Récit de la course : Le Grand Raid du Mercantour 2005, par 06francois

L'auteur : 06francois

La course : Le Grand Raid du Mercantour

Date : 18/6/2005

Lieu : St Martin- Vésubie (Alpes-Maritimes)

Affichage : 2143 vues

Distance : 102km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit

Raid du Mercantour
18 et 19 juin 2005
récit par François Bertaux

C’est le troisième raid auquel je m’inscris.
En 2003, j’ai déjà participé au 2ème raid du Mercantour. Il était un peu plus court (96km au lieu de 102) et comprenait surtout 1000 mètres de moins de dénivelé : 4800 mètres contre 5800 officiellement pour celui-là. J’avais fini péniblement en plus de 27 heures et 200ème sur 209 classés.
En 2004, j’ai couru le Raid de Cro-Magnon. Le parcours était plus long (106 km) et le dénivelé de 5100 mètres. J’étais arrivé en un peu plus de 23 heures et 133ème sur 205.
Alors pourquoi me direz-vous une troisième expérience ?
J’avoue que je ne sais pas répondre moi-même très bien à cette question :
- parce que déjà j’en ai parlé autour de moi et que des copains se sont inscrits ; la moindre des choses est de les accompagner !
- parce que le parcours me plaît : je connais presque tous les chemins empruntés dont une bonne partie se déroule dans le Parc du Mercantour ; d’autre part, il a été conçu en boucle (départ et arrivée au même village de St Martin Vésubie) ce qui permet de n’avoir pas de problème de transport (si on arrive à finir !) et de dormir la veille sur place ;
- enfin, je voudrais « tester mes limites », ce raid étant un des plus durs proposés tant par la distance (102 kilomètres) que le dénivelé (5800 m).
Une nouvelle difficulté est venue s’ajouter tardivement ! Je me suis en effet inscrit plus de 3 mois à l’avance, ce qui était une sage précaution, les inscriptions ayant été très vite closes près de 2 mois avant le départ, pour un total de 450 participants. Mais j’ai appris, moins d’un mois avant la course, que je dois être à l’aéroport de Nice le dimanche matin 19 juin à 11 heures au plus tard pour partir en mission en Tunisie! Le point de départ et d’arrivée de la course étant à plus d’une heure en voiture de mon domicile, je dois terminer suffisamment tôt pour avoir le temps de rentrer chez moi, me doucher, me changer et repartir vers l’aéroport !
Pour couronner le tout, j’ai une légère tendinite aux 2 tendons d’Achille !
J’ai donc hésité longuement avant de me décider à participer tout de même à cette course. Je me suis fixé un plan de marche en 24 heures, en me disant qu’il sera toujours temps d’abandonner si je prends trop de retard.

