisais la gueule à priori :-)

Retour appart : glandouille, papotage et montée de stress progressive. Le Zucch, lui, c’est le roi de l’intendance : glacière, ventilo, matériel en béton, et surtout… un peignoir en satin digne d’un croisement improbable entre Rocky Balboa et DSK. Je vous laisse imaginer la scène. J’ai loupé la photo, dommage c’était collector

Soirée veillée d’arme classique : dîner, reste jeté à la poule du rez-de-chaussée (la mascotte du séjour), puis dodo à 21h. Enfin, “dodo”… j’ai encore raté l’épreuve la plus compliquée de l’ultra : dormir la nuit avant la course. Résultat, 45 minutes de micro-sommeil et une longue discussion avec mon plafond jusqu’au réveil à 3h. Et pendant ce temps j’entends le Zucch qui ronfle. Le veinard.

Je ne me formalise pas, j’ai désormais l’habitude

Le départ

Petit dej’ costaud (café, brioche, confiture), équipement, et direction la ligne. Grâce à la proximité de l’appart, je suis en avance : 4h15 déjà sur place.

Deux infos de dernière minute au briefing :

On se coltine une rallonge de 800 m pour cause de travaux (même pendant la course je n’ai pas capté où ils étaient ?).
Les 2 L d’eau obligatoires, ce sera seulement sur Sencours–Hautacam. Mais je décide quand même de partir chargé : petit spoiler, j’ai bien fait.
Côté météo ? Parfait pour moi : frais, sec, un peu nuageux. Pas trop chaud (mon ennemi numéro 1), un peu frisquet la nuit mais rien qui n’oblige à faire plus que le combo gilet + manchettes + t-shirt manches courtes.

Comme prévu, je pars planqué en fond de premier tiers. Coldplay dans les enceintes, le speaker qui s’enflamme, et hop, c’est parti pour 160 bornes de montagnes russes. Objectif unique : tenir, et aller au bout.

Premier tiers : l’échauffement version GRP

La montée vers le Merlans ? Tranquille. Sentier large, pas technique, et les frontales du peloton suffisent, je n’allume même pas la mienne avant le Plat d’Adet. Mais attention : j’ai déjà cinq GRP au compteur (un daron quoi !!), et je sais que ce début est le piège absolu. Tu te grilles avant La Mongie et tu le payes cash à Sencours et surtout dans la traversée interminable vers Hautacam.

Je joue donc la prudence. Pas de bâtons pour commencer (l’an dernier, ils m’avaient plus emmerdé qu’autre chose). Et finalement, courir sans, ça revient vite.

Ambiance sympa : je monte avec un gars en relai qui a carrément une enceinte. Kill Bill, NTM à fond dans les oreilles…bon je ne viens quand même pas là pour faire du trail en musique… 50 ans, je dois commencer à être « vieux con ».

Arrivée au Merlans, soupe directe, fromage, tucs. Je sais que l’alimentation, c’est ma clé. Petit bonus 2025 : des sirops aux ravitos ! (citron et fraise). Parfait pour mes flasques neuves qui sentent encore le plastique.

Je pointe 230ᵉ : nickel pour ma stratégie. Les autres années, j’étais 70ᵉ, et je finissais cuit..au 70ème. Cette fois, tout roule. Ma femme m’avait écrit par SMS « Mental, mental, mental » : je le répète comme un mantra, ça va durer 36h.

La suite ? Bastanet et ses cailloux glissants : je descends prudemment, j’admire les lacs (vides ou non…Le lac de l’Oule ainsi me désespère), et j’avance.

C’est toujours aussi beau par contre

Puis arrive Serpolet, humide et boueux, mais je grimpe tranquille. Il est traitre celui-là car il y a deux ou trois replat qui laissent à croire que le sommer est atteint…bah non !

