L'auteur : Citron
La course : Grand Raid des Pyrénées - Le Tour des Cirques
Date : 22/8/2025
Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)
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Distance : 129km
Objectif : Terminer
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De Janvier 2023 à Août 2025 : Aventure pré-course
Ce n'est pas le résultat qui compte, mais le chemin pour y parvenir et le chemin, ... pas simple.
En 2022, j'avais fait le tour du Moudang en moins de 12h. En 2023, j'avais l'intention de faire le tour des lacs, mais la naissance de mon troisième enfant m'en a empêché. Du coup, en janvier 2024, sans transition, je décide de m'attaquer à l'ultra trail, en prenant mon ticket pour le tour des cirques. À peine le dossard acheté, je gagne le dernier tirage au sort pour le marathon pour tous des JO deux semaines avant le GRP. Ça me fera un mois d'août 2024 très chargé, mais l'olympisme ne se refuse pas.
Toute la première partie de l'année jusqu'en mai, la prépa se déroule comme sur des roulettes: beaucoup de sorties longues, aucune douleur, aucune blessure, le paradis du trailer. Mais fin mai, première douleur sous la fesse. Douleur qui me semble à ce moment-là anodine. Je continue à m'entraîner en baissant le volume. Fin juillet deuxième douleur, j'ai toujours la gêne sous la fesse, mais j'ai en plus une douleur au mollet.
Comme je le fais d'habitude, je soigne cette douleur en courant. Mais pas comme d'habitude, ça me fait de plus en plus mal. Je vais voir deux osteos qui me manipulent et qui n'arrange rien, les douleurs s'accentuant après consultation. J'abandonne l'idée d'être un athlète olympique et me concentre sur être en bonne forme pour l'ultra. Je finis par voir un docteur à Saint-Lary qui me manipule lui aussi et prescrit une échographie. Après avoir renoncé à faire le marathon pour tous, la douleur étant trop forte, je renonce aussi à mon ultra, ce qui clôt tristement la saison de 2024.
À mon retour des Pyrénées, je vais faire l'échographie et on me diagnostique une phlébite. Arrêt total de la course. Je me soigne jusqu'à mi-octobre, et reprends très progressivement la course comme conseillé par les médecins. Toutes les douleurs sont parties, même celle sous la fesse, mais les sorties sont ridiculement courtes et la progression atrocement lente. Faut pas prendre de risques.
Petit à petit, ça revient et c'est décidé, il faut que je me venge : je progresse jusqu'à obtenir un niveau raisonnable pour me réinscrire à la boucherie de fin août. Tirage au sort. Victoire. Je serai de l'aventure sur le tour des cirques en 2025. Et là, la préparation se passe encore mieux que celle de l'an dernier, j'enchaîne les sorties longues et un week-end choc avec un volume de quasiment 1200 km et 40000d+ entre janvier et fin avril. Mais ça recommence, la douleur au niveau des fesses.
Je prends encore du temps (trop !) pour considérer cette gêne comme il se doit et ne cherche pas trop de solution en espérant que ça parte tout seul, mais ce n'est pas le cas. Un jour, au détour d'une conversation sur l'efficacité que peut avoir l'IA à faire des diagnostics médicaux, je m'y essaie, et entre autres suggestions, ChatGPT propose la tendinopathie au niveau de l'insertion de l'ischio-jambier qui avait été relativement écartée l'an dernier par le médecin du sport suite à une échographie n'ayant rien révélé. Je regarde les symptômes précisément et franchement, ça colle !
Comment ça se soigne ce truc ? L'IA, toujours, et internet sont formels, le renfo. Horreur ! On n'aime pas ça, mais je ne peux pas essuyer deux DNS en deux ans. Donc je m'y mets, j’enchaîne progressivement les exercices aussi ludiques qu'une réunion de copropriété. C'est pénible, mais petit à petit, j'y prends un peu goût, quand on drogue régulièrement le corps aux endorphines, il réclame son shoot, même si « c'est pas de la bonne ». Le volume de course à pied est drastiquement réduit, mais pour garder du volume sportif, je fais de la marche, du vélo, le renfo et quand même un peu de course. Et finalement à 2 semaines du jour J, je fais une sortie longue de 32km et 600d+, c'est lent car dès que je mets de l'amplitude dans les pas, ça picote encore sous la fesse, mais ça tient.
Alors on reprend confiance et on fait de l'« affûtage », si tant est qu'il ait quoi que ce soit à affûter, en attendant le jour J.
