Récit de la course : Sur les Traces des Ducs de Savoie 2011, par Bert'

L'auteur : Bert'

La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie

Date : 25/8/2011

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1377 vues

Distance : 120km

Objectif : Objectif majeur

6 commentaires

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TDS 2011 - Quelle émotion !!

T.D.S (sur les Trace des Ducs de Savoie)

25 – 26 Août 2011

 

Jeudi 25 Août 2011, 5h30 – CHAMONIX :

Je me réveille après une bonne dernière nuit douillette. Le temps de finir les préparatifs, avaler quelques bricoles, je regarde pensif le Mont-Blanc. A peine éclairé par le jour naissant, j’immortalise le moment puis ne tarde pas à lever le camp.

Le bus est situé à seulement 5 minutes à pied et doit nous conduire en 1h sur la ligne de départ. Je prends place tout à l’avant et, le temps du voyage, sort mon petit livre rouge acheté 2 jours avant : « Plaisir de courir » par Nathalie Lamoureux (coureuse d’Ultra, journaliste et… inscrite à la TDS). Pendant le trajet, ses récits sont une bonne détente et source d’inspiration. Je vais manquer de temps pour finir mon chapitre… mais pas de souci, je le finirai en rentrant de « ma balade »…

Le bus nous lâche à quelques centaines de mètres du départ, ce qui me laisse le temps de réaliser que, ça y est, c’est bien le jour J. La récompense de tant d’efforts, de tant d’heures, voire d’année d’entraînement va se matérialiser dans quelques instants.

Réussir un tel challenge se mérite et c’est ça que je m’efforce d’apprécier. Ce long chemin parcouru… pour pouvoir profiter de l’instant présent, ce matin à Courmayeur.

Qu’il est loin le temps où, un matin des années 90, au balcon de ma chérie, en bordure du Louvre, je rêvais en voyant passer les coureurs du Marathon de Paris. Bien que détestant courir (!), j’avais déjà conscience, qu’avec un peu d’entrainement, ce défi pourrait m’être accessible… tout en n’imaginant pas un seul instant le transformer !...

La foule gronde, la musique se déchaine, signe d’un départ imminent. Pour moi, les choses sont simples : on part juste pour une longue balade qui va nous conduire vers une formidable petite aventure. Un peu comme un défi d’enfant, qu’on va simplement accomplir parce qu’on est cap’ ! Comme le dit si bien Jack Bauer dans le série 24h : « this is going to be the longest day of my life »…

Quelle drôle de sensation également de penser qu’on va se promener, sans aucune raison ou autre idée que d’en profiter. Pas d’ordinateur, de mail, de boulot à penser. Pas de quotidien ou routine à gérer…

Une évasion complète avec juste un bon moment pour admirer, rêver et profiter du chemin…

 

Jeudi 9h00 - COURMAYEUR (1220m) :  Départ, 1200 coureurs (sur 1450 inscrits) :

Les rêvasseries s’estompent  quelque peu avec le coup de canon qui nous lance dans une ambiance on ne peut plus festive. La foule crie ses encouragements sur des centaines de mètres, les cloches à vaches sonnent de toute part et il faut se freiner pour ne pas se dépenser trop vite.

Evidemment impossible de ne pas courir… d’un autre côté, on y va tout doux.

Les habitants nous encouragent avec ferveur et c’est extrêmement agréable. Corinne et Anne sont à mes côtés. C’est la première grande surprise du jour :

Début Juillet, tandis que ma course d’entrainement, la Montagn’Hard (62km, D+ 5000m) s’achève dans l’agonie, deux jolies jeunes femmes m’ayant précédé, tentent de me remonter le moral. Elle me  donne même rendez-vous à la TDS, aussi « infaisable » que je songe à arrêter définitivement l’Ultra-Trail …

Et là, par un incroyable hasard, je les retrouve sur la ligne de départ pour une course encore plus improbable ensemble. Nous en parlons mais cela me semble complètement utopique tant les rythmes diffèrent forcément, qui plus est avec une durée si longue.

      

Peu importe, nous y allons gaiment et j’en profite pour prendre photos et films.

Après 2 kilomètres, nous sortons véritablement de la ville pour attaquer la longue et raide ascension au programme (9 km & D+1500m). J’ai laissé filer Anne et Corinne car je me mets tout de suite en mode gestion de l’effort : marche nordique à bon rythme, sans forcer et sans se soucier des dépassements multiples.

Il commence à faire déjà bien chaud et je surveille attentivement mon hydratation.

On aperçoit un col lointain à franchir, tandis qu’une très longue file se dessine sur de larges lacets. J’essaye d’imaginer comment la trace empruntée doit être bien différente en hiver quand elle se transforme en piste de ski.

 

 

Jeudi 10h24 - COL DE CHECROUIT (1960m) :  1h24 de course, 6,5 km, D+800m, 946e

Je fais le plein d’eau et salue la mère de Théo (Kilian’s Quest) rencontrée le soir du départ de la PTL. Bénévole, elle sert Coca à gogo, tout en m’encourageant.

C’est reparti. Je retrouve alors Anne et nous poursuivons la route ensemble tout en discutant un peu. La vue devient de plus en plus panoramique avec la chaine du Mont-Blanc, dont seul le sommet se cache sous quelques nuages.  Je redécouvre alors avec une petite émotion l’interminable glacier du Miage par lequel j’étais revenu après l’ascension du toit de l’Europe en 2004.

 

Après cette longue montée de crête rectiligne, nous bifurquons sur la gauche afin d’attaquer ce qui sera notre plus haut col, le Youlaz. On aperçoit au bout une pente raide, très pierreuse, avec une très grosse file de coureurs. Quelques exclamations sont portées jusqu’à nous, qui laisse deviner des râlements ?... Je comprends rapidement le « malaise » : un bouchon se forme dans ce passage délicat et la progression apparait très freinée… Pire, les gens sont totalement à l’arrêt !

J’envisage un instant de tracer ma route tout droit tandis que des coureurs grognent à l’idée de se faire doubler. Je me fais vite une raison car, même s’il y a certainement beaucoup de « trainards » qui ne savent pas franchir 3 cailloux, ce n’est pas réglo.

On perd quand même vite un temps « infini » : au moins 30 minutes sans avancer d’un mètre (!) et facilement 40 au total. De quoi devenir fou normalement !... Mais, là je décide de prendre ça comme un mal pour un bien : « c’est une pause forcé mais c’est aussi une forme de récupération ». Avec Anne, nous faisons la connaissance de David qui partage le même état d’esprit. On discute, échange quelques avis et expériences et finissons par atteindre le fameux col.

 

Jeudi 12h12 - COL DE LA YOULAZ (2660m) :  3h12 de course, 11,5 km, D+1520m, 1067e

Beaucoup de vent et surtout le plaisir de pouvoir enfin gambader de nouveau !

Nous nous retrouvons vite sur une ligne proche de la crête avec un somptueux paysage sur notre droite : un large goulet bucolique entouré par deux pics rocheux quasi-symétriques : ça valait bien le coup d’attendre.

 

Je prends photos et films tout en courant, et réussis à ne pas tomber ! Après une longue ligne rectiligne, nous bifurquons vers la droite pour une belle descente pleine de virages. Nous sommes au milieu des pâturages, les couleurs sont absolument superbes, le soleil raisonnable et les chemins sont assez faciles. Nous atteignons une jolie maison de pierre avec un green étonnant devant. A côté, une fontaine providentielle s’offre à nous. Petite pause et c’est reparti sur le même rythme, à savoir course légère sans forcer : on a convenu de se lâcher raisonnablement.

Plus loin, nous traversons une bergerie sous les encouragements des moutons ! Tout va super bien, sans forcer.  Le soleil fait quelques percées et avec l’altitude en baisse constante, les températures remontent sérieusement. Nous percevons maintenant bien la vallée et le village au loin, annonciateur du 1er ravitaillement :

 

Jeudi 13h40 - LA THUILE (1800m) :  4h40 de course, 21,2 km, D+1560m, 972e

Il y a beaucoup de monde mais ça va. Je commence par le plein d’eau puis m’alimente un peu. Je prends surtout du salé. Mieux, je me prépare de bons petits sandwichs avec de délicieuses petites tranches de jambons italiens, dont la dimension est parfaite avec le pain. Je peux même faire 2-3 réserves.

La « pause » active dure 1/2h (ce qui va vite devenir la règle des ravitaillements)

Je continue avec David tandis qu’Anne nous suit à courte distance derrière. Il fait bien chaud mais heureusement le dénivelé n’est pas méchant.

            

14h33, mon téléphone bippe :  « Risque d’orage sur le Passeur de Pralognan, parcours dévié avant le Fort du Truc jusqu’au Cormet de Roseland. Suivez le balisage ».  Comme David expliquait déjà avant que c’était certainement la plus grosse difficulté technique du parcours, et que la météo n’arrêtait pas d’annoncer depuis 24h le danger sur cette zone, nous ne sommes pas surpris. Les organisateurs ne prendront aucun risque. Ceci étant, on se demande bien où ils comptent nous faire passer ?...

Après une bonne heure, nous atteignons un superbe plateau à 2000m où montagnes, lacs et verdures se côtoient comme dans un rêve. Le temps est plus couvert ce qui est une chance car cela nous évite de trop cuire en plein après-midi.

 

Le col du petit St Bernard n’est plus très loin. C’est le 2e ravitaillement :

 

 

Jeudi 15h34 - COL DU PETIT ST BERNARD (2190m) :  6h34 de course, 30km, D+2340m, 904e

David retrouve ses supporters, tandis que je fais le plein. Anne nous rejoins vite. Le temps défile et après 20/30mn, nous repartons sur les mêmes bases qu’avant. Je croise alors un Kikoureur supporter courant en sens inverse : c’est Raspoutine ! Quelques instants plus tard, il revient dans notre direction et réalise un petit film-interview !! C’est toujours étonnant de se rencontrer dans un monde non virtuel…

Le col passé, ça descend, gentiment mais surement, en direction de Bourg St Maurice : un peu plus de 8 km au programme. J’ai tout le temps envie d’attaquer mais me retient. Nous doublons toujours beaucoup de monde, dont certains n’ont manifestement pas le sens de la gestion de course, à vouloir faire beaucoup de relances coûteuses en énergie… et inutiles.

Nous doublons une Anglaise (V2 ?) qui nous raconte que son mari l’a lâchée depuis bien longtemps… mais garde le sourire et la pêche.

Il fait de plus en plus lourd tandis que nous approchons de la ville. Nous entendons gronder le tonnerre et espérons un peu de pluie pour nous rafraichir. C’est alors que nous approchons d’un champ arrosé par un immense tourniquet… David se prend alors une énorme saucée (trempé intégralement), que je réussis à éviter de justesse grâce à la protection de quelques arbres.

Un coup de tonnerre : la pluie finit par faire son apparition quelques instants,  mais reste heureusement bien légère.

 Nous voilà enfin au ravitaillement :

 

Jeudi 17h44 - BOURG ST MAURICE (810m) :  8h44 de course, 44km, D+2380m, 845e

1ère surprise, Corinne est là. Autre découverte : on nous explique plus ou moins le détour du parcours et… les quelques 8 kilomètres en plus ! Chacun vaque à ses occupations et tant bien que mal, on se remet en route, Anne, David et moi.

Il fait lourd et ça monte bien, mais les orages ne se déclenchent plus

On dépasse un groupe de (très ?) jeunes coureurs avec lesquels on plaisante un peu. Jusqu’où iront-ils ? Ils ne doivent pas avoir beaucoup d’expérience et j’ai des doutes pour eux…

Puis, c’est la bifurcation par la route. Ça commence par descendre mais on ne lâche pas les chevaux pour autant. Les marques au sol ne sont pas toute fraiches, preuve que les organisateurs avaient déjà prémédité les possibles bifurcations bien avant.

Quelques photos officielles au passage et nous attaquons la longue route qui mène au col de Roseland : un bon 10km de bitume…  La route longe une rivière agitée dans un passage encaissé et est plutôt jolie, mais… ça reste du bitume ! Pas cool.

Je m’arrête quelques instants car je sens mes pieds qui chauffent de plus en plus…

La nuit tombe petit à petit quand une bonne odeur de barbecue se fait sentir ! Avec David on donnerait cher pour se taper quelques merguez et autres grillades. Il fait de plus en plus noir mais nous ne sortons pas tout de suite les frontales pour les économiser. Des voitures passent de temps en temps et on serait bien tenté de faire du stop !

On finit par atteindre un petit hameau où nous faisons une courte pause, en bavardant avec des spectateurs qui nous offrent un peu d’eau.

En repartant, sur un chemin étroit et sinueux, on se trouve englué dans une chenille d’une dizaine de coureurs, à ne pouvoir avancer qu’à 2 à l’heure…. Le « trainard » finit par nous laisser passer au bout d’un temps infini…

Enfin, c’est l’arrivée au Cormet de Roselend ! Ce symbole d’une bonne mi-parcours est enfin atteint ! Nous sommes bien exposés au vent et ça s’est fortement rafraîchi.

 

 

Jeudi 23h12 - CORMET DE ROSELEND (1970m) :  14h12 de course, 69km, D+4200m, 761e

Il y a un monde fou et c’est difficile de trouver un espace pour se poser. Une soupe, un peu de pain, le plein d’eau. C’est tant bien que mal le ravitaillement indispensable. Ça manque encore cruellement de salé à mon goût, mais bon, on fait avec. Toute l’équipe se retrouve plus ou moins, notamment autour de Corinne qui est très démoralisée. Au bord de l’abandon. La route l’a totalement découragée. Pour la déjà double finisher de l'UTMB, on est loin de la TDS « sauvage » annoncée. On parle longuement et je m’efforce de lui remonter le moral.

De mon côté, je me sens bien en forme, prêt à en découdre… mais m’inquiète quand même un peu pour mon pied droit. Avant de repartir, je veux en avoir le cœur net et c’est l’horreur : méga ampoules partout sous la plante ! Ça va pas le faire avec une longue nuit en perspective sans point de secours possible.

Je me dirige vers la tente de soins et aperçois des coureurs en état « cadavériques » !! Les secours sont malheureusement débordés. C’est en fait une grosse hécatombe avec de très nombreuses déshydratations. Après diverses demandes, je sens qu’on me « laisse pas mal tomber » et un peu énervé me dis que je vais devoir faire avec. Finalement, quelqu’un décide enfin d’essayer de m’aider. Il entreprend alors de percer mes ampoules, mettre de l’éosine et… c’est tout ! Il me dit que ça va aller… sans pansements !?!!...

J’arrive à peine à mettre le pied par terre et redoute soudain de devoir abandonner alors que je suis en pleine forme. Cette fois-ci je suis bien énervé. J’ai un compeed avec moi, mais vu l’étendue des dégâts, ça ne couvrira pas tout. Heureusement, David m’en propose 2 autres et je peux envisager la suite avec juste un petit bout à vif !

Les Filles vont repartir ensembles tandis que David et moi sommes prêts à en découdre.

Globalement ce ravitaillement est un peu le bazar à mon niveau :, le temps a défilé et 50m après la sortie, je me rends compte qu’il faudrait quand même que je me change car avec le vent, je suis vraiment trop juste. Cuissard, coupe-vent, bourrage de sac : ça n’est pas très efficace !

On repart enfin ! Décidé à ne plus perdre de temps, je pars à un rythme légèrement élevé et David doit me rappeler un peu à l’ordre. Puis, ça se dégage. J’avance bien et sens David juste derrière moi au même rythme. Ça carbure bien… quand au bout d’une demi-heure, en me retournant, j’aperçois un autre équipier ! Il m’explique que j’ai lâché David depuis bien longtemps !! Argh… j’espère qu’il ne lui est rien arrivé.

Et puis, après avoir vu mon buff Kikourou, mon suiveur m’explique être aussi de la communauté : c’est un autre David, alias « L’Ecureuil ».  On poursuit notre chemin et faisons connaissance. Bientôt, un grand chalet isolée, la Gitte, est sur notre passage. Point d’eau, certains en profite pour dormir à l’intérieur !... Mauvaise idée…

Au moment de partir, j’aperçois les girls qui ont repris David et sont tous les 3 ensembles. Ouf ! On s’encourage et c’est reparti.

Il y a du vent, le chemin est tortueux et on devine souvent que ça doit être magnifique. Mais de nuit, c’est difficile de bien apprécier ! On longe quand même des zones rocheuses importantes avec notamment une zone comportant un violent cours d’eau en fort contrebas. Pas le bon endroit pour tomber !!  Le parcours est raisonnablement roulant, mis à pars une zone pleine de trous, un coup à se tordre inévitablement une cheville.

A un moment, par le jeu des points lumineux des coureurs, on devine un grand plateau ceinturé par des hauts versants. Les lampes frontales dessinent des guirlandes et laissent deviner l’immensité des lieux.

J’avance en musique et déconnecte un peu le cerveau pour me reposer. J’avance sans trop réfléchir et ne vois pas trop le temps passer.

 

 

Vendredi 03h45 - ENTRE-DEUX-NANTS (2160m) :  18h44 de course, 80 km, D+5070m, 739e

Vers 3h du mat’ on atteint un point de contrôle au milieu d’une côte. Le temps d’échanger 2 mots, on nous offre un morceau de comté divin. La réserve perso du bénévole chef ! Ça fait du bien, y compris au moral, mais il ne faut pas trainer car avec le vent, on se refroidit extrêmement vite.

La musique maintient éveillé, et après un nouveau petit coup de barre. Le terrain est un mélange incessant de chemin de terre et touffes herbeuses rases. Rien de méchant mais il faut rester attentif.

C’est justement ce que je commence à oublier quand subitement, vers 5h du mat’, le téléphone bipe quelques SMS après des heures sans couverture. Marie s’inquiète et je m’empresse de vouloir la rassurer. Comme elle ne dort pas (!), les échanges prennent forme mais je commencer vite à lui écrire que le chemin ne s’y prête pas… quand je rate subitement un pas, comme si je mettais le pied dans une bouche d’égout ouverte ! Je lâche mon téléphone tout en évitant une mauvaise chute dans un dévers de 2/3 mètres. Rien de grave ! Au contraire c’est une bonne rigolade qui me réveille tandis que l’Ecureuil se moque à juste titre du geek trailer !!!

Le temps de boucler mon message, nous poursuivons et atteignons une bonne crête qui annonce la fin de cet immense cirque. La fatigue se fait un peu plus sentir et des lumières et cloches au loin nous laisse deviner que le ravitaillement est proche !

Erreur, ce n’est qu’une grande étable avec de multiples bovins et moutons. Il faut passer au milieu des bêtes, en espérant qu’elles restent dociles… Le ravitaillement  n’est quand même plus très loin. A plus de 100m, dans le silence, on entend les contrôleurs dire que les 730e arrivent. Bien que je sois resté volontairement coupé des classements intermédiaires, je sens que c’est plutôt bon !

 

Vendredi 06h13 - Col du Joly (2000m) :  21h12 de course, 88 km, D+5430m, 730e

Il n’y a presque personne et je prends un peu mon temps. Le soleil se lève tout juste et je prends une photo de notre prochain défi à quelques kilomètres en face : le col du Tricot… qui ressemble à un véritable mur !

 

Quasiment prêt à repartir, j’aperçois alors Anne, Corinne et David qui débarquent. On a juste une vingtaine de minutes d’écart. Quelques encouragement mutuels et je me lance à la poursuite de l’Ecureuil qui me précède de quelques instants. Ça descend relativement facilement mais les quadriceps ne me permettent déjà plus trop de courir. Je presse quand même le rythme pour revenir à la hauteur de David.

Arrivé dans la vallée, le terrain est facile, plat et long et en partie identique à la Montagn’Hard. Comme 2 mois plus tôt je n’ai pas la force de courir…. Et même si mon rythme est sensiblement plus élevé cette fois, j’accuse un peu le coup de la même façon. Cette fois, ce n’est pas le ventre qui me cause des soucis mais le constat de voir l’avance fondre régulièrement et l’inimaginable crainte de finir par un rattrapage des délais de mise hors course. A côté de moi, j’envie la régularité de mon Ecureuil, constant dans l’effort…

Enfin, nous y voilà :

 

Vendredi 09h07 - Les Contamines (1170m) :  24h07 de course, 97km, D+5460m, 731e

Je prends encore bien mon temps, même si je ne trouve guère de quoi me requinquer. Et puis, à ma grande surprise, David l’Ecureuil m’annonce son abandon !! J’ai du mal à le croire, et encore plus de mal à le convaincre de changer d’avis. Rien n’y fait : David Douillet rend son dossard… à un bénévole qui s’incline respectueusement, pensant avoir à faire au célèbre judoka ;-)))

Après une dizaine d’heure ensembles, je suis déçu de cette issue brutale… A mauvaise nouvelle, une bonne cependant : mes autres coéquipiers, toujours avec un décalage de 20 minutes, sont là.

Cette fois, on se promet de repartir ensembles et d’aller jusqu’au bout sans se lâcher !! A quatre + Christian qui se joint à nous, nous nous promettons d’être forts !

Ça grimpe de suite et malgré la fatigue et les douleurs, nous trouvons un rythme régulier. Un premier col, une petite pose auprès d’un abreuvoir et nous réalisons que nous sommes déjà devenus au moins des « cent-bornards » !

Enchainement avec la descente vers Miage et voilà le fameux mur du Tricot qui se dresse devant nous. Descendu en 19 minutes dans le sens inverse 2 mois plus tôt, ça s’annonce autrement plus coton cette fois…

C’est même un long et véritable chemin de croix : les lacets restent raides, le soleil tape, le vent nous secoue fortement, l’altitude épuise et nous allons presque à un rythme d’alpiniste. Anne souffre encore plus que moi et décroche sensiblement. Je n’aimerais pas être à sa place, car ça me casserait encore plus le moral. Il nous faudra quand même une bonne heure pour en venir à bout !

 

 

Vendredi 12h05 - Col du Tricot (2120m) :  27h05 de course, 104km, D+6610m, 726e

Je passe mon temps à protéger mon dossard qui menace de se décrocher à chaque rafale de vent. Le col est enfin atteint et un contrôleur sort de son abri pour nous pointer. Nous sommes morts et il faut vite se protéger un peu, le temps de sortir un coupe-vent indispensable. Anne nous a déjà rattrapés et descend maintenant comme une gazelle. Le chemin est assez technique et je suis avec une aisance médiocre. Ce n’est pas tant la fatigue, le manque de souffle que la sensation de mes muscles qui crient grâce avec les changements incessants et usants des foulées.

Mes difficultés m’amènent dans une mauvaise spirale. Je commence à pester pour un oui ou un non. Au moment de franchir le superbe pont suspendu (à la Indiana Jones) de Bionassay, quelqu’un nous félicite pour nos performances et nous rassurent sur le fait que nous allons faire de super finishers.

        

Au lieu d’apprécier, je grogne en pensant que c’est loin d’être joué, qu’il y a encore tant d’efforts à faire et qu’il faut même accélérer le rythme et non pas lever le pied, si on veut y arriver. Bref, j’en ai un peu marre…

Rien ne contribue alors à souffler. Pas un seul chemin facile. En fait, je n’aime pas bien finir mes courses par des difficultés…

On aperçoit le Tram d’altitude passer au loin et les images restent spectaculaires. Descente, montée, nouveau col et point de contrôle à « Bellevue ». Il ne faut plus s’arrêter car notre marge est faible et il est difficile de se faire une idée précise…

Redescente vers les Houches. C’est très long, mais si nous y arrivons dans les temps, ce sera le dernier ravitaillement et il ne pourra plus rien nous arriver. Dans la descente, on croise un « vieillard » de 75 ans au moins qui semble être revenu de la ligne d’arrivée (??) juste pour nous féliciter chaleureusement ! Une belle leçon pour nous tous.

Enfin, les Houches sont en vue. Le sourire revient vitesse grand V !! Les supporters de David sont là et c’est déjà l’ambiance de pré-fête !!

 

Vendredi 14h50 - Les Houches (1010m) :  29h50 de course, 112km, D+6750m, 732e

Nous avons un bon 3/4h d’avance sur la limite et nous allons y arriver. Un grand sentiment de satisfaction et victoire se fait sentir. J’ai déjà presque l’impression d’avoir franchi la ligne d’arrivée !!...

 Nous nous promettons alors de bien savourer tous ensemble les 8 derniers kilomètres.

Le chemin est facile et censé être plat. Il est loin de l’être complètement mais les quelques dénivelés ne sont quand même pas monstrueux. Bien sûr, les jambes ont toujours aussi mal, la fatigue n’a pas disparue, mais le moral est au beau fixe. Nous ne prévoyons pas de courir mais en profitons plutôt pour discuter et échanger.

Une japonaise au format de poche nous double en courant et nous l’encourageons. Comment un si petit bout de femme, venu de si loin, a-t-elle fait ?

Le temps ne passe quand même pas vite et nous sommes impatients d’en finir. La ville se profile mais nous n’en voyons pas le bout. Nous débattons sur la façon de franchir la ligne, quand arrive enfin la très longue rue finale. Il y a un monde fou à cette heure de la journée, et les passants nous félicitent comme jamais. Ça fait chaud au cœur de finir dans une telle ambiance. Nous rattrapons un attardé et hésitons à le doubler. Mais comme il n’avance plus et que nous voulons finir d’un seul front, on accélère un peu.

Bientôt le dernier virage, quand Léo surgit à ma rencontre ! Soucieux de notre finish d’équipe, je ne l’accueille pas idéalement, lui demandant de rester un peu de côté. Dans un dernier effort, nous courrons ces 50 derniers mètres, sourires et lâchant notre dernière énergie dans des cris de joie.

  

           

Vendredi 16h36 - Chamonix (1035m) :  31h36 de courses, 120km, D+6950m, 749e :

Notre dream team sort manifestement de l’ordinaire car le speaker s’empresse de nous poser quelques questions. Marie est là avec Titouan et prends de bonnes photos souvenir J 

Enfin, notre polaire de finisher tant « rêvée » nous est distribuée. Mieux qu’une médaille ;-))

Juste après l’arrivée, un bar idéalement placé nous permet de savourer une bière bien méritée. Nous refaisons le match pendant une petite heure, avant de croiser une bonne surprise, Théo, avec qui je peux partager ce bon moment.

Le temps se couvre subitement et la pluie commence à se faire sentir. Elle durera des heures, tandis que le départ de l’UTMB est imminent. Nous avons eu beaucoup de chance d’y échapper…

Une fois l’euphorie passée, mes pieds et mes ampoules se rappellent à mon bon souvenir ! Je ne peux plus guère marcher et les 700/800m qui me séparent de l’Hôtel s’annoncent impossibles. Heureusement, David et Anouk, garés par trop loin se chargent de me ramener :-)

Une bonne douche et c’est déjà le moment de dîner. J’ai une bonne faim, mais dès le milieu du repas, je sens que je m’effondre et qu’il faut accélérer le mouvement si je ne veux pas m’écrouler subitement sur la table. Une sensation jamais rencontrée jusqu’alors !...

 

Conclusion ?

Voilà, une grosse première, bien réussie, surtout si l’on considère comment j’étais au fond du trou deux mois auparavant. Comme quoi, il ne faut jamais hésiter à travailler ses points faibles (dénivelé, alimentation). Moi qui étais habitué à rencontrer rapidement toutes sortes de tracasserie digestives, j’ai passé cette fois plus de 30h sans le moindre problème. Mieux, je sens même une évolution au quotidien !

Evidemment, côté sportif, cela donne envie de relever d’autre défis et rêves. La confiance et l’expérience gagnée sont autant de signes encourageants…

 

Epilogue :

Quand 2 Kikoureurs (Clem Ponpon & Bert') se retrouvent pour respecter leur promesse faite 2 mois plus tôt...

     

 

6 commentaires

Commentaire de Théophile posté le 10-05-2012 à 10:02:30

Super Bert', bravo pour cette belle aventure, et a bientot pour une prochaine j'espère !

Commentaire de MiniFranck posté le 10-05-2012 à 10:54:02

Superbe récit mettant bien en exergue les sensations afférées à l'Ultra.
Belle performance mon Bert'. BRAVO !!!

Commentaire de Tonton Traileur posté le 10-05-2012 à 11:14:32

... c'est notre discution lors du Off versaillais qui t'as donné envie de ce CR ?... :-))
Merci Bertrand pour ce beau récit (et belles photos !) qui va bien mes servir pour cet été ...
à la prochaine, et encore Bravo !

Commentaire de Bert' posté le 10-05-2012 à 11:56:56

Merci Jean-Luc,
En fait, mon récit, ça fait 6 mois que je l'écris à petite doses (*)... et ça faisait même un bon mois qu'il ne manquait plus que les photos à trier et ajouter (car j'en ai une bonne soixantaine en fait)...
A l'occasion, avec en plus les cartes, je te fais un briefing complet ;-))
(*) : j'ai encore la Kilian's Quest à finir (rédigée à 90%) depuis 2 ans dans les cartons !

Commentaire de sabzaina posté le 26-01-2014 à 20:09:41

Superbe, merci pour ce récit très instructif.
Allez, maintenant tu nous finis celui de l'UTMB ;)
Biz

Commentaire de Bert' posté le 16-02-2014 à 19:55:39

Merci Sab,
J'espère que la TDS 2014 sera dans la même veine... avec une belle histoire, tous les 3, avec Bubulle :-)
Et impératif de finir mon récit UTMB avant ;-))

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