Dans la descente, tout le monde finit les fesses dans l’herbe au moins une fois. Les bénévoles avaient prévenu

Enfin, La Mongie ! Cette fois, je m’arrête vraiment, je mange. Soupe, tucs, fromage, coca. Je pointe à 10h32, 20 min plus lent que d’habitude. Mais franchement, je m’en fous : prudence avant tout.

Et ça tombe bien : la suite, c’est mon segment préféré.

La Mongie → Hautacam : la partie “travail de sape”

Après la pause à La Mongie, je repars rechargé. Et mentalement, je suis bien : j’attaque mon segment préféré du GRP. Descente cool vers le Pont des Vasques, puis l’interminable grimpette vers Sencours : 800 D+ mais pas de quoi paniquer si tu trouves ton rythme.

Je cale ma marche sur celle d’un coureur local. On papote, il me dit deux-trois trucs… je retiens surtout qu’il monte facile, et moi aussi même si on se fait déposer par les seconds relayeurs du 160X4. Le brouillard nous enveloppe, j’entends le téléphérique du Pic du Midi sans le voir. C’est un repère car je sais que sous le câble il reste 1,5 km…problème avec le brouillard, je ne le verrai jamais.

Bonne surprise : le col arrive plus vite que prévu.

Au ravito de Sencours, je respecte la tradition : assiette de purée. Et là, bonheur absolu, tout passe nickel. Estomac calé, moral gonflé. Je repars avec mes 2 L d’eau comme demandé.

Petit moment d’égarement : je rate une bifurcation et file sur un mauvais chemin, heureusement sifflé par des randonneurs. Mais globalement, je suis métamorphosé par rapport à 2024. Je cours toutes les sections plates et descendantes. Preuve : 5h pile entre Sencours et Pierrefitte, contre 6h30 l’an dernier.

Les montées de Bonida et Aoube ? Avalées sans problème, le brouillard évite même de voir les “murs” qui nous attendent. Descente joyeuse vers les lacs, puis Col de Bareilles, check. Pause rapide pour soigner mes pieds qui chauffent.

Ensuite, Hourquette d’Ouscouaou, et hop, direction Hautacam. C’est roulant, joueur, je me régale. J’arrive à 15h55, et surprise : j’ai déjà gagné une soixantaine de places. Tranquille mais efficace.

Hautacam → Pierrefitte : la revanche

Sur le papier, c’est 10 km de descente facile. Dans la vraie vie… c’est ici que j’ai explosé ma cheville l’an dernier. Du coup, je descends crispé comme si je marchais sur des Lego. Singles boueux, dévers douteux, branches coupées à la tronçonneuse juste pour nous… bref, ambiance. Je n’aime pas mais je ne pense pas que l’organisation ait beaucoup d’autres alternatives pour nous faire descendre vers la BV.

Quand j’atteins enfin les chemins “normaux”, je souffle comme si j’avais déjà fini la course. Villelongue, petite grimpette perfide de 65 m D+ (merci l’organisation pour ce cadeau vicieux qui surprend toujours les novices du 160), et me voilà à Pierrefitte.

Fin du premier gros tiers : je suis entamé, normal, mais surtout pas démoralisé. Zéro pensée d’abandon. Déjà une victoire.

Plan initial : rester 30 min au poste. En vrai ? 47 min. Pas d’assistance, ça prend plus de temps. Mais j’en profite pour :

Manger comme un ogre (pâtes, fromage, pastèque, coca, café),
Douche pieds et jambes (merci mes tongs planquées dans le sac),
Change complet de fringues,
Et bonus inattendu : un passage chez le kiné. Une torture / bénédiction de 20 minutes. Je crois même avoir somnolé pendant le massage tellement ça m’a fait du bien.
Moment culte : un bénévole hurle dans la salle « le bus des abandons part dans 5 minutes, qui monte ? ». Silence total. Personne ne lève la main. La fierté collective à son sommet.

Pierrefitte → Estaing : première salve nocturne

Je repars à 18h20, un peu angoissé mais serein : j’ai fait ce qu’il fallait. Première bosse : Puy Droumidé par le Turon de Bène. Pas un nom de Pokémon, mais presque. Début raide, droit dans la pente, je serre les dents. Ils sont fous ces traceurs !