Jeudi 21 Août
Récupération du dossard le matin en famille et, dans l'après-midi, remise du sac base vie avec Zucchini et Gilles45, blabla autour de la stratégie de course, de la condition physique. Je sens bien un léger scepticisme dans leurs yeux à l'écoute de ma prépa, mais on essaie de faire semblant d'y croire. De toutes façon, l'objectif de 30h du printemps s'est transformé en un objectif de prendre le maximum de plaisir et, si possible, d'arriver au bout. On parle aussi d'autres trucs qui font oublier le trail et ça fait du bien.
La nuit est bonne, je dors 4h30 de rang et 2h de plus en courant alternatif. Ce qui est nettement mieux qu'il y a 3 ans pour le TDM. (j'avais du dormir que 2 à 3h de sommeil fractionné)
Vendredi 22 Août
Réveil à 4h30, au lieu de 5h prévu à la montre. Tant pis, 2 gâteaux de riz, une banane, 1 café. Je me force un peu, mais je me dis que tout ce qui est mangé là, n'est plus à manger pendant la course.
7h02 Départ Piau Engaly
Départ comme convenu avec Zucchini qui m'accompagne sur cette boucle, dans le calme : petit trot jusqu'au début de la côte et on marche, on ne va pas se griller km 1. Et c'est parti pour 45/50 min de montée en rando blabla photo, ça rigole, c'est détendu, ça fait du bien à la tête. Descente tout aussi calme. Je m'arrête juste avant le ravito pour serrer mes lacets (je me balade trop dans mes chaussures et je sens que ça chauffe), Je ne reverrai plus Zucchini de la course, pas grave... L'avenir nous montrera que j'avais pas un TDC en 30h dans les jambes, contrairement à lui.
Piau 8h14
7,2km 576m+ 577m- 548°
01:12:35
Montée vers le point culminant de la course, le port de Campbieil, dans le trafic, c'est la queue leu leu et on se met dans le rythme de sénateur de la 2ème moitié du peloton et ça me va très bien, ça monte tranquille, sans accroc. Pour le moment, tout se passe bien. Arrivée en haut, tourisme de masse : tout le monde sort son téléphone et immortalise la mer de nuages des deux côtés du col.
Fin de la récré, il faut descendre, descendre et encore descendre (1700m-), musculairement, tout va bien, mais je me trouve trop serré dans mes godasses, les lacets me font un peu mal. Je réessaie de les nouer, en serrant davantage au niveau des orteils et en desserrant à mesure de remonter vers la cheville, c'est mieux, mais pas top. J'arrive en bas plutôt frais, en ayant gagné quelques places malgré mon problème technique.
Gèdre Aller 11h23
25,1km 1431m+ 2290m- 509°(+39)
4:21:12
Ravito rapide (dizaine de minutes) et c'est reparti, je me souviens assez peu de cette section, je devais être en auto-pilote total : 10km 800m+ en 2h et quelques. Si on déduit le ravito, c'est plutôt très correct. Je gagne énormément de places et de toute évidence mon cerveau s'était fait la malle, je n'ai pas grand chose à raconter sur ce passage à part que la remontada fantastique continue. Je mange la concurrence comme un Pac-man. Trop facile l'ultratrail, … pour le moment.
Gavarnie 13h42
35,3km 2286m+ 2775m- 452°(+57)
6:39:56
On attaque la grimpette au chalet de Pailla, en passant devant l'attraction de la course, le cirque de Gavarnie. Je ne l'avais vu que sur des photos. Eh bien, c'est nettement plus impressionnant en vrai, j'en prends plein les yeux, les quelques nuages se sont dissipés à mon arrivée pour faire voir le spectacle grandiose de ce mur séparant la France de l'Espagne, c'est vraiment fou comme paysage et à ce niveau là, j'ai ma première réflexion « no feel good » de la journée : « si j'abandonne, au moins j'aurai vu un truc incroyable, mon temps n'aura pas été complètement perdu ».
Bon, ce n'est pas tout ça, mais il y a quand même un trail à finir, je cesse de m’arrêter tous les 20 pas pour faire une photo parce que « peut-être bien que l'angle est mieux d'ici », je zigzague entre les touristes et direction le chalet, ça monte et je suis toujours assez bien, je poursuis la remontée et gagne encore quelques places. Je ne le mesure pas exactement, mais je sens bien que je vais un peu plus vite que la moyenne de mes concurrents directs, c'est très agréable, bon pour le moral et je n'ai pas l'impression que ce soit coûteux en énergie. J'arrive au Chalet et me rends compte que je suis exactement dans les temps de ce que j'avais prévu pour faire 30/31h. Est-ce que je vais réussir l'exploit de valider mon objectif malgré la préparation catastrophique que j'ai vécue ?
Chalet de Pailla 15h08
41,2km 2831m+ 2941m- 422°(+30)
8:06:44
Puisque tout va bien et que Gèdre se trouve à 19km avec 800m+ et surtout 1600m-, je décide de prendre mon temps, je m'arrose et me sustente. Je n'en ai pas encore parlé, mais je suis mon plan nutrition comme je l'avais prévu :
- du sucré entre les ravitos : alternance gels, pâtes d'amandes, barres céréales toutes les 45 minutes.
- essentiellement du salé pendant les ravitos : soupe, jambon, tucs, quelques fruits secs et ce qui me fait envie. Je me force toujours à manger un peu plus que ce que j'ai envie pour ne pas manquer.
Bref, au sortir du ravitaillement, le tiers de la course est validé en 8h et, hormis ce petit souci d'inconfort de laçage, le plan est plus que respecté, je pars donc à la conquête de l'hourquette d'Alans et là encore, ça roule, ça avance comme je veux, je m'arrête deux fois en chemin pour prendre des photos, remettre de la crème anti-friction sur les pieds et relacer une n-ième fois les sabots, mais les kilomètres s’enchaînent à un rythme réjouissant. Je suis ravi.
Cet excès d'enthousiasme va prendre fin au moment de la descente vers Gèdre, l’enchaînement de deux descentes interminables, les genoux qui sifflent s'ajoutant aux pieds qui chauffent dans des ces p... de chaussures qui serrent trop au niveau du haut du laçage et qui me lacèrent le pied auront raison de ma bonne humeur. Je repense à Gilles45 qui la veille me parlait de son scan corporel en 4 points (pieds, jambes, ventre, tête). Si 2 de ces points ne vont pas, disait-il, alors ça commence à être chaud. Très bien, je m'analyse :
Tête: 8/10
Ventre : 10/10
Jambes : 6,5/10 (musculairement tout va bien, mais les genoux...)
Pieds : 3/10
Bon bah, c'est moyen, on est pas loin d'avoir deux trucs qui déconnent. Mais bon, je n'y suis pas, alors on continue... Sur une parcelle un peu plus roulante je papote avec un minot que je mentalise directement : dans une de ses phrases, j'entends « moinsse », je lui demande s'il vient du Gers, il est sur le cul, « comment tu sais ça ? », un magicien ne révèle jamais ses secrets. Ça m'amuse deux minutes, mais on ré-attaque une pente descendante difficile et il s'échappe, moi je me mets à alterner trot et marche, puis je continue en marchant et, enfin, m'arrête...
J'ai des douleurs aux pieds, aux genoux et la tête commence à me faire mal... Allez ! On continue et je me dis qu'il faut me changer les idées. Un peu de musique ferait du bien, mais je suis le genre de hippie qui dit que ça gâche la connexion avec la nature et gnagnagna... Qu'est-que je peux m'énerver parfois. Alors, je me suis mis à chanter à haute voix pour m'entendre. Le problème, c'est que je connais peu de chansons, alors je chante ce que je connais : No Doubt - Don't Speak, Pink Floyds – Another Brick in the Wall, Noir Désir – Un homme pressé (c'est drôle ça) que je connais plutôt bien puis d'autres chanson avec la moitié des paroles en yaourt, mais je me lasse vite, alors ça finit avec Francis Cabrel en faisant de la air-batterie avec les mains et des « AUX CHAMPS ELYSEES, PAPA PA PAPA » faisant naître l'inquiétude dans les yeux de trailers me dépassant en aisance.
Ah, ça y est... Enfin Gèdre... ouf !
Gèdre Retour 19h41
60km 3648m+ 4507m- 496°(-74)
12:39:15
Longue pause, coup de fil à la famille, bisous aux enfants qui vont se coucher, mon fils de deux ans répète ce que disent ses deux sœurs : « HAHÉ PAPA », ça fait chaud au cœur, mais va falloir lui apprendre à articuler. Après un bisou de ma dulcinée, je me nourris bien et repars en marchant sur du plat le temps de digérer. Ça va mal, mais pas assez pour abandonner, on prendra une décision à Luz après une douche, un repas tranquille et une sieste. Autour de moi, ça marche aussi en partant du ravitaillement, ça me rassure. Au bout d'un moment, comme c'est plutôt roulant, je me mets à trotter et ça suffit à dépasser quelques coureurs, ça fait du bien à la tête.
Et puis, ça monte et la nuit tombe, et en montée, ça va : je suis fatigué, mais aucune douleur, sauf encore à la tête. On continue donc la montée, en compagnie d'un Isérois fort sympathique, Ludovic, les pas sont lourds mais ça avance tranquillement en papotant et je ne vais pas moins vite que les autres, c'est peut-être ça l'ultra-trail, de la randonnée très longue, alors je prends mon mal en patience jusqu'à la bascule 400m+ plus haut et là, ça descend et tout se réveille, le cauchemar recommence dès les premiers mètres de la descente. Je serre les dents et commence à légèrement déprimer. Ludo après 30min/1h de blabla, s'est lui aussi échappé. Tous mes compagnons de galère vont-ils m'abandonner à mon sort ?
Et là, comme de rien, au milieu de la nuit, après 1,5km, 320d- de descente infernale, une oasis dans un désert de douleurs, un ravito sauvage à la fin du 68ème kilomètre avec... du CAFÉ !! Ce café, c'est celui d'El Gringo dans un troquet de la Colombie, il a les saveurs du bonheur et l'énergie du courage. J'en prends deux, qui combinés avec un doliprane pris quelques minutes plus tôt (je sais, c'est pas top, mais j'avais trop mal au crâne) me font redémarrer comme en début de course, et descendre vers Luz à un rythme effréné sans ressentir quasiment aucune douleur.
JE – SUIS – REFAIS
Arrivée à Luz en trombe.
Luz Entrée 23h49
74,2km 4538m+ 5698m- 459°(+37)
16:47:24
Dans mon téléphone, j'ai tout préparé, j'ai toutes les étapes d'un ravito base vie réussi, avec les temps pour chaque chose. Qu'est-ce que j'ai bien travaillé !! Je ne vais rien suivre de ce qui est écrit. Douche, c'est NON, elle est dehors et elle est froide, et à côté de moi, un gars sort tout juste de son coup de froid après sa douche, ça lui a pris 30 minutes. Sieste, c'est NON, il y a trop de monde, c'est le bordel et impossible de retrouver les boules Quiès. Je les retrouverai 2 jours plus tard en rangeant mon sac dans la boite de pansement Compeed (Qu'est que ça fichait là?).
Je vais bien, je ne suis pas franchement fatigué et j'ai retrouvé Ludo qui part bientôt. Et bien, je mange, je me lave les pieds, je remets de la crème, chaussettes et chaussures de rechange et je pars avec lui et un autre type dont je ne me souviens plus le prénom, on l’appellera « le tabasseur ».
Samedi 24 Août
Luz Sortie 00h36
Donc Ludo, le tabasseur et moi partons pour cette ascension 13km, 1600m+ en 2 parties avec un plat de 3km au milieu. Bonne nouvelle, pas de descente pendant au moins 4h, « parfait pour me remettre d'aplomb » me dis-je naïvement.
Le tabasseur prend le lead et imprime le rythme. Et le tabasseur, eh ben, il tabasse et franchement, c'est pas simple de le suivre. Qu'est qu'il fiche là avec les pleutres comme moi ? Pourquoi il ne se bat pas pour le podium lui sérieusement... Bon c'est pas grave, j'ai enfreint toute la prépa au ravito, je ne vais pas les laisser s'échapper et être seul, c'était pas le projet. Je le suis, avec Ludo derrière moi pendant 1km, mais je sens les cuisses chauffer fort et c'est pas bien malin de ma part. Tant pis, je ne vais pas me cramer : « désolé les gars, mais si je vous suis, je vais exploser en plein vol, je ralentis ». Surprise, Ludo ralentit avec moi et on fait la première montée presque en intégralité ensemble puisque, pris de sommeil, je vais tenter une sieste méditative dans la montagne, … Problème, tous les coureurs qui passent m'envoie la lumière de leur frontale au visage et me demande si je vais bien. Fin de sieste de 5 minutes, je recommence à marcher et 300m plus loin je retrouve Ludo à un 2ème ravito sauvage, super ! On va pouvoir continuer la route ensemble. À ce moment là, j'y pense « ça y est, chaque pas que je fais à partir de maintenant est un record pour moi, jamais je n'avais couru aussi loin, aussi haut, aussi longtemps en 1 fois ».
Les fameux 3km de plat et... L'enfer des cailloux dans une montée dantesque, ils sont partout, des énormes à gravir, des petits à éviter pour ne pas se faire une cheville, des ruisseaux entre eux. Parfois, il faut prendre à une main les bâtons pour les monter, parfois ça cesse de monter pour suivre une nouvelle trajectoire et sur la montre la distance et le dénivelé stagnent de longues minutes. Je lève la tête, je vois les lumières des frontales s'élever si haut dans l'immensité de la nuit que je les confonds avec les étoiles, j'ai l'impression que cette montée n'en termine pas.
« Je fais un petit pipi et je te rejoins » dis-je à Ludo. « Ok » répond-il. Ce sera notre dernier échange. Après m'être soulagé, il a 50m d'avance sur moi, je m'engage d'un pas sûr vers lui, mais, je suis fatigué globalement, musculairement, et en manque de sommeil. Le point de sa frontale s'éloigne, double d'autres coureurs que je n'arrive pas à rattraper moi-même et alors que notre rythme à deux était très bon, le mien seul est faiblard, je me fais rattraper par beaucoup de monde dans ce pierrier sans fin. Je lève les yeux et vois le refuge, marche, lève les yeux encore, le refuge ne s'est pas approché. Il est immobile dans la nuit. Je vais y passer 2h40 pour faire 6km et 800m+. C'était interminablement long, j'ai cru que je n'y arriverai jamais. Pourtant, je ne me suis arrêté qu'une fois, 3 minutes, pour manger, et il a fallu que je rajoute le coupe vent par dessus la deuxième couche et que je me remette vite à marcher pour éviter l'hypothermie. Ça m'a coupé l'envie de m'arrêter et, finalement, le refuge fût atteint.
Refuge de la Glère 05:32
87,6km 6136m+ 5851m- 398°(+61)
22:30:32
Arrivé au refuge, je chope le premier bénévole et le supplie, à moitié tremblotant, de me trouver un endroit où dormir comme si c'était chose impossible dans un refuge. Bien sûr, eux, contrairement à moi, avaient prévu le coup, une chambre dortoir était à disposition des coureurs. On m'a fait monté un escalier et installé en haut d'un grand lit superposé, rien que pour moi. Peu de temps après, un autre traileur (ou traileuse, je ne sais pas) viendra partager ce lit avec moi et puis à l'étage du dessous, ça ronfle. Même éreinté, j'ai le sommeil léger, je somnole 20 minutes, mais ne m'endors pas. Ça fera l'affaire. Je me lève, récupère mon matos, casse la croûte et après être resté 45 minutes dans le refuge, j'attaque, sans jus, la partie la plus roulante du parcours en alternant course et marche. Je retrouve mes douleurs et mon inconfort aux pieds.
Lever de soleil, en descendant, sur les nuages traversant la montagne, c'est beau. Je cours, fais une photo, marche, cours, marche, photo... et j'arrive à Tournaboup.
Tournaboup 08:02
96km 6185m+ 6595m- 417°(-19)
25:00:42
Le ravito annoncé au 96ème est en réalité quasiment à 100km à ma montre. Même si le décalage a été entamé déjà à d'autres ravitos, ça a attaqué le moral. J'ai vraiment besoin d'enlever les baskets et me détendre un peu, ce que je fais avec des ostéos qui me retapent et qui tentent sur mes jambes dégueulasses et poilus, un strapping aléatoire pour préserver, lors des futures descentes, ce qui peut l'être de l'articulation de mes genoux. Spoiler alert : le strapping en question ne verra jamais la couleur d'une descente.
Je reste 30 minutes et repars. A posteriori, je ne comprends pas comment l'idée de l’abandon ne m'a pas du tout traverser l'esprit pendant ce ravito, peut-être que je considérais inconsciemment que puisque qu'on s'occupait de moi, c'était pour continuer.
Donc je suis reparti en boitant à moitié, me disant que 30km de rando, c'est 9/10h, alors bon, à ce tarif là, je finis sans jamais me soucier des barrières horaires. En redémarrant, je communique avec ma douce par texto : « je table sur une arrivée entre 17 et 18h », et elle me répond « Ah oui, aussi tard tu penses ? Il te reste une grosse montée et après tu seras vite à Vignec ». On n'abat pas un homme à terre, femme. Pourquoi ?? Après avoir envisagé d’enterrer mon téléphone quelque part dans la montagne où ça ne capte pas, je l'appelle et lui explique la situation. Je ne peux pas lui en vouloir, le trail, c'est mon délire, pas le sien et elle essaie de me remonter le moral. Elle m'envoie de la force, mais ça ne marche qu'un court instant. Je tente de trotter, ça ne marche pas. Je tente un 2ème doliprane, comme le premier avait, semble t-il, tout changé, mais ce n'est pas mieux. Il n'y a pas d'échappatoire ce coup-ci, il va falloir souffrir pour aller au bout.
Et puis il y a ces foutus cailloux, qu'est que j'en ai marre. Je ne suis qu'à 2/3km de Tournaboup, je peux encore faire demi-tour et lâcher l'affaire, mais ça voudrait dire crapahuter dans les cailloux dans l'autre sens, … Plutôt crever ! Ça se trouve, c'est bientôt fini le technique... Ahah, quel idiot. Heureusement que je ne connaissais pas le passage entre Tournaboup et Merlans, j'aurais probablement fait machine arrière. Mais l'ignorance est mon alliée.
Consolation, il fait plein soleil, les ruisseaux forestiers coulant sur les cailloux dans la montagne sont aussi apaisant que les paysages sont grandioses. Je fais des pauses de plus en plus souvent. Je perds un temps fou et ne me remet pas franchement dans de bonnes dispositions. L'idée de faire un chrono s'est totalement dissipée. On marche péniblement jusqu'à la cabane.
Cabane d'Aygues Cluses 10:41
102,8km 6896m+ 6605m- 410°(+7)
27:39:32
Ce « ravito » nous avait été annoncé à Tournaboup comme ne pas en être un, j'avais donc chargé avec 4 flasques vu le soleil. En fait, ils avaient de l'eau à mon arrivée. Je me suis rationné pour rien, je bois une gourde cul sec et la fait remplir à nouveau pour repartir. Ça fait quelques heures que mes gels et barres me dégouttent et il n'y a rien à manger, donc je dois continuer à taper dans ma réserve sucrée perso et franchement mon alimentation si bien suivie en début de parcours est maintenant complètement chaotique, ça n'a plus aucun sens. Pas grave, j'avance... Direction Hourquette Nère en piétinant.
Hourquette Nère 11:39
104.8 km 7207m+ 6610m- (pas de classement fiable à ce point)
28:36:55
Je passe l'hourquette et là, malgré les bobos, malgré le manque de motivation, wouah... C'est absolument magnifique. On peut être au 36ème dessous, on est obligé de s'incliner devant ce que nous offre la montagne, c'est majestueux. Les cours d'eau vont de lacs en lacs entre les montagnes à perte de vue, j'en prends plein la poire et ça fait du bien, je m'assois et essaie de profiter de ce moment sans ressentir quoi que ce soit de physique. Petite photo mentale et quelques photos avec le téléphone et on repart en marchant.
Je tente encore de temps en temps de courir dans ce qui me paraît roulant, mais rien n'y fait. Je retente des laçages différents, les pieds me brûlent trop, mais trois arrêts seront insuffisant pour régler cette situation. Peut être que le problème, c'est que je lace. Je défais carrément les lacets, ça redevient tolérable. Mais je manque de me faire une cheville à chaque caillou... Ainsi soit-il, on a plus qu'à espérer que ça passe. Cela me permet de courir très lentement à nouveau pendant quelques hectomètres par ci ou une légère montée par là. Mais c'est, quand même, très principalement en randonnée que j'atteindrai Merlans.
Ah tiens, mais c'est quoi ça ? Fiouuuuuu... Je viens de me faire dépasser par une fusée vêtue d'un dossard bleu, heureusement qu'il fait chaud, je me serais enrhumé... Je ne reverrai pas d'autre dossard de cette couleur pendant un long moment. Il n'avait aucune raison de regarder ce qui se passait dans son dos comme il le faisait, il avait déjà assuré la première place du Tour des Lacs. Ce coureur, c'est Rachid El Morabity, une référence du trail au Maroc et dans le monde, ça fait plaisir d'avoir partagé un sentier avec cette légende, même pendant une demi seconde, même sans s'en rendre compte sur le moment.
Restaurant Merlans 14:10
113,1km 7424m+ 7251m- 402° (+8)
31:08:08
J'arrive rincé à Merlans accueilli par des bénévoles souriants et bienveillants à qui je tire une gueule de 4km de long, c'est pas cool de ma part, mais ce n'est pas volontaire. Pardon les bénévoles et merci pour tout, on sait qu'on vous doit de pouvoir nous amuser pendant deux jours entiers, vous êtes au top. Un, en particulier, va prendre soin de moi alors que je suis en train de finir de rôtir sur un banc, il prendra mes gourdes et ira les remplir pour que je bouge le moins possible, J'engouffre totalement au hasard ce que je trouve au ravito, liquide comme solide et je repars pour l'ascension la plus pitoyable de ma carrière de traileur.
1,5km pour 150m+ sur une piste de ski ultra roulante avalé en un temps record de 30 minutes avec une pause au milieu pour reprendre ma respiration lors de cet intense effort. C'est nul, mais c'est fait, et c'est parti pour la dernière descente, qui bizarrement, me met dans de bonnes dispositions, il n'y a plus de cailloux, c'est très légèrement pentu. Je me sens pousser des ailes et me mets à courir et... J'y arrive. Excès d'enthousiasme, j'appelle ma douce et lui annonce « bon, finalement, j'essaie de battre les 34h » et je me dis que c'est simple, si je fais la moitié à 7:30 du km et l'autre moitié en marchant, c'est gagné, facile quoi.
Mais encore une fois, une dernière, la réalité va me frapper au visage, la pente s'accentue, mes genoux hurlent, mes pieds brûlent, mes mains vont vers le téléphone « euh, en fait, je marche, prenez votre temps »
Je traverse Soulan et arrive lentement à Vignec accueilli par des dizaines de fans en furie, fumigène à la main hurlant mon nom en enlevant leur sous-vêtements. Si, si, c'est exactement comme ça que ça s'est passé. Je rejoins, au bord de la Neste, ma famille, avec qui je partage le dernier demi-kilomètre, monte le petit escalier, met le plus petit sur mes épaules, cours vers la ligne d'arrivée accompagné de mes deux filles de chaque côté, la traverse, c'est gagné...
397ème, 34h13, mais ça fait au moins 15h que les chronos et les classements ne m’intéressent plus. Je l'ai fait, malgré les difficultés de la prépa, malgré les douleurs, malgré les doutes et c'est finalement tout ce qui compte.
Vielle Aure 17:15
126,8km 7606m+ 8675m- 397°(+5)
34:13:41
Je prends ma médaille. J’ai rarement autant mérité quelque chose dans la vie, alors je savoure, un joli sweat à capuche que je vais arborer au boulot dès mon retour. Je me ravitaille une dernière fois et là, il n'y a plus de règle : saucisson, cake, tout ce qui rentre est bon pour la santé. J'oublie de boire la bière, et c'est peut-être mieux, et je rejoins ma famille qui me trouve « plutôt bien » . On rentre au bercail à Vignec.
Douche, repas à une table (c'est fou comme concept), retour à Vielle-Aure pour récupérer le sac base vie, ostéopathie, podologie et puis on rentre dormir à la maison. A l'étage, il fait chaud, je décide de me poser à 22h sur le canapé du salon où il fait plus frais avec mon sweat vert sur le dos. J'ouvrirai les yeux 6h plus tard dans la même position. A 4h du matin, je regarde ma course sur Strava, je ne l'ai pas encore rendue publique, pour le moment, ce n'est que pour moi, elle s'appelle « Trail le matin », je reste une heure à penser à ma course et me rendors jusqu'à 7h.
Bilans :
Bilan physique :
Franchement, malgré toutes les douleurs que j'ai eues pendant la course, à J+3, je suis quasiment complètement retapé, je ne recommencerai pas tout de suite une folie du même type, mais j'ai déjà envie de remonter sur un vélo, mes pieds vont mieux depuis J+1 (merci la podologue) et seul le genou gauche est toujours un peu sensible, mais ça se dissipe. En particulier, je n'ai aucune nouvelle de ma gêne à l'insertion de l'ischio et ça c'est vraiment inattendu, le boulot de guérison a dû payer.
Par contre, clairement, il faut faire en sorte que la préparation se passe mieux et ça commence par beaucoup de renforcement, je crois que j'ai un âge (41 ans) où je ne peux pas me contenter de seulement courir.
Et enfin, le truc qui m'interroge, j'ai peut-être juste de la chance, mais je n'ai eu aucun problème gastrique. D'un point de vue alimentation et hydratation, c'est un quasi perfect.
Bilan mental :
Je me suis trouvé globalement bien, même quand ça allait mal. J'ai réussi à ne pas me laisser submerger par les problèmes, essayant de trouver des solutions aux problèmes et d'accepter les problèmes quand il n'y avait pas de solutions. Et les moments où je pouvais abandonner, j'ai l'impression que j'étais dans le déni de la difficulté. À surveiller peut-être, pour ne pas faire d’âneries.
Bilan matériel :
Les chaussures et le laçage, il y a une énorme marge d'amélioration, ça m'a vraiment ralenti et frapper fort au moral. Si j'arrive à régler ça, je peux gagner 1h à 2h sur ce genre de parcours et surtout beaucoup de bien-être. Pourtant je roule avec les mêmes godasses depuis 4 ans, les ASICS Trabucco MAX 1 et 2 qui ne m'avaient jamais posé ce problème, même en montagne (cf. Moudang 2022)
Pour le reste, c'était plutôt bien, rien à redire sur le matos. Peut-être apprendre à mieux gérer le sac, savoir le ranger rapidement et retrouver vite les choses dedans.
Gestion de course :
Autant la première partie, j'avais un plan que je suivais à peu près bien, autant la deuxième partie, c'était de l'improvisation totale. Peut-être devrais-je prévoir des scénarios pour les prochains ultras, mais n'y a-t-il pas trop de paramètres ?
Conclusion : si je devais conseiller un trail pour débuter en ultra, je ne conseillerai pas celui là, mais maintenant que je l'ai fait, je ne suis pas déçu et j'ai même assez hâte d'y retourner et de progresser sur tous les points évoqués ci-dessus.
Grands remerciements à ma famille et en particulier, ma douce et tendre qui, malgré son désintérêt pour ma passion chronophage, me soutient. Merci aux copains qui ont suivi de loin et envoyé des petits messages d'encouragements et aussi au GRP et à ses bénévoles pour rendre possible cette folie.
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5 commentaires
Commentaire de coincoin29 posté le 27-08-2025 à 15:37:33
Super récit sur ma course préférée (que je la finisse ou que je l'abandonne...). Je ne sais pas si à 41 ans tu dois absolument faire du renfo (ça ne peut être qu'un plus!) mais à 50, je n'en fais pas vraiment sans que ça soit rédhibitoire pour les formats longs. En revanche, je pense que tes 1200km et 40 000d+ en 4 mois ont dû bien t'aider et qu'il en est forcément resté quelque chose fin août (c'est plus que ce que je fais en une année classique en habitant à la montagne!!!). Bonne récup!
Commentaire de Gilles45 posté le 27-08-2025 à 17:01:02
Mais c'est pas possible !!! je passe la ligne à 17h14 et toi à 17h15 et on ne s'est pas vus !!J'étais à Merlans 40 minutes derrière toi donc forcément on s'est croisé...trop bête
Sinon, il est top ton récit et en effet...j'ai douté de toi à la remise des dossards...comme quoi j'aurais pas du
Bravo pour ta pugnacité
Commentaire de philippe.u posté le 27-08-2025 à 17:20:58
Bravo pour ta course malgré une prépa pas optimale ! Plus on vieillit, plus le renfo permet de perdre moins vite sa musculature en plus de se renforcer, donc faut s'y mettre (mais à toi l'honneur!). Vu nos temps de passage, j'ai du te passer pendant que tu buvais au refuge d'Aygue-Cluse parce que je ne m'y suis pas arrêté
Commentaire de Miche posté le 27-08-2025 à 17:52:47
J'ai longtemps eu des échauffements monstrueux sous les pieds au bout de 60 km et plus. C'est passé avec l'âge mais je ne sais pas comment, peut-être d'avoir abandonné les trabucco ;-)
Très heureux que le ravito sauvage du km 68 et son café t'aient aidé à repartir. J'ai mis du temps à savoir qui étaient ces gens qui proposaient quelque chose sans avoir contacté l'organisation. Maintenant je sais et je les vois avant l'épreuve et lors des repas bénévoles.
Ce n'est sûrement pas le 100 km le plus facile, alors bravo d'avoir tenté et d'être allé au bout. On sent bien les moments de doute et ceux de gros doute dans ton récit.
Commentaire de Zucchini posté le 28-08-2025 à 04:06:06
Joli récit, et très jolie course ! Comment ça, ça se voyait tant que ça qu'on ne croyait pas en toi, et à ton potentiel de finisher, la veille de la course !?! Ce qu'on ne savait pas avec Gilles, c'est que tu as une force mentale qui compense bien des choses, et puis bon, un matheux, ça aborde une course de façon méthodique et logique, et la stratégie ça paie sur ce genre de format ! En tous cas c'était sympa de faire ta connaissance, de faire ce début de course avec toi, et de se tenir au courant ! Fini se soigner tout ça avec le sentiment du job largement accompli ! encore bravo l'agrume !
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