Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2005, par c2

L'auteur : c2

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 26/8/2005

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 7338 vues

Distance : 158.1km

Objectif : Terminer

1 commentaire

Partager :

272 autres récits :

Le récit

Dimanche 28 août 2005

C’est en les voyant arriver un à un, parfois en petit groupe, au cœur de Chamonix, certains un peu cabossés, visiblement plutôt cuits mais en revanche tous avec systématiquement le visage radieux que je comprenais encore mieux cette joie communicative et cette euphorie d’avoir réussi à boucler la boucle dans les délais. Reprendraient ils ce menu gastro? Car au-delà de la distance et du dénivelé cumulé, il avait fallu gérer, pour la plupart, les 2 nuits blanches ou presque, les montées de cols infernales, les temps de passage éliminatoires, l’alimentation, les petits bobos et ces raideurs musculaires insidieuses qui avaient progressivement envahi les corps en essayant sournoisement mais en vain pour ces coureurs, d’embrouiller les esprits en leur susurrant discrètement à l’oreille : tu sais c’est déjà bien, tu peux arrêter, ne force pas ! ! !



Mais lorsque le corps est en harmonie avec la tête, on approche de la plénitude.
C’était visiblement le cas pour tous ces « finishers ».




Une idée qui fait son chemin

Novembre 2004 : Le CD de l’édition 2004 passe en boucle sur l’ordi. Si on me garantit la même météo qu’en 2004, je signe tout de suite. Marie est dans les starting-blocs. Très diesel, elle n’arrête pas de dire qu’elle va se faire arrêter par les barrières horaires éliminatoires. Houai, pas évident ! ! !

Certains se tâtent en ayant un peu peur, ah bon pourquoi ! ! !, D’autres ne peuvent pas à cette date. Y en a qui ont vraiment des agendas de ministres. Il faut vite se positionner. Seulement 25% d’arrivants en 2004 avec une météo tip top, en oubliant le rugueux premier cru 2003 et ses 70 arrivants. Evidemment ça interpelle.

Fin décembre : Le pas est franchi, deux inscriptions sont parties de la maison. Encore 8 mois avant l’accouchement. Y a pu qu’à ! ! ! Ce sera l’objectif majeur de la saison.

Février : Je rentre dans un mini-forum en gestation d’UTMBistes franciliens, merci Michel, et ça échange rapidement à fond par mail. Nous sommes rapidement une bonne dizaine.
Mars : Chacun y va de sa préparation, de son CV course et de ses commentaires sur les épreuves qu’il effectue ou envisage avant THE BIG ONE (dans les Alpes pas en Californie).

Avril : On passe à la vitesse supérieure en faisant un entraînement commun en vallée de Chevreuse avec une bonne part du groupe enchaîné par un resto. Mais de quoi parle t-on ? ? ? ? Au dessert, les cartes sont abattues (IGN, bien sur). La limite de 2000 est atteinte pour les inscriptions. Il y a une liste d’attente ! ! ! et pourquoi pas une bourse aux dossards. Quel succès ! ! !

Début Mai : Entre 2 descentes à ski, 2 footings à 2200m à Tignes la bouche grande ouverte comme un poisson hors de son bocal. Minable. Y a du boulot ! ! !



Une préparation progressive

Mi-Mai : Mon premier long depuis bien longtemps avec 25 autres Joggeurs en Hurepoix (http://www.ifrance.com/joggeursenhurepoix) « Les gendarmes et les voleurs de temps » près de Limoges. Très beau parcours nature de 32 bornes dans les monts d’Ambazac avec 700m de dénivelé. Je déroule.

Ressortie groupe UTMBiste, la semaine suivante en un peu plus technique sur le circuit des 25 bosses à Fontainebleau. Un grand classique. Il y a longtemps que je ne l’avais pas refait. Toujours aussi dépaysant et plaisant, surtout le matin.

Juin : L’idée avait naturellement traversé plusieurs esprits. C’est parti pour une sortie de nuit à 22h30 à la frontale, un soir de semaine, le tout en forêt. Ca renforce le côté aventure ! ! !. Test du matos, (re)découverte de cette ambiance si particulière que j’aime beaucoup et connais bien. Les bruits amplifiés, les repères incertains. On s’approche d’une pièce d’eau. On dérange. Un gros machin se sauve à travers les arbres. Certains semblent d’un seul coup moins fiers que de jour. Non, non, je ne cafterais pas ! ! !

La liste de quelques locaux inscrits que je connais, commence à être impressionnante :
Anne, Béatrice, Claudine, Marie, Michèle, Bruno, Bruno2, Cyril, Daniel, Eric, Jacques, Jean-François, Johnny, Michel, Pierre-Yves, Philippe, Thierry, Tristan, Robert, Yves.