Sortie de forêt, grande prairie d’altitude, petit vent frais, ça fait du bien. Deux heures à monter dans ma bulle, et finalement, sans même m’en rendre compte, j’attaque la descente.

Au départ c’est super facile et agréable, on est essentiellement sur du chemin forestier.

Ensuite, forêt dense, frontale obligatoire car c’est le noir total en un éclair me semble-t-il. Bref, c’est humide, glissant, technique. Et cerise sur le gâteau : ma première batterie me lâche au bout de 30 min. Obligé de passer à la seconde. Gros stress, prions pour qu’elle tienne la nuit entière.

J’arrive à Estaing à 21h30, ambiance embouteillage : voitures partout, accompagnants en pagaille, coureurs slalomant comme des cabris sous amphétamines.

Ravito royal : crêpes Nutella ou fromage, soupe, tucs, bref le festin. Mais je reste raisonnable, j’opte pour du salé. Je sais ce qui m’attend.

Estaing → Ilhéou → Cauterets : le juge de paix

Sortie du ravito, 5 km plats et tranquilles jusqu’au lac d’Estaing. Marche rapide, bâtons, ambiance posée. Puis… la montée redoutée. Un gars du coin m’accompagne. Je lui dis « surtout, ne me raconte pas ce qui nous attend ». Il se tait. Gloups.

Et en effet… c’est violent. Première partie raide dans les bois, seconde partie à découvert où tu vois les frontales là-haut et tu te demandes si ce n’est pas un avion. 2h de montée, personne ne parle, tout le monde est concentré. Enfin… miracle : le col ! On n’ose pas y croire. Minuit.

Descente annoncée comme “interminable” par mon guide local. Spoiler : il avait raison. Le refuge d’Ilhéou (le bien nommé) me semble au bout du monde. Je l’atteins à 0h50, rincé mais content : +38 places dans la montée.

La suite jusqu’à Cauterets, c’est une descente technique, sans répit, parfois scabreuse. Des passages à flanc, des désescalades glissantes, tout ce qu’on aime… ou pas. Concentration maximale, je suis en mode robot. Ça commence à bien tirer sur les quadris.

Enfin la ville. 2h11 du matin. J’entre au ravito, vidé mais heureux : sur les trois KV nocturnes, je viens de passer le pire.

Cauterets : le gouffre mental (mais pas pour moi)

Cauterets, c’est le genre d’endroit où beaucoup de coureurs laissent leur âme. Ravito bien fourni, ambiance un peu froide, fauteuils moelleux et surtout… la tentation d’arrêter là. Mais moi, je suis bien. Soupe, fromage, coca. Je change mes chaussettes pour la 2ᵉ fois et ça repart.

Je ne reste que 15 min. Quelques encouragements au passage, et je me relance dans la nuit. Prochaine mission : le col de Riou. Moins raide, plus en lacets, mais encore un gros morceau.

Et là je me dis : “Allez, encore un KV, et je sors de la nuit.”

Jusqu’ici, ça avait presque l’air idyllique, non ? Eh bien pas tout à fait… Car c’est justement dans cette montée en douceur, en lacets bien sages sur un large chemin, que le manque de sommeil décide de me tomber dessus comme un couperet. Je suis seul, aucune frontale devant, aucune derrière : ambiance “solo mode activé”. La pente est tellement faible que j’ai l’impression qu’il va me falloir une éternité pour avaler ces 1000 mètres de D+.

Heureusement, l’arrivée sur l’estive de Riou me colle une bonne claque d’air frais — de quoi me réveiller un peu — et, cerise sur le gâteau, les pourcentages se corsent enfin. Ça pique sur la fin, mais au moins ça grimpe vraiment, et je finis par passer le col.

