Récit de la course : Courmayeur - Champex - Chamonix 2008, par Tartine

L'auteur : Tartine

La course : Courmayeur - Champex - Chamonix

Date : 29/8/2008

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1419 vues

Distance : 28km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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Un C sur 3

 

Samedi 30 août, vers midi.

Une petite heure de marche à blagouner avec mes filles aura suffi pour rejoindre, depuis le Val Ferret italien, le Refuge Bonatti. Assis dans l’herbe, baigné de soleil, la tête en arrière, je me laisse bercer par le chapelet des concurrents de l’UTMB et le bippage des puces électroniques. Ceux là sont sur une base de 40 heures au moins. Certains ont déjà l’air de fantômes. Comme disait Antoine Guillon dans l’un de ses récits : « les vrais héros de la course, c’est eux ».

 

 

 

A cet endroit, la montagne et son histoire vous sautent au visage. Son élégance, aussi (côté italien oblige). Tout là bas, mon regard est irrésistiblement aimanté par la somptueuse Noire de Peuterey, sentinelle des délicates Dames anglaises, de la Blanche … Je pense à mon pote Jean, qui ne comprend pas que l’on puisse aimer le trail ; durant l’été 1993, à 22 ans, il sortait au Mont Blanc en solitaire par l’intégrale de Peuterey, puis enchaînait les 3 voies du Pilier Rouge du Brouillard. Je pense aussi Berhault, mon idole des années 80’s : à ce qu’il a réalisé l’hiver 2003 dans ces goulottes et ces piliers avec Philippe Magnin. Et le Grand Pilier d’Angle ! il y exactement 51 ans, Walter le bien nommé réalisait sa première ascension, le long du massif éperon nord-est. Mais aussi, là, tout près, en face de nous, majestueuses : les Jorasses ! dont on n’imagine à peine, vue d’ici, l’imposante et mythique face Nord, terrain des exploits de Cassin, Desmaison ou autres Gabarrou.  

 

Je me demande ce que nous, trailers, et ces amateurs de belles lignes, pouvons avoir en commun.

Nous avons nos départs en masse, eux recherchent la solitude. L’organisation d’un trail nous impose des horaires, eux décident du moment et fonctionnent à l’instinct. Nous suivons les sentiers battus de moyenne montagne, eux jouent les funambules en ouvrant des itinéraires de grande classe. Pourtant nous avons tous le désir de nous dépasser, de tester nos limites, et c’est sans doute cette recherche de soi même, chacun à sa manière, qui nous réunit quelque part.

 

Il y a 24 heures, je suis déjà passé par ici, sans avoir trop le temps de m’arrêter. J’ai juste pensé (tout comme en 2006) : « cet endroit est tellement beau que je dois absolument y amener ma famille un jour ». Je ne me doutais pas, alors, que le destin m’exaucerait si vite.

 

  

Il est 11:00 heures, vendredi, quand une marrée humaine se déverse sur les pavés de Courmayeur. Comme d’habitude, me voilà coincé à l’arrière. Je me suis fais prendre au piège de la coolitude en prolongeant ma séance d’étirements pré-course. Il est vrai que mon camarade Philippe nous a bien fait rire avec Sirsha-asana en plein centre du village. Cette posture de yoga sur la tête est censée activer la circulation du cerveau … Un comble juste avant un trail !

 

 

  

Du coup je prends mon mal en patience avant de pouvoir allonger la foulée et dois me faufiler pour me rapprocher de l’avant du peloton. La première demi-heure ressemble à un slalom humain. Pour me persuader de ne pas faire partie d’un troupeau de gnous fuyant l’incendie, je me livre à une petite étude statistique sur les sacs à dos et les chaussures. Beaucoup de concurrents me semblent bien trop chargés.  J’en vois même un : parti avec un gros bâton de bois à la mode Moïse fuyant l’Egypte. Mais restons vigilant et essayons de ne pas brûler trop d’énergie dans les premiers coups de sabots. Malgré quelques ralentissements dans les hameaux, je sens que ça commence à devenir plus fluide dès lors que nous longeons la Dora Ferret. Cette rivière de montagne aux eaux limpides est un petit paradis pour les pêcheurs, qui viennent ici leurrer les truites marmorata en pratique « no kill ». Enfin nous dépassons Planpincieux et enquillons le sentier qui s’élève vers Bertone. Bien câlé sur mes bâtons, j’entame tranquillement la montée en jetant de temps à autre un regard sur la vallée que nous venons d’emprunter. Psychologiquement, cette boucle n’est pas du meilleur effet.

À ce moment d’une course, la première heure écoulée, j’entre généralement dans un état de non-moi. Je me concentre sur mon énergie. Elle provient du hara et se met en mouvement au milieu des cuisses et des mollets. Le corps est relâché, la respiration tranquille. La montagne m’envahit, aiguise mes sens et rend mon cœur léger. Aujourd’hui je sens que quelque chose cloche. Je me sens tout ronchon, le comportement de certains coureurs m’agace, j’ai chaud avec mon collant. Bertone après 1h40. Pas trop de monde, de l’eau fraîche, des sourires sur des tee-shirts rouges. J’essaye de bien respirer, de contempler le paysage. Dieu que la montagne est sèche ! Et dire qu’il y avait un océan, ici, il y a 100 millions d’années …  C’est reparti. La grimpette vers la Tête de la Tronche me fait immédiatement comprendre que je n’irai pas au bout de ce CCC. Je manque de ressort. Pourtant je me dis que les sensations peut être reviendront dans la descente, que j’affectionne. Mais les cuisses ne répondent pas. A ce moment je me dis que la saison a peut être été trop longue : l’Ardéchois en mai, les Allobroges en juin, la Sky Race en juillet. Que de belles courses ! 

Fidèle à mon code de conduite, je décide donc d’écouter ma petite voix intérieure : je renonce.  C’est donc au petit trot que je serpentine sur le beau balcon qui mène à Bonatti. J’avais oublié son caractère impétueux et son parcours vallonné. 3h20 de Course : j’en suis à mon 4e gel lorsque le bip du refuge retentit. Atmosphère tranquille au ravitos. Définitivement cet endroit me rend joyeux et j’échange quelques paroles avec un réunionnais au gabarit impressionnant. On dirait un peu le handballeur Daniel Narcisse. Je le vois repartir à fond et ne peux m’empêcher en mon for intérieur de l’imaginer beaucoup plus calme au Trient.

  

Pour ma part je tente de savourer ce que je sais être mes derniers moments de course. Du coup je me fais un grand plaisir dans la descente vers Arnuva et me prends pour un bobsleigh. Des coureurs s’enrhument sur mon passage, je ne suis qu’un souffle, une tornade déboussolée.  Las ! voici déjà le relais de diligence où je vais devoir ranger les chevaux. Un bon buffet nous attend et je me bourre de soupe et de saucisson. Un papy rabougri assis sur un caillou me dit que le premier est passé il y a une heure et quart. Bigre ! Y’en a qu’on de gros poumons.  Un demi kilomètre de dénivelée plus haut, le Grand Col ouvre la porte aux Alpes Valaisannes et à ses 41 sommets de plus de 4'000. Depuis Arnuva, on est impressionné par cet entonnoir dans lequel il faut s’élever. Les blocs erratiques, l’érosion, l’inclinaison des couches sédimentaires témoignent du travail du glacier lorsqu’il s’est retiré il y a 20'000 ans ; le mélange de roches contraste avec le granit compact du massif du Mont Blanc. Je ne me souviens pas de ce passage comme d’un franchissement particulièrement difficile, mais sens encore le vent s’immiscer vers mes os.  Mais pour l’heure, je me couvre un peu, vais m’étendre au soleil, de longues minutes, dans l’herbe grasse. Le genre Dormeur du Val, mais sans les trous au côté …. Je suis sorti de l’ambiance et de la course. Sans regrets. Un mini bus me ramènera gentiment vers Courmayeur, d’où 4 heures plus tôt je m’élançais. J’y retrouverai mes filles tout heureuses de profiter de papa, ainsi que ma femme, un peu gênée de déambuler dans les rues chics avec un énergumène drôlement attifé.

 Quant à mon finisher de pote Philippe, faut croire que le yoga et l'homéopathie lui réussissent ...

 

3 commentaires

Commentaire de Bicshow posté le 15-09-2008 à 09:59:00

Ca passera une autre fois...
Tu devais quand meme bien gazouiller pour un gars qui n'avait pas de tonus 1h20 de moins que moi pour aller à Bonatti

Commentaire de taz28 posté le 15-09-2008 à 16:15:00

Merci pour ce récit, très bien écrit et dont on aurait aimé une suite plus longue...
Mais tu as dû prendre la bonne décision pour ce choix d'arrêter.

Taz

Commentaire de JLW posté le 15-09-2008 à 22:10:00

Très bien ecrit en effet et on aurait aimé que tu nous racontes un peu plus et pour cela il aurait fallu que tu montes le grand col Ferret puis prendre la descente jusqu'à la Fouly et après peut-être aurais-tu pu contineur jusquà Champex et ainsi de suite ...
Pourquoi t'es-tu arrêté si tôt en fait ?

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