Lesquel(le)s atteindront le Graal ! ! ! ! Evidemment moi, pense chacun dans son fort intérieur sans oser le dire. Mais il y aura malheureusement de la casse. Et là, tout le monde baisse la tête, rappelez vous, comme quand l’instituteur allait interroger quelqu’un en regardant longuement sur sa liste ! ! ! Ouf, c’est pas moi aujourd’hui, je suis passé à travers ! ! ! !

Le nouveau parcours est sorti. Exit le sentier des Gardes vers la fin mais 3 km de plus, bingo ! ! ! Bon, on n’est plus à ça près.

Mi-juin : J’investis dans une nouvelle paire de chaussures, des routes confortables. Il était vraiment temps. Comme des amortisseurs de voiture ! Une fois changés, on voit la différence. Bien que trouvant au début cela ridicule et grotesque pour un coureur, j’achète à reculons des bâtons télescopiques. Je suis maintenant convaincu que cela soulagera les quadriceps dans les côtes et bien que bon descendeur me rassurera dans les très fortes pentes surtout une fois un peu tapé. Et puis une majorité de cadors en ont, alors ! ! !

Je commence à faire des sorties solitaires longues le dimanche. Départ 5h30. On est en pleine vague de chaleur. J’allonge progressivement pour arriver à du 3/3 en fin de cycle. (3 heures de course puis 3 heures de vélo). Au fil du temps la récup s’améliore. A tous les coups je gagne question nature : lapins, biches, poules faisanes, rapaces, écureuils, petits rongeurs. Je fais aussi du fractionné court sur piste ou en nature. Je n’oublie pas le PDA, mais non pas le truc informatique ! ! ! PDA : pompes, dorsaux, abdos ! ! ! En fin d’UTMB (si on veut bien encore de moi), mes jambes me remercieront de ne pas l’avoir oublié, en évitant de courir assis.

25 Juin : Le road-book est arrivé. A parcourir avec gourmandise et précision avant l’intéro.

26 Juin : Un avant goût pour certains avec le marathon des glaciers à Chamonix et ses 2200m de grimpettes. Ca fait déjà saliver.

04 Juillet : Cyril nous raconte sa Fila à Serre Che et en plus il y a des photos ! ! ! Dur de résister à cette part de gâteau au chocolat et de ne pas foncer tout de suite chez le pâtissier, euh,…. plutôt en direction des Alpes. Il met tout ça en ligne sur son blog pour nous raconter toute sa prépa.

10 Juillet : Sortie longue sur l’atlantique dont 15 bornes tout droit sur la plage à marée basse. L’immensité bleue à droite avec son petit clapôt, sable fin et ferme. Un soleil naissant à gauche avec une légère brise. Magique. Comme dans les catalogues. Dénivelé : 0 m. On ne peut pas tout avoir ! ! ! Faudrait essayer avec une pince à linge sur le nez, pour simuler l’altitude ! ! ! !




Dernière approche

14 Juillet : Certains sont déjà à pied d’œuvre pour un week-end studieux pour faire des morceaux du parcours qui seront normalement abordés de nuit. Les infos sont contrastées. Optimisme pour certains, pessimisme pour d’autres.

Y a un petit raidard près de chez moi dans la forêt, 50m de dénivelé environ, pente moyenne 18% On fait des gammes, montée en marchant, descente en courant, 5 fois, 10 fois, 20 fois, 30 fois les grands jours. Le mauvais plan : se dire, il en reste encore 142 à faire.

Rapide calcul. 160 bornes, ça je sais faire en 24 heures, mais sur du plat. Rajoutons dans les 1 heure par tranche de 400m de dénivelé. Ca rentre dans la boite des 45 heures. Sur le papier, c’est jouable. Alors ! ! ! Ne pas terminer serait une grosse déception. Restent 3 belles inconnues qui peuvent changer profondément la donne : la météo, la gestion du sommeil la 2ième nuit et les risques inhabituels de bobos aux pieds. Ce serait tellement fabuleux avec un ciel bleu pour la beauté des paysages.

Pour le dénivelé, il parait qu’un chamois peut faire du 4000m à l’heure. Juste pour nous rappeler que nous sommes sur ce terrain tout simplement des intrus.

Et voici la pensée du jour :
Ce type de course pour une bonne part se gagne avant l’épreuve. Etre très fort dans sa tête et positif avec une ténacité et une constance en acier trempé. Envisager avec réalisme de possibles conditions climatiques très très dures et des surprises. Bien se préparer progressivement physiquement sans partir de trop loin et sans en faire trop. Se donner des temps de récup. Avoir bien étudié le parcours et tester le matériel utilisé en course. Intégrer mentalement les difficultés du parcours. Tronçonner l’épreuve en objectifs intermédiaires à échelle humaine pour éviter l’aspect démesure et la gamberge.