Cette fois, pas de détour par Aullian : on file direct sur Béderet par un petit 1,5 km de chemin roulant et plutôt rapide. En débarquant au ravito, un drôle de constat s’impose : “Ce que tu redoutais le plus est derrière toi”. Et cerise dans la soupe (littéralement) : de mémoire, c’est là qu’on trouve la meilleure du parcours.

La descente vers Luz, je la connais déjà, et elle n’a pas changé : une succession de passages sur le GR10, souvent glissants et pleins de pièges, entrecoupés de traversées de route. Ensuite, il faudrait encore courir dans les villages avant Luz… sauf que, soyons honnêtes, je n’y arrive pas vraiment. Résultat : 1h30 pour descendre de Béderet. Pas catastrophique, pas brillant non plus. Disons… “correct, sans plus”.

Sur cette deuxième base de vie, il faut quand même avoir le mental bien accroché, parce que l’ambiance n’est pas vraiment digne d’une kermesse. Heureusement, côté buffet, c’est encore du haut niveau : il y a tout ce dont j’ai besoin pour repartir.

Avant d’en profiter, direction le “service technique” : petit arrêt médical obligatoire, réparation du véhicule.
Au départ, j’hésite à refaire un tour chez le kiné ou le podologue. On me dit qu’il y a de la place, mais condition imposée : d’abord passer par la douche. Problème… elle est sur le parking, et moi je n’ai pas de tongs. Bref, j’abandonne

Heureusement, j’avais eu une lueur d’intelligence en glissant deux rouleaux d’élasto dans mon sac de BV. Du coup, je me bricole deux énormes pansements sous les talons et sous les coussinets. Mais à la vue de la tronche de mes pieds, je me dis que j’ai attendu beaucoup trop longtemps… Résultat : je vais souffrir sur mes appuis jusqu’à la fin de la course. Bravo champion !

J’avais prévu 30 minutes d’arrêt, mais selon le Livetrail, j’en mets 34. je prends ça comme une victoire.
Et je l’avoue : j’ai un peu joué avec le règlement. Mon sac me scie littéralement les épaules, alors j’ai fait du tri sauvage dans le matos obligatoire : adieu gants, pantalon, couche chaude et vieille lampe en fin de batterie. Pas sûr que la commission de contrôle applaudirait, mais bon…

À la sortie de la BV, surprise : le jour est levé ! Et pour fêter ça, je pars en discutant avec un coureur belge. Évidemment, on parle vélo : le Tour, Van Aert… Bref, la routine.

Cette section, c’est un peu comme un film d’auteur : il faut deux lectures pour l’apprécier.
En première lecture, rien de bien excitant : une étape de transition, sans grand intérêt. Douze kilomètres de montée progressive, 800 mètres de D+ avalés en longeant la vallée pour rejoindre Tournaboup. Bref, le parfait combo pour râler du début à la fin.

Mais voilà… avec déjà 130 bornes dans les jambes, je bénis presque l’organisation de ne pas nous avoir infligé la montée vers la Glère comme l’an dernier. Et rien que pour ça, je range mes doléances au placard.

Alors oui, c’est longuet, pas très fun, et impossible pour moi de relancer sur le plat (mon Belge en profite pour me coller 20 minutes dans la vue). Mais au fond, je prends ça comme du bonus : du kilomètre qui défile sans heurts, de la pente facile à digérer.
Résultat : ces 800 mètres-là ? À peine sentis passer. Presque une formalité.

Mais au GRP, rien n’est jamais simple. À peine arrivé à Tournaboup, je me prends deux petites claques dans la figure.

1/ Premier coup : un bénévole m’annonce qu’il n’y aura ni eau ni ravitaillement à Aygues Cluses. Pourtant, j’ai bien mes deux litres sur le dos, mais cette info me stresse immédiatement. Comme si soudain, mon eau s’était transformée en sable dans la gourde.