Le vendredi 17 juin à 19 h donc, nous nous retrouvons 3 copains au village de St Martin Vésubie situé dans la haute vallée de la Vésubie, dans les Alpes-Maritimes, aux portes du Parc du Mercantour. Les deux autres, Marcel et Christophe, en sont à leur premier raid.
Je connais Marcel depuis plus de 10 ans ; nous courions dans le même club de Vallauris. Je l’avais perdu de vue et l’ai retrouvé il y a 2 ans car nous sommes tous deux au Club Alpin de Cannes où nous encadrons régulièrement des randonnées. Il s’est bien entraîné pour ce raid en effectuant de nombreuses balades en montagne avec des dénivelés de plus de 1000 mètres ; il a aussi couru régulièrement : 2 à 3 fois par semaine.
Christophe est nettement plus jeune que nous (Marcel a 57 ans et moi 55) : il vient d’avoir 40 ans et court très régulièrement. Il participe à de nombreuses courses sur route ; il a un très bon niveau. Un quatrième, Guy, aurait bien aimé nous accompagner, il s’est inscrit mais des douleurs persistantes au pied l’ont empêché de participer.
Un stand sur la place du village accueille toute l’organisation du raid. Nous retirons nos dossards après qu’on ait vérifié que nous sommes bien en possession d’un certificat médical récent.
A 19h l’organisateur, Thierry Fadini, nous explique les précautions à prendre, surtout contre la déshydratation et l’insolation ; puis il décrit le parcours. Mais j’emmène mes 2 compagnons dîner car je leur dis qu’il y aura des balises tout le long du parcours ; d’autre part chaque concurrent a reçu une carte et une description de la course très bien faites : profil, points de ravitaillement, points de contrôle.
Nous faisons honneur aux pâtes, sucres lents quasi obligatoires à la veille d’un tel effort. Nous refusons de prendre du vin malgré la tentation qui est grande et à laquelle nous aurions cédé en toute autre occasion !
Nous avons décidé de dormir dans nos voitures. Marcel partage sa Volvo avec moi car ma Clio ne me permet pas une position allongée correcte. La nuit n’est pas de tout repos : couche un peu dure malgré le tapis de sol, réverbère un peu trop lumineux et sono à fond d’une voiture de jeunes ! Le réveil est aussi extrêmement matinal : 2h45. Nous partons comme des automates avec notre ticket qui permet de prendre un petit déjeuner léger au bistrot du coin. J’y croise un certain Guy Atger qui avait été mon compagnon de course pendant toute la deuxième moitié du parcours en 2003. On s’était mutuellement soutenu, ce qui nous avait permis d’aller jusqu’au bout.
Nous allons ensuite faire vérifier le contenu de notre sac. Il faut avoir en effet au minimum une couverture de survie, un sifflet, un litre d’eau et une lampe frontale avec piles de rechange. Il n’est pas inutile non plus d’avoir un peu de nourriture et un vêtement type coupe-vent ; car, comme le dit l’organisateur, il peut faire froid la nuit en montagne et on n’est pas à l’abri d’un orage.
Mon matériel est des plus « basiques » : j’ai le même petit sac « gadget » que lors de mes précédents raids (il m’a porté chance !) et une bouteille plastique pour l’eau, ce qui m’oblige à m’arrêter pour boire. Beaucoup de coureurs ont par contre une poche d’eau équipée d’un tuyau (type Camel Back) pour se désaltérer en marchant. Je n’ai pas non plus estimé utile de prendre des bâtons de marche. Je constaterai qu’au moins la moitié des coureurs en ont. Ils permettent de soulager un peu les jambes dans les montées et d’éviter la chute dans les descentes !
Peu après le contrôle, je suis pris par une envie pressante qui m’oblige à retourner au café où je dois attendre mon tour. C’est une séquelle d’une « tourista » mal soignée lors d’un récent séjour au Maroc !
Finalement, je suis sur la ligne de départ juste avant le signal. Nous sommes plus de 400 effectivement présents. On sent que beaucoup de participants sont affûtés et ont participé à d’autres raids du même type. Les coureurs sont originaires de toutes les régions de France, avec de nombreux Savoyards et Bretons. Il y a aussi un fort contingent d’Italiens.
Comme en 2003, c’est le président d’une association de handicapés qui donne le départ à 4h.
Nous parcourons 2 kilomètres de route qui monte d’abord en pente douce. Beaucoup courent et je me joins au mouvement, pris par les impératifs horaires.
Je perds très rapidement de vue mes 2 compagnons : je sais que Marcel est parti très prudemment et est derrière moi ; par contre, je pense que Christophe a filé devant ; je le chercherai en vain à chacune de mes pauses. La pente de la route s’accentue et nous abordons quelques virages en lacets.
Nous atteignons le village de Venanson qui est rapidement traversé. C’est une piste qu’on emprunte ensuite qui se transforme en chemin. Il est devenu difficile de doubler, mais l’allure est rapide et je ne dépasse que quelques personnes qui ont un rythme un peu plus lent. Le chemin monte en lacets et c’est très beau de voir tout ce serpentin continu de lumières constitué par toutes les lampes frontales des coureurs. Le jour commence à pointer et j’éteins ma lampe avant d’atteindre le premier col de Colmiane à 1710m. Il est 5h30. C’est le premier contrôle.
La redescente rapide emprunte des pistes de ski. Elles sont larges mais très caillouteuses et pentues. Je préfère marcher et suis doublé par des coureurs plus jeunes et plus lestes. Nous atteignons le village de St Dalmas Valdeblore.
Nous remontons une piste sur quelques centaines de mètres avant de nous enfoncer dans un bois. Le chemin monte en lacets avec une bonne pente. Je reste à l’allure des autres coureurs mais sens que je suis un peu « limite ». Combien de temps vais-je tenir comme cela ?
Après avoir traversé des prés, nous rejoignons le terminus de la route carrossable au col du Veillos à 2040m. C’est le premier ravitaillement. J’ai l’heureuse surprise de croiser Michel un collègue des Services Vétérinaires venu là pour encourager des agents de son service. Il me félicite en me disant que je suis le premier de ceux qu’il connaît. Je lui dis que je suis peut-être parti un peu vite car je n’en suis qu’au tout début et qu’il y a 5800 mètres de dénivelé annoncés. A ce moment, un des organisateurs au stand de ravitaillement dit que, d’après lui, le dénivelé est encore plus important. Il l’a en effet mesuré exactement sur son ordinateur car il possède les cartes et logiciels qui lui permettent de suivre le parcours exact avec sa souris. Il a trouvé 6200 mètres ! Ce n’est pas pour me donner confiance !
Je bois un coca, mange un bout de banane et repars très vite. Le chemin monte en lacets mais nous sommes nombreux à les couper ; je ne le fais pas habituellement mais là des chemins directs sont déjà tracés : je ne dégrade donc pas la végétation.
La montée raide se poursuit un certain temps avant une longue traversée quasi horizontale. Je trottine un peu, mais reprends vite la marche dès que la pente s’accentue de nouveau. J’arrive finalement au col de Barn à 2457m. Il est 7h20. J’ai une demi-heure d’avance sur mon plan de marche. Nous avons déjà parcouru 16,5 kilomètres et 1822 mètres de dénivelée. Beaucoup s’en contenterait largement dans leur journée de randonnée ! Ce n’était qu’un hors d’œuvre !
Du col, la vue est magnifique sur le massif de l’Argentera qui domine derrière la crête frontière. L’Argentera est le plus haut sommet de toute la région à près de 3300m. Il est situé entièrement en Italie et a donné son nom à tout le massif pour les Italiens. Les Français ont donné le nom de massif du Mercantour alors que ce sommet est nettement moins haut (2600m environ) mais en France et dans l’alignement de l’Argentera !
De nombreux névés sont encore présents dans les couloirs de la montagne, mais, là où nous sommes, ce sont encore les alpages avec de petits lacs et des ruisseaux.
Je ne m’attarde pas et, après le contrôle et une restauration rapide, plonge dans la pente. Le chemin bien tracé descend en lacets. Après des prés humides où quelques orchidées fleurissent, apparaissent les premiers mélèzes qui se font de plus en plus nombreux, mais la forêt reste claire et alterne avec des prés fleuris. Plus bas, elle est ensuite nettement plus touffue, les épicéas et sapins remplaçant les mélèzes. Très peu de végétation pousse au niveau du sol, sauf de nombreux framboisiers le long du chemin qui mériteraient une visite fin août ! Comme à l’habitude, mon rythme prudent en descente fait que je suis doublé par de nombreux concurrents ; mais j’espère bien en rattraper certains à la prochaine montée.
Au bout de cette longue descente, je finis par voir une clairière avec quelques constructions. C’est la Vacherie du Collet. On vient de rejoindre la piste carrossable qui mène au hameau de Mollières. Cet ancien village, bien que situé sur le versant français, est resté italien jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Il était en fait sur les terres de chasse du Duc de Savoie. Il n’est devenu français qu’en 1947 à titre de dommages de guerre. Il est situé en plein Parc du Mercantour et seuls les résidents peuvent emprunter la piste en voiture pour s’y rendre.
Un groupe d’élèves d’un collège nous accueille très gentiment et nous explique la suite du parcours jusqu’au prochain ravitaillement dans …11kilomètres !
Peu de temps après, je suis pris par un besoin pressant et dois m’isoler rapidement. J’en profite pour me rafraîchir à un cours d’eau. A ce moment, je doute à nouveau fortement de mes capacités à terminer dans les temps. Je repars malgré tout et me sens un peu mieux au bout d’une centaine de mètres.
Après une montée en pente douce, j’atteins le col de Salèse. Le chemin descend ensuite en quittant la piste et longeant un vallon. Cela va nettement mieux et je commence à courir. Je croise tout un groupe de randonneurs et plaisante devant leurs mines ahuries en leur disant qu’il faut être un peu fou pour faire ce qu’on fait. L’un d’eux me répond en riant que c’est bien son avis! Je cours toujours et le chemin rejoint une piste qui descend régulièrement. La piste se transforme en route, et je continue à courir sur le macadam, comme d’ailleurs la plupart des concurrents avec moi. Et c’est toujours en courant que nous finissons par rejoindre le prochain contrôle au gîte du Boréon. Il est 9h15 ; j’y retrouve le collègue vétérinaire qui m’encourage de nouveau. J’ai une bonne heure d’avance sur mon plan de marche mais j’ai les jambes en compote !
Je me désaltère bien, mange un peu et repars au bout d’un quart d’heure. Je sais qu’une longue montée de 1000m m’attend. Le parcours devient maintenant commun sur une longue distance avec celui de 2003. Ce n’est pas forcément un avantage de connaître la suite ! La chaleur va s’accentuer. Je suis toujours. Combien de temps vais-je tenir en surrégime ?
Les premières marches sont dures à franchir, les jambes s’étant ankylosées pendant cette halte. Cela va mieux au bout de 10 minutes et je double quelques coureurs. Le chemin devient horizontal ; il est très joli en forêt, laissant de temps en temps voir la vallée en dessous. C’est précisément à cet endroit qu’a été construit un parc à loups. Il permet aux touristes de bien voir des loups en captivité et de mieux connaître leurs mœurs. Ils sont présents aussi à l’état sauvage dans la région mais ne se laissent évidemment pas observer !
On arrive à un ressaut où le chemin se rapproche du torrent ; on longe une très belle cascade. Je serpente au milieu des blocs dans une forêt de mélèzes clairsemés. Nous croisons quelques randonneurs admiratifs ou étonnés. La montée se redresse nettement et ce sont de nombreux lacets très serrés qu’il faut gravir avant d’atteindre un replat au niveau du très beau lac de Trécolpas.
Nous sommes à la limite des arbres et le cadre très vert et calme invite plus au repos qu’à continuer cette course infernale. Quelques coureurs s’arrêtent d’ailleurs à cet endroit pour souffler un peu. Je veux en finir avec cette montée. Au bout du lac, le chemin remonte de plus bel ; et nous voyons encore très haut au dessus de nos têtes des silhouettes qui se découpent ; nous entendons le son de cloches. Ce sont en fait des encouragements ! Les lacets sont nombreux, la pente est forte, le souffle court, et le col ne se rapproche pas très vite !
C’est finalement à 11H45 que je finis par atteindre le Pas des Ladres à 2448m.
Le chemin monte encore au milieu des rochers. Quelques névés persistent et nous en traversons quelques uns pour atteindre le contrôle suivant au pied du col de Fenestre à 2474m.
On traverse ensuite encore un névé où il n’est pas facile de rester en équilibre sur cette neige glissante et en pente avec nos chaussures de course à pied ! Beaucoup de concurrents se remettent ensuite à courir sur la piste qui devient large mais reste caillouteuse. Nous croisons de nombreux randonneurs dont beaucoup nous félicitent. Finalement, la pente étant moins forte et le chemin en meilleur état, je me risque à un petit trot jusqu’au refuge de la Madone de Fenestre à 1900 mètres d’altitude.
Il est 12h30 et environ. 45 kilomètres ont été parcourus ; j’ai près de 2 heures d’avance sur mon planning. Mais je suis toujours inquiet ; je crains le gros coup de pompe. Le collègue vétérinaire est là et m’encourage en me félicitant pour ma rapidité.
La Madone de Fenestre est un lieu de pèlerinage où ont été construits une chapelle et un refuge. Le nom vient d’un rocher percé qui se profile sur une arête du Cayre de la Madone, un sommet voisin. C’était un lieu de passage traditionnel vers l’Italie, en particulier pour le transport du sel, le col de Fenestre étant relativement aisé à franchir.