Et pendant l’épreuve, les indispensables : Partir très (trop) prudemment. Ne surtout pas s’occuper du rythme des autres même des potes. Ne pas se mettre dans le rouge en montée en marchant dés que nécessaire. Se ravitailler préventivement et fréquemment. Et relancer sans se poser de questions dès que c’est possible en fonction du terrain et des jambes du moment.


03 août : Un resto commun à Montparnasse, une douzaine d’impétrants, plein d’excusés déjà dans les alpages, dernière ligne droite. Il ne fait pas très chaud. Menu coureur : velouté de 6000D, tournedo de Beaufortin et le spécial maison, glace à l’UTMB.

14 août : Dernière grosse sortie, 4h avec 2000m +/- suivi de 3 heures de vélo, en endurance pure.

16 août : A 10 jours du départ, on incrémente à 1000m sur un plateau perdu. Et déjà 80mm de mercure de perdus sur les 760 de la pression au niveau de la mer. A 2500m il n’y en aura plus que 575. C’est évidemment de l’oxygène en moins dans les mêmes proportions. Récup, entretien, grosses nuits, on fait du jus. Balade sur le plateau du Mezinc (voir cours de géo de 4ième, à défaut voir dans un atlas)

20 août : dernière sortie, 2 heures, tranquille, dans des conditions dures, bourrasques de pluie et de vent, froid, histoire de retanner un peu le cuir et le cerveau.

21, pluie ; 22 pluie. Je deviens accro aux infos météo. On promet un regonflement de l’anticyclone pour la fin de la semaine. On s’impatiente.



Dans l’ambiance de l’épreuve

25 août : Il pleut sur Cham. La ville est triste. On récupère les dossards, j’ai le 1715, facile à mémoriser : débutant, 200 ans après l’incontournable Marignan, spécialiste, mort de Louis XIV, expert, naissance de Jacques Duphy. Contrôle des sacs, avec l’obligatoire : les 2 frontales, les piles de rechange, le goretex, la couverture de survie, le sifflet, l’élasto, boisson et ravito perso, la carte d’identité. Pour l’optionnel, bâtons, gants, casquette, lunettes de soleil, appareil photo, portable.
Suprême raffinement, les finishers 2004 qui remettent le couvert ont comme dossard leur place d’arrivée de l’année précédente. Ils sont bien reconnaissables. Le prénom de chacun est écrit en gros, pour les encouragements.

26 août : 15h, on installe notre staff technique masseur-kiné-entraîneur-gourou-sophrologue-agent de com (3 personnes. On est limite pro) dans un hôtel. Vu l’accueil, ça sera dur à quitter en soirée. Pour les supporters, une avalanche de SMS en live seront générés aux différents contrôles pour le suivi de l’avancé des poulains. Même pas tranquille. Bientôt une puce GPS greffée sous la peau ! ! ! Et en attendant un petit somme.

18h : Zone de départ. La langue fatigue : Bonjour, ça va ? 10 mètres plus loin. Salut, pleine forme ? …. Encore 10m. Bonjour, c’est quoi tes pompes ? ….Un peu plus loin. Tiens, t’es là aussi toi, je savais pas ! ! ! ça fait un bail. Alors ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Ah, mais regarde, y a machine et truc aussi. Dis donc, il a l’air affûté. Tu pars en court ? ? ! ! Pas trop gros ton sac ?

 

Photos souvenirs.
France, Italie, Suisse, tel est notre gettttttttttttto ! ! ! tu……………..vas………………….bien ! ! ! ! !

Veillée de grand messe. Du déjà vu. Future galère commune, solidarité de groupe, ça occupe, recadre et rassure.

18h30 : Briefing. Je retiens une chose. Attention au vent frais de face dans la montée du col du Bonhomme. Allez on se dépêche, on y va ! ! ! ! !



La fleur au fusil, mais lucide

19h02 : Goooooooo ! ! ! sur du Christophe Colomb.

 
Ouf, vraiment jubilatoire, on y pense depuis si longtemps et tant de préparation. C’est presque une délivrance à force de ruminer. 500m de torse bombé, comme dab, face aux touristes puis plus économique seul face à la copie blanche. Je me tiens à ma stratégie. Démarrage uniquement avec le moteur d’appoint. Derrière, bien sagement dans l’aspiration limite gruppetto. J’évite la sensation désagréable de se faire doubler voire bousculer par plein de voraces qui jouent leur vie sur le premier 1000m. Ridicule. Don’t worry, y en aura pour tout le monde et jusqu’à plus soif. 100% garanti ! ! Unique objectif : finir. Heure d’arrivée ? Indéterminée. Disons dans la matinée de dimanche, pour l’ordre de grandeur. Ce serait pas mal. Mais tout ça reste flou. Aucun calcul de temps de passage, tout à la sensation. De toute façon, les temps de passage, au fil de la course on les subit. Les seuls calculs, c’est au cas où le souffle des temps éliminatoires se rapprocherait dangereusement. Je n’ose y penser. Arriver de nuit, incognito, pour le fun, ça serait moche. Ça me semble surtout impossible, comme ça, l’affaire est a priori, réglée ! ! ! !