2/ Deuxième coup, bien plus douloureux : en allant remplir mes flasques à la fontaine, je laisse innocemment mon sac et mes bâtons NEUFS sur un banc. Quand je reviens… horreur : les bâtons ont disparu. Pas l’ombre d’une blague, je suis en sueur rien qu’à l’idée. Je fais le tour, je harcèle gentiment les voisins de table qui me livrent une piste façon “Cluedo des montagnes” : « C’est un jeune parti il y a 5 minutes, sa femme est blonde, et il mangeait des fraises Tagada… ». Sérieux, avec ça je fais quoi ? Une alerte enlèvement ?

Sur le banc d’à côté, je repère des bâtons semblables aux miens… mais version précédente, un peu old school. Les voisins me confirment que ce doit être les siens, je décide de les embarquer. Pas très fair-play peut-être, mais on n’allait pas lancer une médiation internationale pour ça.

J’aurais pu tenter de repartir pleine balle pour rattraper l’individu aux fraises Tagada, mais c’était clairement jouer avec le feu : mal se ravitailler ici, c’était condamner ma fin de course. Car à Tournaboup, le message est clair : « il reste 7 heures »… et sous le cagnard, avec le prochain ravito à 5 heures de route.

Résultat : je ne reverrai jamais le mystérieux voleur. Ni mes bâtons flambant neufs. Paix à leur âme.

Il s’en passe de choses en 11 minutes de pause !

La suite est à la fois terrible… et magnifique : la montée vers Aygues Cluses. Je suis quand même assez fier de moi : j’arrive à mettre de côté l’épisode des bâtons. Mieux encore, je les range soigneusement ceux de mon « voleur » pour éviter de les abîmer — et, entre nous, ils ne servent pas à grand-chose ici.

Et puis, survient la scène la plus improbable de ma course. Pour ceux qui connaissent le chemin de pierre après Pountou, imaginez : je lutte sur ce sentier à peine praticable quand j’entends derrière moi… une voiture. Oui, une vraie voiture, ou plutôt un Trafic estampillé « Secours en Montagne ». Là, je me dis : « Non, impossible, le type ne passera jamais… ». Et effectivement, malgré tous ses coups d’accélérateur, le pauvre reste planté dans la caillasse. D’un côté, j’ai été franchement diverti par le spectacle, de l’autre, j’avais quand même une petite pensée inquiète pour la personne qu’il était censé secourir.

Dans cette montée, je suis en mode gestion pure. Pour la première fois, je ressens vraiment la chaleur : il est autour de 10h/11h, et le soleil cogne fort. Avec tous les troupeaux qui traînent dans le coin, inutile d’imaginer boire directement au torrent… alors je sirote mes gorgées au compte-gouttes et j’avance à mon rythme.

Petit lot de consolation : on réattaque 24h plus tard le splendide massif du Néouvielle. À chaque pas, le paysage me scotche… et heureusement, parce que cette cabane, qu’est-ce qu’elle est longue à arriver !

Et là, surprise : juste derrière le gros refuge, une table posée comme par miracle, avec des bénévoles et quelques bonbonnes d’eau. Jackpot : 500 ml offerts à chacun.
Je papote avec un bénévole très sympa tout en… “nokant” mes pansements. Oui, j’avoue, j’imite les kinés que j’ai déjà vus faire ça. Sauf que chez moi, ça fait un peu bricolage sauvage. La suite me donnera raison et parviendra à soulager les talons.

Ce super bénévole m’indique la direction de la Hourquette Nère car je n’arrive pas à la resituer visuellement malgré mes précédentes venues, normal, elle est dans un renfoncement et n’est pas encore visible

Allez, courage ! Plus qu’une dernière grosse bosse technique avaler, ces fameux 300 mètres de D+ qui paraissent gigantesques quand on les a sous les yeux. J’adore cette section : on peut voir de très loin les coureurs précédents grimper en ligne droite, comme des fourmis accrochées à la pente. Comme je l’ai déjà écrit dans mes anciens récits du GRP : le secret, c’est de fixer ses pieds. Tu lèves les yeux trop souvent et ton moral prend l’ascenseur… mais vers le bas.

