Pour pousser un peu plus loin la discussion, voici quelques articles intéressants qui évoquent parfaitement le sujet, même s'ils datent un peu.
Sport et nationalité : entre patriotisme et mercantilisme
L'été 2004 est marqué par de nombreux événements sportifs, et notamment par les Jeux olympiques d'Athènes. Des sportifs de haut niveau conquièrent des trophées pour la grande joie des pays qu'ils représentent, dont parfois, ils ne sont pas originaires. Cela donne l'occasion de voir comment le patriotisme national peut aller de pair avec un grand pragmatisme, voire avec un certain mercantilisme.
D'un côté, les événements sportifs internationaux donnent lieu à de grands déferlements de fierté patriotique, où tout un pays se sent victorieux quand un de ses représentants gagne une médaille ou une coupe. Les larmes coulent quant retentit l'hymne national, et quand le médaillé apparaît, drapé dans le drapeau victorieux. Peu importe alors que le sportif en question soit originaire - ou non - du pays dans le drapeau duquel il est drapé. La France entière pleure aux exploits (ou parfois, aux contre performances) des sportifs tricolores, qu'ils soient berrichons, antillais ou français d'adoption. Le sport apparaît comme un vecteur puissant d'unité et d'identification de la nation. En France, le caractère multiethnique des différentes équipes nationales vient conforter le discours politique sur "l'intégration à la française". Le racisme (qui hante pourtant la société française au quotidien, y compris dans le sport) est éludé dans une représentation idyllique d'une France multicolore, et le sport permet ainsi de compenser symboliquement la sous-représentation des immigrés, des colonisés et de leurs descendants dans les postes de pouvoir politique, économique et médiatique.
Changements de nationalité
La fierté nationale rend peu regardant sur les origines des champions qui font briller les couleurs et rapportent des trophées. En cas de victoire, l'identification fonctionne parfaitement, et c'est en général la détention de la nationalité qui conditionne cette identification. La nationalité fonctionne donc ici comme un minimum requis, à la fois juridique, et identitaire. Selon les règles en vigueur dans la plupart des sports, à l'exception notable du rugby, la nationalité est une des conditions impératives pour pouvoir postuler à une équipe nationale. Les règlements prévoient les conditions dans lesquelles un sportif peut changer de nationalité et ainsi représenter tel ou tel pays. Et c'est la nationalité qui permet au public national de s'identifier à tel ou tel sportif "de son pays", même si l'on sait très bien qu'il vient "d'ailleurs", et la victoire de ce sportif sera ressentie comme celle de la communauté nationale tout entière.
Peu importent les liens du sang, le lieu de la naissance, le rapport à la terre ou aux ancêtres, la langue, la culture, éléments essentiels de la vulgate nationaliste. La nationalité, comme catégorie juridique, permet une identification moderne moins exigeante, plus souple, et surtout, plus rentable pour la fierté nationale.
Pour obtenir la nationalité française et apporter à la France médailles et trophées, les champions bénéficient de nombreuses facilités et n'ont pas à remplir les critères "d'intégration" exigés au commun des mortels. La nationalité, qui se définit juridiquement par l'allégeance à un État, et se traduit par un ensemble de droits et de devoirs, vis-à-vis de cet État, et de sa population constitutive, est ainsi réduite à un passeport qui s'achète ou qui se vend.
Derrière les hymnes, les drapeaux, les emblèmes de la fierté patriotique, derrière les symboles souvent rigides (siffler la Marseillaise est désormais un délit), le nationalisme s'accommode parfaitement d'une certaine souplesse identitaire, et "nationalise" volontiers des étrangers au bénéfice de la nation. Ce n'est d'ailleurs pas le seul exemple où l'idéologie nationaliste fait le grand écart entre un discours de la pureté et des pratiques volontiers plus pragmatiques.
Un marché mondial des passeports
En réalité, dans le processus qu'on nomme communément "globalisation", on assiste même à un vaste marché mondial, où les passeports sont l'objet de tous les calculs, y compris les plus cyniques.
La France, grâce à son empire colonial, est particulièrement experte dans la débauche de champions africains, qui échangent volontiers des conditions d'entraînement difficiles dans leur pays d'origine, contre de meilleures conditions et un passeport tricolore.
Plus récemment, le Qatar, qui a choisi le sport comme vecteur de communication mondiale, compose des équipes nationales formées de coureurs d'origine éthiopienne ou kényane, d'haltérophiles d'origine bulgare, de footballeurs brésiliens, etc. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Les galeries photos des champions modernes sont remplies de "coureur danois d'origine kenyane", "sprinteuse slovène d'origine bahaméenne", "footballeur portugais d'origine brésilienne", etc.
Un club français de football a pu s'offusquer que son joueur brésilien aille défendre les couleurs de la Tunisie à la Coupe d'Afrique des nations, début 2004, désertant ainsi le championnat de France. Des joueurs français, nés en France de parents ou de grands-parents immigrés, formés par les structures françaises, parfois passés par les sélections jeunes de l'équipe de France, vont alimenter des équipes nationales africaines en vertu de leurs - parfois lointaines - origines. La Fédération internationale de football a changé récemment ses règles afin de limiter les "transferts" d'une équipe nationale à l'autre. Les différents jugements des tribunaux européens ont instauré une liberté totale du travail pour les sportifs professionnels ressortissants de l'espace européen. Un passeport lituanien, au titre de lointains ancêtres émigrés en Amérique, ou une naturalisation express, peuvent permettre à un rugbyman argentin ou à un basketteur étasunien d'être considérés comme des Européens et de jouer dans n'importe quel club européen, sans affecter le "quota" d'étrangers. Les passeports sont l'objet d'un vaste marché, avec parfois quelques scandales dûs aux contrefaçons et aux trafics de faux passeports.
Dans ce marché, les pays riches et puissants peuvent s'attacher les services de champions de premier plan, venus de pays plus pauvres ou plus faibles. À l'inverse, des champions de second plan, venus de pays riches ou puissants, peuvent vendre leurs services à des pays de second rang, et bénéficier ainsi d'une carrière internationale ou en club qui ne leur était pas possible dans leur pays d'origine.
La règle de la nationalité subsiste en général comme un impératif juridique et identitaire, qui n'empêche pas le patriotisme sportif de s'accoutumer parfaitement avec le mercantilisme planétaire.
Dans le domaine du sport, les injonctions assimilationnistes sont absentes, et les règles de la nationalité font même preuve d'une grande souplesse, d'une grande adaptation, avec la complicité des autorités politiques des États. On peut se demander pourquoi ce qui est possible pour des sportifs de haut niveau, ne le serait pas dans d'autres domaines, notamment, pour l'accès aux droits fondamentaux et à la citoyenneté politique.
Hervé Andrès
Source :
http://www.lettredelacitoyennete.org/sport70.htm
LA LETTRE DE LA CITOYENNETE
Nationalité, droit de vote des résidents étrangers
20F 5° année -N°25 - JANVIER - FEVRIER - 1997
SPORT SANS FRONTIERES
Il existe une supranationalité sportive qui distingue les pays reconnus par l'Onu de ceux qui reconnus par le CIO (Comité international olympique) ou par les FIS (Fédérations internationales sportives) et il n'y a guère de logique la dedans.
Le Burundi ne fut reconnu par le CIO qu'en 1993 et fut donc interdit de J.O. jusqu'à cette date. A l'inverse, le Porto Rico, politiquement étatsunien, est candidat pour l'organisation des J.O. en 2004, au titre de son Comité National Olympique (CNO) indépendant. Tahiti est représentée dans la Coupe du monde de football organisée par la FIFA. La Palestine participait déjà en 1984 aux championnats du monde de cross dépendant de la Fédération internationale d'athlétisme.
Les choses se compliquent à cause de contradictions de réglementation entre CIO et FIS. Ainsi, en football, l'Ecosse fut qualifiée au niveau FI pour les J.O. d'Atlanta (1996) mais ne pouvait l'être au niveau CIO, celui-ci ne reconnaissant que la Grande-Bretagne, laquelle n'existe pas pour la FIFA : l'Ecosse dut céder sa place à la Hongrie. Pour la FIFA, un sportif ayant représenté son pays en match international ne peut pas changer de maillot, sa vie durant. Ainsi Georges Weah, Français depuis 1993, ne peut venir à Atlanta, ayant participé à une sélection du Liberia, son pays d'origine. Ainsi Roger Boli regrette d'avoir joué un seul quart d'heure en équipe de France de football, alors qu'il souhaite maintenant représenter la Côte d'Ivoire...
Par contre, en basket-ball, qui pourtant offre la même stricte réglementation, l'argent et la puissance de la Ligue US (la NBA) ont permis une dérogation pour Hakeem Olajeiwon qui, sélectionné plus jeune avec le Nigeria, put jouer dans la Dream Team étatsunienne à Atlanta.
Toujours en basket-ball, changer de pays oblige à attendre 3 ans avant de jouer pour son nouveau pays. Mais non pour son nouveau club, depuis l'arrêt Bormann (qui libéralise les règles en matière d'étranger communautaire dans les clubs de l'UE). Devenus grecs, lichteinsteinois grâce à des naturalisations expresses, les basketteurs étatsuniens déferlent dans les clubs européens...
En athlétisme, même règle de 3 ans. Mais souplesse dans l'application : la période peut être réduite à un an avec l'accord des deux pays. Au niveau olympique, la période peut être réduite à rien avec l'accord des CNO. Les choses se sont donc bien arrangées entre l'Allemagne et la Roumanie au sujet de la sauteuse en hauteur Alina Astafei, moyennant une somme rondelette, qui est allée à Atlanta. Par contre, le coureur Wilson Kipkater n'est pas allé à Atlanta bien qu'étant allé aux championnats du monde de 1995 : Danemark et Kenya n'ont pu s'entendre (voir la Lettre de la Citoyenneté n°23).
En haltérophilie, les "réfugiés de l'Est" viennent souvent défendre les couleurs d'un pays d'"accueil" pour rentabiliser leurs exploits sportifs. Résultat : les pays qui dominent ce sport aujourd'hui étaient dans les profondeurs du classement international il y a encore 5 ans. L'Allemagne rayonne grâce aux champions de l'ex-RDA, la Turquie plane avec ses Bulgares et la Grèce brille avec son "commerce international". L'Australie se construit aussi une équipe nationale de premier plan en attirant des champions olympiques et du monde bulgares et roumains.
La fuite des muscles de l'ex-URSS ne s'est d'ailleurs pas faite sans douleurs pour les sportifs. On dit en effet que les sportifs étaient certainement parmi ceux qui avaient la plus forte "conscience soviétique". A la disparition de l'Union soviétique, le perchiste Serguei Bubka réagit en disant : "Je suis citoyen soviétique. Je considère l'éclatement de l'Urss comme une régression historique. L'Europe s'unit, supprime les frontières et nous, nous faisons le contraire". Et Igor Ter Ovanessian, longtemps président de la fédération d'athlétisme de l'URSS, déclarait : "Je vais devoir choisir mon origine. Ma mère est russe, mon père arménien, je suis né en Ukraine et j'ai longtemps vécu en Ouzbékistan. Dites-moi d'où je suis ?".
Pourquoi changer de pays et de nationalité ?
Les raisons économiques
Les Caraïbes sont un bon filon de champions pour les États-Unis. Peu ont couru pour leur pays d'origine. Mark Mc Koy fut champion du 110 m haies en 1992 pour le Canada et est devenu autrichien en 1994 pour trouver des sponsors.
Les raisons sportives
Plus facile d'être sélectionné dans une discipline dans un pays plutôt qu'un autre : ainsi le cycliste Max Saondie, né en Angleterre de mère anglaise et de père italien a opté pour la nationalité anglaise, le skieur autrichien Marc Girardelli choisit de devenir luxembourgeois.
Les raisons sentimentales
Le gymnaste chinois Li Dong-hua est devenu champion du monde pour la Suisse après son mariage avec une Helvète.
Fiona May, qui représentait la Grande-Bretagne aux J.O. de 1992, est devenue championne du monde de la longueur sous les couleurs de l'Italie après son mariage avec le perchiste Iapichino.
Les raisons politiques
Zola Budd, la jeune coureuse sud-africaine, barrée par la suspension de son pays, obtint par parenté sa naturalisation britannique en avril 1984 grâce à une procédure express. Elle redevint sud-africaine en avril 1988.
Quant au futur, il peut devenir a-national : les logos des sponsors remplacent peu à peu les emblèmes nationaux. Les équipes nationales seront-elles remplacées par les équipes de marque ?
Informations extraites d'un dossier paru dans le n°744 de L'Équipe magazine avant les Jeux Olympiques d'Atlanta et intitulé Jeux sans frontières ?. Les auteurs, Françoise Inizan, Alain Lunzenfichter et Jean-Christophe Collin commençaient ainsi leur article : t Il sera impossible au JO d'Atlanta d'échapper aux tours d'honneur des vainqueurs entortillés dans leur drapeaux nationaux. Pourtant, les liens qui unissent les champions à leur pays n'ont jamais semblé aussi lâches. On change de pays, on achète une nationalité, les règles compliquées s'entrechoquent. Comprenne qui pourra...".
Source :
http://www.lettredelacitoyennete.org/sport25.htm