Il fait beau et on nous programme du beau pour la suite avec quelques passages pluvieux dans la nuit. Pas mal avec tout ce qu’il est tombé depuis une semaine. Le terrain sera en revanche sûrement gras.
Un peu avant les Houches, je reviens doucement sur Anne et Claudine, habillées en jumelles. Elles ont du succès.

Les Houches, 1012m
Ravito. Je démarre mon reportage photo.
Après 8 km de « promenade », sur du quasi plat presque anachronique, changement de registre. Le col de Voza (+650m). Premier pétard. Gros danger, chausse-trappe. Attention piège. Style apéro à jeun. Retenir les chevaux à tout prix pour de toute façon dire en haut : « mince encore un peu trop rapide ! ! » Le premier tiers de course, avec Voza, le Bonhomme et Seigne, c’est 40% du dénivelé + total. Alors, warning ! ! ! ! !

Un fabuleux coucher de soleil rougit toutes les montagnes. Ma….gni…fique.

Col de Voza, 13km, 1653m, « mince encore un peu trop rapide ! ! » (C’est pour pas me déjuger). Honnêtement, j’ai fait le maximum, même pas dans l’orange, les plaquettes de freins sentent le chaud. Toute la suite est une succession de descentes et de montées. Ca tourne, ça vire, dure de se repérer.

La Villete, 20k, 1060m . On attaque un sentier en corniche dans les bois. Impossible de doubler. Les Contamines, 25 km, 1150m. 23h16 Première barrière horaire. Ravito devant l’église. Très animé. Orchestre, cloches de montagnes, beaucoup de monde dans les rues. Ca grouille au ravito. Je reste juste une minute. Je ne suis pas venu dans le coin depuis une éternité, mais je connais tout par cœur. Ado, j’ai amélioré ici, mon niveau de ski durant de nombreux hivers. L’aiguille Croche, les Tierces, le Signal, Roselette, le col du Joly. Que de souvenirs ! Tout le flanc droit de la vallée m’est familier.
On glisse tout droit disons presque à plat vers Notre Dame de la Gorge pendant 4 bornes. Le parcours a été modifié en dernière minute suite aux intempéries qui ont ravagé le chemin que l’on devait emprunter. La voie Romaine, je la devine. Magnifique suite de grandes dalles bien lisses. Montée régulière. Ces Romains, sacrés bâtisseurs. Comme Vauban, ils ont laissé des traces vraiment partout. La plus longue grimpette (+1250m) est devant.




Le sérieux commence

La Balme, 33km, 1700m, ravito, 00h45, je mets le goretex. 500m après, je suis au plus mal, nauséeux, ça m…., y a un truc qui ne passe pas, et ça dure, j’adapte le tempo. Ca monte régulièrement en lacets. Un regard derrière. Un serpent de frontales, ça regonfle. Un phare sonore multi tons grossit au fil de la montée. Ils sont une dizaine. « Alllllllllllez ! ! ! ! » Quand l’un termine, un autre enchaîne « Alllllllllllllllllez » et le suivant réarme ses cordes vocales. Ils encouragent comme 50. Merci les gas. Je sens l’hypo venir en fin de col, vite un sucre rapide.

Col du Bonhomme, 2329m, on tourne à gauche sur un passage moins pentu, pierreux et technique. Ciel étoilé. Croissant de lune. Superbe, avec un peu de vent.

Col de la Croix du Bonhomme, 38km, 2479m, le refuge est 50m en dessous. La descente est technique, glissante. J’en garde.

Les Chapieux, 44km, 1549m, ravito. 3h45 Un marathon bien tassé. Pause un peu appuyée avec une soupe chaude. Obligé de me déchausser. Ah ces cailloux qui arrivent à rentrer on ne sait trop comment ! ! ! ! Je pense naïvement pouvoir courir sur la partie suivante bitumée, mais c’est trop raide.

La Ville des glaciers,
49km
Refuge des Motets Une belle cassure. Montée longue, les lacets, paysages dénudés. Je me retourne. Encore un beau serpent sans fin. La fin du col est pénible. De nouveau en légère hypo. Et ce sommet que l’on ne voit jamais. Une voie cristalline féminine nous encourage pour le final qui se rapproche.