Le col, heureusement, arrive assez vite. Et là-haut, bam : la vue te coupe littéralement le souffle (comme si j’en avais encore beaucoup de disponible, d’ailleurs). Je m’auto-motive : « Allez, plus que 4 heures d’effort ! ». Facile à dire…

Car la suite est une vraie zone piégeuse : une descente raide dans la caillasse, suivie d’un long passage descendant entre rivière, rochers et racines. Avec mes panards explosés, chaque saut de pierre en pierre est un mini-casse-tête. Et toujours cette peur de la cheville qui lâche à la dernière minute. Résultat : concentration maximale, limite en apnée.

C’est pile à ce moment-là que je me fais déposer comme un amateur par… Rachid El Morabiti, le vainqueur du 80. Le gars me double façon TGV alors que moi je fais plutôt draisine fatiguée. Impressionnant. Une aisance quasi irréelle, comme s’il flottait au-dessus des cailloux.

Je n’ai qu’une hâte : atteindre le lac de l’Oule. C’est le panneau “sortie de secours” de cette dernière section technique. D’après mon chrono approximatif, il me faut bien 1h30 avant d’attaquer enfin la montée vers Merlans.

Et là, surprise : cette petite bosse de 200D+ passe crème. Après tout ce qu’on a encaissé, c’est presque une formalité, une montée “roulante” comme on dit. L’arrivée sur l’alpage ressemble à une délivrance.

Cerise sur le gâteau : je fais la rencontre de Cloclo. On ne se connaît pas, mais nos couvre-chefs respectifs servent de carte d’identité. Sympa comme tout, il me donne quelques infos sur les autres concurrents. Merci Cloclo ! D’une gentillesse absolue. J’espère avoir été un compagnon de route assez bavard pour mériter la discussion.

À Merlans, je sais tout de suite qu’il faut faire le deuil de ma descente supersonique de 2022 : 1h47 jusqu’à l’arrivée, j’avais littéralement volé à l’époque. Cette année, avec mes pieds en charpie et mes quadris façon jambon cru, inutile d’espérer rééditer l’exploit. Du coup, je prends le temps de savourer ce dernier ravito comme il se doit : pastèque à gogo et coca à la louche.

Je pense à Zucchini, qui a dû en finir avec son 120, et je lui envoie un petit lien Strava, sait-on jamais, histoire qu’il puisse me voir débouler sur la ligne. Tiens, première fois que je rallume mon tel depuis 34h…On s’en passe finalement.

Puis j’attaque la remontée des 180D+ sur la piste de ski. Surprise : en montée, ça répond encore pas mal ! Je me mets même à tracter trois coureurs… sauf que ce sont des dossards rouges. Grrr. Voilà l’instinct de compétiteur qui ressurgit, pile au moment où je croyais avoir basculé en mode “zen finish”.

L’orga annonce 12 km jusqu’à Saint-Lary. Moi, je sais très bien qu’il y en a plus de 14. On ne me la fait plus.

Et c’est parti : fini le D+, place aux 7 km en balcon. Je trottine avec un coureur du 120, les massifs à droite et à gauche me coupent littéralement le souffle. Mais la fête se termine au fameux virage du cap de Pède : d’un coup, droit dans la pente vers Soulan. Les quadris hurlent de douleur, mais tant pis : je me lance et cours autant que possible, doublant 3 ou 4 coureurs au passage. Cela dit… qu’est-ce que c’est long. Saint-Lary paraît toujours terriblement bas !

Et puis, enfin, la délivrance : Vignec ! Fidèle à ma tradition, je m’offre une petite toilette rapide à la fontaine à l’entrée du village. Ça fait partie du rituel. La suite, c’est du bonheur pur: trottiner le long de la Neste, porté par les encouragements des spectateurs.

L’émotion monte d’un cran : j’ai pris ma revanche sur 2024 et c’est aussi une première sans assistance s’il vous plait !.

Le centre du village est noir de monde, l’ambiance est incroyable, et je profite pleinement de chaque seconde de cette arrivée.

Il est 17h14. Je passe la ligne, heureux, fier, vidé, mais comblé par le travail accompli.

La suite ne pouvait être que belle :
On se retrouve avec David / Zucchini qui a lui brillamment réussi son 120. Une belle revanche, après nos gamelles respectives de 2024. D’ailleurs, il me rappelle qu’à peine quinze jours après notre double échec, on avait déjà réservé un logement à Vielle-Aure pour 2025… preuve qu’on avait quand même sacrément la rage.

Je tente un appel micro pour mes bâtons au cas où…bon, tout ne peux pas être parfait

La soirée est douce : douche salvatrice, récupération des sacs de BV (merci à Zucchini pour le service taxi en Kangoo), et chouette dîner à l’appart. Bon, j’avoue, j’ai un peu bâclé la partie “dessert” avec un magnifique : « David, j’en peux plus, je vais dormir. » La priorité, c’était l’oreiller.

Le lendemain matin, à 7h, chacun reprenait sa route, la tête et le cœur remplis de souvenirs.

Vive le GRP.

Bravo à l’orga un quasi sans faute
Et surtout : merci les bénévoles. Sans eux, cette aventure n’aurait pas la même saveur.

 

 

 

 

5 commentaires

Commentaire de godas posté le 25-08-2025 à 22:12:08

Bravo Gilles45
Belle course bien gérée !!!
Bon cloclo t'a un peu aidé en te prévenant que j'étais sur tes talons et je te soupçonne d'avoir accéléré la dernière descente pour que je ne puisse pas te rattraper...
(Bon en fait tu avais le temps - j'ai fait une section aygues Cluses - le Merlan assez catastrophique où tu m'a pris 25 mn ; pile ce que je suis arrivé à te reprendre sur la descente final où j'ai pu déroulé à fond...) Et au final j'arrive 30 mn derrière toi...
Mon récit arrive bientôt
Bonne récup

Commentaire de godas posté le 25-08-2025 à 22:55:04

Bravo Gilles45
Belle course bien gérée !!!
Bon cloclo t'a un peu aidé en te prévenant que j'étais sur tes talons et je te soupçonne d'avoir accéléré la dernière descente pour que je ne puisse pas te rattraper...
(Bon en fait tu avais le temps - j'ai fait une section aygues Cluses - le Merlan assez catastrophique où tu m'a pris 25 mn ; pile ce que je suis arrivé à te reprendre sur la descente final où j'ai pu déroulé à fond...) Et au final j'arrive 30 mn derrière toi...
Mon récit arrive bientôt
Bonne récup

Commentaire de Miche posté le 26-08-2025 à 08:22:24

Merci pour les photos, c'est vraiment cool. Celle de la Hourquette Nère est la plus faite de tous les coureurs je crois. J'aime bien le "Un gars du coin m’accompagne. Je lui dis « surtout, ne me raconte pas ce qui nous attend ». Il se tait. Gloups." Ca résume bien cette section que je savais difficile. Je n'avais pas assez de bénévoles pour mettre un ravito solide à Ilhéou mais je sais qu'il aurait été bienvenu.
Pour Aygues Cluses et son hélico qui n'a jamais décollé (on avait rempli les bag le mardi), ce fut dur autant pour vous que pour les bénévoles qui se retrouvaient à poil. Mais les coureurs ont suivi les consignes de bien se charger à Tournaboup et s'est passé.
Pour des habitués comme toi, je vais me motiver pour proposer le 220 en 2027 ou 28.

Commentaire de coincoin29 posté le 26-08-2025 à 11:38:35

Super CR d'un kikoureur modeste malgré la solidité des perfs pour le commun des mortels! Les photos sont magnifiques, on dirait que tu as même eu le temps de faire des réglages "lumière" :-). Bonne récup!

Commentaire de grumlie posté le 26-08-2025 à 18:12:26

Mais non, les traceurs ne sont pas fous ;-) Merci pour ton récit et ta fidélité.

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.04 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !