Récit de la course : No Finish Line Paris 2017, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : No Finish Line Paris

Date : 10/5/2017

Lieu : Paris 07 (Paris)

Affichage : 1662 vues

Distance : 175km

Objectif : Pas d'objectif

14 commentaires

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Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Dimanche, 1h du matin, Champ de Mars. Pour la première fois depuis que j’ai adopté l’alternance marche/course, il y a plus de 13h, j’oublie de me remettre à courir après mon repère, la poubelle dans laquelle je jette les coquilles de pistache ou les noyaux des dattes ramassés au ravitaillement et avalés en marchant. Je marche les yeux fermés, en titubant. J’ai envie de me raccrocher à l’épaule des marcheurs qui me dépassent. Je n’ai plus qu’une seule pensée : arriver au village, m’assoir sur une chaise, dormir.

A ce moment, rien d’autre ne compte. J’ai oublié pourquoi je me suis inscrit à cette course de 24h. Les motivations étaient pourtant excellentes : me tester sur une boucle d’1,3 km pour voir si je pouvais tenter une boucle de 177 km, l’ultramarin qui me fait de l’œil depuis des années ; découvrir un format de course horaire inédit sur un endroit au combien familier ; accomplir un voyage au bout de moi-même et rencontrer d’autres coureurs, novices ou expérimentés ; récolter un peu d’argent pour les enfants en difficulté en s’offrant le plaisir égoïste de battre un record personnel de distance ; avoir le confort de pouvoir s’arrêter quand on veut sur cette boucle infinie de 1 305 m et ignorer ce confort trompeur ; se frotter à la monotonie d’une boucle parcourue encore et encore en étant persuadé que ce décor sera toujours changeant. A plus d’un titre, cette NFL est un oxymore. D’un point de vue sportif, mon objectif est vague, entre 3 et 4 marathons, mais ma stratégie précise : rester sur la piste, toujours.

En route vers l'aventure !

Le début de course s’était bien passé, trop bien. Devant mon frère et mon fils, je suis parti vite, il faut dire que je n’ai pas travaillé l’allure spécifique et que, même en me freinant, mon passé (passif) de marathonien me pousse. Je trouve tout de suite passionnant de faire toujours la même boucle, qui n’est jamais la même. On voit de tout, des coureurs, des runners, des joggeurs (merci de m’expliquer la distinction !), des coureurs des 5 jours increvables (eux, on sait les reconnaitre), des promeneurs, des kikous et des kékés. Un anniversaire se prépare, je vois arriver une invitée timide, les enfants vont-ils réussir à casser la pinata ? Réponse au tour suivant. C’est ça, le plaisir des 24h : essayer d’imaginer l’histoire des inconnus que l’on croise. François91 m’avait invité à la photo kikourou au départ, il m’offre maintenant la flamme. Après 3-4 tours,  je lui rends déjà, devant m’arrêter pour mettre une tenue moins chaude.

Fin du premier tour

Première surprise. Mon frère a partagé sur Facebook le récit de mes exploits, et Eddie, l’un de ses amis (ancien recordman de triathlon longue distance, s’il vous plait) vient me saluer en vélo. Il me donne un premier conseil : se méfier des moments d’euphorie comme des moments de démotivation. Il a raison, Eddie ! J’ai passé le marathon en 4h ! Je suis vraiment bien, foulée heureuse, foulée joyeuse. Quelques heures plus tard, mon frère revient avec mon fils, qu’il héberge à Paris pour l’occasion. Passage des 60 kms en famille, avec mon père qui vient aussi me voir. Quel plaisir de courir à domicile ! Mon frangin m’informe que je suis parti comme un fou : premier pendant très longtemps, second maintenant, je me sens comme un coureur ayant sprinté au départ d’un marathon pour être devant les kenyans, et m’attends à me faire remonter par de nombreux coureurs. Mais le classement n’a aucune importance.

Partager un tour avec son fils, quel bonheur !

Je suis maintenant sur un rythme confortable. Un quart de tour en marchant, les ¾ à la course. Arrêt ravito express un tour sur deux, le temps de boire un verre et de picorer deux-trois provisions que je mange en marchant jusqu’à la poubelle, et ça repart pour deux tours de manège. Je me concentre sur mes sensations, ne pense qu’à la séquence de deux tours en cours.

J’arrive comme ça aux 80 km. Nouvelle surprise ( ?) : mon frère arrive en tenue de sport, pour partager quelques tours avec moi. Nous passons ensemble le double marathon, je suis 3ème, j’estime avoir bien digéré mon départ rapide. J’envoie mon frère se coucher, il a un triathlon demain. Quelques tours plus tard, c’est un autre Laurent qui me rejoint, un ami avec qui j’ai couru l’Ecotrail 80, la SaintéLyon, un ultratraileur qui a vu sur Facebook ce qui se passait et qui est venu me rejoindre pour le passage des 100 kms. Encore un beau moment d’amitié.

Le plus fou des deux n'est pas celui qu'on pense...


La nuit est tombée sans que je m’en aperçoive. Imperceptiblement, l’ambiance a changé, les enfants sont rentrés chez eux, certains ados continuent à jouer au foot dans le noir, les noctambules ont remplacés les promeneurs. Aux bus de touristes ont succédé les bus-discothèque, on m’offre du champagne que je refuse. Il fait toujours une température agréable, je cours comme je l’espérais, en ne me souciant ni du temps ni des kms. Presque en apesanteur.  Le véritable voyage, disait Proust, ce n’est pas voir de nouveaux paysages, c’est voir le même paysage avec des yeux nouveaux.

Il doit être 23h quand mes yeux (anciens ou nouveaux) me jouent des tours : je vois arriver Eddie avec mon frangin, qui reviennent partager quelques kilomètres avec moi. Moments fantastiques dans la nuit. Eddie nous raconte sa vie si riche, avec humour et modestie. J’aime beaucoup sa façon d’appréhender la course à pied. Il me félicite pour mon allure, me donne des conseils techniques. Laurent pose des questions, prends des photos, a l’air de bien s’amuser dans la nuit. Nous passons des instants formidables. Je dois enlever un caillou dans une chaussure, pour la première fois depuis le départ je m’assieds brièvement sur un banc. Nous repartons, reprenons notre conversation, et après quelques tours mes anges gardiens vont se coucher pour de bon. Je vais maintenant affronter la nuit. Tour après tour, jusqu’à 1h du matin....



Dimanche, 1h20 du matin, Champs de Mars. Je fini mon tour le plus difficile. Arrivé au village, je prends une veste, décide de boire un café, et plutôt que me coucher je relance pour un tour, pour voir. Rester sur la piste, toujours.

Miracle de la caféine, le sommeil s’éloigne, et je peux même reprendre mon alternance course/marche. Je discute de plus en plus avec d’autres concurrents, nous faisons connaissance dans la nuit. Le lutin et son épouse me font une démonstration de planter de bâton, je suis ravi de ce moment de partage (après tout, c’est  cause de récits comme le sien, celui du Mustang et de François, si je suis là aujourd’hui). Je sympathise avec Cédric, autre coureur du 24h. Il m’annonce qu’il a prévu de faire une pause dans 2h, nous nous amusons de cette étrange distorsion du temps. Plus tard, il me racontera qu’il a fait deux tours non « bipés » mais que l’organisation va le re-créditer.  J’offre des pistaches à Nicolae, coureur des 5 jours. Les Joëllettes continuent de tourner dans la nuit. Et tellement d’échanges non verbaux, de signes d’encouragement, de regards. Belle nuit que cette nuit sur le champ de Mars.

A 4h une douleur se déclare, je ne peux plus relever le pied, une tendinite sans doute. Je n’arrive plus à courir, seulement à marcher. Que faire ? Abandonner ? S’arrêter ? Non, rester sur la piste, toujours. Je calcule qu’en marchant je peux passer la barre des 150 kms, ce serait fantastique. Alors, j’enchaine les tours en marchant. Parfois, je suis doublé deux fois par le même coureur en deux tours, puis reste 1h sans le voir, chacun sa stratégie, chacun son rythme. Cédric s’inquiète pour moi, il n’a pas pu dormir à cause des travaux, alors il s’est remis à courir. A 4h30, au milieu de la nuit noire, les oiseaux se mettent à piailler. Avec une demi-heure d’avance, ils annoncent le jour.

Nous sommes maintenant entre chiens et loups. Un homme a passé la nuit à dormir sur un banc, à côté de sa valise. Un fêtard essaie de me saisir, je chante « Formidable » tant il  ressemble à Stromae dans son clip. Après Stromae, Dutronc, il est 5h, Paris s’éveille. Une altercation éclate du côté de la Tour Eiffel. Je discute avec un coureur, second l’an dernier. Il sort son téléphone et m’informe que je suis encore 3ème. Je n’en reviens pas. Il faut faire honneur à cette place d’honneur. J’essaie de courir de nouveau. Cela fait mal, mais tant pis, c’est largement supportable. Il suffit de ne pas y penser. Je reprends mon alternance course/marche. Les tours s’enchainent un peu plus rapidement. Un caillou dans la chaussure, j'essaie de l'enlever. Je m’efforce de me ravitailler régulièrement, en petites quantités. Encore ce caillou, il doit être dans la chaussette. Je change de chaussures et de chaussettes, le caillou est toujours là, il doit s’agir d’une ampoule. De nouveau cette distorsion du temps, plus que 4h de course, pas le temps de la percer ! Et je repars pour un tour de manège.

Les joggeurs sont revenus, on voit apparaitre de nouvelles têtes. Vers 8h, je sympathise avec deux concurrents des 5 jours. Ils ont un rythme d’enfer (enfin, ils courent), sont souriants, bavards, sympas. Ils sont rentrés dormir chez eux, ce qui explique leur bonne forme. Ils m’annoncent que je suis toujours 3eme. Je fais deux tours avec eux, chaque portion courue est une victoire. Bien que regardant l’écran à chaque passage, je « n’imprime plus », bien incapable de dire combien de kms j’ai fait. Je passe un peu de temps avec DavidSMFC, jeune centbonnard qui m’a impressionné par son rythme cette nuit.


Partager un tour avec sa fille, quel bonheur !


9h30, ma femme et ma fille me rejoignent, bientôt rejoints par mon fils, mon neveu et mon frère (vous avez bien compté, c’est sa 5ème visite !). Il me félicite : « tu es 4ème ». Quoi ? Ce n’est pas possible, je viens de me faire dépasser ? J’hésite entre l’abattement et l’envie de rattraper l’insolent, il ne doit pas être loin devant. Tant pis pour le tour d’honneur que j’imaginais tranquille avec ma famille, pour la première fois depuis hier midi je fais un tour complet en courant, puis un deuxième « presque » en courant. On me donne un bout de bois qui doit servir de ligne d’arrivée. Puis on entend le décompte final « 5, 4, 3, 2, 1 PAN ».

C’est fini.


Impossible de dire ce que je ressens à ce moment. Un mélange d’incompréhension devant l’effort accompli (175 kms, 24h sur la piste, toujours). Un voyage au fond de moi dont il me faudra longtemps pour revenir. La fierté sans prix d’avoir partagé ces instants avec ma famille, mes amis, et de nouveaux complices. Comme pour les bonnes bières, une pointe d’amertume d’avoir laissé passer le podium pour un km. Cédric s’en excusera presque, on lui a recrédité à 9h40 ses deux tours non bipés. Je le félicite sans arrière-pensée. L’essentiel est ailleurs.


Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Aragon




14 commentaires

Commentaire de Mustang posté le 19-05-2017 à 16:38:41

Très beau récit de quelqu'un qui veut aller au bout de lui-même. Les émotions sont au rendez-vous, comment ne pourraient-elles pas être là avec ce format de course ?

merci pour tes encouragements discrets tout au long de ces 24h.

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:30:20

Merci Monsieur Mustang,
ton récit 2016 m'avait donné envie de faire cette course, et il faut bien le dire, je ne l'ai pas regretté !

Commentaire de Laurent V posté le 19-05-2017 à 16:45:35

Bravo, mon frère. Je suis tellement fier de toi que j'en parle à tout le monde. Hier, ma boulangère du samedi m'a vu passer devant sa boutique et est sortie pour me demander combien tu avais couru. Je ne m'en rappelais plus, mais je lui avais conté ton aventure en cours, samedi dernier, en allant chercher mon pain du WE...

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:31:42

Merci frérot,
comme tu le disais, c'est incroyable d'imaginer que pendant que l'on cour, le monde continue de tourner, les boulangères à faire du pain, et les présidents à être intronisés.
Merci pour tes 5 visites.

Commentaire de DavidSMFC posté le 19-05-2017 à 17:22:53

Génial récit d'une aventure très complète, qui donne très envie de vivre ce genre de moments. Bravo pour la performance, dommage d'être passé si près du podium mais l'essentiel est ailleurs. Nous nous sommes souvent croisés avant de passer enfin un moment ensemble au moment de mon dernier tour. C'était vraiment sympa. J'étais cuit mais impressionné par ta course. En espérant que nous aurons de nouvelles occasions de nous croiser :-)

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:32:54

Hello David
on va évidement se revoir sur plein de courses, j'ai l'impression que la course à pied n'a pas fini de te procurer de belles émotions

Commentaire de bubulle posté le 20-05-2017 à 13:56:29

Hé bé, pour un premier 24h, c'est un superbe résultat, ces 175km ! La persévérance à tourner encore et encore a bien payé malgré le départ quelque peu suicidaire...:-)

C'est surtout étonnant comme on arrive à trouver du renouvellement sur ce parcours....et à s'établir ses petites routines (moi, y'a 2 ans, c'était la fontaine sur la droite, dans le retour, qui me servait de point de repère, avec un mouillage de casquette tous les 2 tours.... j'ai aussi une grande histoire d'amour avec la racine qui a défoncé le trottoir au bout de la ligne droite aller et qui a déjà failli me valoir 3 gamelles --> trop technique, ce terrain....)

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:35:28

Merci ! de la part d'un ancien vainqueur de l'Ecotrail...

Je n'ai toujours pas réalisé que j'avais couru 175 km, c'est assez inimaginable en fait.

J'ai adoré le format course horaire, comme tu le dis on trouve dans les détails un renouvellement infini du parcours, pas une seconde d'ennui

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 20-05-2017 à 16:49:27

Tiens, comme Katia, premier 24h et quatrième place... eh bien je dis que c'est beau !
Content de t'avoir connu. Bravo !

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:37:23

Je n'ai pas vraiment parlé avec Katia, mais elle m'a impressionné par son rythme et son regard toujours lucide, quelque soit l'heure. Félicite-la de ma part en espérant la revoir l'an prochain ! Content d'avoir enfin rencontré la bande d'Ecouves

Commentaire de francois 91410 posté le 21-05-2017 à 10:32:00

Très beau récit d'une très belle aventure ! merci
Je me souviens de toi, sagement assis sur une chaise sur la place en attendant le top départ ce samedi matin... "c'est mon premier 24h !" m'avais tu lâché, presque timidement...
En te voyant partir à cette allure je me suis dit "il ne tiendras pas jusqu'au bout" ... et pourtant tu l'as fait, et de quelle manière ! Tu as appliqué la règle n°1 : rester sur la piste. Bravo pour ton score : le vainqueur avait fait 171km l'an passé !! et bonne suite de récup

Commentaire de marathon-Yann posté le 22-05-2017 à 18:39:49

Merci de ton commentaire et de ton accueil, j'étais effectivement assis timidement sur ma chaise...

Tu as raison, je crois que la règle n°1 sur ces courses c'est "rester sur la piste, toujours", formule que j'ai dû emprunter à ton récit 2016. Bonne récup à toi, en attendant ton récit 2017 !

Commentaire de teddom posté le 24-05-2017 à 23:04:37

Félicitation trés beau récit et la nuit tu a su rester sur le circuit cela t'a permis d'alligner les kms et de faire cette très belle marque tu a du me doubler bien des fois je faisait l'epreuve a la marche sur 5 jours bonne récup a une prochaine

Commentaire de marathon-Yann posté le 30-05-2017 à 15:25:11

Merci teddom ! J'ai discuté avec différents coureurs des 5 jours, vraiment chapeau à vous !

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