Col de Seigne, 54km, 2516m. 6h23, le jour se lève. On éteint les frontales. Bonjour l’Italie.

Refuge Elisabetta, 2200m, ravito. 7h03 Paysage sauvage un peu lunaire. Des vaches paisibles nous ignorent.
Je me mets à courir sur cette partie assez plate. Tous les montagnards eux marchent, On passe au Lac Combal, à droite toute, direction l’Arête du mont Favre, 63km, 2435m, 4ième difficulté. Au trois quarts de la pente, on est survolé par un hélico qui filme en rase motte toute la colonne de haut en bas. Beaucoup de bruit et de souffle.

Col Checrouit, maison vieille, 67km, 1953m, ravito, 9h36 J’ai une angoisse, une envie intestinale soudaine et violente me fait craindre le pire pour la suite. Mais non tout est, disons, habituel, ouf ! ! !
La suite de la descente est longue, parfois sur une piste de ski, on termine par un peu de route avec toujours de nombreux encouragements.



Bonjour : Vous arrêtez ou vous continuez ?

Courmayeur, centre sportif d’Olonne, 72 km, 1190m, 10h44
C’est ici pour bon nombre la fin du voyage. Un maximum vont rester sur le carreau. Option A, ils l’avaient programmé, Option B, leur corps leur dicte, Option C, ils sont hors délai, Option D, ils se sont trompés d’épreuve. (plusieures options possibles)
Comme pour une Rolls qui ne tombe pas en panne mais s’arrête, on n’abandonne pas sur l’UTMB, on rend simplement son dossard. Et à partir de Courmayeur pour l’effort fourni, même si l’on n’est pas finisher, on rentre déjà dans le classement final. Respect. C’est bien et en même temps redoutable. Cette reconnaissance en incitera sûrement un certain nombre à en rester là. 1738 viendront jusque là. 1280 continueront.
Je coche au plus vite la dernière option, la E, « dans les délais, veux et peux continuer ».

Mais attention si on sort d’ici avec son dossard, les risques de coups de hache n’ont pas disparu pour autant et d’autres têtes vont encore tomber un peu plus loin. Vigilance.
Escale technique. Je récupère mon sac perso transféré depuis Chamonix. Un petit luxe, changement de chaussettes et de tee shirt manches longues. Les lasagnes, elles ne passent pas. Je tombe sur Johnny. Il est en tenue de ville, aie ! ! ! Il arrête, dés les Conta, cela n’allait pas. C’est malheureusement la course. Tout ça prend tout de même 45 mn. J’ai l’impression de n’avoir rien fait. Un œil sur l’immense patinoire où des ballerines s’entraînent. Traversée de Courmayeur. Il fait chaud.

Montée sur Bertone, 77km, 1989m, droit devant, pente moyenne 16%, ça calme. Pour l’instant, les voyants sont au vert sauf le dessous des pieds. Récup des lunettes de soleil et de la saharienne. On risque de bien souffrir de la chaleur. Montée régulière dans les sapins en lacets. A mi-pente, des gouttes et des nuages arrivent.



A la décompte

Après Bertone, 13h11 et son ravito, une 10 de km « presque plat » autour des 2000m
Un point immatériel entre les refuges Bertone et Bonatti. Pas de cairn, pas de panneau. Mais le réacteur de ma pensée se met en mode « reverse ». On change discrètement le « encore » par un « plus que ». L’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. La mi-course est passée. Bon OK, plus que 79 km, c’est pas terrible comme info mais c’est déjà ça ! ! ! Et puis il suffit de lever la tête et de plonger les yeux dans la pureté du paysage pour se régénérer. Chemins en corniche sur le flanc droit de la vallée avec les Grandes Jorasses sur la gauche. Tout ce passage me semble bien long.

A Bonatti, 15h06 je remets le goretex que j’avais quitté depuis Courmayeur, la pluie tombe depuis quelques temps déjà en continu. Il y a du vent et de la brume, attention à l’hypothermie. On finit par une forte descente en lacets très courts. Ca gadouille pas mal. A chaque fois que je mets le pied sur une pierre c’est une souffrance. Je ne peux pas me lâcher dans les descentes, dommage. Une erreur de débutant de ne pas être en chaussures trail. Un peu par méconnaissance du terrain que j’imaginais plus roulant.

Arnuva, 89km, 1769m, ravito. 16h27 Une fille fait un malaise, on l’allonge au plus vite jambes surélevées.

Pour la suite, ça grimpe, très sèchement jusqu’à un petit plateau vers 2000m. Bref répit. 2ième couche. Ca devient glauque. De la boue encore de la boue, 2 pas en avant, et un en arrière. Cette montée au plus haut point de la course est très pénible. On y laisse pas mal de plumes.

Grand col Ferret, 93km, 2537m, 18h25
Le plus haut point du parcours. Devant, un schuss de 20km jusqu’à Issert au 112km. Schuss ne veut pas dire repos, soyons clair. On n’est pas en vélo. (là, je vais me faire des copains ! !) Il pleut pas mal. Ils sont 4 courageux pour le contrôle. L’un me dit : « fais gaffe à la descente, ça glisse fort », ça promet vu ce qu’il y avait dans la montée. Il y a un module secours en plastique sûrement déposé par hélico dans lequel on peut abriter des blessés. Deux gorgées de liquide, j’ignore la table d’orientation et bascule tout de suite en Suisse. La boue, je connais sur du plat, dans les nombreux Raid 28 par exemple en plein hiver, mais la ça descend. Je m’essaie donc à un nouveau sport : le ski sur boue. Encore merci les bâtons pour l’équilibre.

La Peulaz, 97km, 2071m, ravito. 19h14 Ambiance intimiste, comme dans une vieille grange, plafond bas et lumière faible. 30 personnes maxi. Je m’assoie 10 mn sur un banc pour mâchouiller sans fin un bout de pain. Que c’est dur de s’alimenter. Un type rentre brusquement : « Y a un départ voiture pour Cham, y a des partants ? ? ? ? » 7,8 personnes se lèvent, bonjour l’ambiance ! ! ! Il pleut toujours. Là, ça se joue au mental. Vite, vite, la capuche et dehors dans la pente sans état d’âme.

Ferret, 100km, 1700m Le chiffre est toujours magique. On rentre vraiment dans l’ultra. Une partie route en descente. Je recours et double. Vu mes dessous de pied, j’en suis à réclamer du bitume. Un comble ! ! Je constate qu’il y a deux types de participants. Des gens qui viennent plutôt de la montagne et d’autres qui viennent plutôt de la course. Les premiers sont beaucoup plus rapides en montée (plus efficaces avec les bâtons ?, meilleure appréhension et analyse du terrain ?) un peu plus lents en descente (ne courent pas) et franchement plus lents sur le plat (marchent). Au global cela peut s’équilibrer, au point de perdre puis de retrouver certains concurrents en fonction du profil de la course.

La Fouly, 102km, 1593m, 20h35 ravito, je trouve une chaise pour mastiquer sans fin une banane. Une soupe chaude avec des pâtes fait glisser tout cela. J’allume la frontale. Un peu plus loin, je récupère deux coureurs, on parle vécu courses, on avance bien. Je fais la trace. Ca se rétrécie de plus en plus, à flanc dans les bois, des passages sont mêmes délicats, avec la boue et la perte de vigilance. Il y a même des feux rouges clignotants qui annoncent les dangers. Très Suisse. Virage à 90° sur une crête descendante dans les bois, très curieuse, avec pentes fortes des 2 côtés. C’est long et bizarre. Virage à gauche. Une route, ouf ! !. On traverse le village endormit.

Praz de Fort, 111km, 1151m, ravito. 22h28. Un Suisse allemand me branche sur mon plan que je consulte. Il veut des détails sur la future montée qu’il ne faut pas négliger. Une nième soupe sur une chaise. La pluie fine n’est pas génante. Je repars seul dans la nuit presque volontairement. Il y a un petit côté aventure qui n’est pas pour me déplaire. Petit chemin d’approche sur la montée, traversée d’un hameau. Je récupère mon Suisse allemand qui est paumé. Pourtant je trouve le balisage top. On attaque la côte. Il me dit qu’il arrête à Champex, problème de genou. Il monte plus fort. Hâte d’en finir ? Je ne veux pas changer de rythme. Je lui dis qu’il peut y aller. Je ne le reverrai plus. La fin est longue, mais alors longue. Je crois que ma frontale faiblit, la frotte, rien, c’est du brouillard. Un petit bout de route, nouveau chemin et enfin la ville.

Champex le lac, 117km pas un chat, on longue le lac, je recours. On croise quelques voitures. J’imagine pour les conducteurs pas au courant. Voir des zombies des bâtons de ski à la main ! ! ! Encore une petite bosse, puis un chemin forestier à gauche sur un bon kilo, virage à droite avec 2 officiels dans le noir, « Bonsoir…, Bonsoir » 100m et voici la seconde base de vie.



Bonsoir : Vous arrêtez ou vous continuez ? (bis)

Champex d’en bas, 119km, 1391m, 00h47 ravito avec intendance lourde. « Bonsoir Christian, ça va ?, tes piles pas de problèmes ? On peut te les changer. » T’as pas encore répondu qu’un 2ième homme te tend déjà ton 2ième sac perso. « Qu’est ce qui te ferait plaisir à manger » enchaîne un 3ième. « Euhhhh, je prendrais bien une portion de motivator et 2 comprimés de rapido. Ahh ! ! vous ne faites pas ! !. Bon, ben alors, des pâtes et de l’eau glucosée ». Efficacité de la prise en charge impressionnante. J’ai 2h45 de gras sur la faucheuse. Je vais rester tranquille ici une heure. 3 bouchées de viande, 2 yaourts. Quelques pâtes et la traditionnelle soupe. Je n’ai pas sommeil. Probablement l’excitation, l’enjeu et quelques verres de coca. Il reste 2 belles bosses mais le bébé se présente bien.

Le train en partance pour Bovine? ? ? ?. J’embraye seul dans la nuit. Ahhhh, cette montée ! ! ! !. Je reviens sur un groupe. Je trouve que beaucoup hésitent sur le parcours alors que le balisage est très clair. Ca commence soft, puis les premiers cailloux. Je retombe sur mes 2 compères de la Fouly. Nous allons faire toute la montée ensemble. Les cailloux se transforment en rochers, nombreuses marches souvent très hautes. Brouillard, pluie, une vraie patinoire. Nombreux ruisseaux qui font beaucoup de bruit. On ouvre une barrière. On entend faiblement quelques beuglements. Le paysage est chaotique et le chemin très incertain. On est scotché. On va ramer 2 heures dans ce fatras. J’essaie de me souvenir. On parle des alpages de Bovine. Je ne comprends plus rien. 2ième barrière que l’on referme. Et ça repart. Plus loin, presque par surprise on tombe sur un chemin à découvert et à flanc. C’est tout droit. La pente est à droite avec un fort vent. On avance, et là encore ça semble interminable, rien en vue. Et puis au bout d’un temps qui semble une éternité, on tourne légèrement à gauche et elles sont enfin en vue un peu plus haut, ces #$%&&#&#&#; de fermes de Bovines. Que ça été dur.

Bovine, 126km, 1987m, ravito, 4h04 . ça grimpe encore, comme si on avait besoin de ça. Puis on bascule. Je m’embrouille un peu dans les barrières horaires et veux absolument que ce soit 6h30 pour Trient (7h45 en réalité). J’ai l’impression d’être un peu juste après cette montée. Je fais donc une descente soutenue, clignotant à gauche, les muscles répondent bien. Pour les plantes de pieds, je mets mes douleurs dans ma poche. Je reprends une 30 de personnes.

Col de la Forclaz, 130km, je ne vois pas du tout à quel moment on le passe. Peut-être au moment ou l’on retombe sur la route pendant un petit kilo puis un chemin en lacets à droite. Un policier fait la sécurité sur la route. « C’est encore loin Trient ? ? », « comptez 15, 20mn ! ! ». Là, je prends un petit coup mais je pense qu’il force un peu.

Trient, 132km, 1300m, ravito, 5h50. « bienvenue à Trient » me lance un local, « vous êtes dans le Valais Suisse », insiste t il. Je pense à Yves qui s’était fait arrêter là, l’année dernière, pour quelques minutes de trop. Les boules. J’espère que ça passera cette fois ci pour lui. Assis sur un banc au ravito en regardant mon pense bête, je rigole de mon erreur. L’avance reste confortable. Petit ravito (en taille de la pièce, pas en choix à manger), mais quelle ambiance. Musiques, quelques bénévoles dansent dans les temps morts. J’apprécie 2, 3 quartiers d’une petite pomme un peu acide.

La montée des Tseppes est plus classique et régulière sur les 2 premiers tiers. C’est la 8ième et dernière grosse montée. Je range la frontale définitivement. La pluie s’est presque arrêtée après 18h non-stop. On a bien donné de ce côté-là. Je la monte vraiment en dedans par pur plaisir. Pas mal me passent. Quelle importance. Le dernier tiers est plus à découvert, donc vous l’avez compris :…….. ça gadouille fort de nouveau.

Les Tseppes, 135km, 1932m, ravito, 7h33. Petit chalet. Je machouille ma petite tranche de pain assis sur un tronc d’arbre. L’accueil est sympa comme tous d’ailleurs. Le punch pour relancer la conversation n’est malheureusement plus très présent. L’un se risque : « ça monte encore longtemps ? ? » 150m lui répond une miss locale, puis après un blanc pour une digestion en 2 temps, « 150m, pas en distance, mais en dénivelé ! ! ! ! ! », « euhhhhhh, merci, bien ». Là encore, la descente semble bien longue. J’ai droit à ma première chute. Pas bien méchante, en arrière sur le côté en doublant une traileuse. C’est une patinoire. Herbes mouillées et la gadoue, la gadoue……



C’est plié

Vallorcine, 142km, 1260m, ravito, 9h35
Dernier contrôle couperet. 3 heures d’avance. Presque in the pocket. Le seul danger, la blessure idiote, surtout en dette de sommeil, mais il fait jour et le parcours n’est pas technique. Je décide donc de marcher tranquillement jusqu’à l’arrivée. Il fait plus chaud, je tombe le goretex. Je bigophone à mon staff pour annoncer mon passage et une heure envisagée d’arrivée. Mais je fais un flop. Un SMS est déjà tombé. Ils sont au courant de mon passage en plein petit déjeuner.

Col des Mottets, 146km, 1461m. Après tout ce qu’on a connu, un simple raidillon bien fadasse sur route. On longe la nationale. De nombreux locaux klaxonnent ! ! ! ! ça donne un petit coup de bouste.

Argentière,
149km, dernier ravito en ville. Pause sur un banc. 11h14. Qu’on en finisse ! ! ! ! J’engrange les dividendes de ma stratégie initiale de prudence. Mais ce chemin à flanc plein de cailloux me fait bien souffrir. Je suis sur des charbons ardents. Et puis brusquement ça monte fort à droite en s’éloignant et par paliers. Bien énervant. Là j’ai maudit les organisateurs. Surprise agréable mais mitigée de voir arriver à ma rencontre Marie et nos trois enfants. Cela veut dire qu’elle ne fera pas la boucle en 2005. Courmayeur tout de même pour elle. J’ai pas trop envie de parler même si j’apprécie la compagnie. Tout cela s’embrouille un peu dans ma tête. Enfin la descente. Presque dans le bas, mon entourage s’étoffe. 2 nouveaux accompagnateurs, Bénédicte et Bruno arrivé dans la nuit qui rentre dans le top 100, s’il vous plaît. Enfin du bitume ! ! !.


Le final n’est pas exprimable. C’est intérieur. Sur un nuage.

Entrée dans Cham, la boucle est bouclée. Le dernier kilo en trottant. Zone piétonnière. Beaucoup de monde genre tour de France. Bonne idée d’arriver de jour ! ! ! Que des applaudissements. Virage à droite, 100m, le sac finisher, une bière pour moi au ravito final, tranquille, en regardant les suivants arriver sous un soleil que je trouve très très chaud.


Le massif du Mont-Blanc fascine. Cette épreuve est exceptionnelle par sa démesure et par son cadre extraordinaire. Elle oblige à l’humilité car rien n’est acquis définitivement. Elle permet des rencontres, des tranches de vies très fortes. Elle forge les esprits. Elle est une ouverture aux autres. Chacun pourra mieux se connaître en trouvant parfois des ressources insoupçonnées dans la difficulté en illustrant ce que peut être une volonté indéfectible.
Bon là on s’est positionné, l’année prochaine on revient pour faire un chrono ! ! ! ! ! ? ? ? ? ? ? ? ?

Y a t il des amateurs ? ? ? ? ? ?
Christian




PS : Une mention spéciale aux baliseurs. Positionnement quasi-parfait. Un grand merci à tous les bénévoles, ceux qui nous ont reçus en course, avenants, efficaces, d’humeur égale et aux petits soins mais surtout à tous ceux dans l’ombre qui ont fait tourner la boutique en ne voyant peut-être même pas les coureurs.

Statistiques :
Temps : 42h 31mn 53 s, arrivé dimanche à 13h34
Classement : scratch : 663ième, 112ième vétéran2
Chiffres : 2000 inscrits, 1738 classés, 773 finishers
Progression : les Contamines : 1434ième, La Balme : 1112ième , Les Chapieux : 1086ième , Col de Seigne : 1016ième , Arête du Mont-Favre : 1007ième , Col Chécrouit : 1050ième , Courmayeur : 1149ième , Refuge Bertone : 907ième , Refuge Bonatti : 921ième , Arnuva : 943ième , Grand col Ferret : 870ième , La Fouly : 849ième , Praz de Fort : 764ième , Champex d’en Bas : 735ième , Bovine : 634ième , Trient 602ième , Vallorcine : 631ième , Argentière : 636ième , Chamonix : 663ième
Parmi les 20 connaissances citées : 18 seront classées et 8 seront finishers

1 commentaire

Commentaire de déhel posté le 07-10-2005 à 12:14:00

salut, sincères félicitations, pour ta performance d'abord, et ton c.r. ensuite: un modèle du genre, que je relirai sûrement plusieurs fois; j'ai en effet projeté de m'offrir l'utmb en 2006 pour mon demi-siècle- d'existence, pas de course à pied!-, et plus je lis de c.r, plus je veux y goûter, le masochisme du coureur de fond...donc r.v en août prochain si tout va bien!

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.33 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !