Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2007, par nono's coach

L'auteur : nono's coach

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 24/8/2007

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 2379 vues

Distance : 163km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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Le récit

 

Mon UTMB 2007

                 

Pourquoi, comment ?

 

Une semaine après avoir couru « les Templiers », j’ai décidé de m’inscrire à l’Ultra Trail du Mont-Blanc. Mais ce n’est qu’après mon inscription officielle sur Internet en janvier 2007, que l’ensemble de mes pensées sur la course à pied s’est concentré sur le challenge qui m’attendait.

Ma préparation physique s’est ancrée autour de courses de préparation :

  • Un semi marathon en février pour révéler mes progrès en VMA (1h23).

  • Le Trail de la vallée de Chevreuse en avril pour calmer mes impulsions de départ rapide.

  • Le Trail des cerfs en mai pour me rassurer sur mon genou gauche.

  • Le double marathon en juin (42km à Viroflay le samedi, le trail de Sully le dimanche) pour tester la distance.

  • Des montées pédestres en juillet en préparation musculaire, avec la satisfaction d’une 2ème place senior à Vallandry.

  • La 6000D comme ultime course de préparation. Mon état de fraîcheur et ma vitesse décontractée (5h32) me rassurent pleinement 4 semaines avant.

En plus des courses, j’ai progressivement augmenté le nombre d’heures courues par semaine et le dénivelé. En juillet-août, mes longues vacances à la montagne m’ont permis d’aligner des randos trails de 5-6 heures avec un dénivelé total en 6 semaines de 18000 mètres positifs !

 

En plus du physique, j’ai senti que le mental serait déterminant dans une telle course. Je n’ai jamais pris cette course comme un raid infaisable, mais plutôt comme un défi personnel, un exploit pour juger mes limites mentales, mais aussi pour flatter mon égo.

Pendant 8 mois, j’ai rêvé de l’UTMB, j’ai consulté quotidiennement le forum des traileurs sur Internet, j’ai progressivement pris la mesure de l’évènement en intégrant des paramètres pourtant effrayants :

 

 

  • 163 km de course, ce qui veut dire 100 km de plus que la plus longue des courses que j’ai courue : les Templiers.

  • 10 cols à gravir.

  • 89OO mètres positifs, soit 3 fois la 6000D ou 3 semaines de préparation spécifique de dénivelé ou l’Everest.

  • 2 nuits blanches, tout en s’activant physiquement avec 100% d’attention sur ma foulée avec une lampe frontale. Je n’ai jamais passé deux nuits blanches consécutives de toute ma vie !

  • Plus de 30 heures d’efforts non stop en dénivelé.

  • Une alimentation gargantuesque à digérer (+ de 25 litres d’eau, 4l de coca, 5l de boisson isotonique, 2l d’eau gazeuse, 10 soupes, + de 20 barres de céréales, 3 pâtes d’amande, au moins 4 bananes, 4 oranges, 2 sandwichs saucisson, 3 plats de pâtes, 2 parts de tarte, un demi gâteau sport, 1 polenta)

  • Une amplitude thermique de 30°c (-1°c au col de la Seigne, + 30°c à Arnuva)

  • 4 kg constamment sur le dos

 

Avant le départ

 

Mes parents sont venus me chercher 2 jours avant le départ et m’ont accompagné aux Coches-la Plagne, puis à Chamonix. Toujours aux petits soins, ils m’ont laissé exprimer mon stress pendant des heures, ce qui m’a évité de bouillir intérieurement.

Les trois nuits avant le départ ont été reposantes avec 9 h de sommeil par nuit. Ouf ! Je ne serai pas en manque de sommeil, et cela sans somnifère.

Nous partons vendredi 24 août, jour de la course, des Coches à midi pour deux heures de route vers Chamonix. Sur la route, j’achète de l’alimentation pour la course (barres de céréales, gels, pains d’épices) que je ne consommerai même pas !

A St Gervais, je prends la mesure de la montagne. Le Mont-blanc est gigantesque, les glaciers imposants. L’ensemble est magnifique.

Le retrait du dossard se passe comme dans un aéroport, avec vérification de l’identité, des bagages et la pose du bracelet à puces magnétiques. Enfin paré, je prépare mon sac à dos et mes deux sacs de dépose (à Courmayeur et à Champex).

Je suis totalement désorganisé et redoute d’oublier l’essentiel. A ce moment, Sylvie me manque. Heureusement, à l’heure du repas d’avant course (16h), je reçois son soutien et celui de Julie et Mylène par téléphone. Arnaud et Christophe m’encouragent par SMS.

Je n’ai pas faim, mon regard est flou, la tension monte d’un coup mais mes parents me rassurent par leur présence.

 

Ce qu’ils vont réaliser pendant ces deux jours est une prouesse. Eux aussi ne dormiront quasiment pas. Ils seront présents aux Chapieux, à Courmayeur et à tous les ravitaillements à partir de Champex. Aucune lassitude ne trahira leur soutien. Mon père ne montrera aucune excentricité, ses propos seront toujours mesurés. Ils ont été parfaits.

 

18h sur la place du Triangle, il y a foule.

Certains visages sont fermés, d’autres semblent heureux d’être là. Le nombre d’accompagnateurs est phénoménal. On se demande parfois qui sont les plus inquiets. Mes parents me souhaitent bon vent et prendront la navette jusqu’aux Chapieux.

18h30 Le départ est imminent. La place se vide des accompagnateurs. Je suis tout au fond près de l’église. Sherpa, Delebarre, Olmo et Poletti nous encouragent.

 

 

Chamonix-les Houches (8 km)

 

 

18h34 C’est parti, sur une musique d’entrée de gladiateurs. Les spectateurs sont partout sur plusieurs rangées, le long des rues de Chamonix. Ce départ, je le rêvais depuis 8 mois. Je le savoure en marchant, les larmes aux yeux. J’ai achevé ma préparation en bonne santé, tous mes proches me soutiennent. J’ai toutes les cartes en main ; je me dois de réussir. Je suis heureux d’être là. Ce sera une des dernières fois !

Il faut plusieurs minutes avant de courir sans s’arrêter. Tout le monde court sur ce chemin forestier plat. Nous sommes serrés les uns contre les autres. Il est difficile de doubler.

Les Houches- St Gervais (20km)

                                                          

A partir des Houches, je sors les bâtons pour ne plus les quitter. Le col de Voza est 800 m plus haut. L’ascension se fait à un bon rythme. Je double au moins 200 personnes. Le soleil se couche et rosit les glaciers. Le beau temps sera toujours au rendez-vous. Il est 20h35 au sommet, à la Charme.

La descente vers St Gervais est abrupte mais ne me pose aucune difficulté, jusqu’à l’apparition d’une crampe au mollet droit. Comme d’habitude, je fais ma chochotte en écoutant trop mon corps mais je suis tout de même inquiet, car une crampe au bout de 16 km sur une course comme l’UTMB, cela ne fait pas sérieux. Heureusement, cette « douleur » passera et ne reviendra jamais. J’apprendrai plus tard que cette descente aura été mal vécue par les anciens finishers et qu’elle provoquera de nombreux abandons prématurés. Il est vrai qu’il est préférable d’abandonner à 20 km du départ qu’à 20 km de l’arrivée !

21h15 L’accueil à St Gervais est extraordinaire.

Il y a un monde considérable, semblable au Tour de France. Pourtant, mon plaisir est gâché par la perte de mon dossard dans la descente. Deux bénévoles m’arrêtent à l’entrée du ravitaillement et refusent que je passe, l’un d’eux me disant que je ne pourrai pas continuer.

Je n’y crois pas ! Huit mois pour rien, 500 euros d’investissements envolés, mes parents qui m’attendent sans voiture aux Chapieux. Après deux minutes de désespoir, un autre bénévole arrive et me dit que je peux continuer car j’ai mon bracelet magnétique. Je me ravitaille en boisson énergétique, mais je suis touché moralement. Je ne peux profiter des applaudissements, j’ai le visage fermé car aucun responsable n’est venu m’affirmer que j’avais le droit de courir sans dossard. C’est l’esprit préoccupé que je pars vers les Contamines.

 

St Gervais - les Contamines (30 km)

 

J’ai peu de souvenirs de ce trajet car je suis inquiet. Il semble que j’ai surtout couru.

A 22h39, aux Contamines, il y a moins de monde mais toujours une belle ambiance. Je contacte le responsable, je lui annonce la perte du dossard. Grâce au bracelet magnétique et à ma carte d’identité, il me laisse passer. J’ai encore perdu 5 minutes. Je téléphone à mon père pour qu’il puisse avertir de son côté le PC course aux Chapieux.

 

Les Contamines - Les Chapieux (49 km)

 

Je cours le faux plat montant vers Notre Dame de la Gorge (belle chapelle illuminée au milieu de nulle part. A partir de ce point commence la 1ère difficulté du parcours : le col du Bonhomme 2479 m (+1250m). Je marche d’un bon rythme.

Il y a toujours des spectateurs pour nous encourager. Je suis surpris par leurs trésors d’ingéniosité pour illuminer le parcours de guirlandes, bougies ou feux de joie.

Avant la Balme, mon dos me gratte, je replace mon tee-shirt dans mon corsaire et retrouve… mon dossard enroulé dans ma culotte.

« Quel abruti ! » résonne encore dans la nuit étoilée.

Je me sens de nouveau appartenir à la course. Avant minuit, j’arrive à la Balme. Je régularise ma situation avec un responsable, puis je me couvre, car il va faire froid là-haut.

C’est reparti pour une montée active vers le col. Les coureurs sont moins rapprochés. Je double quelques groupes. Nous traversons notre unique névé du parcours. Au sommet, il y a une trentaine de spectateurs qui nous encourage au son de cloches. Il est 1h du matin. Quel courage, car ils vont y rester toute la nuit. Chapeau !

La descente vers les Chapieux est périlleuse car boueuse. Je ne compte pas le nombre de coureurs tombant les uns sur les autres comme des dominos. Une femme me double et semble survoler la montagne. C’était la partie ski alpin du parcours. J’en profite pour me tordre sans conséquence la cheville gauche.

J’entends en bas l’effervescence du 1er gros ravitaillement. Il est 2h08 et j’arrive sous la musique d’un groupe local reprenant « Another brick in the wall » de Pink Floyd.

Lapsus révélateur d’une course où il faut empiler brique sur brique, franchir mur après mur.

Je retrouve mes parents, je les rassure, puis me restaure péniblement. Seule la soupe aux haricots me comble.

J’avale une part de mon gâteau sport. Ce sera la dernière fois que je mangerai de ma propre nourriture. Elle me donne la nausée. Finis le pain d’épices, les barres d’amande et la boisson go-drink. Comme prévu, je repars 15 minutes plus tard.

 

Les Chapieux- refuge Elisabetta (63km)

                                   

Une longue route monte tout doucement vers la Ville des Glaciers. Je double un coureur à la frontale éteinte. Problème de piles ? « Eteins ta lampe et admire ! » me souffle-t-il. J’obtempère et je découvre la voie lactée comme je ne l’avais jamais vue. Ce sera le dernier moment de bonheur du parcours.

La montée du col de la Seigne se fait sans douleur à un bon rythme. Je mène le train de trois coureurs. J’avais déjà grimpé ce col avec Sylvie et il m’avait paru interminable. Je suis surpris par ma vitesse d’ascension.

4h26 au sommet.

 

L’herbe est givrée, il fait donc sous 0°c. Bonjour l’Italie. On me propose du Beaufort. Beurk ! Pourquoi pas du parmesan !

A partir de ce point, je ne doublerai plus aucune personne en forme. J’arrive péniblement au refuge Elisabetta à 4h56. Rétrospectivement, 500m- en 30 minutes est une performance. Je mange ma troisième soupe du parcours, quelques bricoles et basta !

Refuge Elisabetta – Courmayeur (77 km)

 

Je marche maintenant en faux plat et je découvre une ascension que j’avais oubliée dans la road book : l’arête du Mont Favre. Le jour commence à pointer et moi à sombrer moralement. Pourtant, je monte assez facilement mais je me rends compte qu’il me reste encore 100 km à courir et que demain, à la même heure, je ne serai pas encore arrivé. L’UTMB devient une folie.

Je descends vers le col Checrouit et rencontre les premiers blessés, titubant vers les secours.

Au ravitaillement en boissons, l’eau me dégoûte, mais le reste encore plus. Je me force tout de même. Une bénévole nous prédit une descente vertigineuse de 40 minutes vers Courmayeur. Elle n’aura tord que sur le temps : 50 minutes.

                                                 

Je me rends compte que les descentes seront plus pénibles que les montées. Du moins, c’est ce que je croyais sur le moment car sur un tel raid, les affirmations n’ont pas la vie longue.

 

J’arrive à 7h32 à Courmayeur en courant. Je fais bonne figure devant l’appareil photo de mon père, puis je reste dans le centre de ravitaillement 30 minutes, me débattant avec mon sac de dépose. Que dois-je prendre, laisser, manger ? J’ai encore du mal à me nourrir et le bol de pâtes italiennes est décevant (trop sèches) !

Aux toilettes, il y a la queue pour … vomir. A table, un coureur sermonne son copain qui va abandonner. Il n’est pas dans les temps et ne voit plus l’intérêt de poursuivre. L’autre sent que c’est un prétexte ; il repartira seul, plus démoralisé que jamais.

Derrière moi, une coureuse actionne une machine et récolte un liquide blanc. Cette américaine profite tout simplement de son ravitaillement pour tirer son lait. Le mari attend le biberon qu’il donnera à leur fille, pendant que la maman court. Incroyable !

Courmayeur – Arnuva (94 km)

                                                          

Cette étape sera la plus pénible moralement car je sais qu’arrivé à Arnuva, je n’aurai accompli que la moitié en temps, si tout va bien, de mon UTMB. De plus, avec le Grand Col Ferret à suivre, il y aura 2100 mètres positifs en 22 km ! Et cela en plein soleil.

 

L’ascension est progressive dans les rues de Courmayeur puis se durcit en direction du refuge Bertone. Je croise pour la première fois un coureur assoupi sur un banc, que je retrouverai plus haut au refuge affirmant avoir bien dormi 5 minutes. Le besoin de parler se fait ressentir. Je discute avec un jeune coureur à tresses. Il me pousse à boire plus que de raison. L’année passée, il avait abandonné à Arnuva, à cause de deux tendinites à l’aine. Il était déshydraté. Je maintiens une allure raisonnable jusqu’à Bertone. Avant de repartir, je recroise le même jeune homme ; il demande un kiné en raison de crampes à… l’aine.

 

Le trajet Bertone – Bonnati de 7 km est interminable. Je peine à relancer dans les faibles descentes. J’ai mal aux jambes. Heureusement, je suis les pas d’un coureur expérimenté, qui prend son temps. Son discours paisible et son optimisme me font du bien.

 

A partir de maintenant, je n’ai plus aucune barrière horaire en tête. Finir sera un exploit.

 

Des dizaines de coureurs me doublent. Il court, eux ! Après une courte pause à Bonnati, Arnuva est à 5 km … 5 km en montagne … 5 km en enfer !!

J’arrive à Arnuva exténué. Les interrogations attentionnées des bénévoles me renvoient mon état déplorable. J’ai le regard vide, le teint livide et comble du mal être plus aucun sens de l’humour. Cette expédition est un chemin de croix et je ne suis même pas croyant !

Si j’abandonne, je sais que je devrai recommencer l’année suivante. Comme je ne veux plus jamais à avoir à repasser par Arnuva, il faut donc repartir. Il est 11h55.

 

Arnuva – La fouly (107 km)

 

La pente vers le Grand Col Ferret est abrupte mais praticable. J’avance doucement. A l’entraînement, je mets le tiers du temps d’un randonneur moyen. Un panneau indique deux heures d’ascension. Je sais que je n’en serai pas loin. Le parcourt fait un petit détour (superflu ?). Un concurrent coupe tout droit et gagne une minute. Au moment de m’engager, j’entends siffler. Un coureur me fait comprendre que le chemin passe par le long détour. Quel con(current) ! Mais j’obéis à contre cœur. Il m’attend et je vais lui dire ma façon de penser. Il a déjà terminé 2 fois l’UTMB et m’assure que je serai plus fier de moi si je respecte le parcours. Encore un qui a du bon sens !

A ce moment de la course, le chronomètre m’évite la déshydratation. Je me force chaque dix minutes à boire 4 gorgées, malgré le dégoût et parvient ainsi au sommet à 13h13.

Il me semble que le paysage est objectivement magnifique. Je fais semblant de l’admirer. Je deviens insensible à la beauté.

 

 

Bonjour la Suiiisse !

Vers la Peule, en descente, je cours 20 secondes, je marche 20 secondes. Je rattrape un Italien qui me parle allemand : « Kapputt !» 

 

A la Peule, seul le coca me convient encore. Je me rends compte que j’ai couru plus de 100 km. C’est reparti pour 2 km de descente abrupte puis 3 km de descente plus douce vers la Fouly. Et dans cette deuxième partie … miracle ! Je recours à 10 km/h. Peut-être est-ce la vision d’une coureuse anglaise en bob et short fleuri filant devant moi qui me porte vers le ravitaillement à 14h45.

Je m’y arrête et mange avec moins de dégoût de la soupe et de la mortadelle !

La Fouly – Champex (122 km)

 

Je repars en courant, discute avec un concurrent, et nous manquons la balise. Heureusement, un sifflement à l’arrière nous ramène sur le bon chemin. Je continue plus péniblement et ne parvient à courir que par intermittence.

Avant Praz de fort, je rencontre de nouveau mon traileur au sommeil flash en train de … dormir ! Il me redoublera 20 minutes plus tard, frais comme un chamois. Il a participé aux cinq UTMB, n’ayant pu terminé le premier en raison d’une hypothermie à 20 km de l’arrivée. Il semble dans son élément, a déjà bu une bière et n’hésite pas à engager des discussions avec les passants. Nous ne vivons manifestement pas la même course.

Après avoir bu un verre de coca lors d’un ravitaillement sauvage organisé par des enfants de moins de huit ans, une douleur en haut du quadriceps droit se fait ressentir. Je ne peux plus lever ma jambe droite à plus de dix centimètres du sol. Les bâtons deviennent indispensables dans la montée vers Champex.

« Cette montée passe bien car elle est variée et très jolie » dit le road book. Tant mieux pour lui, car moi je vis un calvaire à chaque pas et j’attends énormément du massage des kinés à Champex.

Si la douleur ne passe pas, comment pourrais-je monter Bovine et ses 500 mètres positifs en moins de 1,5 km, réputés très accidentés et boueux. A moins d’un km de Champex, j’aperçois mon père qui m’accompagnera jusqu’au ravitaillement. Son soutien m’est précieux et je peux me plaindre à loisir.

A 17h41, dans l’énorme structure d’accueil, je mange une tarte à la myrtille et file voir les kinés et podologues.

                                         

C’est la première fois de ma vie que j’utilise leur service. J’ai honte de me présenter si salement. Un gars et une fille s’occupent de mes deux jambes tandis que la podologue perce mes trois ampoules aux pieds. Ils font des miracles. Ces gens sont admirables, souriants et insensibles aux odeurs de mes pieds. Ces 30 minutes décontractantes me remettent d’aplomb. Un double bandage aux pieds devrait me permettre d’atteindre Chamonix. Je mange avec appétit des spaghettis bolognaises, prépare mon sac et file à 18h45 en bonne santé vers la terrible montée de Bovine.

 

Champex – Trient (137 km)

                                             

Je me sens bien sur le plat du lac de Champex et court tranquillement vers la base de la côte de Bovine. Je bois et je mange sans dégoût.

Dès les premiers pas de la montée, je ressens la même douleur à la jambe droite. Comment vais-je pouvoir gravir ces rochers et ces dalles de 30 cm à 1 mètre de haut, mais surtout à quelle vitesse ?

Je ne m’appuie plus que sur ma jambe gauche. Cette jambe que j’ai tant maudite toute cette préparation, me plaignant du genou, des tendons ; allant même voir un kiné magnéto thérapeute et un orthopédiste marchand de tapis. Sans cette jambe gauche, je serais encore dans Bovine 3 jours après.

Soudain je me souviens du gramme de paracétamol dans mon sac. Je l’avale, je continue à souffrir trente minutes puis … avec l’arrivée au sommet dans les alpages, je ne ressens presque plus rien. Moralité : Il ne faut plus mettre de boissons énergétiques dans son camelbag mais des sachets de paracétamol !

Au ravitaillement de Bovine à 21h04, la nuit est tombée. Je me couvre une dernière fois, remets la frontale. Une infirmière, amie de mes parents, me félicite et m’offre une soupe. Je suis confiant pour la suite.

La descente vers Trient se passe sans encombre. Je double quelques concurrents, discute. Je vais bien et j’arrive dans la ville à 22h27 en courant, aux côtés de mon père. Je suis au moins à 10 km/h. Je mange avec bon appétit, plaisante presque.

Trient – Vallorcine (147 km)

 

Trop confiant, je repars à l’assaut du col de Catogne avec un bon rythme. J’emmène dans mon sillage 2 personnes. Il fait nuit et je ne distingue pas le coureur avec qui je discuterai pendant une bonne heure d’ascension. Il me racontera sa passion du trail. Une semaine après l’UTMB, il compte récupérer par un semi marathon. Je parle avec des fous furieux !

                                                  

La descente réveille mes douleurs. Je ne cours presque plus et j’essaye de suivre coureur. Celui-ci me dira sa fierté d’avoir pu doubler Karine Herry dans le Canigou.

Cette descente me fatigue et je commence à sentir le manque de sommeil. Etrangement, ce facteur n’aura absolument pas été déterminant lors de cette course.

Mon arrivée à Vallorcine à 1h24 ne me laisse presque aucun souvenir. Je suis lassé de courir et j’ai hâte d’en finir. Je change les piles de ma frontale.

Vallorcine – Chamonix (163 km)

 

Je repars au « pas » d’escargot, rampant péniblement vers le col des Montets. La descente est pénible car les appuis sont rendus difficiles par les cailloux et les racines. J’ai une nouvelle douleur au dessus de la cheville droite lorsque je fléchis mon pied. Argentière est le dernier ravitaillement en boissons avant Chamonix. Il est 2h49.

Avant de repartir, je croise une connaissance lors de ma préparation en région parisienne (parcours des 25 bosses, Trail de Chevreuse, Trail des Cerfs). Il repartira juste après moi, mais telle une fusée me doublera à 7 km/h pour arriver une bonne heure avant moi. Chapeau !

Je commence pour la première fois à réfléchir sur mon temps. Il me reste 45 minutes pour faire moins de 33 heures, 1h45 pour moins de 34 heures et 2h45 pour 35 heures. 1h45 pour 10 km me semble objectivement réalisable, mais l’UTMB est subjectif.

Je repars avec un compagnon de galère pour un 10 km interminable. Ca monte, ça descend, j’ai mal au pied mais je suis confiant. Nous décidons de marcher vite et nous discutons. Il me confiera que le trail l’a conduit à divorcer car il a rencontré une traileuse. Elle a abandonné au bout de 20 km, mais elle l’attend à l’arrivée. A trop parler, nous perdons les balises et nous retrouvons en bas d’Argentière. Il nous faudra au moins trente minutes pour retrouver le chemin.

L’UTMB 2007 mesurera désormais 165 km et comptera un sprint pour rattraper une voiture qui nous renseignera du chemin à prendre.

Désormais, chaque pas est pénible, je ne peux plus courir du tout. Je peste sur cette arrivée soit disante en descente. Je rêve d’une autoroute goudronnée ! Enfin Chamonix à l’horizon.

Je ne peux plus qu’espérer arriver, tel un fonctionnaire, en moins de 35 heures. Chaque spectateur me rassure sur l’imminence de l’arrivée.

A l’entrée de Chamonix, après 2 coups de téléphone, j’aperçois mon père qui m’encourage. 2h30 pour 10 km, il avait des raisons de s’inquiéter.

500 mètres avant la ligne nous sommes trois concurrents. Nous décidons d’arriver ensemble, en courant, sous les applaudissements de tous les accompagnateurs disponibles à 5h19 du matin. A droite, à gauche, au milieu … mais quand verrai-je cette fichue banderole ?

Enfin, nous franchissons ensemble le tapis électronique en 34h47.

Je suis content, mais pas aussi expansif que je l’aurais cru. Je m’attendais à hurler de joie, à pleurer ou à faire l’équilibre sur les mains…

En fait, je suis soulagé d’avoir terminé. Je remercie tout le monde. A partir de ce moment, je sais que c’est le dernier ultra trail que je courrai. Trop de souffrance, beaucoup d’investissements pour peu de bonheur de course. Mon égo a des limites. Tant mieux pour mon corps et pour mon entourage.

Je me laisse guider vers le ravitaillement. 15 minutes après l’arrivée, j’avance à peine, je ne peux plus soulever mes pieds et je tremble de froid. Après avoir escaladé laborieusement la marche menant à la tente restaurant, je mange une polenta, une part de quiche et une salade, puis je file à la douche collective. Je tremble toujours puis je m’écroule sur un lit de camps à 7h pour 2-3 heures de sommeil profond instantané. Au réveil, je suis toujours persuadé d’avoir accompli une folie, mais quelle fierté !

A côté de moi vient s’allonger le jeune homme à tresses de 25 ans porté par ses parents. Il souffre d’effroyables douleurs à l’aine et ne peut plus poser les pieds. Je lui souris inquiet. Il me regarde et me fait un signe positif. Lui aussi n’aura plus jamais à accomplir un tel exploit, car il l’a terminée.

 

 

 

3 commentaires

Commentaire de gmtrail49 posté le 22-03-2009 à 16:58:00

Salut nono's coach

Très beau récit qui décrit si bien tous les états d'âme par lesquels on peut passer sur la durée d'un ultra. On a tous vécu des courses où on passait plus de la moitié du temps à gamberger sur le pourquoi de notre activité, sur l'absence de plaisir ressenti... C'est plus particulièrement le cas lorsqu'il devient difficile de s'alimenter. On envie alors comme toi sur ton UTMB les collègues qui restent ouverts vers l'extérieur, réussissant à plaisanter avec les bénévoles, à lever les yeux pour regarder le paysage... Peut être dans ces moments galère faut-il apprendre à "se forcer" à s'ouvrir également pour oublier ses petits problèmes.
En tout cas, même si tu sembles négatif sur l'expérience de ce premier UTMB, ta perf reste de choix avec moins de 35 h (même si 5 h 30 à la 6000 D pouvait présager d'un meilleur temps).
Ta fiche de kikoureur indique due tu souhaites un jour faire le GRR, cela signifie donc que tu est moins catégorique quant à ton futur en ultratrail.
Bravo encore.
JP.

Commentaire de Stéphanos posté le 22-03-2009 à 22:21:00

bravo,meme un trés grand BRAVO! j'ai bien apprécié ton récit, qui me servira certainement fin aout pour ne pas lacher le morceau et s'accrocher dans les moments difficiles car c'est certain il y en aura, comme dans tout ultra...merci

Commentaire de gastéropode posté le 19-10-2012 à 00:39:41

Salut Coach!
je viens de relire ton récit. Encore chapeau et merci pour ta sincérité.
Qu'un athlète aussi fort et expérimenté que ta pomme puisse trouver l'épreuve aussi difficile, cela laisse songeur. Peut-être que l'alimentation a joué un grand rôle dans la dureté de ta course. Peut-être qu'un jour tu refera un truc énorme avec une préparation moins importante et que tu le vivras mieux. Je te souhaite plein de plaisir et de bonheur dans la course à pied

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