J’avale une bonne soupe, un plat de pâtes ainsi qu’une banane et du pain d’épice. Certains coureurs se font soigner des plaies déjà importantes aux pieds. J’ai la chance de ne pas avoir de problèmes, mes chaussures ayant déjà bien servi sont bien adaptées à mes pieds.
Je repars rapidement vers 13h, mais les jambes sont lourdes et la démarche hésitante. On descend vers le torrent du vallon de Fenestre avant de remonter sur sa rive gauche. La chaleur est forte et le moral très moyen, même si progressivement je reprends l’allure.
La pente s’accentue, les lacets sont serrés, le temps est lourd ; je conserve néanmoins un rythme rapide qui me permet de dépasser quelques concurrents. On rejoint une partie plate, tourbeuse, avant de traverser un petit cours d’eau et d’attaquer une pente à nouveau forte avant la Baisse des 5 Lacs.
Je dépasse 2 randonneuses mais ai la surprise de me faire doubler ensuite par l’une d’entre elles. Je lui dis en riant que je suis vexé ; elle me fait remarquer qu’elle marche depuis moins longtemps que moi ! Au col, à 2320m, qui est aussi un point de contrôle, quelques concurrents se sont arrêtés. Je bois abondamment et mange une de mes bananes sèches.
Je repars très vite pour une descente vers les lacs de Prals. Ce sont 5 très beaux lacs peu profonds entourés de prairies : un endroit idéal pour un pique-nique ; les plus courageux peuvent même s’y baigner. On traverse ce lieu idyllique qui invite à la flânerie pour suivre le chemin qui descend vers la limite supérieure des arbres. Comme à l’habitude, certains des concurrents que j’ai dépassés à la montée me redoublent à la descente ; mais la file des coureurs s’étire de plus en plus et la plupart avancent seuls, chacun à son allure.
Enfin, le chemin remonte ; il est bien tracé et la pente est régulière. Je double à nouveau des concurrents et arrive à la Baisse de Prals, 2339m, vers 14h30.
Encore un contrôle. Le temps est très couvert ; le plafond nuageux n’est pas très loin et de nombreux sommets en face sont dans les nuages, dont la Cime du Diable point culminant du raid. J’espère ne pas essuyer de pluie, ou pire un orage. Cela « durcirait » encore un peu plus la course, s’il en était besoin ! Nous sommes juste à mi-parcours (51 kilomètres) mais un peu plus de la moitié du dénivelé a été gravie : 3600m sur 5800 (au moins officiellement !). J’ai une légère hésitation, mais comme je n’ai pas de pépin physique et une avance d’une heure et demie environ, je décide de continuer.
C’est une très longue descente de près de 800 mètres de dénivelé qui m’attend vers la vallée de la Gordolasque. Le chemin serpente d’abord dans de très verts alpages. On pourrait être tenté de couper, mais je me méfie des pierres qui peuvent se cacher sous l’herbe haute. Comme à l’accoutumée, quelques concurrents plus lestes courent et me doublent. Je veux accélérer mais me tords la cheville droite. C’est un peu douloureux sur le coup mais, finalement, tout rentre dans l’ordre après quelques pas. Je redouble de prudence. Un troupeau de moutons n’est pas du tout effrayé et nous obstrue momentanément le passage. Le soleil revient en cours de descente et l’air est très chaud et lourd dans ce versant exposé plein sud. La descente n’en finit pas !
Enfin, après avoir franchi quelques clôtures, on rejoint la route non loin du hameau de St Grat. C’est un lieu où beaucoup de Niçois et de colonies de vacances montent l’été car c’est un des sites de montagne les plus proches de Nice ; l’ambiance y est très bucolique avec des vaches et une vraie ferme où on vend du fromage.
Nous montons sur un bon kilomètre de route asphaltée. J’y avais beaucoup souffert de la chaleur il y a 2 ans, étant à court d’eau. Cela se passe beaucoup mieux cette fois-ci et j’arrive sans encombres au Relais des Merveilles à 1560m. Il est 15h 15. Michel le vétérinaire est là de nouveau et ses encouragements me font du bien !
Beaucoup de concurrents peuvent retrouver des sacs confiés aux organisateurs : ils leur permettent de se changer et de récupérer un vêtement chaud en prévision de la nuit à venir. Je n’ai rien prévu, mais je reconnais que changer de tee-shirt n’aurait pas été un luxe ; car celui que j’ai est bien humide ! Je n’en prends qu’en coton, le nylon m’irritant la peau, mais le coton a l’inconvénient de sécher très lentement !
Je me restaure à nouveau consciencieusement en avalant 2 assiettes de soupe. Je bois aussi beaucoup, notamment du coca, chose que je ne fais jamais en tant normal ! Mais le sucre et la caféine qu’il contient me redonnent du tonus. On a le dopant qu’on peut !
Ce point de contrôle et de ravitaillement est très important. C’est pour moi le point de non retour. Je ne pourrai que difficilement abandonner ensuite, car on va s’enfoncer au cœur du Parc du Mercantour, loin des routes et moyens d’évacuation rapides. C’est-à-dire que si j’abandonne ensuite, je risque fort de rater mon avion pour la Tunisie !
J’apprendrai d’ailleurs que beaucoup ont abandonné à cet endroit, un poste de secours étant sur place et des moyens de rapatriement vers St Martin Vésubie existant. D’autre part, la perspective d’une très longue montée suivie d’une très longue marche de nuit a de quoi en rebuter plus d’un, surtout dans l’état de fatigue où nous sommes déjà !
Je décide de ne pas me poser trop de questions et repars à 15h 30, à peine un quart d’heure après mon arrivée. Le collègue vétérinaire m’encourage de nouveau. Cela fait beaucoup de bien d’être soutenu et vous donne l’envie de poursuivre !
Je suis en compagnie d’un jeune homme (il doit avoir la moitié de mon âge !). Son amie l’accompagne un moment. Il est content d’avoir quelqu’un avec qui parler. Je lui explique un peu la suite du parcours en lui conseillant de ne pas trop forcer, car la montée va être longue, et de bien s’hydrater.
Nous remontons de nouveau la route jusqu’à son terminus au pont du Countet où un grand parking, aux portes du Parc du Mercantour, accueille les randonneurs. Non loin est dressée une plaque en souvenir de membres du Club Alpin de Cannes, dont son Président à l’époque, qui sont morts emportés par une avalanche en Sierra Nevada, dans le sud de l’Espagne.
Après le pont, nous prenons un petit chemin en rive gauche du torrent ; il monte très rapidement dans un bois clair. Cette année, j’aurai vu beaucoup moins de fleurs qu’en 2003. Est-ce que l’année est moins précoce ou que je suis simplement moins attentif ? Mais je n’ai vu par exemple aucune fleur de lys martagon et seulement quelques orchidées. Vous me direz que je n’étais pas vraiment là pour « butiner » !
Je croise un horticulteur et son épouse. Je le connais bien. C’est un grand sportif : il a participé plusieurs fois au raid Gauloise. Il me dit être tenté aussi par ce genre de raid et me demande quel entraînement j’ai suivi. Je lui réponds que je n’ai fait que randonner régulièrement en montagne. Je n’ai quasiment pas couru.
Comme à l’accoutumée, et au risque de me répéter, je double plusieurs concurrents dans la montée. Un seul a l’outrecuidance de me dépasser ! C’est celui-là même qui s’était fait posé un gros pansement à la Madone de Fenestre !
Après de nombreux lacets très rapprochés et une pente très soutenue, sous un soleil ardent, nous rejoignons une conduite forcée. De gros travaux ont été entrepris dans tout le massif du Mercantour dans les années 60. Beaucoup de lacs de montagne ont été rehaussés par des barrages ; des conduites forcées et des usines hydro-électriques ont été construites. Si bien que, paraît-il, environ un tiers de l’électricité consommée dans les Alpes-Maritimes est d’origine hydraulique. Heureusement, les conduites sont souvent souterraines : le paysage n’a pas été trop abîmé.
Enfin, un replat permet de souffler un peu. Je m’arrête près d’un cours d’eau, bois plus d’un demi-litre et remplis ma bouteille. J’en profite aussi pour me rafraîchir le visage et trempe ma casquette dans l’eau. Je ne veux pas risquer la mésaventure d’il y a 2 ans où les crampes m’avaient envahi à le fin de cette ascension.
Je reprends vite ma progression. Nous somme maintenant à découvert et le temps est très lourd. Je fais quelques pauses pour bien boire. Je double encore une demi-douzaine de coureurs, certains en piteux état. Les derniers mètres avant le col sont redoutables, avec de nombreuses marches très hautes et une pente très forte. J’ai le souffle court mais j’arrive enfin au col : le Pas de l’Arpette à 2514m ; il est 17h 40.
Après le contrôle, je bois et repars aussitôt. Je distingue déjà le prochain objectif : le Refuge des Merveilles. Mais la perspective est trompeuse, et il ne grossit que très lentement à ma vue. Nous sommes en plein cœur des gravures des Merveilles ; des pancartes nous invitent à rester sur le chemin, des secteurs entiers étant interdits au randonneur pour éviter toute dégradation. Ces gravures dateraient de 1500 à 2000 ans avant JC. Beaucoup représentent des signes cornus et correspondraient au culte d’un dieu taureau.
La vue est dégagée et le chemin bien tracé ; il y a de jolis petits lacs. Je croise quelques randonneurs lourdement chargés qui vont sans doute camper dans le secteur. En effet, bien qu’on soit dans le Parc, le campement est toléré dans certains secteurs entre le coucher et le lever du soleil. Le site attire beaucoup de monde et le refuge est très souvent complet.
Enfin, j’atteins le poste de ravitaillement et de contrôle! Il est 18h10. C’’est tout près du refuge des Merveilles, à 2180m.
J’avale une nouvelle soupe. On me propose un sandwich au fromage, mais c’est un peu sec et je n’arrive pas au bout ! Quelques morceaux de banane et un pain d’épices complètent le repas. Je bois aussi du coca. Soudain, je suis pris d’une envie pressante et dois m’isoler. J’avise un gros rocher, mais débouche alors un couple en quête d’un terrain pour camper. L’homme jette rapidement son dévolu sur un endroit mais la dame est beaucoup plus hésitante. Ils passent d’un lieu à l’autre tandis que je tourne autour de mon rocher en priant pour qu’ils se décident rapidement ! Il y a urgence ! C’est avec un grand soulagement que j’apprends qu’ils ont enfin choisi !
Je repars à 18h30. Le tracé remonte au milieu de gros blocs granitiques en contournant de jolis lacs. Soudain, j’entends le bruit sourd d’un hélicoptère tout proche. Il vole sur place pendant quelques temps mais je ne le vois pas. Puis il apparaît brutalement et plonge dans la vallée. J’apprendrai qu’un concurrent est tombé dans la montée de la Cime du Diable : il s’est coupé profondément à la tête. Il a saigné abondamment mais a été évacué et soigné rapidement par la pose de points de suture.
Nous longeons un lac ; puis la pente s’accentue fortement et nous gravissons un petit névé pour aboutir au Pas du Trem. J’enchaîne aussitôt en doublant quelques coureurs. Ce sont maintenant des lacets très serrés qui permettent de gravir les flancs très redressés de la Cime du Diable. Avant le sommet, un couple me laisse passer, et c’est à 19h30 que je suis au point le plus haut du raid : à 2685m. Le contrôleur présent me dit qu’il était dans le brouillard il y a encore peu de temps. Il n’y a pas de ravitaillement et je me félicite d’avoir rempli ma bouteille. Je mange aussi la dernière banane sèche qui me reste. Le couple me rejoint peu après et le contrôleur signale à la dame qu’elle est seulement la dixième féminine.
Je suis content quant à moi d’être arrivé avant la nuit car je vais maintenant traverser une zone rocheuse où il faut être très attentif. En effet, après quelques lacets serrés, on doit passer dans un chaos rocheux en sautant de blocs en blocs, pas toujours stables. Le petit jeu se renouvelle plusieurs fois avant de trouver un chemin normal. La crête est maintenant herbeuse et nous la descendons par de grands virages réguliers. Puis des raccourcis bien tracés permettent de gagner un peu de temps. Il faut rester attentif car la pente est importante et le sol couvert de graviers. La lumière rasante souligne les reliefs ; la vue est très étendue des deux côtés.
On atteint un premier col. Le chemin devient horizontal et passe à flanc en dominant de très haut un vallon. Je ne cours pas pour éviter tout faux pas. On rejoint finalement un deuxième col juste à 2000 mètres d’altitude : le col de Raus. Il y a des restes de tranchées avec des fils barbelés. On se trouve non loin de la Cime de l’Authion qui faisait partie de la ligne Maginot ; on s’est battu dans le secteur contre les Italiens lors de la deuxième guerre mondiale. Cette crête faisait alors office de frontière, la vallée de la Roya plus à l’est n’ayant été annexée à la France qu’en 1947.
Du col de Raus, un large chemin enherbé descend vers la vallée. Il a dû servir pour construire les fortifications. Je suis de nouveau doublé par quelques concurrents qui courent. Après quelques larges lacets, on pénètre de nouveau dans les bois de mélèzes. Puis on atteint une piste carrossable au niveau des Granges du Colonel. Deux autres coureurs me dépassent en courant.
Voyant que la pente est moins forte et la piste large et bien tracée, je me décide à courir non sans mal. Après quelques mètres difficiles, j’adopte un train régulier et lent ! Je rejoins même d’autres personnes qui, lassées, ont repris la marche. Mais la piste est interminable ! Certes, elle est parfaite pour courir : de petits graviers, une pente douce et régulière ; mais qu’elle est longue ! En effet, la vallée principale est très régulièrement coupée de petits vallons affluents. A chaque fois, la piste va tout au fond de chacun de ces vallons pour ressortir de l’autre côté. Si bien qu’on parcourt facilement trois ou quatre fois plus de chemin qu’à vol d’oiseau. On voit ainsi des coureurs qui nous paraissent tout près, mais un vallon nous sépare qu’il faut franchir par une boucle très profonde ! Si bien qu’après avoir couru une bonne demi-heure, j’ai les jambes qui ne répondent plus et je dois me remettre au pas. Il est maintenant 22h et la nuit est tombée.
Enfin, on rejoint un petit hameau et nous quittons cette piste interminable pour plonger brutalement par un escalier aux marches très hautes. J’allume ma frontale et attrape la rampe pour descendre les premières marches ! J’essaie tant bien que mal de soulager mes cuisses au bord des crampes en m’appuyant tant que je peux sur la rampe ! On atteint un petit stand de ravitaillement mais il a été pillé par les concurrents précédents ! Je trouve tout de même un fond de bouteille d’eau tiède que je me sers dans un verre qui a déjà servi. Mais j’ai tellement soif et ma bouteille est quasiment vide !
On reprend une autre piste qui traverse un torrent avant de remonter sur l’autre rive. Je sais que le village de Belvédère n’est pas loin, mais je n’en vois plus la fin ! Les maisons sont très échelonnées, et ce n’est qu’au bout d’un bon kilomètre que je trouve la route qui mène au village : on me dit qu’il reste encore un kilomètre ! Il faut suivre les flèches vertes peintes au sol. C’est très gentil, mais ils auraient pu choisir une autre couleur : jaune ou blanc. Ils auraient pu penser aux daltoniens comme moi pour qui le vert ne saute pas forcément aux yeux, surtout avec ma frontale qui n’éclaire pas très fort ! Si bien que j’arrive dans le village par le mauvais chemin ! Un habitant me voyant perdu m’indique …la suite de parcours, avant de se raviser pour me montrer la direction opposée où se trouvent le contrôle et le ravitaillement !
J’arrive épuisé vers 22h50 dans la salle des fêtes et m’écroule sur une chaise. D’autres coureurs sont assis un peu partout, ou même allongés. Au bout de quelques minutes, je me lève péniblement pour chercher à boire et prendre une énième soupe. Dans mon état de fatigue j’en renverse une partie sur la table ! J’aurai le courage d’en reprendre et de nettoyer ! Par contre, je n’arrive pas à avaler de pain et ne suis même pas tenté par du jambon ou du saucisson !
Dans un éclair de lucidité, je demande à mon voisin s’il y a un contrôle. Il me montre la table du fond où sont assises quelques personnes. Je n’ai pas le courage de me lever et leur fais de grands signes en leur indiquant mon dossard. Ils finissent par regarder leur registre et constater que je ne suis pas coché. Ils me font alors un signe de remontrances et je les remercie par un autre vague signe !
Je repars à 23h 10 en me disant que je n’en ai plus pour très longtemps. Il ne reste plus que 17 kilomètres et 300 mètres de dénivelé. Mais, sans doute à cause de la fatigue, j’avais mal lu le topo : le dénivelé restant est en fait de 800 mètres !
Le redémarrage est très dur. Il faut prendre un chemin cimenté et gravir de nombreuses marches pour quitter le village, même si quelques villageois encore éveillés nous encouragent. Je me tracte littéralement sur les bras pour les premières marches, et crains la crampe sournoise prête à vous bloquer à tout moment ! Cela va un peu mieux au bout de 10 minutes, d’autant que les marches ont disparu même si la pente reste forte.
Puis des balises phosphorescentes nous invitent à emprunter un petit chemin horizontal qui suit une conduite d’eau à ciel ouvert. Deux autres coureurs se sont joints à moi et me suivent. Le chemin est souvent particulièrement étroit et caché par les hautes herbes. A plusieurs reprises, je me rétablis au dernier moment, mon pied étant dans le vide. Puis, brutalement, sans raisons apparentes, le chemin devient un vrai chemin de chèvre en grimpant de manière très abrupte. On doit même attraper parfois des branches ou des racines pour se hisser. Il redescend ensuite tout aussi brutalement, et recommence plusieurs fois de la sorte avant de remonter pendant plus longtemps, puis redescendre carrément en empruntant un chemin plus large. Je laisse les 2 collègues me dépasser dans la descente et me retrouve face à un ruisseau ! En levant la tête, je vois des lumières passer au dessus de moi et me rends compte que j’ai fait fausse route. Je remonte prendre le chemin qui continue horizontalement pour franchir un pont. On remonte un peu et on arrive à Berthemont les Bains.
En temps ordinaire cette station thermale respire le calme et la tranquillité. Mais imaginez à 2 heures du matin ! Un calme d’outre tombe ! Même pas un chien pour faire un peu de bruit. La seule chose qu’on voit, c’est une grande enseigne en demi cercle éclairée avec ce nom si long à lire qu’on s’endort avant la fin !
On est 5 à chercher notre chemin. Faut-il monter ou descendre la piste en ciment qui se présente ? Finalement, l’un d’entre nous (qui n’est pas daltonien !) voit une flèche verte sur le sol. On monte ! Mais la belle piste doit être très vite quittée car des balises lumineuses nous invitent à reprendre un chemin qui ne promet rien de bon !
En effet, c’est le même type de parcours défiant toute logique qui nous attend ! Des montées très raides suivies de descentes non moins raides ; on a droit même à quelques traversées de ruisseaux. Je me mouille évidemment les pieds, l’eau étant si claire et ma lampe si faiblarde que je ne distingue pas forcément une pierre émergée d’une pierre immergée ! Puis, d’un coup, le chemin remonte comme un fou, et nous arrivons à une belle pancarte qui nous indique que le dernier contrôle est 200 mètres plus haut, mais surtout 50 lacets plus haut ! L’organisateur s’est fait plaisir ! Nous, on sourit moins !
Le pire dans cette histoire, c’est que l’organisateur n’a fait que suivre le sentier de Grande Randonnée existant : ces fameux GR reconnaissables aux deux bandes rouge et blanche et qui sillonnent toute la France. En temps normal, un GR est un chemin « raisonnable », large, bien tracé, et qui relie un point à un autre d’une manière pittoresque mais aussi commode. Je ne sais pas ce qui a pu passer par la tête de celui qui a tracé cette portion du GR. Mais je peux vous dire qu’il n’a rien de commode ni de raisonnable ! Je l’avais déjà emprunté une fois de jour lors d’une randonnée « normale » et j’avais failli me perdre et tomber plusieurs fois. Alors, imaginez de nuit après près de 90 kilomètres de parcours, plus de 20 heures d’effort, et avec une lampe défaillante!!
Enfin, revenons à nos lacets ! L’un de nous 5 s’est détaché et je devance un peu les 3 autres. Après donc un temps qui me paraît très long, je vois apparaître une deuxième pancarte qui m’indique qu’il reste encore 40 lacets. Rien de plus démoralisant quand vous avez déjà peiné et que vous pensez avoir parcouru nettement plus de 10 lacets ! Je continue comme si de rien n’était, commence à me demander si la pancarte suivante n’a pas disparu, pour finalement arriver épuisé à cette fameuse pancarte qui m’annonce encore 30 lacets ! Je veux en avoir le cœur net et décide de compter les prochains 10 lacets ! Mais suprême supplice, les lacets s’allongent, et le comptage est désespérément lent ! Quand donc le chemin va-t-il se décider à tourner pour le prochain lacet ? Enfin, le panneau qui annonce 20 lacets est là ! Je compte de nouveau ; c’est toujours aussi long mais je ne vois pas de panneau au bout des 10 lacets ! Que se passe-t-il ? Un plaisantin l’aurait-il enlevé ? Je ne trouve pas la plaisanterie drôle du tout ! J’en suis à me demander si le contrôle annoncé existe quand je vois enfin un panneau.
Il m’indique que le contrôle est à 50 mètres. J’en pousse presque un cri de joie ! 50 mètres c’est long, mais j’y parviens !
Le contrôleur est seul mais confortablement installé sur une chaise pliante. Il a une tente et une table où chauffe du café. Il me propose très gentiment de m’asseoir et m’offre son café que je bois volontiers. Il aura passé l’après-midi et va rester toute la nuit et une partie de la matinée dans cet endroit très isolé. Bravo à tous ces bénévoles sans qui le raid n’aurait jamais pu avoir lieu !
Je repars juste avant l’arrivée des 3 autres. Après quelques lacets en forêt, le chemin descend très rapidement ; il emprunte la ligne de plus grande pente. A vrai dire, ce n’est plus un chemin mais plutôt un ravin ! Après 2 ou 3 rétablissements, in extremis je finis par me retrouver sur les fesses, avec en plus une douleur à la cuisse qui m’inquiète un peu. Je vois plus bas une lampe qui circule à l’horizontal et me dis que cette descente infernale va bientôt cesser. Obnubilé par cette lumière, j’en perds le chemin et me trouve dans des fougères aussi hautes que moi agrémentées de quelques ronces ! Pour couronner le tout, des murets d’environ 1m50 entrecoupent ma descente ! Je dégringole tant bien que mal d’une terrasse à l’autre en m’accrochant aux branches des arbres et suis très soulagé de rejoindre enfin une piste !
Je suis aux Granges de la Pinéa. Mais dans quelle direction aller ? Je ne vois pas de balises. Au pif, je prends à droite et finis par voir un ruban rouge sur un muret.
Mais, un peu plus loin, le coureur devant moi vient à ma rencontre : il est perdu. Je décide de regarder la carte pour la première et dernière fois. Je vois très bien la piste qui serpente à flanc de vallée et lui dis que c’est bien le bon chemin. La piste est large carrossable et descend en pente douce. Des conditions idéales pour trottiner si j’en avais encore la force ! Celui qui m’accompagne ne court pas non plus mais marche plus vite et finit par me distancer. Les 3 autres coureurs me rejoignent aussi bientôt et me distancent aussi par une marche rapide dont je ne suis plus capable !
Finalement, je me retrouve complètement seul sur cette piste interminable qui épouse fidèlement tous les fonds de vallons qu’elle traverse ! Après avoir parcouru de très nombreux méandres et réveillé un chien qui accomplit son devoir en aboyant, je constate que la piste finit par se transformer en route. Je longe quelques maisons silencieuses de part et d’autre. Je commence à me demander si je suis toujours sur le bon itinéraire, ne voyant plus personne ni devant, ni derrière ! Mais c’est toujours au moment où je doute fortement en me demandant si je n’ai pas laissé passer un chemin sur le côté, qu’une balise providentielle me rassure !
Je vois en face, de l’autre côté de la vallée, les lumières du village de Venanson que nous avions traversé au tout début. Cela me paraît si loin déjà !
La route n’en finit pas; elle est quasiment horizontale et je vois de plus en plus de lumières en contrebas. Où nous emmène-t-on ? On va finir par dépasser St Martin Vésubie !
Enfin, je vois un homme seul assis sur un banc. Un insomniaque sans doute à cette heure là ! Il m’applaudit et me dit que je ne suis plus qu’à 800 mètres ! La route descend pour passer un pont et remonte sur l’autre rive. Les cuisses sont douloureuses ! Je suis attentif et arrive tout de même à repérer des peintures vertes sur le sol qui me disent de tourner à gauche. Je descends une petite ruelle pavée trop pentue à mon goût ! Je croise une concurrente qui m’a doublé et lui demande si je suis encore loin. Elle me répond que j’y suis presque.
Enfin, je vois un groupe de personnes assises qui applaudissent. Un virage à droite et l’arrivée est là ! Il est 3h50 du matin.
On me chronomètre. J’ai mis exactement 23 heures et 51 minutes et suis arrivé 182ème sur 284 qui ont fini. Il y a eu beaucoup d’abandons : largement plus de 100 puisque nous étions plus de 400 au départ ! Je suis 33ème sur 60 vétérans catégorie 2 (de 50 à 60 ans). L’organisateur en personne, Thierry Fadini, me félicite et le président d’une association de handicapés me remet personnellement une belle veste polaire.
Je m’effondre sur une chaise, bois et discute avec un autre coureur arrivé peu avant. Il me confirme que le dénivelé était sûrement supérieur à 6000 mètres. Il a totalisé sur son altimètre 6080 mètres mais il me confirme que d’autres ont trouvé des valeurs avoisinant 6200. Il ajoute que annoncer un dénivelé supérieur à 6000 mètres aurait pu psychologiquement en rebuter plus d’un. Je n’en suis pas si sûr puisque les inscriptions ont été closes près de 2 mois avant le départ. L’organisateur entend toute la discussion et sourit sans ajouter de commentaires !
Que sont devenus les 2 copains ? Marcel a bien marché jusqu’à la Baisse de Prals, à mi-parcours. Là, il a été arrêté avec un groupe de 10 personnes, parce qu’ils étaient au-delà du temps limite de 5 minutes ! Il était furieux. Christophe a géré prudemment sa course et est arrivé 1 heure 30 après moi. C’est ce que j’aurais sans doute fait si je n’avais pas eu un avion à prendre !
J’ai donc eu le temps de rentrer en voiture à la maison à Antibes, me doucher, terminer ma valise et prendre l’avion à l’aéroport de Nice. Arrivé à Tunis, j’ai dormi tout l’après-midi à mon hôtel. Le lendemain, j’ai dû expliquer aux collègues tunisiens les raisons de ma démarche hésitante !

J’ai été moi-même tout étonné du bon résultat obtenu. Je n’avais pourtant pas du tout couru depuis plus de 2 mois. Par contre, j’avais effectué une randonnée de 13 jours au Maroc dans le Haut Atlas. Même si les étapes n’étaient pas très pénibles, la plus grande partie s’est déroulée en altitude ce qui a dû me permettre d’augmenter mon nombre de globules rouges !
Physiquement, à part de bonnes courbatures aux jambes les 2 jours suivants, je n’ai eu aucune séquelle de cette épreuve : pas même une ampoule ! Et la tendinite va plutôt mieux !

Je ne recommanderais cependant pas ce genre d’exercice à tout le monde. Il faut une bonne condition physique entretenue par une activité régulière tout au long de l’année, de type randonnée ou course à pied. Il faut aussi avoir un mental à toute épreuve et beaucoup « positiver ».
Mais je ne m’estime en rien un surhomme ; et si je vous ai conté par le détail mon expérience, c’est pour vous puissiez la vivre de « l’intérieur », pour vous montrer par quels états d’esprit je suis passé, les moments de découragement alternant avec des périodes plus optimistes !

Enfin, je reconnais qu’il faut être quand même un peu « fêlé » pour participer à ce genre d’épreuve !

Pour conclure, je pourrais paraphraser un grand alpiniste : si on me demande pourquoi j’ai participé à ce raid, je répondrais « parce qu’il existait ».

François BERTAUX

1 commentaire

Commentaire de akunamatata posté le 15-01-2007 à 10:29:00

superbe CR, intéressant pour moi qui vais faire l'édition 2005!

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